Pourquoi les oiseaux s'envolent-t-ils ?

Bird2 En ce moment, avec la "crise", il paraît que les salariés, et les consultants n'échappent pas à la règle, restent au chaud, et songent un peu moins à quitter leur entreprise. Pourtant,  il en reste qui bougent, et pas forcément les plus mauvais. Et heureusement pour les entreprises qui les recrutent, les talents circulent d'une entreprise à l'autre.

D'où la question : pourquoi ces oiseaux s'envolent-t-ils ?

Nevin Danielson, qui a aussi un blog,  traite le sujet dans un des derniers "Manifesto" de "Change This".

Pour s'envoler, il peut y avoir de mauvaises raisons, ou des raisons mal explicitées.

En effet, quitter une entreprise pour en chercher une autre, avec l'espoir de trouver une meilleure situation aprés qu'avant, c'est d'abord être vraiment capable d'identifier cet endroit meilleur : à distance, tout semble parfois meilleur (comme on dit "on trouve l'herbe plus verte dans le pré d'à côté"). Le risque existe, avec une telle stratégie, de faire de sa vie professionnelle une succession de rapides "lunes de miel", suivies de plusieurs années de déceptions et de frustrations, où l'on n'aime finalement pas plus son nouveau job que le précédent; il est fréquent de retrouver, d'une entreprise à l'autre, les mêmes problèmes qui nous ont fait partir de l'emploi précédent. Ainsi, ce jeune collaborateur qui part parce qu'il n'aime pas le style d'encadrement de ses chefs, va se retrouver, dans sa nouvelle entreprise, avec de nouveaux chefs qui adoptent exactement le même style d'encadrement qu'il n'aimait pas, jusqu'à ce qu'il se rende compte qu'il fait aussi partie du problème (d'où l'expression "le léopard voyage avec ses taches").

Chercher un nouveau cadre pour fuir un autre, c'est se renforcer dans la conviction qu'il y a toujours quelqu'un d'autre qui est repsonsable de nos malheurs et problèmes, ou de nos satisfactions : le salarié s'imagine, dans cette posture, être une sorte de consommateur qui cherche le bon produit, mais qui finalement laisse aux autres tout ce qui concerne la fabrication du produit. Cela renforce un sentiment de non engagement, de retrait par rapport à l'entreprise, que l'on considère comme immuable, dont la possibilité qu'elle change, voire même que le salarié en question puisse d'une façon ou d'une autre contribuer au changement, n'est même pas imaginé : c'est l'attitude qui consiste à entrer dans l'entreprise, à se dire "j'aime", ou "j'aime pas", et à changer d'endroit quand on s'est convaincu de "j'aime pas" ou "j'aime plus", sans trop savoir ce qui va se passer ensuite. Cas typique des brillants diplômés des meilleures écoles, qui vivent sans implication et sans passion leur carrière, comme des adolescents qui se répètent "je sais pas quoi faire"...

Pour l'entreprise qui accueille ce candidat à l'envol chargé de telles raisons, c'est souvent un danger de les recruter, car, en tant que nouvel employeur, on risque fort de subir tous les déboires qu'a connu ce collaborateur avec son ou ses employeurs précédents. Déceler ces symptômes lors d'un entretien, c'est souvent le signe qu'il vaut mieux ne pas embaucher ce candidat.

Comme le dit Nevin Danielson, " Nous choisissons souvent de nous envoler trop vite".

Car ce qui va donner de l'alure à cet oiseau qui s'envole, c'est précisément la combativité, l'envie de changer les choses, l'ambition de porter un projet personnel qui lui fera faire un long voyage plein de succés et de satisfaction. Et aprés s'être battu dans une entreprise, avoir appris, avoir grandi et mûri, rechercher de nouveaux défis, toujours plus haut.

Voilà le projet positif que le nouvel employeur est prêt à accueillir. Et l'employeur précédent verra peut-être aussi partir avec fierté ce bel oiseau qu'il aura aidé à faire grandir, et qui portera chez d'autres la valeur de l'éducation qu'il lui aura prodigué. De nombreuses entreprises développent ainsi des réseaux "d'alumnis" qui constituent ainsi une grande famille qui s'entr'aide et se reconnaît. Les meilleurs cabinets de conseil l'ont bien compris, qui trouvent souvent dans ce réseau d'anciens, passés dans des postes opérationnels dans les entreprises, leurs meilleurs clients.

Malheureusement, de nombreuses entreprises ont oublié de mettre dans leurs objectifs stratégiques de faire l'éducation des oiseaux, et notamment des plus jeunes. Il suffit d'écouter le récit des "tranches de vie" de certains de ces oiseaux, qui atterrissent pour un entretien en face de vous (cela m'arrive souvent en ce moment), pour se convaincre des drôles de pratiques de certains, et peut-être plus encore en ce moment, où les difficultés économiques s'accompagnent, ou justifient, lâchetés et mensonges de la part des managers et dirigeants.

Car la pire façon de faire s'envoler les oiseaux que vous managez, c'est de leur faire peur au point qu'il vous haïssent.

Si vous n'avez pas peur des films d'horreur lisez cet article de Adam Kleinberg sur les "sept raisons qui font que vos employés vous détestent".

Vos employés vous détestent parce que :

- vous ne les laissez pas seuls : vous êtes tout le temps sur leur dos à tout contrôler,

- vous les laissez seuls : pas de feddback, pas de merci, pas de conseils; "tais toi et rame"..

- vous êtes un "Twit" : comme les accros de "Twitter", vous racontez à tout le monde des choses que les collaborateurs vous ont confiées et qu'ils auraient aimé que vous traitiez avec discrétion...

- vous prenez des engagements sans vérifier leur faisabilité par vos collaborateurs: vous promettez et ne pouvez pas tenir; vous promettez l'impossible aux clients, au super boss, et vos collaborateurs ne peuvent pas suivre; ils n'en peuvent plus...ils vous haïssent..

- vous ne respectez pas vos propres règles : vous parlez règles, procédures, process, mais ne les appliquez pas à vous-même; vous manquez...ils vous détestent.

- vous mentez : vous promettez à vos collaborateurs de faire quelque chose, et vous ne le faites pas : menteur ! ...ils vous détestent.

- vous les terrorisez : comme les chiens de Pavlov, vos collaborateurs ont appris que, lorsque vous leur demandez de venir vous voir, ou vous apprêtez à leur parler, c'est pour les engueuler; et donc, avant même que vous ne commenciez, ils ont peur; ils attendent l'orage. Ils baissent la tête; ils tremblent....Ils vous haïssent...

Pas facile d'être un bon oiseleur...comme Papageno (Mozart - "La flûte enchantée")


Culture de discipline : le secret des stars

Discipline Dans le livre de Jim Collins sur les cinq étapes du déclin, "How the mighty fall", il y a un chapitre "bonus" qui redonne espoir , c'est une étape de " Recovery and Renewal", c'est à dire, l'étape où l'on retourne la tendance, où l'on sauve la mise. Même si les chiffres et le carnet de commandes sont en train de plonger, il reste toujours de l'espoir, même si l'on a touché l'étape 4..

On en retient que le rebond, comme le déclin, ne dépend pas, prioritairement, de la conjoncture, des autres, ou de la chance; il dépend de nous-mêmes. Et ce que nous devons exiger de nous-mêmes et des collaborateurs de l'entreprise, c'est tout simplement ....de la discipline. Et il a même conçu un test permettant d'autoévaluer cette qualité pour sa propre entreprise.

Jim Collins parle d'une "culture de la discipline" comme un des éléments clés.

Cette culture, c'est celle de personnes qui engagent librement les actions, qui prennent des risques, mais dans un cadre de responsabilité : les collaborateurs et managers qui adhèrent à cette culture de la discipline ne parlent pas de leur "job" ou de leur "poste" ou "fonction", ils parlent de leurs "responsabilités".

Cela a l'air tout simple, mais faites le test autour de vous : quand vous leur demandez ce qu'ils font dans leur entreprise, combien vous parlent de leurs "responsabilités" et combien vous parlent de leur "job" ? Vous comprendrez alors combien il est rare de trouver spontanément dans les entreprises cette culture de la discipline.

Dans "Good to great", Jim Collins y voit la différence entre une start-up et une grande (great) organisation : la start-up est une culture d'entrepreneurs avec une faible culture de discipline; la "great organization" est une culture d'entrepreneur AVEC une culture de la discipline.

Ces personnes, ce sont par exemple ces chefs de magasins qui ont la responsabilité ultime du bon fonctionnement de leur magasin, qui s'en sentent responsables, et qui prennent toutes les bonnes décisions, à leur niveau, dans le respect naturel d'un cadre de l'entreprise auquel chacun adhère.

Pour y parvenir, il ne s'agit pas de mettre en place des systèmes de contrôle et de sanctions pour mettre tout le monde au pas; non, il s'agit surtout d'embaucher et de mettre aux postes correspondants les bonnes personnes, c'est à dire des personnes qui possèdent par elles-mêmes ce sens, cette culture de la discipline et des les faire travailler ensemble; vous obtenez alors des miracles.

Ces personnes bien choisies, aux bonnes places, sauront alors analyser les faits, sans se mentir, et face aux faits brutaux, prendre les bonnes décisions; parce que cette culture de la discipline, c'est aussi celle qui nous fait prendre la bonne évaluation des situations sans se raconter d'histoires, et oser prendre des risques, et repartir dans une nouvelle direction si l'on constate que l'on s'est trompé. C'est une discipline du courage.

Un manager témoigne de ce type de culture qu'il a apprise chez Abott et emmenée avec lui dans sa carrière professionnelle :

" Ce que j'ai appris chez Abott, c'est cette idée que, quand vous fixez vos objectifs pour l'année, vous les enregistrez concrètement. Vous pouvez changer vos plans au cours de l'année, mais vous ne changez jamais l'indicateur de mesure de votre réussite. Vous êtes rigoureux à la fin de l'année, adhérant exactement à ce que vous aviez dit qu'il arriverait. Vous n'avez aucune chance de pouvoir baratiner, broder, ou contourner, en tentant de justifier la non réussite, que vous n'aviez pas vraiment accepté cet objectif, en essayant de le réajuster pour faire apparâitre la performance réelle comme pas si mauvaise que ça (j'ai fait ce que j'ai pu). Vous ne vous concentrez pas sur ce que vous avez accompli cette année en valeur absolue, mais toujours en comparaison avec ce que vous aviez dit que vous accomplieriez, peu importe si cette comparaison est douloureuse. C'est la discipline que j'ai apprise chez Abott, et que j'ai emené avec moi dans mes autres jobs".

Ce que ne donne pas sur étagère Jim Collins, c'est précisément la méthode pour pouvoir installer une telle culture autour de soi. Nombreux sont les dirigeants qui aimeraient en bénéficier pour précisément faire ce "recovery and renewal" à leur entreprise. Tout reste affaire de dosage, entre contrôle et liberté.

Chez Abott, par exemple, selon Jim Collins, les coûts de structure ont été réduits au maximum, la responsabilisation de chacun sur ses engagements est particulièrement soignée.

A chacun de trouver les voies et moyens pour inculquer cette "culture de la disciplne" faite de responsabilité, de liberté, et de créativité.

La première étape consiste à se convaincre que l'on ne fera rien de "great" sans elle.

Cela vaut la peine d'y réfléchir si l'on veut vraiment être une star...


Le sens contre le contrat de travail

Souffrance Les Echos organisaient cette semaine une journée d'échanges et de témoignages, appelée pompeusement "Les Assises du Management"...

Le sujet est dans l'actualité : Gérer les hommes dans la tourmente.

Pas beaucoup d'idées nouvelles dans ces exposés. J'imagine que l'assistance, composée de nombreux représentants de la fonction "Ressources humaines" des entreprises ou d'organisations publiques (sans parler des spécimens de "consultants" toujours présents dans ce genre de trucs pour essayer d'y draguer de nouveaux clients), sont un peu restés sur leur faim.

La plupart des intervenants étaient des hommes; c'est pourtant le témoignage et le discours des femmes qui m'ont paru les plus intéressants.

Deux particulièrement.

Bénédicte Péronnin, Directeur Général de Legris Industries (entreprise qui s'est profondément transformée, et à carrément changé de métier, au gré des cessions et acquisitions ces dernières années), nous a parlé avec ardeur de sa conviction qu'il fallait que l'entreprise, et son dirigeant, doit, plus que jamais en période de tourmente, garder en tête le projet à long terme de l'entreprise, celui qui donne du sens à l'action. Alors, quelqu'un, un homme fier de lui, l'interpelle : "Oui, mais, aujourd'hui, on est dans la financiarisation, il n'y a plus que le cash qui compte; vous ne seriez pas un peu naïve, ma petite dame ?; c'est Dysney, votre truc.",...

Et la souriante Bénédicte ne se démonte pas : "Oui, ça fait un peu Alice au pays des merveilles, et bien je le revendique, j'aime bien être Alice au pays des merveilles qui revendique son envie de rêve et de vision pour l'entreprise que je dirige".

Ce sens qui donne du rêve et qui fait du bien à celui qui en parle comme à ceux qui l'écoutent, une autre intervenante en a parlé : Marie Pezé est psychanalyste et clinicienne, et reçoit en consultation à l'hôpital de Nanterre en "souffrance et travail", des personnes qui sont en souffrance à cause de leur travail. Elle a écrit rapports et livres sur ce sujet.

Philippe Escande, journaliste des Echos, l'interroge sur ce phénomène, et essaye de comprendre si c'est une caractéristique française ou mondiale.

Pour Marie Pezé, il y a une spécificité française là-dedans. On pourrait en effet se demander pourquoi des personnes dans un état de stress total, ressentant les rapports avec leur chef ou leurs collègues comme des situations de harcèlement insupportables (les anecdotes ne manquent pas, et les témoignages de Marie Pezé sont souvent effrayants et inquiétants), ne quittent pas ces entreprises pour se libérer d'une telle souffrance, et préfèrent rester et se détruire, pour finir gravement malades dans la consultation de Marie Pezé à l'hôpital.

Pour Marie Pezé, le coupable criminel, qui explique selon elle, que le sujet de la souffrance est particulièrement visible en France, c'est ...le contrat de travail.

Ce contrat de travail qui a valeur d'institution et de protection en France, devient une prison pour le salarié, qui a tellement peur de le perdre, de ne pas en retrouver un autre aussi protecteur, croît-il, qu'il supporte tout, y compris de souffrir, pour le garder. Le contrat de travail est la personnification du rapport de domination, introduit dans les relations entre les supérieurs et les employés des conflits, des situations où le chef se croit tout permis; où le salarié se perçoit lui-même comme un esclave qui doit tout supporter.Et qui va trouver des formes de rebellion ailleurs : par la violence, verbale, mais aussi physique, par la violence contre lui-même (voire jusqu'au suicide), par la violence contre l'outil de travail (Marie Pezé constate que les cas de destruction et de sabotages de l'outil de travail sont de plus en plus fréquents, et sont un signe trés inquiétant).

Elle nous a encouragé à prendre au sérieux ce sujet; à redonner du sens à ce que nous faisons dans nos entreprises (comme Bénédicte Alice au pays des merveilles !), à prendre le temps de faire circuler dans l'entreprise les marques de gratitude et de reconnaissance, qui ne coûtent rien : juste dire merci et bravo aux collaborateurs méritants; juste dédramatiser les erreurs et les non-performances (carlos Ghosn disait la même chose lorsqu'on l'interrogeait sur les suicides chez Renault).

Elle a appelé ça "faire un pas de côté", c'est à dire à prendre conscience que les relations agressives, les échanges chargés de violence dans les discussions entre les salariés et les dirigeants, tout ça peut faire chavirer les collaborateurs, et l'entreprise avec. Paradoxalement, ce ne sont pas les personnes dites les plus "fragiles" qui sont les plus vulnérables, mais au contraire ceux qui supportent tout, qui tiennent coûte que coûte, qui se donnent, comme on le dit "à fond dans leur boulot", et qui, d'un coup, peuvent tomber.

Oui, donner du sens dans l'entreprise, et au travail qui se fait à l'intérieur, c'est plus subtil que de rédiger des contrats de travail, et de se bagarrer pour obtenir des avantages, protéger ses droits, face aux sales patrons capitalistes. Finalement, à entendre Marie Pezé, ce sont les salariés eux-mêmes, excités par les syndicalistes, qui font leur propre malheur. Je ne sais pas si elle irait jusqu'à dire cela, mais cette désignation du contrat de travail comme coupable va vers cette conclusion.

Alors, j'entend bien les critiques possibles de ceux qui croient défendre les salariés en défendant le contrat de travail : et ho, mais si il n'y a pas de contrat de travail, c'est l'esclavage, la porte ouverte à toutes les turpitudes et excés des patrons,...heureusement qu'on a de quoi nous protéger, nous, salariés, etc...

Oui, bien sûr, mais les conséquences analysées par Marie Pezé font quand même réfléchir.

Et regardons ailleurs, aux Etat-Unis, où le contrat de travail est moins "protecteur", où on perd plus vite le droit au chômage : la mobilité des salriés est plus forte; la volonté forte de s'en sortir, de rebondir face à la crise, est plus intense; et c'est probablement cette dynamique qui va permettre à ce pays de s'en sortir plus vite, et avec plus d'innovation. Pendant que chez nous, ce sont les files d'attente dans le cabinet de consultation de Marie Pezé qui s'allongeront, et les phénomènes de violence (séquestration, sabotage de l'outil de travail) qui augmenteront.

Il est vraiment temps qu'Alice au pays des merveilles prenne la barre....


Le talent ne suffit pas

Artisan La guerre des talents, la gestion des talents, c'est la chanson à la mode des années 2000.

C'est Malcolm Gladwell qui avait noté que, il y a quelques années, des consultants de Mac Kinsey avaient consacré une enquête approfondie pour détecter ce qui fait la différence dans les entreprises performantes. Et ce qui ressort admirablement selon, c'est justement cette capacité à bien détecter et gérer les talents. Ce que l'on appelle "the talent mind-set"..

Là où l'histoire s'embrouille un peu c'est quand on prend connaissance, aujourd'hui (l'enquête date de quelques années) de l'entreprise qui est considérée comme la meilleure en gestion des talents. Tout le monde la connaît, mais pas forcément pour cette caractéristique; c'est...ENRON.

Il ne s'agit pas de conclure que c'est ce "talent mind-set" qui serait la cause de la faillite de Enron, mais on peut quand même observer que cette histoire de talent n'est pas complètement imparable. Voire que c'est justement parce que l'on fait trop confiance au "talent", qui permet tout, même de faire de grosses bêtises, du moment qu'on est génial...

Un autre auteur anglo-saxon, Richard Sennett, professeur à la London School of economics, vient de publier "The craftsman" (l'artisan), qui est une réflexion sur le travail. Il est interviewé par un journal hollandais, interview traduite dans le dernier numéro de "Courrier International", qui consacre un dossier à "aimez-vous travailler ?".

Dans cette interview, il nous explique combien il est souhaitable de réhabiliter le savoir faire, plutôt que le talent.

La citation est savoureuse :

" Le savoir-faire est démocratique. On peut l'apprendre, le talent ne suffit pas, il faut aussi de la patience, beaucoup de travail, de la routine et, comme on l'a dit, de l'expérience. C'est en contradiction avec la notion répandue actuellement selon laquelle le talent est une rareté et celui qui en est privé peut être licencié. Tout notre enseignement et nos entreprises sont imprégnés par l'idée que, sur vingt personnes, il faut trouver celle qui est exceptionnelle, les dix-neuf autres étant condamnées au royaume des ombres. Cette idée d'excellence n'est pas démocratique".

C'est nouveau cette petite musique...

Le "Talent Management" serait-il en train de passer de mode au profit du savoir-faire ?

A suivre...en lisant Richard Sennett...


Le langage des larmes

Larmes  Mercredi Rolando Villazon saluait avec effusion les spectateurs de "Werther" à l'Opéra Bastille, pour la dernière représentation à laquelle il participait.

Il exprimait enfin sa joie, après avoir gémi et s'être lamenté pendant plus de deux heures et demi sur scène.

J'y étais.

Werther, on connaît, c'est celui qui est jeune et en souffrances, d'aprés l'oeuvre de Goethe.

L'opéra de Massenet nous fait vivre ces souffrances, propices aux mélodies mélancoliques et à l'échange de larmes.

Car on pleure beaucoup dans cet opéra.

Werther est tombé amoureux de Charlotte dès qu'il l'a vue. Celle-ci, aînée de huit enfants du bailli, veuf, est le modèle de la grande soeur sympa et trés belle. Mais le hic, c'est qu'elle a promis à sa maman à sa mort d'épouser Albert, et donc pas de chance pour Werther.

Et c'est là que les souffrances de Werther commencent, et que nous allons y gagner des airs pleins de lamentations et de pleurs.

Il va s'éloigner, lui envoyer plein de lettres, et puis il revient, et les duos de pleurs recommencent.

Notamment un très chaud où ça finit par une étreinte; Charlotte ne veux pas avouer son amour, Werther en pleure de plus belle.

Joli duo ici (pas de la version de l'opéra Bastille, avec Susan Graham, fantastique, à la diction impeccable, alors que Rolando a un accent sud américain) dans une version de l'opéra de Nice de 2006.


Werther "Ah, ce premier baiser, mon rêve et mon envie ! Bonheur tant espéré qu'aujourd'hui j'entrevois! Il brûle sur ma lèvre encor innassouvie ce baiser.., ce baiser demandé pour la première fois."

Charlotte : " Ah, ma raison s'égare..."

Werther : " Tu m'aimes ! Tu m'aimes ! Tu m'aimes !"


La pression monte...


Charlotte : " Défendez moi Seigneur ! Défendez moi contre moi-même ! Défendez moi Seigneur, contre lui,...Défendez moi.."

Werther : " Viens ! Je t'aime ! Il n'est plus de remord...Car l'amour seul est vrai, c'est le mot, le mot divin !; Je t'aime ! Je t'aime ! Je t'aime !"


Pour finir, après l'étreinte, Charlotte, affolée : Ah ! Moi ! moi ! Dans ses bras !"


Merveilleux moment de cet opéra. (J'ai mieux aimé la mise en scène de l'Opéra Bastille, de Jürgen Rose produite par le Bayerische Staatsoper de Münich, toute de violence et de passion dans le jeu des chanteurs, mais Rolando est ici égal à lui-même, dans une mise en scène qui fait plus classique).


Et puis Charlotte s'enfuie; et Werther va se tuer, Charlotte accourant à son chevet pour le voir mourir sous ses yeux en lui criant, enfin, "Je t'aime"...

Et l'on pleure tous, devant ce merveilleux jeu d'émotions et de passions.

Dans le programme on trouve un texte tiré d'un livre de Anne Vincent-Buffault sur le "langage des larmes".

Elle rappelle combien ce langage des larmes, très à la mode au XVIIIème siècle, transmet les émotions au plus fort dans les romans de cette époque.

"A une époque où la présence du corps dans les romans est trés discrète, cette abondance sécrétoire, avec tout ce qu'elle a de convenu, permet de rendre charnelle la sensibilité des personnages, de donner au sentiment un aspect physique, qui palie au langage qui se dérobe, au plus fort d'une émotion qui ne se conçoit qu'à l'aide de ses manifestations extérieures".

L'auteur parle de "rhétorique des larmes", y voyant une forme spécifique de langage.

C'est vrai que "Werther" est bien un tel exercice de "rhétorique des larmes", et la sensibilité charnelle de Charlotte et de son amoureux déçu nous est transmise au plus intime, le chant et la musique venant ajouter à notre émotion.

Les larmes qu'échangent deux personnes, c'est une fusion qui remplace l'indécence, mais en disent plus sur l'intime. Elles nous plongent dans le coeur des protagonistes, elles sont l'expression du corps.

Pleurer c'est se mettre à nu.

C'est oser tout montrer, tout dire sans dire.

C'est vrai que dans le monde moderne, celui de nos entreprises, les larmes, on n'en voit pas trop souvent. Il il faut se montrer fort, ne rien dire sur soi.

Alors, quand les larmes surgissent dans ce genre d'enceinte, on se sent voyeur, incapable de réagir, car les émotions des autres et de soi-même, on ne sait comment en parler.

Elles matérialisent une économie de l'échange caractérisée par la profusion : on verse des "larmes de joie", on exprime ses émotions, ses peines, on dit sans parler, on crie en silence, on se sent obligé de répondre à un message de larmes :

" Il semblerait qu'on ne puisse laisser quelqu'un pleurer sans agir, c'est à dire sans se rapprocher de lui et tenir compte de ses larmes", comme le dit Anne Vincent-Buffault à propos des romans. Et les larmes dans la vie ressemblent souvent à un roman.

Les larmes quand elles expriment de belles émotions comme celles de Werther et Charlotte, elles nous communiquent tant.

Cet opéra de Massenet nous donne ainsi l'inspiration pour comprendre et sentir ce langage des larmes.,

Le langage des larmes, cet échange de fluides, permet de communiquer et de recevoir à des niveaux différents, plus subtils, car les mots que remplacent les larmes, bien que non exprimés, paraissent encore plus forts.

Nota : On peut encore voir cet opéra à Bastille les 22, 24 et 26 mars, dans la version pour baryton, avec Ludovic Tézier, qui faisait Albert mercredi dernier.


Le but du Management 2.0 : retour de l'humain

Humaine  Tout est 2.0 en ce moment, et ce depuis quelque temps. C'est comme si "2001, Odyssée de l'Espace", pour le management, on y était.

Oui, mais ça ressemble pas du tout à "2001, Odyssée de l'Espace" justement.

J'avais déjà parlé du dernier livre de Gary Hamel, "the future of management", qui s'est fait le gourou de ce management à la nouvelle mode.

Il remet ça dans un article de Harvard Business Review de Fevrier, en listant ce qu'il considère comme les 25 plus grands challenges du management.

En synthèse, il résume le tout par une formule simple :

"Le but du Management 2.0 est de rendre toute organisation aussi génialement humaine que l'est toute personne qui y travaille".

Cela demande un peu d'explication.

Depuis des décennies, le management, celui qu'on a appris dans les écoles de management, celui que les les consultants ont appris à "reengeneerer", ça consistait à mettre les process au carré, à contrôler, à organiser, à mettre de l'ordre, des procédures, des organigrammes, des responsabilités, des fiches de poste, des systèmes de contrôle de gestion, etc...

C'est à dire, pour faire court, à dompter les personnes humaines, dont la tendance naturelle, on le sait bien, c'est le bazar, le désordre, la créativité, etc...

Et ça a bien marché : la productivité s'est améliorée, les hiérarchies ont bien fonctionnées (enfin, presque, sauf parfois dans les salles de marché de certaines banques).

Aujourd'hui, bien sûr, il ne s'agit pas de remettre du désordre, de supprimer tout contrôle (surtout dans les banques en question).

Non, mais il s'agit, selon Gary Hamel, d'ajouter ce qui est bien dans l'humanité des personnes (et, par la même occasion, de lâcher quand même un peu les contrôles et les rigidités qui ne servent à rien).

"Car les êtres humains sont en général adaptables : regardons les milliers de gens qui traversent les frontières chaque jour pour trouver un nouveau travail, qui retournent à l'école pour acquérir de nouvelles compétences, et ceux qui changent de métier en milieu de carrière."

"Car les être humains sont innovants : chaque jour, des millions de gens postent des articles sur des blogs, inventent de nouvelles recettes de cuisine pour les repas de famille, écrivent des poèmes, redécorent leur maison".

"Car les êtres humains ont l'esprit de communauté, d'équipe :  prenons toutes les personnes que nous connaissons qui s'investissent dans des associations, font les courses pour aider une voisine âgée, etc..."

Alors, Gary Hamel se demande pourquoi nos entreprises, prises dans la course aux technologies, se sont tant éloignées de ces valeurs.

Alors que les théories du management d'hier allaient contre les tendances humaines naturelles, les besoins des entreprises et du management aujourd'hui sont exactement l'inverse : rendre l'entreprise, et ses collaborateurs, adaptables, innovants et avec l'esprit de communauté, c'est tout simplement remettre l'humain au coeur du management.

Rendre les organisations plus humaines, voilà un joli message pour carctériser le Management 2.0,, et facile à retenir.

Reste à trouver les changements et transformations à mettre en oeuvre, y compris dans les projets de restructurations, pour rendre tout ça réel.

On peut commencer par les 25 challenges de Gary Hamel, ICI, avec un questionnaire d'autoévaluation en ligne.


Le lion et l'antilope

Lion  Aprés la forme, le fond.

Dans cette plongée dans la machine à idées, j'ai pu observer et écouter les employés et experts rassemblés pour imaginer la marque Employeur de cette entreprise multinationale. La question était simple : "Comment faire de cette entreprise la plus admirée ?"..

Une remarque d'un expert interrogé m'a particulièrement marqué.

Les entreprises et les DRH croient que pour être admiré et avoir une marque employeur forte, il faut en faire un maximum : slogans, pubs, dire et redire combien on est génial, etc...

Pourtant, en faire trop ne donnera pas de vrai résultat.

En tant qu'employé, ceux que je vais écouter, et croire, en premier, pour savoir ce que peut m'apporter une entreprise, ce sont d'abord mes pairs, ceux de ma génération, mes amis, les amis de mes amis, qui travaillent dans cette entreprise.

Ce sont donc ces amis, ceux qui sont dans l'entreprise, qui sont les meilleurs "vendeurs" de l'entreprise et de sa "marque employeur". Et c'est donc le premier public à viser, avant toute forme de communication externe.

Mais il ne faut pas en faire trop car la relation entre l'employé et l'employeur, c'est celle du lion et de l'antilope. Il faut que le lion chasse pour avoir le plaisir de conquérir l'antilope. Il faut que le candidat soit comme ce lion, qu'il ait besoin de chasser pour avoir envie de cette antilope. Et non qu'il trouve celle-ci prête à être mangée sans effort.

Il faut donc que les candidats aient trés faim d'entrer dans l'entreprise, et qu'ils sentent que c'est difficile, qu'ils aient envie de la chasser. Il faut donc éviter, pour l'entreprise, de trop chasser les candidats; c'est l'inverse qui est bénéfique.

Il faut se faire rare, que l'entreprise soit "attractive" mais mas désespérée de vous..

Bien sûr, cela demande de savoir se faire comme cette antilope, avoir des caractéristiques visibles et convaincantes.

Alors, pour devenir un employeur de référence, ne nous trompons pas d'animal.

Soyons l'antilope qui excite les candidats lions, et non l'inverse...

Oui, cette machine à idées était pleine de bonnes idées, je vous l'ai déjà dit.


Machine à idées

Brainshaping J'ai participé cette semaine à un projet avec une "machine à idées" avec Brainstore.

Cette entreprise de jeunes propose à ses clients un process de "génération d'idées" selon un process structuré et particulièrement convaincant. Dans un bâtiment "industriel" équipé spécialement pour ce genre d'exercice.

Le projet concernait la recheche d'idées pour rendre une entreprise mondiale (400.000 employés dans le monde) "la plus admirée"; l'objectif, c'est la "marque employeur", attirer et garder les meilleurs talents.

Dans la machine à idées 90 personnes réunies: des collaborateurs de l'entreprise, venus de tous les pays du monde, des chinois, des indiens, des américains, des australiens, des africains,...Et de toutes générations : certains sont dans cette entreprise depuis trente ans, d'autres depuis trois mois.

Et puis des jeunes, de 18 à 25 ans, la prochaine génération captive pour cette entreprise.

Et puis des "free thinkers" et des experts de tous horizons (comme moi).

Nous étions 90 personnes en jean et baskets dans cet entrepôt; jamais assis, confrontés à des exercices de créativité en tous genres, à courir partout (comme le disaient les facilitateurs de Brainstore : "speed, speed, speed"). Car pour créer des inspiratiosn et des idées, il faut aller vite, ne pas s'endormir,...

On était servis.

Et puis vient le moment où  Brainstore nous emmène dans l'"Idea City", en ayant mis en scène toutes les inspirations. Là, nous allons formuler toutes les idées pour créer la "marque employeur" de rêve pour l'entreprise.

A la fin de la journée, nous avions tous collectivement émis 9.500 inspirations (morceau d'idées) et...550 idées, que l'on retrouve fixées avec des pinces à linge, sur des cordes à linge, sur des dizaines de mètres..Bien sûr, à ce stade, il y a surtout de la quantité, mais là-dedans se cachent les quelques idées originales qui font faire "tilt".

Faire le tour de ces idées; lire toutes les propositions qui sont sorties, de quoi être bluffé !

La directrice des RH de ce Groupe mondial faisait le tour avec excitation.

Ensuite les idées sont triées, analysées par des experts, ...jusqu'à ce que la "machine" et ce process vous sorte les 20 meilleures.

Cette usine facture ses services en fonction du nombre d'idées que vous souhaitez produire, comme une vraie usine industrielle, que vous vouliez une idée pour, à titre privé, donner un nom à votre hamster (vous l'avez pour 20 €) ou bien pour être "l'entreprise la plus admirée", un peu plus cher.

Ses services peuvent être loués et intégrés dans tout projet pour lequel on cherche des idées.

Et les résultats font vraiment la différence.

Alors que tous les articles et bouquins racontent la même chose, que toutes les entreprises, avec l'aide des mêmes agences de communication, racontent les mêmes messages en tentant vainement de convaincre les jeunes de venir chez elles, cette démarche apporte des idées nouvelles et vraiment originales.

Et puis, cette expérience tombait le jour du discours d'Obama. A 18H00, on a fait la pause.

Tous devant CNN : les yeux sont tournés vers l'orateur; concentration de cette assemblée de représentants de tous les pays du monde, une sorte de ferveur parcourt le groupe.

Et puis l'on est retourné trouver des idées pour que cette entreprise mondiale soit la plus admirée, influencés par ces paroles d'évangéliste.

Il y a dans chaque vie des journées et des moments dont on sait qu'on s'en rappellera toute notre vie.

Ce moment de "machine à idées" sur fond d'investiture d'Obama en sera probablement un pour tous les participants qui étaient là avec moi ce jour là. Il m'a inconstablement fortement marqué.

Ce genre d'expérience nous fait prendre conscience que le temps où, pour trouver de l'inspiration et des idées, on utilisait la méthode des réunions et comités divers, ou bien des "focus groupes" qui discutent, c'est le temps de l'artisanat.

Des méthodes industrielles existent aujourd'hui, et ceux qui en comprennent l'efficacité vont être de plus en plus nombreux, y compris dans le management et les ressources humaines.


Pourquoi veux-tu que je te suive ?

Cheval  Il y a un moment dans la carrière professionnelle qui représente pour beaucoup un vrai tournant : celui où l'on est promu, nommé, manager.

Dans le métier de consultant, par exemple, c'est une étape importante dans le développement.

Pourtant, certains s'en tirent mieux que d'autres (voir ici).

En fait, beaucoup de choses se sont jouées avant d'être promu manager. Le jour où on le devient vraiment, où l'on va avoir la responsabilité de diriger une équipe, cette équipe dont nous étions un membre parmi d'autres, on ne devient pas un autre homme. Comme on le dit, le léopard voyage avec ses taches. Et les membres de l'équipe vont regarder leur nouveau manager en se souvenant de ses comportements passés.

David Maister a bien résumé cette histoire par une formule : "Why should I follow you ?" (Pourquoi veux tu que je te suive?).

Il idnetifie quatre raisons essentielles qui vont me faire répondre, moi le collaborateur que tu veux manager, oui ou non à cette question.

Première question : Quelles sont tes motivations ?

Je vais accepter d'être dirigé par toi si je suis convaincu que tu es d'abord préoccupé de la réussite de l'équipe, de l'entreprise, plutôt que par tes propres intérêts. Ce que je vais challenger, c'est ton intégrité. Et pour cela, je vais plus me fier à ton comportement, tes actions, qu'à tes paroles.

Est-ce que tu es réputé pour aider les autres, ou au contraire pour casser en permanence les personnes qui travaillent avec toi ? Peux tu me donner des exemples de situations où tu as vraiment aidé quelqu'un dans ta vie professionnelle antèrieure, même parfois en sacrifiant un intérêt personnel ? Je ne vais pas trop te croire si tu me dis que tu vas avoir ce type de comportement maintenant que tu es manager. Je vais préférer le cas où tu étais déjà comme ça avant d'être nommé manager.

Pour me conforter sur cette question, je vais bien sûr me renseigner auprés des personnes qui ont déjà travaillé avec toi, sur les mêmes projets. Comment ils ont ressenti tes capacités de direction et de management. Car ta réputation est plus importante pour moi que tout ce que tu me racontes.

Deuxième question : quelles sont tes valeurs ?

Bon, une fois que je serai rassuré sur tes motivations, je vais me demander quelles sont tes valeurs. Je ne vais vraiment accepter d'être managé par toi que si j'estime que nous avons tous les deux les mêmes objectifs. Je veux comprendre ta philosophie personnelle du management. Je ne veux pas que tu me racontes ce que tu veux faire en tant que manager, je veux voir les preuves. Si tu me dis que tu es l'apôtre de l'excellence et de la qualité, et que tu me demandes d'avoir cette exigence, je veux des preuves que toi, personnellement, tu es l'exemple de la qualité et de l'excellence. Tu me dis que tu es pour le travail d'équipe, que tu veux m'écouter : prouves le moi ! Je ne veux pas que tu prêches devant moi, je veux te voir à l'oeuvre.

Troisième question : quelle est ta compétence ?

Là encore, je veux bien te suivre si je respecte ta compétence, si tu m'a convaincu de celle-ci  J'ai envie de voir que tu apportes des idées constructives, que tu es imaginatif sur les solutions à apporter aux problèmes que doit traiter l'équipe. Je veux aussi, si tu es le manager qui va m'évaluer, que tu m'apportes des suggestions constructives pour m'aider à progresser, et pas seulement un carnet de notes. Si tu me dis que je devrais faire mieux, mais sans explication sur le comment je dois m'y prendre, ça ne m'intéresse pas.

Quatrième question : quel est ton style ?

Si les trois premières questions sont positives, je vais alors m'intéresser à ton style. J'ai envie que mon manager favori soit celui qui est mon meilleur coach dans mon développement personnel, celui qui est pour moi un vrai conseiller de carrière. Cette confiance, je ne vais la donner qu'à un nombre trés limité de personnes dans ma carrière professionnelle. Si tu veux en faire partie, toi, mon manager ou nouveau manager, il faut que je te sente pour moi comme un support, un encouragement qui m'aide vraiment à grandir. Mais il faut aussi que tu me challenges, que tu m'aides à prendre toujours plus de risques, à toujours me surpasser, car, un jour, j'aimerais bien prendre ta place. Si je sens que c'est aussi ton but, je te suivrai où tu voudras. Sinon, je me méfierai toujours un peu de toi.

C'est un peu paradoxal : d'une part je n'ai pas envie que tu me critiques tout le temps; mais je ne veux pas non plus que tu me dises toujours que tout va bien. Je veux des critiques constructives. Je veux me sentir progresser grâce à toi.

Un autre aspect de ton style va particulièrement m'intéresser : est-ce que tu m'impliques dans des décisions, des choix ? Je n'ai pas envie que tu me racontes tout ce que tu fais ou tout ce que tu décides. J'ai envie que tu m'écoutes, que tu me demande mon avis, et me prouve que tu t'intéresse sincèrement à mon avis, que tu en tiens compte. Je ne veux pas que tu m'expliques, je veux que tu m'écoutes. Quand tu va me dire que tu n'as pas le temps de demander mon avis, que tu sais déjà tout ce qu'il faut faire, et qu'on n'a pas de temps à perdre, je vais bien comprendre que cela n'a rien à voir avec le temps mais que cela a à voir avec ton innefficacité en tant que manager. Tu ne seras pas mon manager favori, crois moi.

En résumé, Manager, je t'élirai Mon Manager si je sens que ton principal objectif c'est d'être pour moi une rencontre exceptionnelle dans ma carrière professionnelle.

Bon , on pourrait dire que tout ça, c'est un peu de la magie, un rêve idéal, comme un cadeau de Noël..

Mais avouons quand même que connaître un tel manager dans sa carrière, c'est formidable non ? Et connaître, vivre, sous la hiérarchie de l'inverse, quel cauchemar.

Et si, alors que Noël approche, on décidait de faire ce cadeau à nos collaborateurs. Il ne sera pas facile de tout changer en un jour, surtout si de trop mauvaises habitudes ont été prises. La reconversion sera peut être difficile.Cela vaut d'autant plus la peine d'essayer. En plus dans cette histoire il y a le bonheur du "managé" mais encore plus celui du "manager".

Tout ça a l'air tellement simple.

Souhaitons à tous les collaborateurs d'avoir un tel manager pour Noël...

Merci père Noël !


Leadership en mille-feuilles

Mille-feuille Parler de leadership, c’est parler des chefs

Pas seulement, car le leadership est aussi une qualité générique que l’on aimerait bien reconnaître dans chacun de nos collaborateurs.

 Et puis, le leadership ce n'est pas seulement une histoire de pouvoir et de commandement des autres. On peut aussi le regarder comme une succession d'étapes, le leader les franchissant les une après les autres, constituant ainsi son mille-feuille du leadership, chaque couche étant utile pour pouvoir y poser la couche suivante. Le mille-feuilles, c'est aussi l'ensemble de la communauté des leaders, chaque leader dans son étape, l'ensemble en harmonie avec la "marque de leadership" de l'entreprise,.avec le plus de leaders possible, ce qui fait un gâteau bien crémeux qui fait envie aux plus gourmands (et donc rend attractif la "marque employeur" de cette entreprise).

Parmi les modèles qui décrivent ainsi les étapes du leadership, celui de Dalton et Thompson est assez pratique. Il est décrit notamment par Dave Ulrich et Norm Smallwood dans leur dernier ouvrage (dont j'ai déjà parlé ICI, et ICI).

C'est aussi un outil très concret pour évaluer le leadership de son entreprise, de son équipe, et de soi-même.

Première couche : l'apprenti

Cette étape est souvent négligée. C'est celle où l'on apprend les règles et coutumes de l'entreprise, où l'on acquiert l'esprit et les bonnes pratiques. On est respecté car on délivre conformément aux attentes. On accepte d'être dirigé par les plus seniors de l'entreprise, on adopte la culture et les comportements de l'entreprise. On inspire confiance parce que l'on est dans le bon style. On se met en cohérence avec la "marque de leadership" de l'entreprise.

Ceux qui oublient cette étape n'arrivent pas à aller plus loin, car la capacité à entrer dans la culture de l'entreprise est déterminante.

D'où les problèmes avec ces personnes rebelles qui démarrent en insistant sur ce qui ne leur plait pas dans l'entreprise, sur ce qu'elles veulent changer. Certains leaders récemment embauchés, et qui débarquent dans l'entreprise, se mettent souvent en risque dans cette posture.

Croire que le leadership consiste à tout critiquer autour de soi pour se faire remarquer, c'est un positionnement assez dangereux, et qui ne mène pas l'entreprise bien loin. Les leaders râleurs sont vite fatigants.

Les critiques trop précoces seront mal acceptées, justement parce que les personnes leaders n'auront pas fait l'effort de comprendre et d'adopter la "leadership brand" de leur entreprise. Et puis, leurs contributions ne seront crédibles et reçues positivement que si elles ont démontré cette volonté de nourrir le progrès de l'entreprise qui les intègre, et pas seulement de s'occuper de soi. C'est le sujet de la deuxième couche.

Deuxième couche : le contributeur

Là, il s'agit de sortir du rôle où l'on est bien conforme à l'esprit de l'entreprise. Il s'agit de se distinguer en tant que contributeur vraiment visible sur quelque chose. C'est le cas de celui qui devient l'expert, ou le référent sur une spécialité, une caractéristique rare, qui se distingue des autres, qui est identifié en interne et en externe sur cette spécialité. Il construit cette identité en réunissant ses pairs autour de lui, et non plus en se référant à ses chefs et managers. Il n'est pas un loup solitaire qui construit sa compétence; il est rassembleur, il a envie d'avoir son équipe, il est un élément fort et distinctif de son équipe. Il rayonne dans l'entreprise et à l'extérieur de l'entreprise par cette contribution qui fait sa signature.

Certains ont du mal à trouver leur signature, leur réputation, leur "personnal brand", en ligne avec la marque de l'entreprise. C'est un travail de tous les jours, qu'il faut entretenir : les réputations changent, les marques vieillissent, les originalités deviennent des banalités, des "commodités" (les consultants en savent quelque chose qui finissent par raconter tous la même chose sur ous les sujets).

D'autres n'arrivent pas à sortir de cette couche : ils incarnent un point d'expertise mais n'entraînent pas une adhésion forte autour d'eux, ne préparent pas la génération suivante, ne font pas grandir les autres. Le rayonnement, c'est eux, et tous les gens qui s'approchent d'eux sont un peu dans l'ombre, et on leur fait remarquer en permanence qu'ils n'ont pas le même niveau (les magiciens d'Ozaiment bien s'installer dans cette couche là). Enlevez ce leader "contributeur" du terrain de jeu, et tout disparaît : d'ailleurs le "leader contributeur" le sait, et entretient cette obsession de se rendre indispensable.

A court terme, il est une brillante contribution, souvent riche de succès. A terme, il empêche l'entreprise de faire émerger d'autres leaders, et donc de grandir. C'est justement ce saut que fait faire le passage à la troisième couche.

Troisième couche : leader local

Le contributeur a évolué. Il va maintenant s'intéresser aux autres, grande première. Il va s'intéresser au développement des autres. Il va inclure dans son champ de vision des personnes qui ont des spécialités, des styles, trés différents du sien. Il va construire et développer son réseau de partenaires et correspondants dans l'entreprise et à l'extérieur de l'entreprise. Il va passer du temps à aider, coacher les autres. Cela devient un objectif majeur pour lui. Il est un élément fort de la construction et de l'incarnation de la "leadership brand", à son échelle.

Il va abandonner son obsession d'être le "meilleur expert" dans tout ce qu'il touche. Il va encourager et sponsoriser l'expertise des autres; qui peut prendre des formes différentes de celles qu'il aurait prises tout seul.

Ce sont ces leaders locaux qui ont compris comment passer de l'indépendance à l'interdépendance, qui vont exercer leur excellence dans le jeu des échanges et inter-communications dans les réseaux et équipes auxquels ils appartiennent et qu'ils font naître. Ils ont aussi compris que le leadership n'était pas centré sur la relation hiérarchique (je suis le chef; les autres sont mes petits gars), mais sur aussi sur la capacité à transcender les barrières, à créer les ponts et les transversalités.

Tout cela devant se faire en ligne avec les attentes des clients et la "marque" de l'entreprise. Rien de plus dangereux que le leader local qui se replie vers un système de "protégés" qu'il infecte de valeurs et comportements en décalage avec ceux de l'entreprise; genre "moi et mes gars, on est des pros, pas comme ces XXX des autres départements de l'entreprise"..Avec ce phénomène, l'entreprise ressemble à une succession de villages sans lien, et là encore, se développe moins bien. D'où le saut suivant où le leader local sort de influence locale pour s'intéresser et incarner, à la place où il se trouve (pas forcément celle du top management) la "marque" de l'entreprise dans son ensemble. Il ne s'agit pas d'une "promotion", mais, avant tout, d'un changement de comportement. C'est le sujet de la quatrième couche.

Quatrième couche : leader global

Ce stade, c'est celui où le leader représente un élément constitutif fort de l'entreprise. Sans lui, l'entreprise est différente. Ce leader a une vision long terme; il exerce son influence et son pouvoir pour le bénéfice de l'entreprise. Il est un pont entre l'interne et l'externe. Il est fortement impliqué pour identifier et faire grandir les futurs leaders de l'entreprise. Il a une vision globale de l'entreprise et est particulièrement exigeant sur la performance des leaders.

On croit parfois que ce "leader global" c'est naturellement le "big boss". En fait de nombreux "big boss" ont effectivement ce statut hiérarchique mais continuent de fonctionner comme en couche 2 (toujours envie de montrer qu'ils savent mieux que les autres, et interviennent sur tous les sujets) ou en couche 3 (ils ont une tendresse particulière pour les "p'tits gars" de leur tripe, qu'ils ont formés; les autres...ce sont les autres).

Une autre caractéristique de ces leaders, c'est l'incarnation du profil d'"entrepreneur" de l'entreprise, leur rôle d'apporteur d'idées et d'innovation. Ils sont aussi les meilleurs sponsors des idées nouvelles, des propositions de changement, qui viennent à lui comme attirées par un aimant, de l'interne ou de l'externe de l'entreprise. C'est ce leader qui concentre les envies de tout changer, d'imaginer d'autres futurs.

La plupart des leaders de cette couche managent des populations plutôt importantes. Quoique que ceux qui sont les "aimants à idées" peuvent exercer ce rôle de leader sans manager trop de personnes. Ils sont plutôt des icones de la "marque de leadership" de l'entreprise.

Quoi faire de ce modèle ?

Avec ce modèle, il est intéressant de s'évaluer soi-même, et aussi de positionner chacun des "chefs" ou "managers" selon cette échelle. Il est intéressant de s'apercevoir que nos managers n'ont finalement pas dépassé la couche 1 ou 2, et que les vrais leaders de niveau 4 sont une extrême minorité. C'est le moment d'agir.

Les auteurs s'essayent à proposer des benchmarks sur la distribution de ces catégories dans les entreprises.

La distribution qu'ils estiment la plus courante si on laisse faire passivement les choses est :

Couche 1 : 20%

Couche 2 : 60%

Couche 3 : 18%

Couche 4 : 2%

Pour ceux qui chercheront, et trouveront les actions à entreprendre pour vraiment manager les couches de leadership, la cible que les auteurs considèrent comme atteignable est :

Couche 1 : 5%

Couche 2 : 15%

Couche 3 : 65%

Couche 4 : 15%

On imagine bien toute la différence de goût entre ce mille-feuilles plein de bonne crême, et celui de départ.

Cela vaut bien la peine de se faire pâtissier, non ?

Au piano !...

(Pour les ignorants, le "piano" désigne familièrement le plan de travail et de cuisson du pâtissier)

Résultats du sondage :

Mon niveau de leadership

17.64% Apprenti
11.76% Contributeur
32.35% Leader local
8.82% Leader global
29.41% Je ne suis pas leader


34 personnes ont répondu à ce sondage

Les "je ne suis pas leaders" sont ...presque leaders.