Peut-on stocker les talents ?

Bouteille   J'avais déjà entendu cette histoire ICI d'une entreprise qui embauchait des gens talentueux, même si elle n'avait pas de job immédiatement pour eux, mais juste pour les avoir sous la main lorsqu'elle en aurait besoin.

C'est un peu comme si, dans la guerre des talents, on stockait pour se prémunir de la pénurie et des mauvais jours.

Cette histoire m'est revenue en tête lorsque j'ai vu l'article de Peter Cappelli dans HBR de Mars 2008 : "Talent management for the twenty-first century".

Peter Cappelli, c'est un professeur de Wharton, interviewé ici sur le même sujet, qui vient de sortir un ouvrage au titre trés marketing :"Talent on Demand"...ça vous dit quelque chose ? Oui, comme IBM on demand, comme le just in time de la supply chain. C'est à dire : Zéro stock.

Sa thèse est simple : compte tenu de l'incertitude du futur, il faut gérer les talents en flux tendus, et surtout ne pas les stocker comme de bonnes bouteilles qu'on boira un jour. (bien sûr, Peter Cappelli ne parle pas de bouteille de vin, il est plus Wharton langage, mais c'est l'idée).

D'abord, parce que les talents ne sont pas comme les bonnes bouteilles : si vous ne les utilisez pas, ils s'éventent, ou bien ils se sauvent de votre entreprise, pour aller s'exercer chez vos concurrents.

Donc la bonne gestion des talents, c'est : pas de gaspillage. Chacun utilisé au mieux, et pas de surstock. Pas de plans de succession non plus, car, le jour où on aura peut être besoin d'un successeur, tout aura changé, et ces plans ne serviront à rien.

Et puis, qui croit encore que ça se passe comme ça dans l'entreprise: vous êtes tranquilles à votre job, pas vraiment à la hauteur de votre talent, mais bon, vous attendez. Et puis un jour, comme ça, quelqu'un, un chef, s'approche de vous en souriant, et vous tape gentiment sur l'épaule :"Eh, Gilles, voici ton prochain job qui est super pour ta carrière. Tu commences demain.Bonne chance". Et c'est comme ça, en rencontrant régulièrement des gentils chefs à la main caresseuse que vous vous faîtes une carrière.

Ceux qui y croient vraiment vont vraiment déchanter, et risquent d'attendre longtemps cette main qui vient leur caresser l'épaule...

En fait, les vrais talents se gèrent par eux-mêmes, ils cherchent les jobs pour leur carrière, ils provoquent les situations, ils changent quand ils sentent que c'est nécessaire pour eux; ils sont toujours au bon endroit pour progresser.

Inversement, ceux qu'on appelle les éléments les plus "loyaux" et "fidèles" à l'entreprise, ce sont ceux qui sont tellement médiocres qu'ils ne savent rien faire d'autre que ronronner et attendre les calins dee leurs chefs...Comme des chats castrés...

Le nouveau mot pour caractériser les collaborateurs efficaces ce n'est pas "loyaux" mais "engagés" : c'est à dire qui sont complètement engagés par leur travail, leurs objectifs, mais qui ne subissent pas l'entreprise. Au contraire, ils trouvent la bonne composition pour que l'entreprise profite de leur travail, mais eux aussi profitent, pour leur "marque personnelle", de ce travail dans l'entreprise. Et cette alchimie fait des miracles, et progresser les talents et les entreprises.

Alors Peter Cappelli donne des recommandations de bon sens dans l'article HBR pour cultiver les talents de bonne façon.

En premier lieu, il nous invite à bien distinguer les talents que l'on fait émerger en interne, et ceux qu'on est prêt à aller chercher à l'extérieur, en fonction de l'incertitude. Il encourage même plutôt à viser court sur l'interne, il appelle ça "undershooting"..

Il nous recommande ensuite de nous inspirer, pour bien gérer les talents, "on demand", de reproduire les règles de gestion de la supply chain : toujours suivre le retour sur investissement des développements des talents : par exemple si l'on a formé un employé qui quitte trop tôt l'entreprise pour rentabiliser l'investissement, il faut faire rembourser l'investissement par l'employé qui part (prévu dès son embauche), et inversement continuer à garder des contacts forts avec les employés qui sont partis (alumnis) car, si ils reviennent , ils auront un peu du capital de l'entreprise, plus ce qu'ils ramèneront des autres où ils seront passés.

Et puis, pour garder les talents, il recommande de toujours vérifier qu'il y a un bon équilibre entre les intérêts de l'employé et les intérêts de l'entreprise.

Oui, ok, vous allez dire "pas besoin d'être prof à Wharton, ni d'écrire un bouquin entier, pour débiter des banalités pareilles..".

Mais en même temps ces règles de bon sens, on les applique quand et comment dans votre entreprise ? Vous avez l'impression que les intérêts sont bien équilibrés ? ou bien vous êtes la bouteille de vin qui est en train de s'éventer ? Et la cave de l'entreprise, la bonne cave des talents inutilisés, elle a combien de bouteilles ?

Finalement, Peter, il est pas si abruti que ça...

En tous cas, il y a une chose que Peter considère complètement ridicule et innefficace c'est de croire qu'on va prédire les besoins en talents plusieurs années à l'avance, comme un Gosplan...Il croit plutôt qu'il faut se préparer à l'incertain, au changement...Et que seules les simulations à court terme ont du sens.Il cite plein d'entreprises américaines qui ont abandonnées les prévisions à long terme, comme Dow Chemical par exemple.

Cela rappelle, en creux, la "GPEC", Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences, que nous avons en France comme une grande spécialité, unique au monde, qui a fait l'objet d'une loi, et qui est obligatoire pour les entreprises côtées .Et qui est une vraie galère, source de discussions stériles sans fin avec les "partenaires sociaux". Chacun essaye de s'en sortir en faisant semblant.

Mais bon, c'est pas un américain de Wharton qui va nous apprendre la vie , non ?

En France les bonnes bouteilles, on est des spécialistes non ?

Allez, vous en reprendrez bien une tournée ? GPEC blanc ou GPEC rouge ?


La ronde des savoirs

Ronde Dans le monde d’aujourd’hui, c’est facile de s’informer sur plein de choses. La presse, les bibliothèques, les librairies, la télévision, et puis Internet : Google, les blogs, wikipedia,…De quoi s’en saoûler : sur n’importe quel sujet, on a l’impression qu’on peut en savoir autant que le plus grand savant.

Mais voilà, pour qui travaille dans l’entreprise, là, les choses changent.

Pas toujours facile de trouver ce qu’il y a dans la tête et l’expérience des personnes que l’on côtoie tous les jours, ou qui travaillent dans la même entreprise que nous. On va aller chercher dans le public, à l’extérieur de l’entreprise, des informations sur des sujets sur lesquels des informations plus originales et de valeur sont pourtant à côté de nous, comme la lettre volée d’Edgar Poe…

C’est le comble !

Bien sûr, ce sujet est vieux comme le monde, et tous les consultants de la terre lui doivent pas mal de chiffre d’affaires. Vu l’inefficacité de ce qui est proposé, cette source de business n’est pas près de se tarir.

Souvent, on prend le problème par la technique : mise en place de bases de données, d’espaces de stockage de multiples documents, que chacun pourra consulter. Dans le secteur des services professionnels, par exemple le consulting, que je connais bien, ça revient comme les feuilles en automne et les bourgeons au printemps : il y a toujours quelqu’un en charge du « knowledge management »…

Concrètement, les documents ainsi stockés comprennent majoritairement des choses telles que :

- des informations banales, que l’on peut trouver dans le domaine public, absolument pas différenciantes sur les compétences ou les savoirs de l’entreprise. Par exemple, des rudiments d’analyse financière ou stratégique, alors que de bonnes lectures achetées en librairie apporteraient bien plus de savoir. Pire, ces documents soi disant de synthèse sont du genre « la stratégie pour les nuls », et d’aucune utilité pour mener un travail sérieux d’analyse ou de projet ;

- des copies de documents et rapports remis à des clients : là, il s’agit souvent de documents qui ont été remis avec des commentaires oraux, et dans un contexte professionnel, qu’il est indispensable de connaître pour comprendre vraiment ce document. Résultat : ces documents donnent bonne conscience à ceux qui les ont déposés avec amour sur la base partagée, et au chef de projet « knowledge management », mais, objectivement, on ne s’en sert jamais. Où alors, on s’en sert pour téléphoner à celui qui l’a produit et lui demander de nous en parler .Et qui n’a pas trop le temps pour ça : « lis déjà le document, et puis un autre… » … »Merci, robert, je vais aller voir sur Google, ça ira aussi vite.. ».

- des informations pratiques sur les procédures de l’entreprise : comment remplir ma note de frais ? comment demander des congés ? où se trouve le service médical ? Oui, là c’est super utile, enfin , quand on arrive, parce que après, on sait tout ça par cœur. Il y aussi toute la série des « méthodologies », de « gestion de projet », d’ »analyse de marché », etc…qui n’ont d’originales que leur nom rigolo ; sinon tout le monde a les mêmes, et on se permet de ne pas les suivre trop à la lettre.

En fait si on considère que le vrai bénéfice des systèmes organisés d’échanges de savoirs porte sur les contenus correspondant à ce qui est vraiment distinctif, ultra compétitif, dans l’entreprise (ce qui fera que ce savoir, diffusé à tous, fera de l’entreprise un super champion), et bien on n’a pas grand-chose. Les informations banalisées et les informations pratiques, propriété de l’entreprise mais pas distinctives (pas facile de gagner des parts de marchés grâce à sa procédure de note de frais, ou même sa méthodologie « gestion de projet »..), constituent sinon la totalité, l’essentiel.

Pourtant, les esprits les plus éclairés n’arrêtent pas de nous dire combien les entreprises et leurs employés seraient formidables si toutes les intelligences et tous les savoirs voulaient se donner la main pour constituer une ronde de la connaissance autour du monde. Comme cela serait beau à voir, mignon à écouter, …

Lowell L.Bryan et Claudia I.Joyce, deux consultants de New York, ont sorti un ouvrage l’année dernière, « mobilizing minds – creating wealth from talent in the 21st-century organization », visant, selon une démarche proche de celle de Gary Hamel, à imaginer des processus d’organisation innovants pour les entreprises d’aujourd’hui.

Alors que Gary Hamel se focalise plutôt sur le management, ces deux auteurs adressent plutôt l’organisation. Bien qu’ils aient tous deux dans les pattes des décennies de consulting, ils nous préviennent : les idées innovantes de leur ouvrage n’ont pas encore été mises en œuvre ; cela reste à faire. C’est donc un livre de « management fiction »…Ils apportent les idées et la théorie, au lecteur d'imaginer la pratique. Ce qui ne semble pas toujours facile.

Parmi les chapitres, il y en a un sur ce qu’ils appellent « knowledge marketplaces ». Cela consiste à créer dans l’entreprise une place d’échanges de savoirs organisée comme un marché.

A lire le chapitre, il est facile de laisser courir son imagination pour concevoir ce type de places.

Comme tout marché, il y a d’abord besoin d’ »objets valables à échanger ». Cet « objet » sera qualifié de valable par l’acheteur, qui y verra une façon d’acquérir une information utile et différenciante plus vite, et moins coûteux en recherche, que par un autre moyen. Pour cela, il va falloir, non pas charger n’importe quel document sans commentaires, mais au contraire produire, pour le « vendeur », un document spécifiquement destiné à cet échange de savoir, un peu comme un article de « blog » ou pour wikipedia . On imagine bien que, déjà, cette notion de « objet valable à échanger » dans l’entreprise nécessiterait une véritable analyse, pas si facile que ça à conduire, tant la pratique usuelle consiste plutôt à stocker tout et n’importe quoi, comme un écureuil.

Autre composant important pour le marché : un mécanisme de prix. Il faut que les auteurs, apporteurs de savoirs différenciants, soient motivés par l’échange, et reçoivent donc un « prix » pour cet échange. Normalement, le prix principal est la réputation, la fierté, qui accompagnera cet échange pour lui. Cela suppose donc que les « objets » soient signés. Mais il est possible d’aller plus loin, en mettant en place des systèmes qui vont permettre aux meilleurs approvisionneurs de savoirs, ceux qui sont les plus demandés, de bénéficier de meilleures appréciations de leur performance dans l’entreprise, voire de bonus financiers résultant de la réalité des échanges, et de la satisfaction des « acheteurs » (ça fait penser à e-bay avec ses indices de confiance). Dans ce système, c’est l’entreprise, en tant qu’institution, qui bénéficie globalement de cette « ronde des savoirs » qui paye le prix, et non les « acheteurs ».

Pour compléter notre marché, il faut ajouter un autre ingrédient : un mécanisme de régulation. Il va falloir une infrastructure pour les échanges, une agora électronique. Il faut aussi pouvoir identifier les « experts » qui procureront la meilleure information et le meilleur savoir par rapport à notre recherche. Là encore, on peut s’inspirer, pour construire le référencement des experts, au système des « tags » sur internet et dans nos blogs.

On peut ajouter des standards pour mettre en forme et échanger les savoirs. Là, ça dépend de notre conception du marché, plutôt libéral, ou plutôt très régulé(comme en Chine, ou en France, où l'on n'est finalement pas si libéral que ça; on aime bien l'interventionnisme de l'Etat)…

Enfin, pour qu’un marché fonctionne bien, il faut de la compétition. L’efficacité de la « knowledge marketplace » va dépendre de la capacité à diffuser le plus largement possible dans l’entreprise les savoirs et connaissances les plus distinctifs et différenciant pour la performance de l’entreprise sur ses marchés. Mais, comme les « acheteurs » peuvent aussi trouver de nombreuses informations par de nombreux autres moyens, il va falloir que la « knowledge marketplace » délivre vraiment de bons produits. Pour qu’un marché délivre de bons produits, le marché ne connaît qu'une réponse : la compétition, la concurrence (et non l’économie planifiée comme l’a crû Staline, et comme le croient encore les fervents de la centralisation).

Il faut donc que les « producteurs de savoirs » soient motivés pour produire les contenus de la meilleure qualité possible. L’entreprise va dons créer un mécanisme pour récompenser et mettre en évidence les contributeurs les plus talentueux et les plus pertinents. Cela peut passer par une évaluation par des experts ou le senior management, ou bien par la popularité (mesurée par le nombre de téléchargements ou de consultations, ou des notes de satisfaction exprimées par les acheteurs).

Autre ingrédient : des « market facilitators » . Ce sont les « insiders » de la marketplace, ceux qui en connaissent les fonctionnements secrets et invisibles, et font constamment progresser le système avec des idées nouvelles…Ces facilitateurs vont aussi s’assurer, par exemple, que les objets ont les bons tags, les bonnes descriptions. Ils ne sont pas des « vendeurs » ou « acheteurs » du système, mais plutôt des experts en fluidité de son fonctionnement. Là encore, comme les brokers ou intermédiaires sur un marché boursier.

En fait pour faire marcher la ronde des savoirs dans l’entreprise il suffirait de s’inspirer de qui marche sur internet, e-bay, google,et sur les marchés, les plus libéraux possibles.

On avait déjà vu les dirigeants d'IBM comparer l'entreprise à un jeu vidéo collaboratif (ICI).

Maintenant on est dans le marché des savoirs comme wikipédia...

Reste à confronter tout ça à l’épreuve du feu.

Qui veut jouer le premier ?


Qui s'occupe de Télémaque ?

Telemachus_and_mentor_white Oui, l'Odyssée, Ulysse, on connaît l'histoire...

Lorsqu'il s'est absenté pour la guerre de Troie, Ulysse s'est adressé à un ami de confiance pour s'occuper de l'éducation de son fils Télémaque.

Comment s'appelait cet ami de confiance ?

Mentor.

Et c'est de là que vient cette expression de mentor, qui représente un personnage qui nous guide, qui nous fait grandir, et que l'on admire dans sa vie personnelle ou professionnelle.

Malheureusement, dans nos entreprises, les Télémaques manquent de mentors...et ceux qui devraient avoir ce rôle ont oublié leurs responsabilités.

Si l'on demande à un manager ayant passé la quarantaine, on trouvera facilement une référence à quelqu'un qui les a aidé à réussir, à s'élever dans l'entreprise.

Par contre, essayons le même exercice sur les plus jeunes collaborateurs, et l'on constate souvent que cette figure n'existe pas.

C'est vrai que dans l'entreprise, pour progresser, on pense qu'il faut d'abord être un bon développeur du business, notamment dans les entreprises de services professionnels (conseil, audit, informatique,..), alors que les talents de mentor ne paraissent pas prépondérants. Et puis, lorque l'on est concentré sur le développement de son entreprise, on pense d'abord à trouver des clients, faire des affaires, mieux gérer la rentabilité. S'occuper de Télémaque, ça ne paraît pas aussi décisif. Aprés tout , les collaborateurs n'ont qu'à suivre et la fermer; si ils ne sont pas contents, qu'ils aillent voir ailleurs...

Pourtant, dans un univers d'hypercompétition, où les entreprises se ressemblent de plus en plus en termes d'offres, de positionnement, et de prix, que reste-t-il pour faire la différence ?

Thomas J.Delong, John J.Gabarro et Robert J.Lees sont catégoriques dans un article paru dans HBR de janvier 2008 : ce qui fait la différence, ce sont les capacités de "mentoring" des leaders et managers.

Savoir s'occuper des collaborateurs, les faire rêver, leur donner envie de devenir comme leurs chefs, voilà des secrets pour garder les talents, maintenir une bonne ambiance dans l'entreprise, et faire que chacun des collaborateurs se sente comme un "protégé". Les auteurs se concentrent sur les entreprises de services professionnels, mais leurs observations valent pour de nombreux contextes, car, finalement, tous les services et départements de nos entreprises, notamment les fonctions transverses, ne sont ils pas des "entreprises de services professionnels", au service de leurs clients "internes", et les mêmes besoins de fidéliser les collaborateurs talentueux.

Oui, mais voilà, on fait comment pour doter son entreprise, ou son service, de ces qualités de mentoring qui feront la différence ?

Ce que l'on retient des auteurs, c'est d'abord qu'il serait complètement innefficace d'imaginer de bâtir un système standardisé de mentoring, comme essayent de le faire certaines firmes. Tout ce qui ressemble à quelque chose de packagé, d'impersonnel, fera fuir les collaborateurs. Au contraire, ils seront sensibles à des approches personnalisées, à des feedbacks sincères, et assez fréquents, de la part de leur mentor direct.

Deuxième principe important : il serait absurde de croire que ces efforts de mentoring sont réservés aux top collaborateurs, ceux que l'on appelle les "A players", les meilleurs, et que pour les autres il n'est pas nécessaire de trop se casser la tête.

C'est exactement l'inverse : ces top guns sont, par nature, les minoritaires. Par contre la plupart des collaborateurs sont ce que l'on appelle les "solid citizens", les bons soldats. Ils représentent peut être 70% des employés. Ils ont tendance à rester plus longtemps dans l'entreprise, à être plus fidèles. Ils sont de fait un peu la mémoire de l'entreprise. Ils sont aussi ceux qui ont envie de réussir, qui sont consciencieux et persévérants dans l'effort.De plus, ils vont être sensibles à un minimum d'attention et de mentoring, et non hyper exigents comme des primas donnas (voir ICI).

Et puis, cette histoire de "mentoring", cela marche dans les deux sens : pour le collaborateur qui souhaite un mentor qui l'aide à grandir, il ne suffit pas d'attendre qu'il se présente en face de lui. Il faut au contraire gérer son propre parcours, son propre comportement, comme son entreprise personnelle ("Moi S.A"), et trés tôt identifier quels son nos alliés, notre réseau interne et externe, les personnes avec qui on se sent bien, qui nous aident, et favoriser tous les contacts avec eux.

En fait, s'occuper sérieusement, et avec des principes efficaces, de "mentoring", c'est travailler pour développer le capital immatériel de son entreprise. Ce capital immatériel, c'est celui qui fait la différence sur les marchés, notamment dans les activités de services.

Alors, pour être un bon mentor, les auteurs nous donnent 7 règles de comportement qu'il est bien utile de garder en tête . Un bon mentor est celui qui :

1. est quelqu'un d'absolument crédible dont l'intégrité transcende le message, qu'il soit positif ou négatif;

2. vous dit des choses que vous n'avez peut être pas envie d'entendre, mais vous laisse avec le sentiment que vous avez été écouté;

3. interagit avec vous d'une façon qui vous donne envie d'être meilleur;

4. vous fait vous sentir suffisamment en sécurité pour avoir envie de prendre des risques;

5. vous donne la confiance pour dépasser vos doutes et vos peurs;

6. encourage vos tentatives pour vous fixer à vous-même des objectifs ambitieux;

7. vous fait percevoir des opportunités et des challenges élevés que vous n'auriez pas identifiés tout seul.

De bons conseils à recouper avec ceux de David Maister pour mieux élever les juniors.

Oui, s'occuper de nos Télémaques, et être ce mentor aux 7 vertus, ce n'est pas une activité en plus pour les leaders et managers, c'est une condition de survie et d'excellence, pour le leader et pour l'entreprise.

La guerre de Troie, la guerre des talents, a commencé depuis longtemps...et va continuer...

Bonne Odyssée....


Conquête de style

Voilier Quand on parle de performance pour un manager ou un cadre, on parle souvent de compétence.

C'est vrai que celui qui démarre sa vie professionnelle, sortant de ses études supèrieures, va spontanément se mouler dans ce modèle où, pour progresser, il faut acquérir des compétences, de l'expérience, et, pour être bien évalué et reconnu (promu), fournir des résultats qui attesteront de cette compétence.

Pour avancer dans cette progression, il va s'efforcer de reproduire les modèles existants, et d'apprendre de ses managers les bonnes pratiques, ce qu'il faut bien faire pour être performant. Il va, si il est chanceux, ou opportuniste, se trouver un mentor, celui qui lui apprendra vraiment, qui lui transmettra son expérience.

Et puis, il va arriver un moment où ce système de performance et de réussite va plafonner, vers 35 ans, selon certains, même si l'âge n'est pas le seul critère.

Pour que la progression continue, il va falloir que le manager trouve son propre style d'efficacité, qu'il lâche les modèles pour exprimer sa propre façon de faire, de manager, de conduire ses collaborateurs.

Certains, on en connaît tous, n'y arrivent jamais, et deviennent avec l'âge des experts vieillissants, que l'on va écouter de moins en moins, et qui vont s'acheminer vers une carrière de pré-retraité languissant et pathétique.

Deux variantes à ce destin :

- ceux qui vont continuer à croire que pour réussir et être plus performant, il faut toujours en faire plus et se fixer des défis de plus en plus grands : le vendeur qui vendait 100 par an se fixe de passer à 200, puis à 300. Dans cette vie professionnelle rythmée par des chiffres de plus en plus gros, le manager se met en sur régime, oubliant sa santé, mentale comme physique, et se précipite vers l'accident...entraînant parfois ses collaborateurs, qu'il tyranise, dans sa chute certaine.

- et puis il y a, à l'inverse, ceux qui se mettent à considérer que leur vie personnelle devient plus importante que la performance professionnelle, et qui vont baisser leur envie de défi, qui vont se donner comme priorité de maîtriser leur vie. Conséquence sur leur activité professionnelle : une certaine langueur, de la molesse, de l'ennui. Ce sont ces managers qui vivent leur temps au travail de façon inerte, qui rêvent des parties de pêche qu'ils feront quand ils seront à retraite, qui déclinent en performance, et que les entreprises vont garder sur les bras ou dans un placard en attendant que cela finisse.

Bien sûr, il y a une voie médiane, celle que l'on pourrait appeler la "performance durable", qui évite, passé 35 ans, le piège du sur-régime stressant et le piège du sous régime et de l'inertie.

C'est ce que Meryem Le Saget appelle "la conquête du style" dans un ouvrage un peu ancien, mais toujours intéressant, "le manager intuitif".

Pour trouver son style personnel d'efficacité, conquérir son style propre, et poursuivre sa trajectoire professionnelle sur un trend de "performance durable", elle nous donne quatre conseils, qu'elle est allé chercher auprés d'auteurs divers, mais synthétise avec talent :

1.Retrouver son rythme

Jusqu'à un certain âge, le carburant principal de l'activité professionnelle, c'est l'énergie. et la capacité que l'on a de récupérer aprés des pèriodes de travail intense ou de stress. Les problèmes surgissent quand les résultats sont de moins en moins satisfaisants, que les périodes de fatigue sont plus fréquentes, ou quand la première semaine de vacances consiste à "récupérer"...

Retrouver son rythme, c'est reprendre contact avec soi-même, avec nos rythmes biologiques, retrouver le plaisir des gestes simples :prendre un café avec un ami, regarder autour de soi sans but précis, juste pour le plaisir,...à chacun ses expériences...et son style.

On reconnaît facilement ces personnes qui dégagent de la sérénité, qui inspirent confiance et adhésion, qui ont une forme d'élégance dans l'action. On les reconnaît d'autant mieux quand on les compare à ceux qui sont tout le temps excités, agressifs, autoritaires, sous tension, et à qui on n'aimerait pas ressembler.

2. Jauger son impact personnel

Evaluer sa propre performance au regard d'une succession de chiffres (les ventes, la productivité,...), conduit à un certain abrutissement et au risque de lassitude. Jauger son impact personnel, c'est prendre le recul pour connaître sa responsabilitén redonner du sens à son action. Elever sa performance durablement, c'est prendre cette hauteur, élever son niveau de responsabilité, et non seulement atteindre des "targets" qu'on ne comprend pas.

Cet exercice est personnel, mais il est aussi collectif, car ce sont les équipes, collectivement, qui doivent prendre une telle hauteur.

3. Reconnaître ses points forts

Il s'agit là de reconnaître, d'identifier, ses "qualités fondamentales", celles qui nous rendent authentique, vrai. On ne parle pas là de cette fausse modestie, où l'on va rejeter toute appréciation positive venue des autres, en pensant qu'ils se trompent, ou qu'ils exagèrent. Non, ces "qualités fondamentales" ce sont celles que l'on a identifiées en soi, que l'on respecte, qui nous accompagnent dans notre progression. Elles sont présentes d'abord dans notre vie sociale, notre vie privée, et les amener comme une matière vivante pour nourrir notre vie professionnelle va donner ce style. Il vaut mieux cette nourriture que de se nourrir, inconsciemment, des névroses des autres et des pathologies de son patron.Ces qualités personnelles et fondamentales vont donner la puissance qui permettra à l'embarcation de garder sa force et sa sérénité contre vents et marées.

4. Se libérer du passé

Se libérer du passé, c'est remettre en cause toutes les croyances, tous les modèles ou habitudes. C'est prendre conscience de manies qui ne constituent pas des traits de notre vraie personnalité mais au contraire la baillonnent. Croire que quand on dit du bien de moi c'est qu'on cherche à me manipuler, voilà un bon exemple de ces poisons, qui viennent d'une histoire personnelle, peut être de l'enfance, et qui vont miner tout développement professionnel (personnel aussi).

Se libérer , c'est porter un regard neuf sur ce qui nous entoure et ce que Meryem appelle "le supermarché des images", c'est à dire toutes les projections des gens qui nous entourent, et viennent s'ingérer dans notre vie.

Ces quatre conseils bien précieux, ce sont, selon l'auteur, les clés de la Haute Performance, c'est à dire de la vraie performance, celle qui nourrit et développe l'individu, tant d'un point de vue professionnel que personnel. C'est à une réconciliation entre la vie personnelle et ce que l'on appelle "le travail" que nous appelle l'auteur.

Le travail et la performance de l'entreprise ne sont pas synonymes de stress et de maladie; la conquête du style comme facteur d'excellence le démontre.

A l'heure où l'on pose dans les entreprises le problème du goût pour le travail, et du travail des seniors, ces questions ne sont pas innocentes : c'est en posant bien avant, pour l'entreprise et pour soi-même, de nouvelles bases pour la performance, que l'on répondra. Et non en limitant la vie de l'entreprise et le pilotage de sa performance personnelle à des "targets" toujours plus ambitieux, des compétitions de chiffres, et des jeux de pouvoirs stériles.


Bling-bling

Liljon_2 C'est une expression pas si nouvelle que ça, mais qui est revenue dans l'actualité récemment.

Le Monde daté de dimanche 17 février nous en retrace l'origine.

Cette expression : Bling-Bling...

Cela correspond au bruit des chaines en or qui s'entrechoquent : bling-bling..

Et pourquoi elles s'entrechoquent : parce que c'est la mode vestimentaire et accessoires des rappeurs du sud des Etats Unis: chronomètres géants à pendre au cou, bracelets longs comme des bras, dentitions en or, chaîne en or comme celle de Lil'Jon (photo), avec un pendentif de 2,32 kg d'or et de diamants...C'est la mode Crunk (crazy et drunk)...

Mais c'est aussi une expression dans l'air du temps depuis les titres des médias sur Nicolas Sarkozy comme "Président bling-bling", avec sa rolex, ses ray-ban,ses yachts,etc..Et là, ça fait encore plus mal que les chaînes en or qui s'entrechoquent....

Bling-Bling, c'est le symbole de ce qui brille, qui attire, les marques, la frime. Le luxe du plouc...

Un "historien" du rap, David O'Neill, précise que :

" Le bling-bling est souvent un moyen de détourner l'attention de la réalité; il suffit de quelques centaines d'euros de chaînes en or pour renvoyer au monde entier une image de considérable opulence, alors qu'on vit dans la misère".

Cela donne une impression de frime et de toc , cette histoire de bling-bling

Alors, puisque c'est tendance, on peut se demander si l'entreprise, elle aussi, ne risque pas de devenir bling-bling...

Car avec la guerre des talents, pour attirer les cadres et diplômés, elle va peut-être aussi se lancer là-dedans ...

Publicis Consultants a fait une enquête sur ce qui attire les cadres vers les entreprises, ainsi que sur l'image des entreprises. (Les Echos en rapportent les conclusions dans le numéro de vendredi 15 février).

Celles où les cadres ont envie de travailler : Air France, Veolia Environnement, LVMH .

Celles qui ont la meilleure image, ce ne sont pas toujours les mêmes : Michelin, L'Oréal, LVMH.

Et celles où l'on n'a pas envie d'aller : La Poste, RATP, SNCF...Celles-là, elles ne sont pas trés bling-bling, c'est le moins qu'on puisse dire.

Et Publicis de rechercher alors les origines de ces classements . Car, bien sûr, toutes les entreprises qui cherchent les talents vont vouloir trouver les bonnes stratégies pour figurer dans un tel classement.

Parmi les critères qui font renoncer à rejoindre une entreprise, ils ont trouvé :

- la mauvaise qualité du management (65%),

- la mauvaise qualité de la politique Ressources Humaines (58%).

Pa facile à déceler ce critères, non ? Car on se demande bien comment les cadres candidats vont évaluer de tels critères de l'extérieur, au vu des entretiens passés, ou de ce qu'ils lisent sur l'entreprise...

Et l'on voit bien tout le bling-bling qui peut germer pour essayer de répondre à ces critères de façon un peu "communication"..Comment on peut essayer de donner une image hyper sympa de la qualité du management ou de la politique Ressources Humaines.

"Chez nous, il y a un beau campus, et des salles de sport", et on distribue des M&Ms le mercredi,comme ICI. Rien à dire à cela, mais attention à ce que cela soit cohérent avec le reste.

Paul-Marie Chaumont, directeur des études de Publicis Consultants, le fait d'ailleurs remarquer :

"Le point commun entre la plupart des entreprises de tête, c'est la cohérence entre leurs vertus internes et leurs discours externes. Elles ont su asseoir leur image par des stratégies de recrutement et de communication maintenues dans la durée, quand d'autres tombaient dans le "stop and go"..".

Mais on peut aussi craindre, ou suspecter, que certains auront envie de faire un peu de frime de communication, pour attirer le chaland, sans pour autant changer grand chose dans le management proprement dit.

Et avec cette expression d'une cruauté trés efficace, qui porte déjà un sacré coup au Président de la République, on va disposer de quoi porter un doigt accusateur contre toutes ces pratiques.

Oui, il va falloir se méfier de cette "expression dans l'air du temps", qui viendra traquer "ceux qui essayent de détourner l'attention de la réalité"...

Je ne sais pas si le mal a déjà commencé, mais je parie qu'on va connaître bientôt les "entreprises bling-bling"...l'expression est trop belle...

Et toute la question va alors être, pour celles qui veulent y échapper,  de mener des politiques intelligentes et crédibles de gestion des talents sans tomber dans ce risque.