Cela fait vingt-quatre heures que nous l'avons quittée, et j'y suis encore en pensée...Quelle expérience !
Cette année, le séminaire de toute l'équipe PMP se déroulait en Sicile, à Palerme...Nous y étions plus de cinquante. Nous avons parlé de notre identité.
Ces séminaires sont en effet "expérientiels" et nous permettent de nourrir notre réfléxion directement à partir des lieux visités et des rencontres que nous y faisons. J'ai déjà parlé ici de Moscou, de Bilbao, de la Laponie, et du désert de Tunisie.
La Sicile, voilà bien un endroit pour évoquer l'identité : cette île a connu les invasions et les colonisations des grecs, des romains, des carthaginois, des normands, des arabes, des français, des espagnols. Les derniers sont les piémontais italiens (Garibaldi) qui sous prétexte de faire " l'Unité " italienne en 1860 vont annexer ce territoire nécessaire à leur expansion économique.
C'est le prince de Salina qui, dans le roman "Le Guépard" de Giuseppe Tomasi Di Lampedusa, et dont Visconti a tiré un film avec Burt Lancaster, exprime ce sentiment à un envoyé du nouveau gouvernement qui cherche à recruter pour touver des candidats au Sénat :
" Nous sommes vieux, trés vieux. Cela fait au moins vingt-cinq siècles que nous portons sur nos épaules le poids de magnifiques civilisations hétérogènes, toutes venues de l'extérieur, déjà complètes et perfectionnées, il n'y en a aucune qui ait germé chez nous, aucune à laquelle nous ayons donné le la, Depuis deux mille cinq cents ans nous sommes une colonie. Je ne dis pas ça pour me plaindre : en grande partie c'est notre faute; mais nous sommes quand mêmes fatigués et vidés".
Et pourtant, cette terre colonisée, cette terre d'émigration ( encore aujourd'hui, avec la crise, le manque de travail dans l'île, les jeunes quittent la Sicile, pour parfois y revenir), on ne la quitte jamais vraiment, car tout sicilien, où qi'il aille dans le monde, emporte avec lui une part de Sicile intérieure, un caractère particulier dont parle aussi le prince de Salina :
" Cette violence du paysage, cette cruauté du climat, cette tension perpétuelle de chaque aspect, ces monuments aussi, du passé, magnifiques mais incompréhensibles parce qu'ils n'ont pas été édifiés par nous, et qu'il se trouvent autour de nous comme autant de trés beaux fantômes muets; tous ces gouvernements, débarqués avec leurs armes d'on ne sait où, aussitôt servis, vite détestés, et toujours incompris, qui ne se sont exprimés qu'à travers des oeuvres d'art énigmatiques pour nous, et avec de trés concrets percepteurs d'impôts dépensés ensuite ailleurs, toutes ces choses là ont forgé notre caractère qui demeure donc conditionné par des fatalités extérieures autant que par une terrifiante insularité spirituelle".
La Sicile, c'est la nature, aride, celle qui a été conquise par les vagues d'envahisseurs qui ont apporté par exemple la vigne ou l'eucalyptus. C'est aussi la mer, où plutôt les mers qui l'entourent. Forcément nous sommes allés y voir, sur un bateau, comme les envahisseurs en leur temps; mais nous n'étions pas les envahisseurs; nous venions humblement essayer de comprendre cette identité sicilienne.
Gastronomie aussi : des pâtes, mais aussi des préparations de fruits de mer et poissons: la générosité des portions et de nos hôtes..
Et puis Palerme : cette ville décorée par les grands artistes des colonisateurs.
La chapelle palatine aux parois recouvertes d'or à 24 carats par les byzantins, ces décorations qui mélangent les religions chrétiennes, musulmanes, juives...L'identité par le mélange et par l'accueil des autres, sans écraser personne : on commençait à faire des comparaisons avec notre entreprise.
Mais Palerme aussi plutôt sale, envahie de détritus, qui nous oblige à aller chercher ses splendeurs avec un peu d'efforts; ça ne vient pas tout seul; chacun doit aller chercher.
Nous sommes allés jusqu'au village haut-perché de Monreale pour y admirer la cathédrale, mais aussi le charme caché, silencieux et reposant du cloître.
Nous y étions quasiment les seuls visiteurs...à admirer un à un chacun des piliers, tous différents, dans une harmonie qui faisait de ce cloître un modèle d'architecture : tiens, ces différences juxtaposées, qui forment une unité d'architecture, on tenait encore un clin d'oeil pour notre identité à nous, nous aussi...
Mais Palerme c'est aussi un incubateur de start up, Arca, dont le responsable nous confie que sa principale question c'est : comment et pourquoi des entrepreneurs vont-ils entreprendre ici à Palerme, dans cet endroit qui "ressemble à Marseille, en plus sale". Sa réponse est que Palerme est une transition entre le Nord, là où l'on fait des "business plans" et où on manage "à l'allemande", et puis le Sud, le monde des arabes et africains, là où l'on improvise, où l'on crée, où l'on apporte cette touche méditerranéenne. Avec un tel pont entre deux mondes, on créera différemment. Ce qu"il cherche à faire c'est d'entrechoquer ces mondes (il utilise le mot anglais "collide") : un designer et un ingénieur mécanique se sont rencontés ici pour créer une machine connectée pour distribuer des produits, la WIB (Warehouse in a Box). Ils iront chercher l'argent à Milan ( ici le slogan, c'est M =M : Milan is Money) et dans le monde auprès des investisseurs.
Norma nous attendait à l'Opéra Teatro Massimo le soir. Norma, oeuvre de Bellini, enfant du pays, né à Catane. Norma, héroïne en furie qui lance des imprécations contre son amant, le proconsul de Rome, Pollione, qui l'abandonne pour une maîtresse plus jeune, alors qu'elle a rompu son serment de chasteté pour lui et eu deux enfants de lui. Norma, c'était ce soir Scilla Boross, soprano hongroise (photo ci-dessus), dont nous attendions tous l'interprétation du célèbre air "Casta Diva", invocation à la lune pour exprimer son désenchantement en clair-obscur. Norma, femme engagée, qui aprés s'être engagée pour Pollione, va s'engager pour son honneur, et se livrera au bûcher. On pourrait chercher ce qu'il y a de Sicile dans ce Bellini, et cette héroïne. Dominique Fernandez, dans un ouvrage sur ses promenades en Sicile, s'y essaie : il voit dans le destin de toutes les héroïnes de Bellini, qui les conduit à une sorte de folie, la représentation du destin de la Sicile; Ces femmes éperdues seraient l'image de la Sicile éternellement spoliée, bafouée, villipendée. La folie des héroïnes belliniennes, ce serait aussi la folie des insulaires de l'île qui vivent avec "une pathétique intensité" les contradictions de la Sicile et la succession de désastres qui constituent son histoire, et en viennent à perdre l'esprit.La protestation impuissante de Norma, femme trahie, serait aussi celle de la Sicile...Peut-être...
Le rôle d'Adalgisa était tenu par une mezzo soprano italienne, brune à la ville, Annalisa Stroppa; mais blonde dans le rôle...et trés applaudie.
Qu'allions-nous ramener de la Sicile avec nous pour revenir chez PMP, et servir nos clients ? Nous avons partagé nos réponses : Du soleil, la mer, de l'entraide, de la sérénité, une envie de préserver les diversités, et nos diversités à nous qui font l'identité de PMP, et la façon différente, peut-être, dont nous concevons notre métier de consultant.
Nous nous sentions lumineux et beaux (notre galerie de selfies était impressionnante); Nous avions envie d"élan, de simplicité, de cohésion, de générosité. Un moment de joie.
Peut-être la Sicile nous aura-t-elle appris que l'identité, pour une communauté, une entreprise, cela ne vient pas du "haut", comme une "Unité" uniforme imposée ou formulée par les chefs, à laquelle il faut se plier, mais que l'identité se construit en assemblant les identités de chacun, comme une mosaïque sur le sol ou les murs de la chapelle palatine ou la cathédrale de Monreale : les questions identitaires de la collectivité, de l'entreprise, se nourissent des questions identitaires de chacun individuellement; ce que je veux faire, ce que je veux être, maintenant, demain ou à plus long terme, c'est ce qui fera l'identité de l'organisation où je suis.
Il est vain de demander à l'entreprise d'être différente de ma nature intérieure et de celle de mes collègues, comme si elle devait répondre à ma place à mes questions identitaires personnelles, car elle n'en est que l'expression projetée.
.Développer et renforcer l'identité d'une collectivité, d'une organisation, c'est d'abord laisser la place à, et accepter, l'expression des identités individuelles, et leur éclosion. Et non les étouffer dans une identité imposée et uniforme.
A chacun d'oser révéler sa Sicile intérieure. Et en acceptant ces différences, cette diversité, nous construisons l'harmonie et le noyau commun, précisément fondé sur ces valeurs de générosité, d'accueil, de respect
Pour ce message un grand merci à la Sicile, à Palerme, et à nos belles rencontres.