Abondance : Qui va gagner ?

AbondanceAvec la quatrième révolution industrielle, et la montée en puissance des nouvelles technologies, nous sommes en train de changer de monde.

Les modèles d’entreprises traditionnels étaient en général construits sur la rareté : la valeur provenait de la vente d’un service ou d’un produit que les autres n’avaient pas, ou pas aussi bien. C’est la rareté de l’approvisionnement qui apportait la valeur.

Aujourd’hui, ceux qui font l’économie et la croissance, avec les technologies nouvelles, sont ceux qui génèrent une abondance de tout. Une fois que le digital est entré quelque part, immédiatement de plus en plus de monde ont accès au produit ou au service. Et ceux qui se mettent sur cette partie de la chaîne de valeur vont créer la rupture et attirer un volume exponentiel de clients. Cela concerne de plus en plus d’industries qui voient ainsi débarquer des nouvelles entreprises et start-up sur leur terrain de jeu, et croître à des vitesses exponentielles. Ce sont ces entreprises nouvelles qui capturent la nouvelle économie de l’abondance : Quand les produits et services sont accessibles via des moyens digitaux, et n’ont donc plus la restriction des circuits physiques, ils peuvent être produits en abondance à coût marginal zéro.

L’exemple le plus connu de cette bascule est celui de Kodak. Le modèle des photos est passé d’une économie de la rareté (des pellicules de 12, 24 ou 36 photos par rouleau, avec des coûts pour le film et le développement) à un modèle digital de l’abondance où tout le monde a accès à un nombre illimité de photos à pratiquement coût zéro. On est passé de « combien de photos puis-je prendre » au modèle « comment partager mes photos », où le coût n’est plus le problème. C’est comme ça, en passant de l’économie de la rareté à l’économie de l’abondance, qu’est né Instagram, qui a été acquis par Facebook pour 1 milliard de dollars, avec 13 employés, juste au moment où Kodak fermait ses portes.

Cette rupture se rencontre de la même façon dans la musique, les films, la banque, l’assurance. Le vrai challenge que rencontrent toutes ces industries est précisément, dans cette nouvelle économie de l’abondance, de trouver de nouveaux business models qui sont compatibles avec ce nouvel environnement. Et ceux qui les trouvent le plus vite sont, là encore, les nouvelles entreprises et les start-up. C’est comme cela que Airbnb se construit sur l’abondance des chambres disponibles, que Waze tire bénéfice de l’abondance des GPS sur nos téléphones, que « la crème de la crème » parie sur l’abondance des stagiaires qui cherchent des jobs d’étudiants, etc. C’est ce que l’on appelle les « organisations exponentielles », selon l’expression de Salim Ismail dans son livre.

Pendant que ces nouvelles entreprises investissent l’économie de l’abondance, les entreprises traditionnelles en sont encore, la plupart du temps, à se concentrer sur les modèles d’économie de la rareté, avec des modes de management et d’organisation qui sont restés linéaires, et très prédictifs (le futur ressemblera au passé que l’on a connu). Et elles se font doucement bousculer par les nouvelles, qui capturent la relation client, et réduisent les entreprises traditionnelles à des fournisseurs d'infrastructures pour les clients des start-up. C'est le modèle Booking, et de nombreux autres, vis-à-vis des hôteliers. C'est comme ça que se développe ManoMano.fr, en bousculant la distribution de produits de bricolage, d'abord pour les particuliers, et ensuite pour les professionnels, venant perturber, un tout petit peu, puis un peu plus,  les chaînes traditionnelles de distribution. 

Pourtant, de plus en plus de ces entreprises traditionnelles veulent s’inspirer aussi des jeunes, ou moins jeunes, entreprises exponentielles, pour plonger, elles-aussi, dans l’économie de l’abondance. Elles créent des plateformes, revoient leur modèle de distribution, mais doivent aussi rendre plus décentralisé et plus flexible leur management. Et laisser s'exprimer les énergies créatives et l'intelligence collective de leurs collaborateurs, afin d'intégrer les nouvelles technologies (Intelligence Artificielle, Blockchain, objets connectés, réalité virtuelle, ...).  Cela ne se fait pas en un jour.

Les transformations ne font que commencer, et ce sont les entrepreneurs qui vont nous montrer la route.

C’est le moment de créer les lieux et les occasions pour ces rencontres.


Quand l'analogie nous fait faire des bêtises

Apple-StoreOn le connaît ce dirigeant qui arrive après un succès dans une autre entreprise : il va parfois foncer pour reproduire dans son nouveau job ce qui a fait le succès dans le précédent.

C'est exactement l'histoire de Ron Johnson, que racontent Bernard Garette, professeur à HEC, Corey Phelps, professeur à Mac Gill, et Olivier Sibony, professeur à HEC et ex MacKinsey, dans leur opus " Cracked it" consacré au "problem solving".

Très convaincant.

Ron Johnson est celui qui a conçu et développé avec succès le concept des Apple stores. C'est la star. Alors, quand il est nommé CEO de la chaîne de grands magasins J.C Penney, le 14 juin 2011, c'est l'euphorie à la Bourse. Le titre gagne 17,5% ! 

J.C Penney, on en voit pas en Europe, mais c'est une chaîne de grands magasins très connue aux Etats-Unis, qui connaissait à cette époque un déclin des ventes et des marges.

Alors Ron Johnson, auréolé de sa gloire passée, va apporter une "vision", des "convictions stratégiques", qu'il va mettre en oeuvre dans tous les magasins. 

Première conviction stratégique : alors que J.C Penney était connu pour ses promotions permanentes, on arrête tout ça ; il y aura un prix fixe, le meilleur, toute l'année.

Deuxième conviction stratégique : Alors que les rayons dans les magasins étaient organisés par catégorie (femme, enfant,costumes Homme,etc), on va maintenant avoir des rayons  par marque avec une mise en scène de présentations.

Troisième conviction stratégique : Alors que les vendeurs étaient en uniforme derrière la caisse, on va maintenant les mettre dans le magasin, avec des tablettes Ipad, et habillés comme ils veulent, en cool.

Et c'est parti, tous les magasins y passent. On change même le logo, le nom J.C Penny disparaît, c'est maintenant "jcp". 

Résultat : la catastrophe ! 

En 2012, lorsque J.C Penney annonce ses résultats, les ventes avaient baissé de 25%, les pertes étaient de 1 Milliard de dollars. Et le titre tombe à moins de la moitié du prix de l'année précédente.

Ron Johnson va quitter la compagnie en avril 2013. La belle histoire de la star d'Apple n'aura duré que 18 mois. Le CEO qu'il avait remplacé va être rappelé, et va se dépêcher de supprimer tout que Ron Johnson avait mis en place. Il y aura même une publicité de repentir demandant aux clients de revenir, avec un logo qui retrouve le nom complet J.C Penney : "It's no secret".

Que retenir de cette histoire ?

Les convictions stratégiques de Ron Johnson, c'était la reproduction de ce qui avait fait le succès d'Apple. Les vendeurs cool dans les allées, les prix sans promotion, la mise en scène des rayons.

Alors ?

Ce qu'il n'avait pas trop regardé, ce sont les clients. Car les clients et clientes de J.C Penney n'avaient pas grand chose à voir avec les clients des Apple stores. Et quand certains, après cette défaite, lui ont demandé pourquoi il avait mis le modèle dans tous les magasins, au lieu de faire une expérience avec un magasin test, il avait répondu " Nous n'avions pas fait de test chez Apple".

Ce qui a manqué à Ron Johnson, c'est d'aller sur le terrain, de comprendre les clients, leurs comportements au plus près, ce que l'on appelle le "Design Thinking". Il a foncé dans ses convictions stratégiques, et tout déroulé à partir de là.

La leçon de tout ça : Quand un problème est complexe, que les causes de la situation ne sont pas directement compréhensibles, le raisonnement par analogie, analogie avec notre expérience de ce que nous avons vu ailleurs ou précédemment, est la meilleure façon de rétrécir notre vision et de nous tromper. 

La solution, ce n'est pas l'analogie, mais d'aller inspecter, et écouter comment ceux qui ont l'expérience du problème, c'est à dire les clients, nous racontent le problème (pourquoi ils ne viennent plus ou moins dans le magasin ?). Et non de reproduire des intuitions qui ont marché ailleurs.

Ce danger de l'analogie, il guette forcément aussi ceux qui débarquent dans un nouveau job avec leur "expérience du secteur". Les premiers pas sont décisifs : le dirigeant va-t-il donner des leçons à tout le monde avec ses visions de "celui qui sait", ou s'imprégner des expériences des clients, des collaborateurs. Il suffit d'observer son agenda. Mais cela concerne aussi les consultants qui se sentent un peu trop "experts du secteur", au point de reproduire les mêmes solutions chez tous leurs clients.

C'est pourquoi les "experts du secteur" sont parfois un poison, dont les clients sont l'antidote.


Au lieu de prévoir et d’écouter les prévisionnistes, participez à des fêtes !

FêteLa lecture du « cygne noir » de Nassim Nicholas Taleb ne peut que nous convaincre de l’impossibilité de prévoir le futur, et de notre incapacité à prévoir ces « cygnes noirs », ces évènements présentant les trois caractéristiques :

  • Ils sont une aberration, c’est-à-dire se situant en-dehors du cadre de nos attentes ordinaires, car rien dans le passé n’indique de façon convaincante qu’il ait des chances de se produire,
  • Ils ont un impact extrêmement fort,
  • Notre nature humaine nous pousse à élaborer après coup des explications concernant sa survenue, le rendant explicable et prévisible.

Mais alors, si on ne peut rien prévoir, que pouvons-nous faire ?

En fait, Nassim Nicholas Taleb ne nous ôte pas tout espoir, et nous dit que « Savoir que l’on ne peut pas prévoir ne signifie pas que l’on ne peut pas tirer profit de l’imprévisibilité ».

Alors, le message est simple : Tenez-vous prêts !

Cela veut dire quoi ?

Le secret est de garder l’esprit ouvert, et de savoir investir dans la préparation plutôt que dans la prévision. C’est exactement ce que permet une démarche de « scenario planning » pour permettre à nos entreprises de construire les scénarios ayant le plus d’impact sur son avenir, et ainsi de se préparer et d’être le plus flexible possible face aux turbulences possibles (car il ne s’agit pas de se préparer au probable mais au possible). J’en ai déjà parlé ICI. (Même si Nassim Nicholas Taleb, lui, n’en parle pas dans son ouvrage).

Autre astuce : saisir n’importe quelle occasion et tout ce qui lui ressemble. Car Nassim Nicholas Taleb nous rappelle à juste titre que les Cygnes Noirs (avec les majuscules) positifs (c’est-à-dire ceux qui amènent des bonnes surprises et des bénéfices inattendus), s’accompagnent d’une première étape indispensable : il faut être exposé à leur éventualité (comme la nécessité de jouer au loto avant d’espérer gagner). C’est pourquoi il faut accepter les rendez-vous improbables, les provoquer, faire des rencontres. Travailler à rechercher des opportunités et à s’y exposer autant que possible. Et pour faire des rencontres liées à la sérendipité, c’est rechercher des sources d’incertitude positive.

Car ce sont les discussions informelles dans les lieux improbables qui peuvent mener à de grandes initiatives et avancées.

Alors pour rencontrer le maximum de cygnes noirs positifs, le conseil c’est : « Participez à des fêtes ! « .

Faire la fête et des rencontres, bon remède pour ne plus croire aux prévisions impossibles, et faire surgir l’impossible.

Bon programme pour l’été, …et le reste de l’année.


Changer de paradigme pour être acteur du futur : regards croisés de PDG et de philosophe économiste

FutursensJe recevais cette semaine, dans le cadre des conférences de PMP au collège des Bernardins, Jean-Bernard Levy, PDG d'EDF, et Olivier Babeau, économiste que l'on qualifie de "libéral", même si il n'aime pas ce qualificatif, et Président fondateur de l'Institut Sapiens, qui appelle à manifester pour un "second humanisme". Il est aussi diplômé de troisième cycle de philosophie.

Le thème, c'était " A quoi sert la concurrence pour le management ?", mais surtout l'occasion d'écouter le témoignage d'un dirigeant qui est venu pour "accélérer la transformation d'EDF".

Car, paradoxalement, à son arrivée en 2014, Jean-Bernard Levy n'a pu que constater que, alors que l'ouverture à la concurrence existait depuis plus de 20 ans pour les entreprises, et depuis plus de 10 ans pour les particuliers, elle n'avait pas donné véritablement le "coup de fouet" que l'on aurait pu espérer, et qui avait été constaté, par exemple, lors de l'ouverture du secteur des Télécoms. 

Alors il s'est attelé à "donner envie à chacun, grâce à la concurrence, de se sublimer", envie de réaliser des projets, des rêves. 

Et pour ça, deux clés : décentraliser, et donner les moyens de l'innovation au niveau local. Ainsi, le budget de R&D, qui représente 600 Millions d'euros, est aux 2/3 dans les mains des Métiers, qui en pilotent l'utilisation, et 1/3 au Corporate. 

Première étape : fixer un cap (c'est son plan stratégique "Cap 2030"), et ouvrir la maison, qui avait le culte du secret, pour développer le dialogue. Il revient tout heureux d'une session de COMEX filmé et casté pour tous les salariés, pendant deux heures et demi, étape ultime d'un échange dans toute l'entreprise, " Parlons Energie", où 20.000 collaborateurs ont participé. Pour bien montrer que la démarche était décentralisée, il est allé lui-même "dans la banlieue de Clermont-Ferrand" pour participer aux réunions.

Mais pour donner cet élan, il a été nécessaire de "changer de paradigme" ("pour utiliser un mot qui ne veut rien dire" a-t-il ajouté) : Ce n'est pas la part de marché qui va être le vecteur, car justement la concurrence va plutôt faire baisser naturellement la part de marché d'EDF sur ses marchés. Il faut trouver une nouvelle fierté. Ce qui va aider, c'est le numérique, pour faciliter par exemple le commercial; C'est aussi l'investissement dans les énergies renouvelables, le plan sur le solaire. Ce déplacement de paradigme, cela lui semble une orientation majeure à passer. Et puis décentraliser, ce n'est pas une histoire d'organisation, comme il nous l'a dit, mais d'abord "un état d'esprit". Il veut aussi sortir le Groupe d'une vie en silos, et faire travailler de façon transverse.

Il a enfin structuré son plan, pour le COMEX, autour d'un nombre limité de "priorités stratégiques", car il a trouvé à son arrivée une situation où les projets locaux étaient souvent spectaculaires, mais où la vision de synthèse était insuffisante. Au passage, il a aussi rajeuni le COMEX ("c'est moi le plus âgé" note-t-il avec un petit sourire). 

On a aussi bien senti, à son sourire, qu'il a bien aimé réduire les effectifs (pas autant, vu le contexte, que dans d'autres Groupes industriels qu'il cite en exemple), réduire les dépenses (il nous explique que la formation ne se juge pas au montant des dépenses par rapport à la masse salariale, mais à la qualité de la formation. Et donc il a réduit les dépenses de formation). Là aussi il y a changement de paradigme. En 2016, quand les prix de marché ont chuté et que les parts de marché ont sensiblement chuté, il n'a accordé aucune augmentation de salaire générale, du jamais vu depuis la Libération. Il insiste, on sent qu'il en est fier : "Pas un fifrelin n'a été donné". Cette période est passée, et maintenant il faut redonner confiance dans l'avenir de l'entreprise, qui avait baissé aussi dans cette période de tourmente.

Avec Olivier Babeau, on est est passé à une autre vision de la transformation : Pour lui, ce qui attend les entreprises aujourd'hui, c'est de devenir les coachs de la transformation des hommes vers un second humanisme. Bigre ! C'est quoi ça? 

Il nous explique que nous sommes maintenant dans une société d'hyper-choix, qui nous conduit à ne plus savoir choisir en fait; et donc à une hyper standardisation. Nous regardons les mêmes films, avons les mêmes désirs, et il est de plus en plus difficile d'y résister. Avec internet, alors que l'on trouve tout sur Google en deux clics, on perd en capacités cognitives, on ne prend plus la peine de se souvenir. Et on lit sur internet sans se rappeler de qu'on a lu. Alors que dans la société d'hier les machines étaient qu service de l'homme, pour leur éviter de se fatiguer, aujourd'hui ce sont les hommes qui sont au service des machines.

Dans le monde de l'hyper-choix, le risque est fort d'abdiquer son humanité au profit des machines qui feront tout à notre place. Et donc l'entreprise a pour nouvelle mission de permettre aux humains de rester des humains (car maintenant on va devoir "choisir d'être un homme"), et de permettre aux collaborateurs d'être des accompagnateurs de l'intérêt à long terme de leurs clients. Pour que l'avenir ait besoin de nous.

Nos deux invités se sont retrouvés sur un concept plus d'actualité que jamais : la quête de sens.

C'est une attente forte dans la société, pour nous tous, et pour les collaborateurs dans l'entreprise.

Jean-Bernard Levy nous a rappelé combien chez EDF, le sens de "l'intérêt général" (qui n'a rien à voir avec le fait d'avoir un actionnaire public; car il est un libéral qui croit à l'intérêt général) est resté fort. Le système de péréquation tarifaire (on paye le même prix partout) est un pilier fort, et les ouvriers d'EDF et d'ENEDIS font tout pour faire les réparations en tension, sans couper le courant pour les villages alentours.

Parler du sens, c'est parler des valeurs. Et pour Olivier Babeau, à l'heure on l'on vit dans une société de moins en moins relativiste, et plein de dogmatismes, la valeur qu'il appelle, en bon libéral, c'est la valeur de tolérance. Comment accueillir tout le monde en ayant une tolérance réciproque ?

Le sens c'est une façon active d'être au monde, de ne pas demander ce que le futur pourra faire pour nous, mais ce que nous pouvons faire pour le futur. Qu'allons-nous faire de toutes ces technologies? 

L'enjeu est finalement de devenir acteur de la création de sens dans l'entreprise et dans la société.

Tout un programme pour un PDG et pour chacun.


Dans le monde des machines à quoi sert l’homme, à part nourrir le chien ?

UsinefuturDepuis qu’il y a des machines se pose la question de la répartition du travail entre l’homme et la machine. Forcément, la machine c’est ce qui nous permet de rendre moins pénible le travail, et d’aller plus vite, grâce aux outils.

Avec l’ordinateur, on a parlé d’ « automatisation » des tâches. Vieille histoire. Dans les années 90, James Champy et Michael Hammer avaient popularisé le concept de «  Business Process Reengineering ». En gros, cela consistait à dire que l’activité des entreprises ne devaient pas s’analyser en observant les tâches par service, mais en prenant en compte tout le processus transversal (de la commande du client à la livraison). Le livre s’est vendu à 2 millions d’exemplaires, et a fait le bonheur de toute une floppée de consultants.

Après cette vague de reengineering et de mise en place des fameux ERP (progiciels intégrés), voilà le web (en 1989). Avec lui les processus se sont étendus au-delà des entreprises, jusqu’au consommateur. Ce qui est devenu le « e-commerce ».

Tout ça pose alors la question : que font alors les humains une fois tous ces processus automatisés ?

Pour les auteurs Champy et Hammer, la réponse était évidente : les ordinateurs allaient faire les tâches de routine, et les humains pourraient gagner en autonomie et se concentrer sur tout ce qui demande du jugement, de l’intuition. On appelle ça le « partenariat standard » : les humains développent leur intuition et leur jugement, et prennent les décisions intelligentes, et on laisse aux machines les calculs et la comptabilité.

Mais voilà, cette croyance est fausse aujourd’hui si l’on en croit les auteurs Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, qui dans leur livre « Des machines, des plateformes et des foules » (passionnant) nous disent l’urgence à imaginer de nouvelles formes de coopérations entre les machines et le cerveau humain, qui n’ont plus rien à voir avec cette croyance.

Car les études montrent aujourd’hui que le jugement humain est souvent battu par les analyses des machines par les données. Les auteurs en fournissent de nombreux exemples convaincants.

Surtout que cette histoire d’intuition et de jugement par les hommes intelligents souffre d’un mode de décision très répandu dans les entreprises, et mis en évidence par deux analystes de données travaillant chez Intuit et Microsoft, Avinash Kaushik et Ronny Kohavi, qui l’on appelé HIPPO.

HIPPO cela veut dire « Highest-paid person’s opinion » (opinion de la personne la mieux payée). On l’a compris : dans la décision, dans un Groupe ou un Comité de Direction, c’est l’intuition du chef qui sera considérée comme la meilleure. Et même si ce n’est pas le chef, il y a toujours un leader, au charisme plus fort, qui va emporter l’adhésion des autres. Rien de très scientifique là-dedans. Et cette méthode HIPPO détruit souvent de la valeur, faisant prendre des décisions au feeling et non les plus appropriées. C’est pourquoi, maintenant, la méthode HIPPO cède la place aux algorithmes. Grâce à la numérisation de plus en plus d’informations, nous disposons de masses de données qui permettent ainsi d’améliorer la prise de décision. C’est comme ça que se développent les agences de communication pour cibler les publicités, et même les militants politiques pour convaincre quartier par quartier les électeurs.

Mais alors dans ce monde que vont faire les humains ? Un blague célèbre attribuée à Warren Bernis indique que dans l’usine du futur il n’y aura plus que deux employés, un humain et un chien. Le travail du premier sera de nourrir le second, et celui du second d’empêcher le premier de toucher aux machines.

Peut-être que cette vision est un peu pessimiste.

Cependant, il va falloir changer complètement notre mode d’intervention. Les auteurs appellent ça le « partenariat inversé » : Au lieu d’aider l’homme à réfléchir grâce aux machines (le « partenariat standard »), il va falloir faire l’inverse. Au lieu d’alimenter l’homme avec des données, on va alimenter l’algorithme avec du jugement humain. C’est comme ça que fonctionne le recrutement chez Google : ils ont conçu un système d’entretiens structuré, avec des questions normées, qui permet aux recruteurs de poser les mêmes questions pour tester les capacités, notamment cognitives, et ainsi de donner une note chiffrée aux candidats.

Bon, d’accord, mais il va rester quelque chose pour les humains, on s’en doute : l’innovation, la créativité, l’art. Evident, non ? Là, la machine ne pourra rien…

Et bien non. Les robots maintenant écrivent des séries télé, composent de la musique, réalisent des œuvres d’art (voir l’exposition en ce moment au Grand Palais).

Alors, les humains, on va faire quoi finalement ?

Toute la question, c’est comment faire coopérer les machines et les esprits des humains. On en est encore aux expérimentations sur le sujet.

Première façon : les machines en faisant de plus en plus, les hommes vont en faire de moins en moins. Exemple dans l’agriculture, où les machines se conduisent toutes seules, et produisent des cartes avec les rendements. Exemple dans les usines, où les ouvriers n’ont plus besoin d’être des costauds, mais de connaître les chiffres, de résoudre les problèmes en équipe, quand il en restera à résoudre.

Mais il y a une deuxième façon, qui consiste à faire travailler ensemble les robots et les humains. Cela existe déjà dans de nombreuses usines où les tâches sont partagées entre les robots et les humains, ceux-ci étant plus performants en dextérité et avec leur vue. Mais on peut se demander : pour combien de temps ?

In fine ce qui reste aux humains est une capacité que l’on n’a pas avec les machines et les robots : leurs compétences sociales de haut niveau.

En effet, les humains sont d’abord des êtres sociaux qui sont sensibles les uns aux autres. Nous nous préoccupons de la manière dont nous sommes en relation avec les autres.

C’est pourquoi les tâches et emplois qui seront les moins affectés par le progrès technique seront ceux qui exploitent nos instincts sociaux, comme la compassion, la fierté, la gêne, l’envie, la justice, la solidarité. La capacité à faire travailler une équipe ensemble, et à motiver, voilà ce qui constitue aussi le facteur de succès des entreprises. La capacité de travailler utilement avec les états émotionnels et les instincts sociaux des individus va encore rester une capacité humaine.

On en voit bien l’application dans le domaine des soins médicaux, où l’empathie et la compassion font aussi partie du traitement, et complète le diagnostic scientifique.

Même chose avec les coachs, et, oui, les consultants.

A condition qu’ils ne soient pas devenus eux-mêmes des machines qui exercent leur « expertise » un peu..."machinalement". Et ne perdent pas leur intelligence émotionnelle.

Retrouver notre rôle et nos valeurs humaines, voilà un bon programme pour survivre dans un monde de machines, non ?

Les auteurs ont ajouté à leur récit, des séries de questions pour nous faire réfléchir, nous, dans nos entreprises, face au développement de ces technologies.

Elles valent la peine.

Exemples.

Si les processus dans votre entreprise nécessitent beaucoup d’interactions humaines, est-ce parce que vos clients (ou vos employés, vos fournisseurs ou d’autres partenaires) le souhaitent ou parce que vous ne leur offrez pas d’alternative numérique aussi efficace ?

Quels sont, dans votre secteur, les aspects du travail qui ont le plus de probabilité d’être virtualisés d’ici trois à cinq ans ?

Comment le travail physique dans votre organisation est-il divisé entre les humains et les machines ?

Quelle est la part des tâches ennuyeuses et routinières que doivent faire les personnes les plus créatives et innovantes de votre organisation ?

Dans quels domaines de meilleures relations humaines seraient-elles le plus utile à vos résultats et à ceux de votre organisation ?

Quels nouveaux produits ou services pourraient être créés en combinant les capacités nouvelles des machines et une "touche" humaine ?

L’histoire ne dit pas si les réponses seront fournies par un humain ou par une machine.

Mais on peut déjà les introduire dans nos plans stratégiques et nos programmes de transformation. Et en faire un axe de nos démarches d'innovation. 


Comment se réinventer ?

ReinventerQuand on sent qu'il faut changer, un peu, beaucoup ou passionnément, comment s'y prend-t-on ?

On peut déjà aller voir ceux qui ont eu à s'y frotter.

Pourquoi pas la Formule 1, ou le Hip-Hop, ou l'Opéra...La vitesse, la danse et la musique.

Un peut tout le monde est concerné, en fait. 

C'est le sujet de ma chronique du mois sur "Envie d'Entreprendre";

C'est ICI...

Entrez dans la danse ! 


Le stratège chinois et la cale

GuerrierchinoisPour certains, la stratégie consiste à avoir une volonté, et à conduire l'exécution pour la réaliser. C'est une vision très occidentale. Cela consiste à se forger un modèle théorique, posé comme un but, et à le confronter à la pratique. Dans cette approche, le "stratège" élabore un plan, projeté sur l'avenir. Il l'appelle son "Plan Stratégique". Puis il définit les moyens et leur enchaînement pour le réaliser. Et il accompagne le tout d'une projection de chiffres, marquant étape par étape, année après année, l' atteinte du but souhaité.

C'est une perception toute différente de celle que l'on trouve dans l'approche chinoise de la stratégie : ici, il s'agit de comprendre le "potentiel" d'une situation. Dans l'approche chinoise, on détecte les facteurs favorables dans une situation,et on s'appuie sur le potentiel de la situation. Le "stratège chinois" va donc partir d'une évaluation minutieuse du rapport des forces en jeu, il va observer le terrain, identifier les facteurs favorables impliqués dans la situation, et les exploiter avec persévérance au travers des circonstances rencontrées. 

C'est François Jullien, notamment dans son "traité de l'efficacité" qui a exploré cette opposition de deux conceptions de la stratégie et de l'efficacité. Ce qui selon son analyse donne toute sa valeur à l'approche chinoise c'est que la stratégie chinoise est adaptée à un monde de l'incertain : les circonstances rencontrées ne sont pas toutes prévisibles, voire complètement inédites. et c'est pourquoi on ne peut pas bâtir de plan d'avance. Mais les circonstances contiennent contiennent "un certain potentiel" et, c'est notre souplesse et notre disponibilité qui permettent de profiter pleinement de ces circonstances. 

En fait le stratège chinois ne "construit" rien, il ne choisit pas entre des moyens pour atteindre un but. Il n'y a pas de "fin" pour lui. Il tire parti en permanence de la situation au fur et à mesure de son déroulement. Sa stratégie consiste à faire évoluer la situation de façon que "l'effet résulte progressivement de lui-même". C'est en développant au maximum le "potentiel" d'une situation que l'on se retrouve "en situation de force". C'est pourquoi dans les traités chinois, en fonction de l'évolution du rapport de force, l'issue du combat, avant même qu'il ne s'engage, se trouve prédéterminée. Alors que si l'on cherche à vaincre en combattant par la force, ne comptant que sur son investissement physique, il y aurait toujours des moments où l'on pourrait être battu. Le "bon stratège" (le chinois) intervient en amont de ce processus : ayant repéré les facteurs qui lui sont favorables, il a pu faire évoluer la situation dans un sens qui lui convient. En clair, il va vaincre un ennemi "déjà défait"

Cette opposition dans les approches de la stratégie, plusieurs siècles après ces traités chinois, et ces récits de guerre, on la retrouve aujourd'hui dans les stratégies et les plans stratégiques de nos entreprises. 

Ceux qui croient à la volonté de la force, qui construisent des "plans" et des "actions" en se croyant seuls au monde, enfermés dans leurs certitudes, avec des concurrents immobiles ou prévisibles, sont ceux qui, dans un monde effectivement de plus en plus incertain, vont se planter.

C'est pourquoi ceux qui iront chercher dans les stratégies chinoises, et reliront le "traité de l'efficacité" de François Jullien, seront probablement plus...efficaces.

Il est temps d'inviter un stratège chinois dans chacun de nos COMEX

Pour cela, il est nécessaire de savoir tenter un décalage par rapport à nos certitudes et habitudes. Ce mot de "décalé" cité par François Jullien s'entend aux deux sens du terme : décaler, en "opérant un certain déplacement par rapport à la normale (celle de nos habitudes de pensées) qui fasse bouger nos représentations et remettre en mouvement la pensée".

Mais "décaler" c'est aussi "enlever la cale" en apercevant " ce contre quoi nous ne cessons de tenir calée la pensée, mais que, par là même, nous ne pouvons pas penser".

Alors, stratège chinois , tu m'aide à enlever la cale de la pensée ? 


Les quatre coins du stratège

AlexandrelegrandLa stratégie, c'est aussi savoir identifier ses compétiteurs (certains, surtout à l'ère du digital, peuvent surgir de là où où on ne les attend pas). Ensuite, on aimerait pouvoir anticiper leurs actions, deviner ce qu'ils pourraient faire, afin de les contrer, d'agir avant eux, et mieux. C' est le principe de ce que l'on essaye de reproduire lorsque l'on met en place un "Wargame" visant justement à simuler le jeu compétitif. 

Mais alors, quels sont les outils qui permettent de conduire ce genre d'analyse? Et d'être stratège. Car il peut être trompeur de ne se fier qu'à sa seule intuition, qui consiste parfois à projeter sur les autres notre propre modèle mental.

Un des plus classiques, encore en usage , est le modèle de Porter, dit "modèle des quatre coins".

Ce modèle fait l'hypothèse que les comportements des compétiteurs sont influencés par quatre antécédents, que Porter appelle "les quatre coins". On les représente dans le schéma suivant :  4cornersPorter
A droite de ce schéma, ce sont les critères qui consistent à observer le comportement des compétiteurs sur le marché. C'est une approche assez rationnelle qui va considérer que la stratégie actuelle et les capacités sont de bons indicateurs des comportements futurs, car la stratégie future est souvent une continuité de la stratégie actuelle. C'est le cas des entreprises qui ont une certaine inertie, fréquent dans les grands groupes, où les modifications à la stratégie sont souvent incrémentales ou tactiques, mais rarement très profondes. L'observation de la stratégie actuelle est alors, pour comprendre ces entreprises, le bon point de départ pour imaginer ce que cette entreprise va appeler ses "compétences clés" et comment elle entend les développer. Ce que Porter appelle les "capacités", ce sont des compétences opérationnelles (industrielles, service client, technologies, R & D, marketing), mais aussi financières (cash flow, capacités d'investissement, coût du capital). Les capacités peuvent aussi être des alliances avec des tiers, des modes de coopération particuliers.

Toutefois, cette approche par l'observation des stratégies et capacités a ses limites, et Porter avait compris qu'il y avait aussi des motivations psychologiques qui entraient en ligne de compte dans les actions des entreprises. C'est pourquoi les deux autres "coins" concernent ce qui "motive" le compétiteur. Par exemple, un compétiteur qui se sent leader et sûr de sa part de marché va avoir tendance à dominer le marché, en étant très attentif aux réponses des concurrents. Inversement, un compétiteur qui sent sa part de marché fragile, et facilement attaquable, va plutôt aborder chaque challenge avec beaucoup d'agressivité, pour préserver sa position. 

Ainsi, pour comprendre les motivations du compétiteur, on va plutôt se poser des questions comme :

  • Comment se voit-il et comment imagine-t-il le monde dans lequel il opère?
  • Quelles sont ses croyances sur ses forces et ses faiblesses par rapport à ses compétiteurs ? (Même si ce sont de fausses croyances qui l'aveuglent; on a alors affaire à ces fameux angles morts qui empêchent certains, trop sûrs d'eux-mêmes, de voir venir les changements du marché);
  • Cela rend-il leur stratégie réactive ou proactive? Agressive ou défensive?

 Pour sonder ces "motivations" et les "drivers" associés, on va aller rechercher le profil des dirigeants, la culture de l'entreprise, l'identité des cabinets de conseil avec lesquels elle travaille habituellement, etc.

Cette approche de Porter a d'ailleurs depuis été approfondie grâce aux recherches en neurosciences. Elles ont montré que nos comportements viennent de deux activités du cerveau : le cognitif et l'affectif. 

L'activité cognitive, c'est le raisonnement, la logique. L'activité affective, ce sont les émotions, les passions, les sensations (peur, faim, douleur). Ces deux activités, cognitive et affective, viennent sous deux formes : délibérée ou automatique. 

Délibérée, cela veut dire contrôlé par la conscience. Cela demande un certain effort (par exemple faire un calcul de ROI pour un investissement). Automatique, cela veut dire que cela vient sans effort, comme une intuition (par exemple ne pas aimer cette idée d'investissement parce que celui qui me la propose à une sale tête qui ne me revient pas). 

D'où les quatre activités :

  • cognitive délibérée : ce sont les calculs rationnels, la logique, les formules, tout ce que les ingénieurs aiment bien. 
  • affective délibérée : nous nous servons de cette activité lorsque nous essayons de retrouver des expériences passées qui nous rappellent la situation présente : si nous avons connu un échec avec un investissement particulier, ou dans une initiative, nous allons être méfiants face une nouvelle opportunité qui nous rappelle les conditions de cette expérience. C'est pourquoi l'analyse des échecs passés, ou des succès passés, est un bon traceur des réactions à venir. Idem si le dirigeant a connu ces succès dans un poste précédent, il va avoir tendance peut-être à reprendre ces comportements dans sa nouvelle entreprise;
  • cognitive automatique : on va ici s'intéresser à l'analyse des perceptions, du langage corporel, impressions physiques;
  • affective automatique : ici, ce sont les affects déclenchés par des impressions qui font appel à la mémoire, à des croyances, mêmes inconscientes. Entre en jeu aussi notre état d'esprit, notre santé.

 Ces quatre activités sont en action, et en interaction, en permanence, et nous aident ainsi à comprendre les comportements des autres et leurs motivations, et viennent ainsi compléter le modèle de Porter.

C'est pourquoi les comportements des autres, et des compétiteurs, ne peut pas se déduire d'un seul raisonnement logique et contrôlé, délibéré. Et les seules analyses financières rationnelles ne peuvent non plus expliquer les comportements futurs. C'est pourquoi ceux qui s'en tiennent à ces critères qu'ils croient "objectifs" sont en fait les plus mauvais prévisionnistes des comportements et des mouvements stratégiques de leurs concurrents.

Alors, pour anticiper les mouvements stratégiques des concurrents et l'évolution du marché, suivons Porter et ses quatre coins, et observons les activités cognitives, affectives, délibérées et automatiques, des dirigeants.

Non, les chiffres ne disent pas tout !

 


Un PDG raconte la refondation

ConteQuand un PDG d'une grande entreprise raconte la refondation de cette entreprise, de quoi parle-t-il ? 

Du diagnostic, des méthodes, oui , bien sûr.

Mais aussi de lui, de ce qu'il a f ait personnellement dans cette histoire.

De ce qu'il faut faire tout de suite, mais aussi de ce qu'il faut faire pour éclairer le futur. 

Et aussi du pouvoir, le sien, et les contre-pouvoirs.

C'est le sujet de ma chronique du mois sur "Envie d'Entreprendre". C'est ICI.

Il nous raconte tout ça comme un conte. 

Mais un conte pour managers...


L'art de diriger : la preuve par neuf

AlexandrelegrandDiriger est considéré comme un art. Et l'on cherche toujours à comprendre d'où vient cette capacité de certains à mobiliser ceux qui les suivent, alors que d'autres vont sembler manquer de cet ingrédient que l'on pourrait appeler l'autorité. 

On peut aller chercher de l'inspiration dans les livres de management et les biographies de contemporains célèbres. Mais on peut aussi aller s'inspirer plus loin dans l'histoire, avec les auteurs grecs et latins, comme un retour aux sources, car finalement la plupart de livres de management n'en disent pas beaucoup plus la plupart du temps. 

C'est ce que fait Charles Senard, docteur en études latines et diplômé de l'Essec, dans un excellent recueil, "Imperator - Diriger en Grèce et à Rome".

En parcourant ces auteurs, il distingue les neuf compétences, comme autant de muses, qui caractérisaient les dirigeants de la Grèce et de Rome.

Allons-y voir, citations à l'appui.

 1. Développer une vision

Cela consiste à garder le cap, la vision étant une certaine idée de l'avenir vers lequel il convient de tendre, mais cela peut être aussi une direction plus abstraite qui se dit alors par des mots comme richesse, liberté, honneur ou gloire. Dans l'Antiquité, cette vision peut être réellement apportée par une apparition surnaturelle (ce dont les dirigeants contemporains parlent moins). 

Citons le discours de Sergius Catilina ( 108-63 av. J.C) qui entraîne ses soutiens à la conquête des élections consulaires : " Eh bien alors, réveillez-vous ! La voici, oui la voici, cette liberté que vous avez tant souhaitée : et, avec elle, richesses, honneur, gloire, sont devant vos yeux. Telle est la récompense que la Fortune propose aux vainqueurs. Plus que mon discours, la situation, le moment, le danger, la misère, la magnificence du butin vous exhortent à l'action. Servez-vous de moi comme général ou comme soldat; mon cœur et mes bras sont à vous. Voilà le dessein qu'une fois consul j'espère réaliser avec vous". ( On dirait du Macron!). 

2. Faire preuve de jugement

C'est cette capacité à analyser et à juger d'une situation avant de décider des actions à prendre. Cela nécessite de prendre le temps de la réflexion et de savoir écouter l'avis des autres 

Plutarque nous a laissé pour ça son traité, "Comment écouter" : " L'homme qui a pris l'habitude d'écouter en se contrôlant et avec retenue reçoit et garde en lui les paroles profitables, discerne et reconnaît mieux au passage les paroles inutiles ou fausses; il se montre épris de vérité, et non épris de disputes ni emporté et querelleur. Aussi certains ont-ils bien raison de dire qu'il faut expulser des jeunes gens les fumées de la présomption et de l'orgueil plus que des outres l'air qu'elles contiennent quand on veut verser en eux quelque chose d'utile, car autrement la suffisance et la vanité dont ils sont gonflés les empêchent de le recevoir".

 3. Décider

S'il convient de ne pas être impulsif, il faut néanmoins finir par décider. Les croyances antiques amenaient les dirigeants à consulter les dieux et les oracles pour aider à la décision. (Ils sont remplacés aujourd'hui parfois par les consultants...).

Mais pour trancher, comment ne pas rappeler Alexandre le Grand qui, quand il prit la ville de Gordion, en Phrygie, trouva sur l'acropole un char à bœufs dont le timon était attaché par un nœud inextricable. Un oracle avait prédit que quiconque pourrait défaire ce nœud régnerait sur toute l'Asie.   Ainsi le raconte Quinte Curce, historien du Ier siècle apr. J.C, qui raconte la vie d'Alexandre le Grand : " Alexandre lutta longtemps contre le secret de ces nœuds. "Peu importe, dit-il alors, la façon de les défaire", et, de son épée, il rompit toutes les courroies, éludant ainsi la prédiction de l'oracle - ou la réalisant".

4. Organiser et contrôler l'exécution des tâches

Une fois les décisions prises, reste à s'assurer qu'elles sont bien appliquées. C'est là que les décisions se traduisent en objectifs concrets et clairs pour tous, et les rôles et responsabilités distribués.

Salluste ( 86-35 av. J.C) historien de la Guerre de Jugurtha, raconte la réorganisation des troupes par le général romain Mellus : " Pendant la marche, on le voyait tantôt en tête, tantôt en queue, souvent au centre, observant que personne ne sortit du rang, qu'on marchât serré autour des enseignes, que le soldat portât ses armes et ses vivres. C'est ainsi qu'en prévenant les fautes plutôt qu'en les punissant, il eut bientôt rétabli le moral de l'armée".

5. Inspirer confiance

On parle là du charisme des dirigeants, cette qualité qui donne envie de les suivre, et de surpasser pour aller jusqu'au bout. Pour ceux de l'Antiquité, on parlera de courage, d'expérience, d'assurance, mais aussi d'intégrité et de générosité pour César. 

Plutarque, dans son récit de la vie d'Alexandre raconte cet épisode avant de partir pour une expédition. Alexandre " ne s'embarqua pas avant de s'être enquis de la situation de ses compagnons et d'avoir donné à l'un une terre, à l'autre un village, à tel ou tel le revenu d'un bourg ou d'un port". C'est alors que Perdiccas lui dit : " Mais pour toi, roi, que gardes-tu ? - L'espérance, répondit Alexandre.  - Et bien, repris Perdiccas, nous la partagerons avec toi, nous, tes compagnons d'armes". Perdiccas refusa donc la propriété qui lui était assignée sur la liste, et plusieurs amis en firent de même. Mais à tous ceux qui acceptaient ou sollicitaient ses présents, Alexandre les accordait". 

6. Persuader

 L'art de la parole et l'éloquence sont au cœur de la culture antique. Le but est de convaincre et d'enflammer l'auditoire. Pour cela il n'est pas nécessaire de faire de longs discours. Une formule courte peut aussi marquer les esprits. 

Comme cette célèbre citation de César lors de la victoire contre le roi du Pont, lors la bataille de Zéla (47 av. J.C), et rapportée par Plutarque : " En annonçant à l'un de ses amis de Rome, Matius, cette bataille si vivement et si rapidement gagnée, il écrivit ces trois mots : Veni, Vidi, vici - Le suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu".

7. Donner l'exemple 

Pour motiver les troupes, il faut donner de sa personne, et c'est ce qui fait l'éloge des grands chefs de l'Antiquité.

Citons le discours que Xénophon (428-354 av. J.C) adresse aux chefs subsistant d'une expédition, après que les principaux généraux de l'armée ont été capturés par les Perses : " Or, sachez bien une chose : réunis comme vous l'êtes maintenant, en si grand nombre, vous avez une occasion définitive. Ces soldats ont tous les yeux tournés vers vous : s'ils vous voient découragés, tous seront des lâches; si vous vous préparez ostensiblement à attaquer à attaquer vous-même l'ennemi, si vous y encouragez les autres, sachez bien qu'ils vous suivront et qu'ils s'efforceront de vous imiter. Aujourd'hui que c'est la guerre, c'est aussi pour vous un devoir de l'emporter sur leur multitude, de veiller à leur salut, de vous donner du mal en toute occasion pour eux".

8. Favoriser la collaboration

 Il s'agit ici de veiller à ce que les collaborateurs travaillent le plus en harmonie possible. Et oui, les méthodes collaboratives, c'était déjà un sujet dans l'Antiquité. 

Une anecdote pour illustrer : le bataillon sacré. C'était à Thèbes un corps d'élite dont les membres choisis parmi des familles nobles, avaient pour mission de défendre Thèbes contre l'armée de Sparte. Nous sommes en 387 av. J.C. Il eut pour chef Pélopidas, qui conduisit Thèbes au zénith de sa puissance. L'originalité de ce corps d'élite est qu'il était composé de 150 couples d'amants, chaque membre ainsi lié à l'autre par de puissants liens émotionnels d'amour et de loyauté. Cela garantissait que chacun serait prêt à se battre jusqu'au bout. A la bataille de Chéronnée, en 338, le bataillon sacré se bat jusqu'à la mort. Plutarque raconte la Vie de Pélopidas dans ses "Vies parallèles" : " Une troupe formée de gens qui s'aiment d'amour possède une cohésion impossible à rompre et à briser. Là, la tendresse pour l'aimé et la crainte de se montrer indignes de l'amant les font rester fermes dans les dangers pour se défendre les uns les autres. Et il n'y a pas lieu de s'en étonner, s'il est vrai que l'on respecte plus l'ami, même absent, que les autres présents"

9. Gérer les conflits

Pour apaiser les querelles dans les équipes, il s'agit de trouver l'équilibre entre la fermeté et le souci de se montrer compréhensif.

C'est Virgile, dans l'Enéide, qui compare Neptune apaisant les flots qui sont sur le point de détruire la flotte d'Enée à un chef apaisant la révolte d'un peuple : " On voit souvent, dans un concours de peuple, l'émeute éclater : le bas peuple est déchaîné, déjà volent pierres et brandons, la rage fait arme de tout; mais alors, si apparaît un homme auquel sa piété et ses mérites donnent beaucoup de poids, le silence se fait, on s'arrête, on est tout oreilles; il parle et sa parole gouverne les esprits, adoucit les cœurs. De même est retombé tout le fracas de la mer, maintenant que, sur son char, le vénérable Neptune a les yeux sur l'étendue des flots, dirige ses chevaux sous un ciel dégagé et lâche les rênes à leur vol docile".

Apprendre de l'Antiquité, pour les managers et dirigeants d'aujourd'hui, chefs de projets, chefs d'équipe, c'est comme revenir aux sources. 

Et se laisser inspirer par ces neuf muses bienveillantes qui nous apprennent le leadership.