Véhicules autonomes : un futur assombri par des cônes de chantier ?

SAFE-STREET-REBEL-CONESQuand on se prête à un exercice de prospective pour anticiper ce que pourrait être notre environnement contextuel à horizon dix ans, pour la société et nos entreprises, on n’échappe pas à une vision futuriste du développement des technologies, avec partout de l’intelligence artificielle, des robots, et bien sûr, des véhicules autonomes. Pour certains c’est un futur très désirable, source de progrès et d’innovations. Pour d’autres, les rebelles, en révolte contre la technologie, c’est une tendance à combattre.

On a déjà connu ça au XIXème siècle avec la révolte des Canuts, ouvriers tisseurs de soie, à Lyon, en 1831, qui ont cassé les machines à tisser en signe de protestation.  Ce sont quand même les machines qui ont gagné la bataille.

Mais ce style de révolte n’a pas disparu.

Prenez les voitures autonomes. Elles commencent à circuler, notamment en Chine qui est le premier pays à autoriser la circulation de voitures autonomes dans certaines de ses villes. Et la circulation de robots taxis sans conducteur est déjà une réalité à Pékin.

Mais à San Francisco, une parade a été trouvée par les rebelles pour empêcher les robots taxis de la compagnie Waymo et de Cruise de circuler.

Cela consiste à placer un cône de chantier sur leur toit, en signe de protestation contre la circulation de tels véhicules en ville.

Les rebelles agissent la nuit, en plaçant ces cônes sur les toits. Résultat : le véhicule allume ses feux de détresse et s’arrête en pleine voie. Et il faut l’intervention d’un technicien pour les faire redémarrer.

Pour le collectif Safe Street Rebel, pro-piéton et pro-vélo, il s’agit en fait de s’opposer à tout type de voitures, qui que soit le conducteur, autonome ou pas. Mais cette contestation des véhicules autonomes grandit. Ils sont aussi accusés par le chef des pompiers de San Francisco d’empêcher la circulation des véhicules d’urgence et des bus.

Et les rebelles ont encouragé les habitants à les suivre dans ces actions de blocage des véhicules et à faire de même, grâce à des tutoriels diffusés sur les réseaux sociaux.

La contestation porte aussi sur la revendication d’un « droit à la ville », afin de bloquer l’empiètement des entreprises sur la ville.

En Europe, la pénétration des voitures autonomes est encore en retard. La législation européenne n’autorise que les véhicules de niveau 3 (sur 5), c’est-à-dire avec un humain derrière le volant quand même : il n’a pas besoin de tenir le volant, mais seulement en cas d’absence de piétons sur la voie, et s’il circule à moins de 60 km/h.

Alors, l’horizon de ce niveau 5 de l’autonomie des véhicules n’est-il pas en train de reculer, voire de disparaître ?

Déjà, au niveau technique, les constructeurs eux-mêmes ont des doutes :

C’est Luca de Meo, Directeur Général de Renault, qui déclarait déjà en octobre dernier : « Le véhicule autonome de niveau 5, je pense que c’est une utopie. […] On travaille sur la voiture autonome mais je n’ai vraiment pas envie d’être le premier constructeur à en mettre une sur le marché… ».

Si maintenant ce sont les rebelles aux cônes de chantier qui s’y mettent, on devient moins optimistes.

Voilà de quoi construire des scénarios prospectifs différenciés.

La quatrième révolution industrielle n'est pas encore complètement écrite. A nous de l'imaginer et d'en être acteurs.


Qui peut s’occuper le mieux des emplois difficiles et mal payés : le Ministre ou le dirigeant d’entreprise ?

RecruteL’actualité a mis en évidence récemment, en France, mais aussi dans d’autres pays d’Europe ou aux Etats-Unis, la difficulté à recruter dans des métiers que l’on a qualifié de « métiers en tension », en gros des emplois mal payés, et aux conditions de travail difficiles. Les personnels de restaurants, mais aussi les agents d’entretien, les conducteurs de véhicules, les ouvriers de manutention. On imagine que ces métiers ont du mal à recruter parce qu’ils sont justement difficiles et mal payés, comme d’autres métiers du même genre.

C’est aussi le cas de ces métiers dits « de la deuxième ligne », ceux qui sont restés en poste pendant le Covid, ajoutant à leurs conditions de travail les risques de contamination, c’est-à-dire souvent les mêmes, les métiers de caissiers, manutentionnaires, agents du bâtiment, agents du nettoyage et de la propreté, de l’aide à domicile, de la sécurité, et aussi vendeurs de produits alimentaires, bouchers, charcutiers, boulangers (un rapport de la DARES, organisme d’études du Ministère du Travail, en recense 17).Deuxième ligne, en référence à la « Première ligne » qui concerne les métiers de la santé. Ces métiers concernent en France 4,6 millions de salariés dans le secteur privé.

Le rapport de la DARES met bien en évidence, statistiques à l’appui, que ces métiers « de la deuxième ligne » souffrent d’un déficit global de qualité de l’emploi et du travail : « En moyenne, ces travailleurs sont deux fois plus souvent en contrats courts que l’ensemble des salariés du privé, perçoivent des salaires inférieurs de 30% environ, ont de faibles durées de travail hebdomadaires (sauf les conducteurs), connaissent plus souvent le chômage et ont peu d’opportunités de carrières ». Ce sont aussi ces métiers qui « travaillent dans des conditions difficiles, sont exposés plus fréquemment à des risques professionnels et ont deux fois plus de risques d’accident ».

Comme le dit François Ruffin, Député LFI de la Somme, dans son livre « Je vous écris du front de la Somme », qui cite ce rapport : «Dans notre société, les plus utiles sont les plus maltraités » et « Pour de médiocres salaires, ils mettent en danger leur santé ».

Et il relève aussi une conclusion du rapport, qui explique que ce qui fait tenir ces salariés, c’est qu’ils possèdent « un fort sentiment d’utilité de leur travail ».

Ce rapport est une étape de diagnostic de la qualité des emplois concernés, la DARES prévoyant ensuite de publier des recommandations pour la mise en place de mesures de revalorisation. Le rapport imagine déjà, dans sa conclusion, des leviers de revalorisation sur les niveaux de rémunération, la réduction des temps partiels, ou la prévisibilité des horaires.

Et de mettre en perspective que « l’amélioration de la qualité de ces emplois permettrait d’augmenter leur attractivité (réduisant les difficultés de recrutement fréquentes pour ces métiers), de réduire l’absentéisme (résultant de conditions de travail difficiles), d’augmenter la productivité et la qualité du service pour les clients ».

On comprend que le Ministère du Travail, et François Ruffin qui reprend les conclusions du rapport, cherchent des solutions étatiques, où c’est le Ministre et la loi qui viendraient imposer, règlementer, taxer, comme ils savent faire.

Mais des réponses et initiatives peuvent venir aussi des entreprises et dirigeants eux-mêmes, les réponses ne pouvant être identiques d’un métier à l’autre, ni d’une entreprise à l’autre.

C’est le sujet d’articles dans le dernier numéro de la Harvard Business Review. On est aux Etats-Unis, mais le problème analysé, et les métiers concernés, sont les mêmes.

Zeynep Ton, professeur au MIT, déroule ce qu’il appelle « The obstacles to creating good jobs. And how courageous leaders are overcoming them ».

Dans un contexte où l’opinion générale est que les emplois mal payés, avec des horaires imprévisibles, et peu d’opportunités d’avancement, sont considérés comme un mal nécessaire dans les métiers de la distribution et des. services à faible marge, l’article raconte comment certaines entreprises aux Etats-Unis ou en Espagne (ces « courageous leaders ») ont montré que l’on pouvait contredire cette croyance par des initiatives originales.

L’idée est de remplacer le système des « bad jobs » par un système de « good jobs », considérant que ceux qui restent dans le système des « bad jobs » nécessaires finiront par ne plus pouvoir attirer ou garder les employés dont ils ont besoin, et risquent de fermer dans le pire des cas.

Ces entreprises qui investissent dans la valeur et le service clients, et en même temps dans la productivité des employés, agissent sur deux leviers :

  • Un investissement important dans les employés, sous forme de salaires supérieurs à ceux du marché, des avantages matériels meilleurs, des horaires plus prévisibles, et des emplois à plein temps autant que possible (exactement les sujets du rapport de la DARES),
  • Un modèle opérationnel qui aide les employés à être plus productifs et à servir de manière plus efficace les clients.

Comment s’y prennent-elles ?

Quatre pistes d’action :

  1. Challenger la proposition de valeur et SIMPLIFIER les opérations pour éliminer toutes les activités sans valeur, et permettre aux employés de mieux servir les clients (c’est le bon vieux Lean Management appliqué aux services, qui se développe de plus en plus, mais n’est pas encore adopté par tous).
  2. Trouver le bon équilibre entre la standardisation des process quand cela est nécessaire et, à l’inverse, faire confiance aux employés pour se responsabiliser (« empowerment ») dans l’aide aux clients, l’amélioration du travail, et la gestion des flux.
  3. Mettre en place des formations de pair à pair entre les employés, pour diffuser les bonnes pratiques dans les tâches au contact du client et en back office. C’est sur le terrain que ces pratiques se diffusent et non dans les notes de procédures qui tombent du haut.
  4. Doter chaque unité de travail d'un personnel suffisant pour faire face à des hausses inattendues et consacrer du temps au développement des employés et à l'amélioration du travail.

Ce système semble apporter de nombreux avantages aux entreprises qui l’adoptent : augmentation de la satisfaction et de la fidélisation des clients, meilleure productivité, moins d’absentéisme et de turnover, autant de facteurs de coûts qui sont réduits.

Mais alors, si c’est si génial, pourquoi les autres entreprises (les plus nombreuses) n’adoptent-elles pas ce système ?

Zeynep Ton a identifié quatre fausses croyances qui empêchent les entreprises d’adopter ce genre de système.

  1. Notre Business Model ne nous permet pas d’investir dans ce type d’emplois : On est prêts à investir dans des tas de formations pour les managers, mais, en ce qui concerne les emplois du bas de l’échelle, l’important c’est de réduire leur coût au maximum. Au contraire, les auteurs pensent qu'investir dans ces emplois, et en se permettant des salaires qui peuvent être plus élevés que ceux du marché, l'entreprise va en tirer des bénéfices directs sur la qualité du service client et la réduction du turnover et de son coût.
  1. On ne peut pas faire confiance à cette catégorie d’employés, qu’il faut au contraire bien contrôler, pour éviter les erreurs, l’absentéisme, etc. Ce qui amène à construire des systèmes où la croyance de base est que les employés font tout de travers si on ne les surveille pas.
  1. Nos analyses financières ont démontré que ce type d’investissement n’est pas rentable. C’est sûrement en oubliant tous les bénéfices indirects que cela génèrerait. Ne pas augmenter les salaires, ça donne quoi en satisfaction client ? En augmentation du turnover ? Peut-être des coûts bien supérieurs aux augmentations de salaires.
  1. Mettre en place de tels systèmes, c’est trop risqué : Mais peut-être que le status quo est encore plus risqué, si l’on prend en compte les démotivations et les difficultés croissantes à recruter.

C’est en cassant ces croyances que l’auteur encourage les entreprises à se lancer dans son approche « Good jobs ».

Un autre article du même numéro de HBR de ce mois : « The high cost of neglecting low-wage workers », par Joseph Fuller et Manjari Raman, tous deux professeurs à Harvard, permet d’approfondir le type d’actions que mènent les entreprises vertueuses pour mieux gérer les employés « Low wage », c’est-à-dire, dans leur enquête, ceux qui gagnent moins de 40.000 dollars par an. On compte large donc.

L’enquête a été conduite à partir d’entretiens de dirigeants et employés d’entreprises américaines, ainsi que via une analyse statistique de la mobilité des employés.

Le rapport complet est disponible ICI.

Les auteurs en ont retenu des exemples de bonnes pratiques pour mieux prendre en compte ces « Low-wage workers ». On retrouve des conclusions similaires à celles de Zynep Ton.

Ils citent quatre actions que pourraient mettre en œuvre les entreprises qui veulent mieux s’occuper de leurs salariés de terrain :

  1. Investir dans la formation

Considérant tous les coûts de recherche de candidats et d’employés, de recrutement, de formation initiale au poste, de moindre qualité du travail pour un nouvel embauché, ainsi que le coût d’encadrement de ces éléments, le turnover finit par coûter cher. Une politique de formation pour retenir les employés est donc souvent un bon investissement.

L’article cite l’exemple de l’entreprise Disney, qui a mis en place en 2018 son programme « Disney Aspire », proposé à tous les employés journaliers ayant effectué au moins 90 jours chez Disney. Ils peuvent alors suivre des cours diplômants, payés 100% par Disney. Ces cours sont par exemple ceux d’universités d’agriculture, ou culinaires. Depuis le lancement, 3.500 employés ont été diplômés, et Disney a pu proposer des promotions internes à plus de 2.800 d’entre eux. Et cela attire aussi les nouveaux employés, un quart d’entre eux déclarant qu’ils ont choisi Disney parce qu’il y avait ce programme.

  1. Faciliter une meilleure communication top-down

Il s’agit là d’être le plus clair possible sur les parcours et carrières accessibles aux employés, et non à les laisser dans le même poste sans perspectives pendant de nombreuses années, voire toute leur carrière à la même caisse du même supermarché.

L’article cite l’entreprise Chipotle qui annonce que plus de 80% de ses leaders viennent du bas de l’échelle par promotion interne, et qui met en avant sur son site l’investissement dans la carrière des employés.

  1. Comprendre les barrières rencontrées par les employés

Il s’agit là de toutes les difficultés personnelles que rencontrent ce type d’employés pour se nourrir, se loger, gérer leur budget familial.

Ce sont donc tous les services que peut mettre en place l’entreprise, comme des avantages complémentaires, pour permettre aux employés de mieux vivre.

  1. Collaborer avec d’autre entreprises

Il n’est pas toujours possible de promouvoir tous les employés au sein de la même organisation. Mais certaines entreprises proposent des parcours aussi en dehors de l’entreprise.

C’est le cas d’Amazon qui a lancé «Career Choice » qui est devenu un programme national. L’idée est de proposer aux employés l’opportunité d’acquérir des compétences et des diplômes leur permettant soit d’être promus au sein d’Amazon, soit de se préparer à des emplois dans d’autres entreprises et secteurs.

Les petites entreprises peuvent faire la même chose, par exemple en créant un consortium de plusieurs entreprises qui mettent en place des formations en communs et des programmes de mobilité inter-entreprises, chaque entreprise finançant le dispositif par une cotisation de membre.

Alors, qui peut finalement le mieux s’occuper des employés dans ces jobs mal payés, aux conditions de travail souvent difficiles, et que l’on a du mal à recruter ? Le Ministre, avec les lois, les taxes, les interdictions et obligations ? Ou l’entrepreneur dirigeant créatif et courageux qui mise sur la confiance et veut transformer les « bad jobs » en « good jobs » ?

Finalement, ce que proposent les auteurs de HBR, c'est que les dirigeants et leaders d'entreprise mettent en oeuvre les systèmes de "good jobs" eux-mêmes, avant que le Ministre ou François Ruffin viennent l'imposer par la contrainte.

Que les leaders courageux lèvent le doigt.


La pépiniériste et l'intelligence artificielle

PepinieristeSophie de Menthon recevait pour une conférence-déjeuner des membres d’ETHIC, au cercle de l’Interallié, Laurent Alexandre. Enarque, chirurgien , fondateur de Doctissimo, il est surtout connu aujourd’hui pour ses livres et conférences dédiés à l’intelligence artificielle. LaurentAlexandre

Il vient de faire paraître un nouvel opus de circonstance, « La guerre des intelligences à l’heure de ChatGPT ». Son message à l’assistance de ce déjeuner, conforme à son style provocateur, est simple et direct : Si vous ne vous mettez pas à ChatGPT et à l’Intelligence Artificielle dès ce soir, il ne faudra pas longtemps avant que vous ne serviez plus à rien. Dans cette assistance, comprenant de nombreux entrepreneurs et dirigeants plutôt seniors, ça fait mouche. Même Sophie de Menthon a dû dire, comme un aveu, «oui, oui, moi aussi je vais m’y mettre ».

Derrière la provocation, Laurent Alexandre met le projecteur sur un sujet qui nous concerne tous, et concerne toutes les entreprises : les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle ont pénétré notre monde et nos façons de vivre, et ne vont plus nous lâcher. La guerre des intelligences, c’est celle entre les cerveaux des machines et les cerveaux des humains. Fabriquer une intelligence humaine avec l’éducation, l’école, les études, prend un temps fou et coûte cher (avec des ratés, tout le monde n’arrivant pas aux mêmes niveaux), alors que fabriquer une intelligence artificielle, avec de bons programmeurs, un bon jeu de données, et les bons outils, se fait aujourd’hui très rapidement, et progresse chaque jour pour être toujours plus performant et plus intelligent. Sans parler de la différence de rémunération entre celui qui développe les intelligences artificielles et le prof du collège ou du lycée.

Alors, nous devons nous habituer très vite à cohabiter et co-construire aves l’intelligence artificielle et ChatGPT 4.

Mais voilà, les dirigeants ont aussi parfois du mal à imaginer comment s’y prendre, voire en ont peur. Ma voisine lors de cette conférence, dirigeante d'entreprise  pépiniériste, me le disait : « Mais moi, je ne vois pas bien ce que l’intelligence artificielle peut vraiment m’apporter « .

Cet échange avec Laurent Alexandre, dans le style « Dépêchez-vous, sinon... », était utile (Merci Ethic, Merci Sophie), et le nombre de participants montrait bien que ça intéresse beaucoup de monde. Intéressant de constater aussi que nombreux ne sont pas très familiers du sujet, ni des implications concrètes pour eux. Et puis il ne suffit pas de les haranguer, il va falloir aussi convaincre, et aller un peu plus loin que la lecture du livre de Laurent Alexandre (qui a l’avantage d’être très accessible, pas du tout technique, mais avec l’inconvénient de ne pas donner toutes les réponses aux questions de ma voisine pépiniériste, qui risque de rester sur sa faim).

Alors comment devons-nous nous y prendre pour acquérir ce que Tsedal Neeley, un professeur d’Harvard, appelle un « digital mindset » ?

Ce qui bloque certains, c’est cette peur diffuse que ces technologies vont faire remplacer les hommes par les machines, et, comme le répète Laurent Alexandre, inspiré par Yuval Noah Harari et « Homo Deus », séparer la société entre les dieux et les plus nombreux, les « inutiles ». Ce qu’il appelle le vrai « grand remplacement », celui du grand remplacement cognitif de l’homme par l’IA.

Ce n’est pas ce que croit Laurent Alexandre, qui voit plutôt un scénario optimiste où l’homme va maîtriser ces technologies et saura collaborer avec elles. Reste à bosser, et pas que les jeunes.

Ce qui va bouger, et bouge déjà, avec les technologies, et qui est nécessaire pour avoir le « digital mindset » concerne trois domaines selon Tsedal Neeley :

  • La collaboration entre les hommes et entre les hommes et les machines. De nouvelles formes de collaboration sont à inventer et à mettre en œuvre. Ce qu’on appelle l’intelligence collective va devoir inviter un nouveau participant, la machine et l’IA.
  • Le traitement des données : comment exploiter les données, les collecter, les trier et leur faire dire les prévisions et analyses, voilà un champ entier de progrès et d’idées ( même pour les pépiniéristes) ;
  • Le changement : changer, transformer, améliorer, les projets ne manquent pas. Mais les technologies nous permettent d’aller plus vite, d’expérimenter, d’essayer et de recommencer ; toutes ces nouvelles façons font partie du « digital mindset ».

Dans les entreprises, le risque pour les dirigeants est de laisser les initiatives à leurs collaborateurs et de rester « au-dessus de la mêlée ». De quoi freiner les impulsions.

Au contraire, la première initiative est d’abord de se frotter aux nouvelles technologies personnellement, en allant directement au contact. Se prendre une journée en comité de direction, pour imaginer les impacts des technologies sur les métiers de l’entreprise, et échanger, entre générations, avec des start-up et entrepreneurs qui savent nager et inventer dans ce nouveau monde, ainsi que quelques experts bien choisis, voilà de quoi s’ouvrir et inventer des futurs inspirants.

Autre approche : imaginer les scénarios du futur dans un monde de technologies exponentielles et y tester notre stratégie, comme un tunnel pour tester la résistance d’un avion.

La plupart des dirigeants ont bien progressé avec les confinements, en découvrant comment utiliser Teams ou Zoom, dont ils n’avaient jamais entendu parlé, et qui sont devenus des habitudes courantes.

Avoir le « digital mindset » c’est continuer à apprendre et à expérimenter, régulièrement, dans un monde des données qui sont de plus en plus nombreuses à notre disposition.

Même les pépiniéristes…


Ma compta n’aime pas les hommes, sauf les footballeurs

FootballeurQuand on parle de comptabilité, des comptes d’une entreprise, on pense qu’on tient là la vérité sur la performance et la santé de l’entreprise en question, du moins si on n’y regarde pas de trop près. Car on sait aussi que les règles comptables sont faites de conventions, que l’on appelle les normes comptables, qui ont évoluées dans le temps, et favorisent certaines présentations par rapport à d’autres.

C’est un vieux débat, que je retrouve dans le livre de Valérie Charolles, dont j’ai déjà parlé ICI, « Se libérer de la domination des chiffres ».

L’auteur revient sur un sujet important qui concerne la place du travail et des hommes dans les comptes de l’entreprise.

Car ce qui est d’abord valorisé dans les actifs, et donc la richesse, de l’entreprise, ce sont les actifs matériels, les machines, les outils de production, qui font partie du bilan.

En revanche, les hommes, ceux qui sont salariés et qui travaillent dans l’entreprise, ce sont des charges.

Si l’on veut augmenter la capacité de production et que, pour cela, on achète une nouvelle ligne de production, on augmente l’investissement, et la richesse. Alors que si on embauche pour passer les chaînes existantes en deux huit, là on augmente les charges. Ce qui amène à dire que pour rendre l’entreprise performante et valorisée au mieux pour les actionnaires et les marchés, il vaut mieux acheter des machines que d’embaucher des hommes. Certains disent que, avec les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle, où l’on va disposer de robots pour remplacer la main d’œuvre, ça va être encore pire.

Il y a une autre conséquence à cette situation, c’est la prise en compte de l’expérience et de la formation. Car dans les comptes, ce qui compte, c’est le cas de le dire, ce sont les coûts du personnel. Si l’entreprise dispose de personnes très expérimentées qu’elle forme régulièrement, ou de jeunes recrues moins expérimentées, on ne verra la différence qu’en considérant que les unes coûtent plus cher que les autres. Le capital de connaissances, de compétences, d’expertises, ne se lira pas directement. Et l’on voit bien le sujet quand on va parler des séniors dans l’entreprise. On pourrait penser que le départ des séniors pourrait constituer une perte de savoir-faire et d’expertises, mais on n’en verra absolument rien dans la lecture directe des comptes. Cela se verra peut-être indirectement quand on regardera la performance intrinsèque de l’entreprise, mais cela ne se mesurera pas très facilement.

Il y a eu des débats sur ce sujet, et les normes comptables (les normes IAS 38, appliquées par les entreprises internationales) ont tranché en considérant que prendre en compte comme un actif la compétence ou l’expertise des collaborateurs, comme un actif, n’était pas possible car les entreprises « auraient généralement un contrôle insuffisant des bénéfices économiques futurs attendus de cette main-d’œuvre compétente et de sa formation ». Fermez le ban.

Ah, si, il y a une exception : les contrats de transferts des joueurs de football ont été reconnus sur le plan comptable comme des valeurs et des investissements pour le club prenant le joueur en contrat.

Et puis, bien sûr, on pourra toujours dire que ce n’est pas parce qu’on a plus de séniors qu’on a plus de compétences dans l’entreprise. Les nouvelles technologies, ces nouveaux métiers de data scientists et experts de l’intelligence artificielle se trouvent surtout dans les jeunes générations. Mais on ne peut pas non plus rejeter toute valeur à des compétences acquises grâce aux années dans l’entreprise, où l’on a compris comment agir avec sa culture et ses habitudes, y compris pour la faire changer habilement. On voit bien le problème avec ces dirigeants tout neufs qui arrivent dans l’entreprise avec leurs expériences, et qui veulent tout changer et tout casser en s’y cassant les dents, et ceux qui font avancer les choses avec plus de subtilité. C’est comme ça que Jean-Pierre Farandou, entré il y a plus de quarante ans à la SNCF, et qui est aujourd’hui le Président du Groupe, n’oublie jamais de mettre à son actif qu’il est ce qu’il appelle un « cheminot première langue ».

Mais le sujet ne concerne pas non plus que les Présidents, mais surtout tous les collaborateurs qui acquièrent de l’expérience dans l’entreprise, et qui se retrouvent dehors au gré des plans de départs et licenciements.

Comment évaluer l’actif humain et l’équilibre entre les nouvelles recrues, et celles plus anciennes, n’est pas lisible du tout dans les éléments financiers et la comptabilité.

Cela va pourtant constituer un élément de performance déterminant, justement avec les plans de transformation qui vont prendre en compte les bénéfices atteignables grâce aux nouvelles technologies. Une nouvelle fusion entre les machines et les hommes, les anciens et les nouveaux, mixant les niveaux d’intelligence (y compris l’intelligence artificielle) va devoir être inventée et mise en œuvre, et fera sûrement la différence.

Il va falloir, encore plus aujourd’hui qu’hier, ne pas se laisser dominer par les chiffres, et aller chercher les signaux et les leviers de la performance dans d’autres domaines d’investigation.

Ma compta n’aime pas les hommes, sauf les footballeurs, mais moi, dirigeant, manager, chef d’équipe, je ne peux pas m’en désintéresser.

Au travail !


Allo les déviants

DeviantsJe participais cette semaine à un groupe de travail qui recherchait des solutions pour améliorer des pratiques de gestion des ressources humaines.

Dans de telles démarches, on peut bien sûr aller chercher les bonnes pratiques dans les expériences personnelles ou observées par les uns et les autres. Le benchmarking est devenu une pratique courante dans les entreprises.

Mais l’on peut aussi appliquer une approche de « positive deviance ».

C’est quoi ça ?

Cette approche de la « positive deviance » a été popularisée par Monique et Jerry Sternin, qui l’ont expérimentée dans des missions pour des ONG, et qui est maintenant développée dans les entreprises.

Ces « déviants positifs » sont des personnes qui vivent et travaillent dans exactement les mêmes conditions que les autres, avec des caractéristiques similaires, mais qui pourtant obtiennent des résultats et des performances hors normes. On peut appliquer ça pour observer les meilleurs commerciaux, les personnes qui ont progressé le plus vite dans la hiérarchie, les individus qui ont le talent de créer une excellente coopération dans les équipes où ils travaillent, ou tout autre phénomène.

La démarche a été déployée et rôdée par Jerry et Monique Sternin lors de missions pour les ONG, par exemple dans la lutte contre la malnutrition au Vietnam, puis dans des entreprises. Ces aventures sont racontées dans leur livre « The power of positive deviance – How unlikely innovators solve the world’s toughest problems » (HBR Press).

Chacune de ces histoires permet de comprendre et de transposer ce qui fait le succès de la démarche.

Ils ont ainsi passé six ans au Vietnam. A l’origine, en 1990, l’ONG « Save the Children (SC) » avait reçu une invitation du gouvernement du Vietnam pour créer un programme qui permettrait aux villages pauvres de résoudre le problème récurrent de la malnutrition infantile. C’est comme ça que Jerry et Monique se sont trouvés embarqués dans l’affaire.

Il y avait déjà eu des programmes qui avaient tenté d’apporter des solutions à la malnutrition : programmes d’experts par le haut qui avaient apporté de la nourriture de l’extérieur. Une fois le programme terminé, les villageois n’avaient plus accès à de telles nourritures, et les bienfaits disparaissaient.

Leçon numéro 1 : l’approche par le haut n’est pas pérenne. Comme le dit Jerry: « They came, they fed, they left », et rien n’a changé.

La stratégie de Jerry et Monique Sternin consista à permettre aux villageois de résoudre leurs problèmes eux-mêmes. Mais comment faire dans les dizaines de milliers de villages du territoire ?

La première étape est d’identifier les « déviants », en l’occurrence les enfants bien nourris dans des familles pauvres, dans une zone « test » : ils choisissent un endroit pas trop loin de la capitale ; comme ça si ça marche, ils pourront y amener les témoins du gouvernement officiel pour les convaincre.

Leçon 2 : la zone test pour repérer les « déviants » est choisie pour avoir le meilleur impact pour démontrer la démarche aux tenants du pouvoir.

Arrivés au village Jerry et Monique vont aller chercher les volontaires pour lancer l’analyse : peser les enfants pour repérer les mieux nourris. Et découvrir les pratiques par les interviews et surtout les observations. Il ne s’agit pas seulement de chercher les « quoi », mais surtout les « comment ». C’est ainsi qu’ils découvrent, entre autres comportements « déviants »,  que dans ces familles pauvres où les enfants sont bien nourris le père ou la mère ajoutaient à la nourriture des crabes et des feuilles qu’ils trouvaient dans les rizières. Bien que disponibles pour tous, ces nourritures étaient considérées comme inappropriées, et donc non consommées par la plupart des familles. D’autres comportements ont aussi été observés en matière d’hygiène (par exemple laver les mains des enfants fréquemment).

Leçon 3 : observer les pratiques des « déviants » ; pas seulement le « quoi », mais aussi le « comment ».

Ensuite, comment faire ? La découverte de Jerry et Monique, c’est qu’il ne sert à rien d’aller expliquer aux autres les « bonnes pratiques », mais qu’il faut organiser directement la transmission des comportements des « déviants » vers les autres, par des rencontres, des confrontations, des moments de réunions et de partages. Jerry et Monique ne sont que les facilitateurs. La magie se propage d’elle-même entre les villageois eux-mêmes. Ils organisent ainsi des sessions de deux semaines entre des « déviants » et d’autres villageois. Au début on pèse les enfants ; et on les repèse au bout des deux semaines, pour pouvoir démontrer les résultats. Et les résultats sont mis sur des graphiques qui sont affichés dans les villages, pour informer le plus grand nombre.

Leçon 4 : pour disséminer les pratiques, ce sont les « déviants » eux-mêmes qui vont les propager et les faire connaître. On mesure les résultats, et on communique dessus en permanence.

Comment s’assurer ensuite que ces pratiques continueront à être appliquées une fois les villageois retournés chez eux, après ces sessions particulières bien encadrées ? Plutôt que de chercher par eux-mêmes des programmes d’enseignement déconnectés, Monique et Jerry l’ont demandé directement aux familles qui avaient mis en œuvre les nouvelles pratiques apprises des « déviants » : « Nous avons tous appris les bonnes pratiques qui permettent d’avoir des enfants mieux nourris malgré la pauvreté. Mais nous ignorons ce qu’il faut faire pour aider le maximum de gens à les adopter naturellement. Que devrions-nous faire ? ». Et ainsi chaque village s’est mis à bâtir « son » programme. Par exemple des sessions où les familles amenaient leurs enfants pour les peser, et recevaient des compléments de nourriture si les résultats des pratiques étaient là (des enfants qui pesaient plus). Un des leviers les plus forts du changement de comportements est la possibilité de voir les résultats. Dans tous les villages un système de mesure s’est mis en place progressivement. Les « tableaux de bord » étaient ainsi consolidés village après village. Chacun trouvait à son rythme les actions et pratiques à lancer.

Leçon 5 : Il est plus facile d’agir soi-même en appliquant et adaptant une nouvelle manière de penser, que de penser soi-même pour appliquer en action des pratiques standard et déterminées. Ce sont les « déviants » eux-mêmes qui diffusent les manières de penser. Les actions sont déterminées par chaque communauté. La communication sur les résultats est bien organisée ; la diffusion se fait par « contamination » de pair à pair.

Résultat du programme : en six mois 245 enfants (plus de 40% des participants au programme) ont été complètement réhabilités, et 20% sont passés du stade « sévère malnutrition » à « malnutrition modérée ».

Envie de changer les pratiques de l’intérieur et faire se propager les bons réflexes et pratiques ? Appelons les déviants et lançons-nous. Si ça marche pour la malnutrition pourquoi pas pour nous aussi ?


Expériences : du nouveau

LuxeQuand on veut faire un peu de prospective sur la consommation, on peut observer ce qui se passe dans l’univers du luxe.

Une étude récente de Bain nous indique que les très jeunes consommateurs de la génération Z, et ceux de la génération Y, ont fait leurs premiers achats de luxe entre 18 et 20 ans, et que ceux de la génération Alpha (nés après 2010) devraient s’y mettre encore plus tôt, vers l’âge de 15 ans.

Les groupes de luxe ont bien compris que ce sont ces jeunes générations qui vont tirer le secteur du luxe, et faire les tendances. D’où cette compétition pour les séduire, à laquelle Magali Moulinet consacre un article dans le numéro de L’Obs de cette semaine.

Et ce qui a profondément transformé le luxe, c’est le digital. Ce mélange de digital et de jeunes générations oblige à repenser totalement les expériences clients, de quoi inspirer d’autres secteurs et dirigeants qui ne voient pas forcément venir ces transformations.

Et c’est précisément le digital qui a permis au luxe de se renforcer pendant la crise Covid.

Et ce qui est en train de transformer le luxe et le digital, c’est bien sûr le Web 3 (metaverse, NFT, blockchain), tout ce que certains continuent à prendre pour des trucs inutiles de gamins geeks, alors que le luxe n’est qu’un précurseur de ce que vont connaître tous les secteurs.

Et ce qui compte pour les marques, c’est de capter l’attention du public, dans un monde où c’est de plus en plus difficile, tous le observateurs le constatent, tant notre attention est constamment sollicitée, et pour cela la réponse est de pouvoir faire partie de la vie quotidienne des clients. L’ambition est d’être une extension de l’identité des clients pour mieux capturer leur attention.

Magali Moulinet cite dans son article des exemples d’initiatives, comme des grandes messes populaires organisées par les marques. Le but est de créer des expériences ludiques et immersives pour impressionner les jeunes générations le plus tôt possible et les rendre moins intimidés face au luxe. Ce ne sont pas des expériences qui reproduisent les achats comme dans un magasin ou un site de e-commerce, mais des choses complètement nouvelles, grâce aux possibilités du web 3 (et donc il y faut un peu plus d’imagination et de créativité).

Ainsi le couturier français Jacquemus s’est installé en mars dernier aux galeries Lafayette Haussmann en exposant à l’entrée un grille-pain géant et son toast animé, et aussi un sac Bambino géant dans lequel on peut se glisser pour acheter les modèles de la marque.

L’idée est aussi de créer des expériences que les jeunes peuvent relayer sur Tik Tok et les réseaux sociaux. Ainsi, juste avant l’ouverture de la boutique éphémère Jacquemus avenue Montaigne, à l’occasion de la Fashion Week, la marque a envoyé une petite boîte renfermant un seul pop-corn à certains influenceurs, avec justement pour but de surprendre et d’avoir un relais sur les réseaux sociaux, et aussi d’attirer les jeunes dans le magasin pour venir chercher les friandises qui leur seraient offertes. C’est gratuit, pas besoin d’acheter. Ces expériences qui se diffusent via Tik Tok apportent plus de notoriété que le coût d’acquisition d’une publicité traditionnelle.


Toutes les marques s’y mettent, comme Chanel qui avait organisé une exposition immersive au Grand Palais éphémère fin 2022, en affichant l’ambition de « rendre l’ordinaire extraordinaire ».

L’objectif de ces expériences est aussi de détacher les jeunes de leurs écrans pour acheter des NFT, et de les attirer dans les lieux et magasins pour s’y amuser avec des histoires et des mises en scène dont ils pourront parler.

Et cela n’empêche pas de proposer aussi des NFT, comme le font de plus en plus de marques, toujours avec l’idée d’attirer les acheteurs et influenceurs dans des communautés privilégiées. Créer et vendre des NFT, pour une marque, c'est aussi une manière de donner aux clients l'envie d'en posséder et donc de fidéliser encore plus la relation avec les clients. C'est aussi pour le client la manière de faire partie d'une communauté exclusive.

On comprend, grâce à cet exemple, combien l’expérience des clients nécessite d’agir sur plusieurs dimensions, et de créer les évènements qui donneront ce sentiment d’appartenance communautaire, avec relais sur les réseaux sociaux. C'est une boucle de rétroaction permanente.

De quoi revoir pour 2023 les stratégies et investissements, en arbitrant par rapport aux moyens classiques comme la publicité, les mails, ou les actions dites de « fidélisation ». Les nouveaux consommateurs, surtout les plus jeunes, nécessitent un peu plus de créativité et d’imagination.

Certains pourront d'ailleurs aussi y trouver des inspirations pour fidéliser les collaborateurs, par des expériences au bureau ou en virtuel, car la marque employeur a, elle aussi, besoin d'imagination.


Fabuleux !

LoupPeut-on encore faire la différence entre montrer et démontrer ?

Démontrer, c’est le propre de la rigueur scientifique, des argumentaires et de l’analyse des causes et des effets, comme un théorème.

Montrer, cela relève plus du « storytelling », des histoires que l’on raconte pour faire savoir ce que l’on pense, sans rien démontrer du tout. C’est le domaine de la fable.

C’est d’ailleurs comme ça que commence la fable de La Fontaine, « le loup et l’agneau » :

« La raison du plus fort est toujours la meilleure :

Nous l’allons montrer tout à l’heure ».

Montrer, et non démontrer. Car cette fable est une histoire, une fiction, et c’est en montrant les images de cette fable que l’on va faire savoir que la raison du plus fort est toujours la meilleure.

Cet exemple est cité par le philosophe Jacques Derrida dans son séminaire à l’EHESS de 2001 que l’on peut aujourd’hui lire en intégralité, consacré à la souveraineté.

Cette tendance à montrer avec des histoires, c’est ce qui fait aujourd’hui, bien après les observations de Derrida, les succès de ces prestations d’éloquence, conférences TED, paroles d’influenceurs, posts divers sur les réseaux sociaux (Derrida parlait, lui, plutôt des chaines de télé, mais ça, c’était avant), au point que certains préfèrent se former ( ?)avec ces histoires et ces images fabuleuses plutôt que sur les bancs de l’école et de l’Université. Les jeunes générations sont les plus vulnérables à ces penchants. Les analogies (c’est « comme » ou « comme si ») et métaphores servent de décor à n’importe quel discours, et à toutes manipulations. Avec des « comme » et des « comme si », on peut faire dire n’importe quoi. Et c’est là le danger potentiel. 

Citons Jacques Derrida dans l’explication de ce concept de « fable » :

«Comme son nom latin l’indique, une fable est toujours et avant tout une parole - for, fari, c’est parler, dire, célébrer, chanter, prédire, et fabula, c’est d’abord un propos, une parole familière, une conversation, puis un récit mythique, sans savoir historique, une légende, parfois une pièce de théâtre, en tout cas une fiction qui prétend nous apprendre quelque chose, une fiction supposée donner à savoir, une fiction supposée faire savoir, faire savoir au double sens : 1) au sens de porter un savoir à la connaissance de l’autre, informer l’autre, faire part à l’autre, <faire> connaître à l’autre, et 2)au sens de « faire » savoir, c’est-à-dire de donner l’impression de savoir, faire l’effet du savoir, ressembler à du savoir là où il n’y en a pas nécessairement : dans ce dernier cas du « faire savoir », faire effet de savoir, le savoir est un prétendu savoir, un faux savoir, un simulacre de savoir, un masque de savoir ».

Le danger que perçoit Derrida concerne la politique, et  c’est de se demander ce qui se passerait si « le discours politique, voire l’action politique qui se soude à lui, et qui en est indissociable étaient constitués, voire institués par du fabuleux, par cette sorte de simulacre narratif, par la convention de quelque « comme si » historique, par cette modalité fictive de « raconter des histoires » qu’on appelle fabuleuse ou fabulaire, qui suppose donner à savoir là où on ne sait pas, qui affecte ou affiche frauduleusement le « faire savoir » et qui administre, à même l’œuvre ou le hors-d’œuvre de quelque récit, une leçon de morale, une « moralité » ? Hypothèse selon laquelle la logique et la rhétorique politiques, voire politiciennes, seraient toujours, de part en part, la mise en œuvre d’une fable, une stratégie pour donner du sens et du crédit à une fable, à une affabulation – donc à une histoire indissociable d’une moralité mettant en scène des vivants, animaux ou humains, une histoire soi-disant instructive, informatrice, pédagogique, édifiante, une histoire fictive, montée, artificielle, voire inventée de toutes pièces, mais destinée à enseigner, à apprendre, à « faire savoir », à faire part d’un savoir, à porter à la connaissance ».

Il est évident que si cette pratique de la fable et du fabuleux se développe, cela donne une nouvelle couleur aux discours politiques. A titre d’exemple, Derrida (nous sommes en 2001) cite cette image des avions éventrant les Twin Towers le 11 septembre 2001, qui a été reproduite et diffusée dans le monde entier, se demandant quel aurait été le sens de cette opération s’il n’y avait pas eu ces images. Probablement, comme on le voit pour d’autres catastrophes ou évènements dont on n’a pas d’images aussi impressionnantes immédiatement (les accidents de la route pendant les week-end fériés, les morts du sida en Afrique, les ouragans – même si on a, justement, grâce aux médias, de plus en plus d’images, mais dont l’impact est réduit quand elles viennent de contrées lointaines), cela n’aurait pas eu le même effet. Et ce sont justement le faire-savoir et le savoir-faire du faire-savoir, des deux côtés de l’agression, les agresseurs et les victimes, qui sont à l’œuvre, et de manière organisée. Ce sont « le déploiement et la logique des effets de l’image, de ce faire-savoir, de ce prétendu faire-savoir, de ces « informations » qui ont permis l’impact.

Pour généraliser, on pourrait, comme Derrida le fait dans ce séminaire, voir dans ces exercices de « faire-savoir » un moyen politique de « savoir faire peur », cette peur qui est selon Hobbes dans Léviathan, la passion politique par excellence, le ressort de la politique, et qu’il définit comme « la seule chose qui, dans l’humanité de l’homme, motive l’obéissance à la loi, la non-infraction à la loi et la conservation des lois ». Et Derrida d’y insister : « la souveraineté fait peur, et la peur fait le souverain ».

N'est-il pas d’actualité d’évoquer ces fables du faire-savoir, et l’exercice de la souveraineté par la peur hobbesienne, à l’heure où nos souverains communiquent sur la réforme des retraites « inévitable », à l’heure où n’importe quel changement ou transformation est présenté comme une « nécessité vitale » pour mieux en faire passer les effets, et susciter l'obéissance.

Et nous rappeler la fin de la fable du loup et de l’agneau :

Là-dessus, au fond des forêts
            Le loup l'emporte et puis le mange,
            Sans autre forme de procès.


Faut-il payer des primes pour rendre innovants ?

EnseignantTout le monde en est convaincu, pour développer nos affaires, il faut innover. En 2022, ce qui a fait le buzz, c’est le Metaverse, ce nouvel univers virtuel, où les marques ont commencé à y faire leur marketing, et le public à découvrir le concept. J’ai lu ici  que la recherche sur internet du mot « metaverse » a augmenté en 2021, déjà, de 7.200% ( !!).

Cela donne envie d’aller tester ce nouveau marketing, le metaverse étant une opportunité pour innover et expérimenter.

Mais pour innover, il nous faut des innovateurs, et on rêve d’en embaucher et d’en avoir de nombreux.

Quand on est dans le monde des fonctionnaires et de l’Etat, la solution pour innover a de quoi nous souffler : Le Ministère de l’Education Nationale l’a trouvé en proposant une « prime à l’innovation ». Il est prévu de présenter ce « dispositif » aux syndicats en janvier. 

Cela promet. L’idée géniale est de « rémunérer les enseignants qui s’investiront dans les projets pédagogiques financés dans le cadre du fonds d’innovation pédagogique (FIP) », qui a été voulu par Emmanuel Macron lui-même. Cette prime va servir à « reconnaître le temps passé sur les projets ». Et ce seront des projets qui vont « transformer l’école ». Et pour cela, la prime sera de 250 à 1.500 euros par année scolaire. Qui décidera qui a droit ou non à la prime ? Les recteurs. Elle concernera tous les personnels des écoles, collèges et lycées, mais pas les personnels d’encadrement (donc rien de collectif mais une attribution individuelle personne par personne).

Réaction des syndicats, et aussi de ces « personnels d’encadrement » : au mieux scepticisme, au pire, rejet total.

Ce que n’aiment pas les syndicats c’est ce qu’ils considèrent comme une « mise en concurrence des enseignants », ou même une tentative, par le Ministère, « d’acheter des enseignants ».

Ça a l’air bien parti cette affaire.

Autre critique de bon sens : mais à quoi ça sert de chercher et de passer du temps à ces innovations pédagogiques par le haut ? «  L’innovation pédagogique n’a pas en soi de valeur supérieure à la non-innovation, il relève de la liberté pédagogique de chaque enseignant de choisir les méthodes qui lui paraissent les plus adaptées ». De là à considérer que c’est le terrain, ceux qui sont au plus près des élèves, les clients de ces dispositifs, et non les recteurs du haut de leur tour de contrôle, qui sont les plus à même d’imaginer et d’innover. Avec aussi la crainte, ou le doute, que ces personnels enseignants ne soient pas trop favorables à l’innovation, considérant que nos bonnes vieilles méthodes ne sont pas si mal que ça. Mais si le personnel de proximité n’aime pas l’innovation, à qui la faute ?

Cette affaire est une parfaite illustration de l’opposition classique entre une vision verticale, avec attribution de « primes » individuelles, et une vision qui encourage le collectif et les initiatives des managers de proximité. Nos entreprises s’en sont convaincues depuis longtemps. L’innovation est maintenant appropriée de manière collective, et à partir de l’expression des idées et propositions venant des collaborateurs au contact des clients. Certaines offrent même du temps « libre » aux collaborateurs pour y développer des projets personnels en marge de leurs activités normales.

Pourquoi l’Etat est-il toujours en retard ?

Il serait peut-être nécessaire de mettre un peu d’innovation dans les méthodes, là aussi, non ?

A suivre ce dispositif qui promet. La première question sur la table : C’est quoi un « enseignant qui innove » ?


Les « revues de performance » annuelles sont-elles dépassées ?

PerformanceREVUEBientôt la fin de l’année, et certains, tant les managers que les employés, sont parmi ceux qui vont se prêter à l’exercice de « revue de performance » annuel, qui va peut-être décider des augmentations et promotions.

Si vous êtes dans ce cas-là, méfiance : vous êtes peut-être en train de travailler dans une entreprise dépassée, voire complètement à côté de la plaque.

Eh oui.

Car on constate aujourd’hui que de plus en plis d’organisations abandonnent ou vont abandonner toutes ces mesures de performance quantifiées. Cela est dû notamment aux évolutions rapides des environnements opérationnels,  l’aplatissement des hiérarchies, l’arrivée des jeunes générations sur le marché du travail et la numérisation du travail.

Ce système de mesure et d’évaluation va être remplacé par de nouvelles méthodes de gestion des performances, plus souples et personnalisées. Les indicateurs de performance traditionnels vont être remplacés par des évaluations par les pairs, des auto-évaluations et plus de dialogue.

Le phénomène, qui n’est peut-être pas encore perçu partout, va s’amplifier pour être généralisé d’ici 2024 ou 2028, selon les prévisions.

Selon le Gartner Group, "À l'avenir, les dirigeants et les managers ne se contenteront pas de mesurer les résultats des employés, mais tiendront compte du contexte dans lequel ces résultats sont obtenus : leurs objectifs personnels, les circonstances dans lesquelles ils travaillent, les groupes auxquels ils appartiennent et le type de travail qu'ils accomplissent".

Dans ce contexte, les entretiens annuels avec les employés ne semblent plus adaptés au monde en évolution rapide.

La prise de conscience est là. Ainsi Deloitte a évalué que la direction et les employés passaient deux millions d’heures par an à évaluer les performances des individus. Cela a motivé l’entreprise à remplacer ces évaluation chronophages par un dialogue et une coopération continue. De plus en plus d’entreprises constatent que la concurrence au bureau entrave la coopération au lieu de la renforcer.

Dans ces nouvelles pratiques, les décisions et les choix sont faits chaque mois ou chaque semaine. Grâce à un examen continu par les pairs et à l’auto-évaluation, les employés développent leurs compétences plus rapidement et se développent eux-mêmes, grâce à ce système de coopération ouverte et transparente.

En parallèle, les organisations évoluent pour travailler moins en silos et plus en interaction, avec des équipes autonomes et des modes projets en co-conception.

Le Gartner Group, dans son enquête 2021, prévoit six grandes tendances dans les systèmes de gestion des performances, à horizon trois à quatre ans.

N° 1 Les objectifs seront tant personnels que professionnels 

Selon l’enquête Gartner, 82% des employés déclarent qu’ils souhaitent que leur organisation les considère comme des personnes et pas seulement comme des employés.

C’est pourquoi les DRH vont chercher à intégrer des objectifs personnels, tels que le bien-être ou l’acquisition de compétences non directement liées à leur travail.  

Pour favoriser un environnement dans lequel les employés peuvent discuter ouvertement et honnêtement de ces objectifs personnels avec leurs managers, il faudra notamment leur fournir des outils d'auto-évaluation de leurs progrès par rapport à leurs objectifs personnels et professionnels.

N° 2 Les évaluations de performance - et les décisions de rémunération - vont évoluer vers un modèle basé sur des projets

Le mode d’organisation par projets se développe, en mélangeant les employés et les travailleurs indépendants, ainsi que les prestataires divers.

Dans ce monde, les employés veulent que la direction évalue leurs performances après chaque projet, et que leur rémunération évolue avec ces évaluations.

Ce système permettra :

- de fournir aux employés un retour d'information, une évaluation et des récompenses en fonction de leur performance d'un projet à l'autre.

- d’évaluer les employés en fonction des résultats obtenus et des commentaires critiques des pairs et des clients.

- de définir et expliquer clairement comment la performance des employés sur chaque projet affecte leur rémunération.

No. 3 Les évaluations de performance refléteront davantage le contexte et l'empathie

La tendance est à une vision plus large du contexte du travail et des personnes.

La conception d'évaluations de performance plus empathiques, telles que "l'apprentissage de nouvelles compétences" (pour les employés les plus performants qui acquièrent de nouvelles compétences dans le cadre d'un projet difficile) ou "la concentration en dehors du travail" (pour qu'un employé confronté à des circonstances difficiles à la maison ne soit pas pénalisé) sera particulièrement importante pour attirer et retenir les employés les plus performants qui cherchent à développer leur carrière dans une organisation donnée.

N° 4 Le retour d'information et le développement seront davantage automatisés

Les employés comprennent, encore mieux que leurs managers, le type de retour d'information et de soutien au développement dont ils ont besoin pour améliorer leurs performances, mais ils n'ont généralement pas la possibilité de participer activement au processus.

De nombreuses organisations ont augmenté leurs investissements dans les technologies de suivi de la productivité des employés, en particulier dans notre monde hybride. La collecte et l'analyse automatisées des données relatives aux activités des employés peuvent être très utiles pour aider les employés à comprendre comment ils se comportent et ce qu'ils peuvent améliorer. À l'avenir, cette technologie permettra d'automatiser les processus de retour d'information et de fournir aux employés un retour d'information opportun et fondé sur des données.

N° 5 Les managers ne géreront plus les performances

À mesure que l'utilisation de la technologie se développe et que les employés deviennent plus proactifs dans la gestion quotidienne de leurs propres performances, les managers ne se concentreront plus sur les entretiens et réunions de gestion des performances dans un processus standardisé, mais sur l'accompagnement personnalisé du parcours et du développement de carrière des employés.

Les responsables RH devront apporter aux managers des ressources nécessaires pour encourager les talents, faire face aux situations de travail difficiles et aider les employés à prendre des décisions sur leurs prochains projets et compétences.

N° 6 La gestion des performances de l'équipe deviendra une préoccupation à part entière

À mesure que les équipes adaptent le lieu, le moment et la manière dont elles collaborent dans des environnements hybrides et distribués, la performance de l'équipe deviendra un sujet à part entière, qui complètera le sujet des performances individuelles.

Il sera demandé aux équipes de travailler plus activement ensemble pour suivre les progrès et améliorer à la fois les performances spécifiques au projet et la dynamique d'équipe. Les équipes auront besoin d'outils et de ressources pour évaluer des aspects importants de leur santé, tels que l'inclusivité, la cohésion, la responsabilité et l'orientation client, et pour diagnostiquer les problèmes.

Ce que l’on va attendre des processus de gestion des performances, c’est finalement ce que le Gartner Group appelle des « pratiques plus humaines ».

Comme un retour aux sources.

A l’heure des technologies, c’est l’humain qui fera la différence et les performances, y compris de la gestion des performances.

De quoi rester optimiste.

 

 


La guerre des mondes 3.0 dans le Metaverse

GuerredesmondesAujourd’hui encore, la perception du Metaverse par le public ce sont des jeux vidéo, des expériences de réalité virtuelle, des technologies encore naissantes, des applications sociales pour y faire des réunions avec des lunettes et un casque sur la tête. Mais pour ceux qui en imaginent des perspectives de business plus vastes, c’est un nouvel eldorado pour demain ; et on imagine aussi y vendre des services financiers.

Mais on commence aussi à imaginer une vision à plus long terme du Metaverse, comme un nouveau monde virtuel, qui convergera avec le monde réel que nous connaissons, pour forger un tout nouveau monde qui nous transformera tous.

C’est l’exercice auquel se sont livré les équipes de Deloitte China, dans un rapport aux accents de science-fiction.

Ce nouveau monde comprend quatre dimensions.

Première dimension : le Metaverse, miroir qui simule le monde réel

Ils modélisent le monde réel en dix éléments : l’environnement, les personnes, les objets, les institutions, la société, ainsi que les systèmes économiques, de production d’entreprises, de production individuelle, de civilisation, et de gouvernance.

Dans le monde virtuel du metaverse on retrouvera ces mêmes dix éléments.

Mais cela va plus loin, car le Metaverse permet aussi de créer un monde virtuel avec les mêmes dix éléments, mais complètement nouveaux.

C’est la deuxième dimension.

Deuxième dimension : Un monde virtuel natif

En effet, le Metaverse va permettre de créer des personnes, des objets, des environnements, qui seront complètement virtuels. Et aussi de nouvelles régulations et modes de gouvernance.

On rencontrera dans le Metaverse des avatars de personnes du monde réel, mais aussi des personnes complètement virtuelles, sans correspondant dans le monde réel. Idem pour les objets : les NFT sont des objets virtuels originaux.

Pour les organisations, on trouvera les DAO ( Decentralized autonomous organizations), des modèles décentralisés, sans chef unique, qui sont régis par des règles inscrites dans la blockchain, et complètement différentes des modèles d’organisation du monde réel qui, eux, fonctionnent encore avec des modèles plus centralisés.

Troisième dimension : Le monde réel

Le monde réel sera, finalement, partie intégrante du monde Metaverse, puisqu’il y disposera de facsimiles des éléments du monde réel : nos avatars, par exemple. Et ce qui crée la valeur dans le Metaverse est généré par les interactions entre le monde réel et le monde virtuel : on peut acheter dans le Metaverse et obtenir les objets et produits dans le monde réel. Et inversement.

Quatrième dimension : La convergence et les interactions entre les mondes réels et virtuels

En donnant la possibilité de passer d’un monde à l’autre, on se crée un nouveau monde.

C’est le degré de convergence et d’interactions entre ces deux mondes qui sera critique, et d’autant plus au moment, que certains imaginent pour très bientôt, où l’on aura plus d’interactions dans le monde virtuel que dans le monde réel.

Au premier niveau, le monde virtuel répliquera le monde réel, avec des règles identiques.

Mais on peut ensuite imaginer que de nouvelles règles de gouvernance vont émerger dans ce nouveau monde. Avec la question non résolue : qui gouvernera le Metaverse ? Les humains ou l’intelligence artificielle ? Les Etats ou les entreprises ? Pas si évident à l’heure où les entreprises technologiques, déjà aujourd’hui, possèdent plus de données sur les populations que les Etats.

De nouvelles communautés, des sociétés même, vont se créer avec le Metaverse, qui seront complètement indépendantes des Etats. Avec des avatars, des règles et des monnaies nouvelles. 

Ceux qui rêvent d’un nouveau monde « Metaverse » l’imaginent comme un monde où le privilège du pouvoir centralisé va s’affaiblir, ou disparaître. Avec les DAO et les nouvelles communautés hybrides, aucune entité d’Etat, aucun pays, ne pourra plus exercer le contrôle. Pas simple pour la fiscalité. 

Mais les interactions vont encore plus loin et posent de nouvelles questions : qui va contrôler la sécurité des informations, des données, et l’intégrité, ainsi que la vie privée ?

Ce Metaverse consommera aussi beaucoup de réseaux et de stockage de données, ainsi que de l’énergie. Qui va réguler tout cela, et comment sera-ce compatible avec la recherche de neutralité carbone ? Comment seront construites et exploitées les infrastructures nécessaires ?

Il est assez paradoxal que ce soient les équipes chinoises de Deloitte qui se posent toutes ces questions.

Ce nouveau monde sera-t-il inventé à l’Est ?

Encore un aspect de la guerre géopolitique, dont nous n’avons pas encore mesuré toutes les dimensions.

La guerre des mondes version 3.0 ?