Ma compta n’aime pas les hommes, sauf les footballeurs

FootballeurQuand on parle de comptabilité, des comptes d’une entreprise, on pense qu’on tient là la vérité sur la performance et la santé de l’entreprise en question, du moins si on n’y regarde pas de trop près. Car on sait aussi que les règles comptables sont faites de conventions, que l’on appelle les normes comptables, qui ont évoluées dans le temps, et favorisent certaines présentations par rapport à d’autres.

C’est un vieux débat, que je retrouve dans le livre de Valérie Charolles, dont j’ai déjà parlé ICI, « Se libérer de la domination des chiffres ».

L’auteur revient sur un sujet important qui concerne la place du travail et des hommes dans les comptes de l’entreprise.

Car ce qui est d’abord valorisé dans les actifs, et donc la richesse, de l’entreprise, ce sont les actifs matériels, les machines, les outils de production, qui font partie du bilan.

En revanche, les hommes, ceux qui sont salariés et qui travaillent dans l’entreprise, ce sont des charges.

Si l’on veut augmenter la capacité de production et que, pour cela, on achète une nouvelle ligne de production, on augmente l’investissement, et la richesse. Alors que si on embauche pour passer les chaînes existantes en deux huit, là on augmente les charges. Ce qui amène à dire que pour rendre l’entreprise performante et valorisée au mieux pour les actionnaires et les marchés, il vaut mieux acheter des machines que d’embaucher des hommes. Certains disent que, avec les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle, où l’on va disposer de robots pour remplacer la main d’œuvre, ça va être encore pire.

Il y a une autre conséquence à cette situation, c’est la prise en compte de l’expérience et de la formation. Car dans les comptes, ce qui compte, c’est le cas de le dire, ce sont les coûts du personnel. Si l’entreprise dispose de personnes très expérimentées qu’elle forme régulièrement, ou de jeunes recrues moins expérimentées, on ne verra la différence qu’en considérant que les unes coûtent plus cher que les autres. Le capital de connaissances, de compétences, d’expertises, ne se lira pas directement. Et l’on voit bien le sujet quand on va parler des séniors dans l’entreprise. On pourrait penser que le départ des séniors pourrait constituer une perte de savoir-faire et d’expertises, mais on n’en verra absolument rien dans la lecture directe des comptes. Cela se verra peut-être indirectement quand on regardera la performance intrinsèque de l’entreprise, mais cela ne se mesurera pas très facilement.

Il y a eu des débats sur ce sujet, et les normes comptables (les normes IAS 38, appliquées par les entreprises internationales) ont tranché en considérant que prendre en compte comme un actif la compétence ou l’expertise des collaborateurs, comme un actif, n’était pas possible car les entreprises « auraient généralement un contrôle insuffisant des bénéfices économiques futurs attendus de cette main-d’œuvre compétente et de sa formation ». Fermez le ban.

Ah, si, il y a une exception : les contrats de transferts des joueurs de football ont été reconnus sur le plan comptable comme des valeurs et des investissements pour le club prenant le joueur en contrat.

Et puis, bien sûr, on pourra toujours dire que ce n’est pas parce qu’on a plus de séniors qu’on a plus de compétences dans l’entreprise. Les nouvelles technologies, ces nouveaux métiers de data scientists et experts de l’intelligence artificielle se trouvent surtout dans les jeunes générations. Mais on ne peut pas non plus rejeter toute valeur à des compétences acquises grâce aux années dans l’entreprise, où l’on a compris comment agir avec sa culture et ses habitudes, y compris pour la faire changer habilement. On voit bien le problème avec ces dirigeants tout neufs qui arrivent dans l’entreprise avec leurs expériences, et qui veulent tout changer et tout casser en s’y cassant les dents, et ceux qui font avancer les choses avec plus de subtilité. C’est comme ça que Jean-Pierre Farandou, entré il y a plus de quarante ans à la SNCF, et qui est aujourd’hui le Président du Groupe, n’oublie jamais de mettre à son actif qu’il est ce qu’il appelle un « cheminot première langue ».

Mais le sujet ne concerne pas non plus que les Présidents, mais surtout tous les collaborateurs qui acquièrent de l’expérience dans l’entreprise, et qui se retrouvent dehors au gré des plans de départs et licenciements.

Comment évaluer l’actif humain et l’équilibre entre les nouvelles recrues, et celles plus anciennes, n’est pas lisible du tout dans les éléments financiers et la comptabilité.

Cela va pourtant constituer un élément de performance déterminant, justement avec les plans de transformation qui vont prendre en compte les bénéfices atteignables grâce aux nouvelles technologies. Une nouvelle fusion entre les machines et les hommes, les anciens et les nouveaux, mixant les niveaux d’intelligence (y compris l’intelligence artificielle) va devoir être inventée et mise en œuvre, et fera sûrement la différence.

Il va falloir, encore plus aujourd’hui qu’hier, ne pas se laisser dominer par les chiffres, et aller chercher les signaux et les leviers de la performance dans d’autres domaines d’investigation.

Ma compta n’aime pas les hommes, sauf les footballeurs, mais moi, dirigeant, manager, chef d’équipe, je ne peux pas m’en désintéresser.

Au travail !


Allo les déviants

DeviantsJe participais cette semaine à un groupe de travail qui recherchait des solutions pour améliorer des pratiques de gestion des ressources humaines.

Dans de telles démarches, on peut bien sûr aller chercher les bonnes pratiques dans les expériences personnelles ou observées par les uns et les autres. Le benchmarking est devenu une pratique courante dans les entreprises.

Mais l’on peut aussi appliquer une approche de « positive deviance ».

C’est quoi ça ?

Cette approche de la « positive deviance » a été popularisée par Monique et Jerry Sternin, qui l’ont expérimentée dans des missions pour des ONG, et qui est maintenant développée dans les entreprises.

Ces « déviants positifs » sont des personnes qui vivent et travaillent dans exactement les mêmes conditions que les autres, avec des caractéristiques similaires, mais qui pourtant obtiennent des résultats et des performances hors normes. On peut appliquer ça pour observer les meilleurs commerciaux, les personnes qui ont progressé le plus vite dans la hiérarchie, les individus qui ont le talent de créer une excellente coopération dans les équipes où ils travaillent, ou tout autre phénomène.

La démarche a été déployée et rôdée par Jerry et Monique Sternin lors de missions pour les ONG, par exemple dans la lutte contre la malnutrition au Vietnam, puis dans des entreprises. Ces aventures sont racontées dans leur livre « The power of positive deviance – How unlikely innovators solve the world’s toughest problems » (HBR Press).

Chacune de ces histoires permet de comprendre et de transposer ce qui fait le succès de la démarche.

Ils ont ainsi passé six ans au Vietnam. A l’origine, en 1990, l’ONG « Save the Children (SC) » avait reçu une invitation du gouvernement du Vietnam pour créer un programme qui permettrait aux villages pauvres de résoudre le problème récurrent de la malnutrition infantile. C’est comme ça que Jerry et Monique se sont trouvés embarqués dans l’affaire.

Il y avait déjà eu des programmes qui avaient tenté d’apporter des solutions à la malnutrition : programmes d’experts par le haut qui avaient apporté de la nourriture de l’extérieur. Une fois le programme terminé, les villageois n’avaient plus accès à de telles nourritures, et les bienfaits disparaissaient.

Leçon numéro 1 : l’approche par le haut n’est pas pérenne. Comme le dit Jerry: « They came, they fed, they left », et rien n’a changé.

La stratégie de Jerry et Monique Sternin consista à permettre aux villageois de résoudre leurs problèmes eux-mêmes. Mais comment faire dans les dizaines de milliers de villages du territoire ?

La première étape est d’identifier les « déviants », en l’occurrence les enfants bien nourris dans des familles pauvres, dans une zone « test » : ils choisissent un endroit pas trop loin de la capitale ; comme ça si ça marche, ils pourront y amener les témoins du gouvernement officiel pour les convaincre.

Leçon 2 : la zone test pour repérer les « déviants » est choisie pour avoir le meilleur impact pour démontrer la démarche aux tenants du pouvoir.

Arrivés au village Jerry et Monique vont aller chercher les volontaires pour lancer l’analyse : peser les enfants pour repérer les mieux nourris. Et découvrir les pratiques par les interviews et surtout les observations. Il ne s’agit pas seulement de chercher les « quoi », mais surtout les « comment ». C’est ainsi qu’ils découvrent, entre autres comportements « déviants »,  que dans ces familles pauvres où les enfants sont bien nourris le père ou la mère ajoutaient à la nourriture des crabes et des feuilles qu’ils trouvaient dans les rizières. Bien que disponibles pour tous, ces nourritures étaient considérées comme inappropriées, et donc non consommées par la plupart des familles. D’autres comportements ont aussi été observés en matière d’hygiène (par exemple laver les mains des enfants fréquemment).

Leçon 3 : observer les pratiques des « déviants » ; pas seulement le « quoi », mais aussi le « comment ».

Ensuite, comment faire ? La découverte de Jerry et Monique, c’est qu’il ne sert à rien d’aller expliquer aux autres les « bonnes pratiques », mais qu’il faut organiser directement la transmission des comportements des « déviants » vers les autres, par des rencontres, des confrontations, des moments de réunions et de partages. Jerry et Monique ne sont que les facilitateurs. La magie se propage d’elle-même entre les villageois eux-mêmes. Ils organisent ainsi des sessions de deux semaines entre des « déviants » et d’autres villageois. Au début on pèse les enfants ; et on les repèse au bout des deux semaines, pour pouvoir démontrer les résultats. Et les résultats sont mis sur des graphiques qui sont affichés dans les villages, pour informer le plus grand nombre.

Leçon 4 : pour disséminer les pratiques, ce sont les « déviants » eux-mêmes qui vont les propager et les faire connaître. On mesure les résultats, et on communique dessus en permanence.

Comment s’assurer ensuite que ces pratiques continueront à être appliquées une fois les villageois retournés chez eux, après ces sessions particulières bien encadrées ? Plutôt que de chercher par eux-mêmes des programmes d’enseignement déconnectés, Monique et Jerry l’ont demandé directement aux familles qui avaient mis en œuvre les nouvelles pratiques apprises des « déviants » : « Nous avons tous appris les bonnes pratiques qui permettent d’avoir des enfants mieux nourris malgré la pauvreté. Mais nous ignorons ce qu’il faut faire pour aider le maximum de gens à les adopter naturellement. Que devrions-nous faire ? ». Et ainsi chaque village s’est mis à bâtir « son » programme. Par exemple des sessions où les familles amenaient leurs enfants pour les peser, et recevaient des compléments de nourriture si les résultats des pratiques étaient là (des enfants qui pesaient plus). Un des leviers les plus forts du changement de comportements est la possibilité de voir les résultats. Dans tous les villages un système de mesure s’est mis en place progressivement. Les « tableaux de bord » étaient ainsi consolidés village après village. Chacun trouvait à son rythme les actions et pratiques à lancer.

Leçon 5 : Il est plus facile d’agir soi-même en appliquant et adaptant une nouvelle manière de penser, que de penser soi-même pour appliquer en action des pratiques standard et déterminées. Ce sont les « déviants » eux-mêmes qui diffusent les manières de penser. Les actions sont déterminées par chaque communauté. La communication sur les résultats est bien organisée ; la diffusion se fait par « contamination » de pair à pair.

Résultat du programme : en six mois 245 enfants (plus de 40% des participants au programme) ont été complètement réhabilités, et 20% sont passés du stade « sévère malnutrition » à « malnutrition modérée ».

Envie de changer les pratiques de l’intérieur et faire se propager les bons réflexes et pratiques ? Appelons les déviants et lançons-nous. Si ça marche pour la malnutrition pourquoi pas pour nous aussi ?


Les « revues de performance » annuelles sont-elles dépassées ?

PerformanceREVUEBientôt la fin de l’année, et certains, tant les managers que les employés, sont parmi ceux qui vont se prêter à l’exercice de « revue de performance » annuel, qui va peut-être décider des augmentations et promotions.

Si vous êtes dans ce cas-là, méfiance : vous êtes peut-être en train de travailler dans une entreprise dépassée, voire complètement à côté de la plaque.

Eh oui.

Car on constate aujourd’hui que de plus en plis d’organisations abandonnent ou vont abandonner toutes ces mesures de performance quantifiées. Cela est dû notamment aux évolutions rapides des environnements opérationnels,  l’aplatissement des hiérarchies, l’arrivée des jeunes générations sur le marché du travail et la numérisation du travail.

Ce système de mesure et d’évaluation va être remplacé par de nouvelles méthodes de gestion des performances, plus souples et personnalisées. Les indicateurs de performance traditionnels vont être remplacés par des évaluations par les pairs, des auto-évaluations et plus de dialogue.

Le phénomène, qui n’est peut-être pas encore perçu partout, va s’amplifier pour être généralisé d’ici 2024 ou 2028, selon les prévisions.

Selon le Gartner Group, "À l'avenir, les dirigeants et les managers ne se contenteront pas de mesurer les résultats des employés, mais tiendront compte du contexte dans lequel ces résultats sont obtenus : leurs objectifs personnels, les circonstances dans lesquelles ils travaillent, les groupes auxquels ils appartiennent et le type de travail qu'ils accomplissent".

Dans ce contexte, les entretiens annuels avec les employés ne semblent plus adaptés au monde en évolution rapide.

La prise de conscience est là. Ainsi Deloitte a évalué que la direction et les employés passaient deux millions d’heures par an à évaluer les performances des individus. Cela a motivé l’entreprise à remplacer ces évaluation chronophages par un dialogue et une coopération continue. De plus en plus d’entreprises constatent que la concurrence au bureau entrave la coopération au lieu de la renforcer.

Dans ces nouvelles pratiques, les décisions et les choix sont faits chaque mois ou chaque semaine. Grâce à un examen continu par les pairs et à l’auto-évaluation, les employés développent leurs compétences plus rapidement et se développent eux-mêmes, grâce à ce système de coopération ouverte et transparente.

En parallèle, les organisations évoluent pour travailler moins en silos et plus en interaction, avec des équipes autonomes et des modes projets en co-conception.

Le Gartner Group, dans son enquête 2021, prévoit six grandes tendances dans les systèmes de gestion des performances, à horizon trois à quatre ans.

N° 1 Les objectifs seront tant personnels que professionnels 

Selon l’enquête Gartner, 82% des employés déclarent qu’ils souhaitent que leur organisation les considère comme des personnes et pas seulement comme des employés.

C’est pourquoi les DRH vont chercher à intégrer des objectifs personnels, tels que le bien-être ou l’acquisition de compétences non directement liées à leur travail.  

Pour favoriser un environnement dans lequel les employés peuvent discuter ouvertement et honnêtement de ces objectifs personnels avec leurs managers, il faudra notamment leur fournir des outils d'auto-évaluation de leurs progrès par rapport à leurs objectifs personnels et professionnels.

N° 2 Les évaluations de performance - et les décisions de rémunération - vont évoluer vers un modèle basé sur des projets

Le mode d’organisation par projets se développe, en mélangeant les employés et les travailleurs indépendants, ainsi que les prestataires divers.

Dans ce monde, les employés veulent que la direction évalue leurs performances après chaque projet, et que leur rémunération évolue avec ces évaluations.

Ce système permettra :

- de fournir aux employés un retour d'information, une évaluation et des récompenses en fonction de leur performance d'un projet à l'autre.

- d’évaluer les employés en fonction des résultats obtenus et des commentaires critiques des pairs et des clients.

- de définir et expliquer clairement comment la performance des employés sur chaque projet affecte leur rémunération.

No. 3 Les évaluations de performance refléteront davantage le contexte et l'empathie

La tendance est à une vision plus large du contexte du travail et des personnes.

La conception d'évaluations de performance plus empathiques, telles que "l'apprentissage de nouvelles compétences" (pour les employés les plus performants qui acquièrent de nouvelles compétences dans le cadre d'un projet difficile) ou "la concentration en dehors du travail" (pour qu'un employé confronté à des circonstances difficiles à la maison ne soit pas pénalisé) sera particulièrement importante pour attirer et retenir les employés les plus performants qui cherchent à développer leur carrière dans une organisation donnée.

N° 4 Le retour d'information et le développement seront davantage automatisés

Les employés comprennent, encore mieux que leurs managers, le type de retour d'information et de soutien au développement dont ils ont besoin pour améliorer leurs performances, mais ils n'ont généralement pas la possibilité de participer activement au processus.

De nombreuses organisations ont augmenté leurs investissements dans les technologies de suivi de la productivité des employés, en particulier dans notre monde hybride. La collecte et l'analyse automatisées des données relatives aux activités des employés peuvent être très utiles pour aider les employés à comprendre comment ils se comportent et ce qu'ils peuvent améliorer. À l'avenir, cette technologie permettra d'automatiser les processus de retour d'information et de fournir aux employés un retour d'information opportun et fondé sur des données.

N° 5 Les managers ne géreront plus les performances

À mesure que l'utilisation de la technologie se développe et que les employés deviennent plus proactifs dans la gestion quotidienne de leurs propres performances, les managers ne se concentreront plus sur les entretiens et réunions de gestion des performances dans un processus standardisé, mais sur l'accompagnement personnalisé du parcours et du développement de carrière des employés.

Les responsables RH devront apporter aux managers des ressources nécessaires pour encourager les talents, faire face aux situations de travail difficiles et aider les employés à prendre des décisions sur leurs prochains projets et compétences.

N° 6 La gestion des performances de l'équipe deviendra une préoccupation à part entière

À mesure que les équipes adaptent le lieu, le moment et la manière dont elles collaborent dans des environnements hybrides et distribués, la performance de l'équipe deviendra un sujet à part entière, qui complètera le sujet des performances individuelles.

Il sera demandé aux équipes de travailler plus activement ensemble pour suivre les progrès et améliorer à la fois les performances spécifiques au projet et la dynamique d'équipe. Les équipes auront besoin d'outils et de ressources pour évaluer des aspects importants de leur santé, tels que l'inclusivité, la cohésion, la responsabilité et l'orientation client, et pour diagnostiquer les problèmes.

Ce que l’on va attendre des processus de gestion des performances, c’est finalement ce que le Gartner Group appelle des « pratiques plus humaines ».

Comme un retour aux sources.

A l’heure des technologies, c’est l’humain qui fera la différence et les performances, y compris de la gestion des performances.

De quoi rester optimiste.

 

 


Panne de travail

PanneOn dit qu’ils ont toujours tort. Et pourtant, ils sont, paraît-il, de plus en plus nombreux, et on s’intéresse beaucoup à eux.

Ce sont les absents. Ceux qui sont en panne de travail, non pas des chômeurs, mais ceux qui volontairement ou pour une autre raison, ne veulent plus ou ne peuvent plus travailler momentanément, voire définitivement.

Oui, l’absentéisme est en progression, si l’on s’en réfère aux nombreux baromètres et études sur le sujet, produits par des entreprises d’assurances qui en profitent pour caser leurs offres de « bien-être au travail ». C’est le cas du baromètre de WTW (ex Gras Savoye), qui a calculé que le taux d’absentéisme en France a progressé de 37% de 2017 à2021, et même de 54% chez les jeunes. Il y a la même chose chez AG2R, avec des chiffres différents (car toutes ces études sont faites à partir d’échantillons et de questionnaires), mais qui dégagent des tendances et chiffres similaires.

Ces compagnies d’assurance proposent des diagnostics et des offres type « rémunération globale », ou des programmes d’avantages sociaux ( « Benefits ») pour les salariés.

Mais, vu le marché, des start-up et des solutions technologiques sont également apparues, pour anticiper et prévenir l’absentéisme et tenter de guérir le « mal être » dans l’entreprise. Car on considère souvent que les employés absents sont des malades, des vrais en arrêt maladie, mais aussi tous ceux qui sont en risque de santé mentale (burn-out, épuisement). Oui, ce sont souvent les entrepreneurs qui proposent les idées les plus innovantes, plutôt que les compagnies d’assurance institutionnelles. Certains sont aussi eux-mêmes des assureurs nouvelle génération Tech (comme Alan).

Deux sortes de technologies :

  • Celles qui permettent à l’employé d’auto-évaluer lui-même les risques le concernant personnellement, et l’aident à prendre les bonnes décisions et actions,
  • Celles qui recueillent des données, soit saisies directement par les employés, soit en analysant des données existantes (mails, postures), et permettent de piloter la « santé » de l’entreprise et de ses communautés, et ainsi de décider d’actions collectives.

L’objectif premier de plusieurs des applications proposées est de renforcer ce que l’on appelle « l’engagement » des employés, pour qu’ils restent en bonne santé et heureux dans l’entreprise, pour qu’ils ne s’absentent pas, voire, pire, qu’ils quittent l’entreprise.

Ainsi de Axel, racheté en mai 2022 par LumApps pour devenir « LumApps Journey » qui met en place des parcours collaborateurs personnalisés dans leurs contextes de travail. Ceci permet (peut-être) d’éviter les démissions de nouvelles recrues qui n’arrivent pas à s’intégrer correctement dans l’entreprise, et d’aider à s’y sentir bien.

Zest, dans le même registre, propose « des équipes plus engagées pour (beaucoup) plus de performance ». L’outil permet de réaliser des « enquêtes RH » et propose un « engageomètre » ( !). L’application permet aussi aux employés de déclarer leur « humeur » en ligne.

Comeet utilise l’intelligence artificielle pour connecter les profils selon leurs affinités pour leur permettre des déjeuners, des afterwork, des activités sportives ou culturelles (on imagine plus…mais le logiciel ne parle pas de cette possibilité de drague au bureau).

Bloomin, autre produit du marché, veut « instaurer une culture du feed-back » dans l’entreprise, pour améliorer les relations internes en mettant en place des enquêtes internes.

Un autre axe est celui du soin pour aider les collaborateurs qui vont mal ou vraiment mal, avant même d’être absents, mais qui n’en sont pas loin. On appelle ça la « PsyTech ». C’est l’objet de la plateforme "CHANCE" qui permet à chacun de mener sa propre introspection; ici c'est le salarié qui paye, pas l'entreprise (on peut tester en accès libre pendant trois heures). C'est aussi l'objectif annoncé de moka.care, créée en 2019, et qui a fait une levée de fonds de 15 millions d’euros en mai dernier.

Moka.care une plateforme qui aide les entreprises à favoriser le bien-être de leurs salariés en organisant des séances chez les praticiens (psychologues, coachs) en toute confidentialité, ou des formations thématiques.

Teale est une autre application du même type, fondée par deux jeunes diplômés de l’ESSEC, qui permet à l’employé de « cartographier sa santé mentale » et d’accéder à des contenus pour en prendre soin (podcasts, vidéos).

Autre axe d’application : pour être heureux et performant au travail, un point important est d’avoir de bons collègues et une équipe où l’on se sent bien. D’où les applications qui vous aident à diagnostiquer les profils qui s’entendent le mieux dans l’équipe, et qui sont complémentaires pour permettre la meilleure performance. Elles vont aussi aider, grâce à l’IA, à former des équipes qui fonctionnent efficacement, et à recruter des profils les plus complémentaires aux équipes qu’ils s’apprêtent à rejoindre, afin de recruter, non pas le profil le plus compétent dans l’absolu, mais celui qui permettra de rendre l’équipe meilleure.

C’est le cas de TeamScope, Wisnio ou Goshaba, grâce aux sciences cognitives et à la gamification. Ceci permet d’avoir une approche prédictive sur les comportements et le fonctionnement de l’équipe, plus pertinente que la seule utilisation du C.V. C’est aussi une aide pour concevoir les meilleurs parcours de mobilité des collaborateurs.

Avec ces outils et ces applications de PsyTech, voilà que l’on construit une sorte de « DRH augmenté », comme un docteur Frankenstein d’un nouveau genre.

Mais malgré tous ces outils, il reste des irréductibles, comme ceux qui témoignent dans le dossier du Figaro magazine du week end dernier, qui, eux, « ne veulent plus travailler », comme Victor Lora, 34 ans, en couverture du magazine avec chemise chic et baskets Red Laver de chez Adidas, à plat ventre dans l’herbe, avec son livre à la main, « La retraite à 40 ans, c’est possible ». Il fait partie des français qui estiment ne plus trouver dans leur travail le sens et l’intérêt qu’ils espéraient, la possibilité d’avoir un impact sur la société. C’est comme ça que Victor, qui était directeur de la stratégie dans une start-up, a fait une croix sur le salariat. Il a pu profiter des économies qu’il avait réalisées en suivant les conseils du mouvement « FIRE», mouvement américain ( Financial Independence, Retire Early). Ce mouvement, dont les membres s’appellent aussi « les frugalistes », consiste à vivre de façon frugale, c’est-à-dire à supprimer toutes dépenses jugées non essentielles afin d’épargner de façon drastique pendant plusieurs années, permettant d’amasser suffisamment de fonds pour les placer sur des supports rapportant un revenu régulier, permettant de vivre des placements le reste de sa vie (« la retraite à 40 ans »). Ces frugalistes se retrouvent régulièrement pour échanger leurs tuyaux dans des « Drink Fire ».

D’autres adeptes du « travailler moins » se retrouvent dans la communauté des « Paumé.e.s » de Makesense, qui rassemble 21.000 membres qui se déclarent « en quête de sens ». Ce sont, d’après leur site, « Ceux qui en ont marre de leur job dans une tour à la moquette grise. Celles qui ont envie de mettre du vert partout dans leur vie. Ceux qui veulent s’engager ou s’épanouir à côté de leur boulot mais qui ne savent pas par où commencer ». Le Figaro magazine recueille le témoignage de Justine, 30 ans, qui s’est investie dans cette communauté des « Paumé.e.s » car elle a « vite compris que le monde de l’entreprise n’était pas en phase avec mes idéaux sociaux, sociétaux et écologiques. Je ne crois pas à l’avenir du monde capitaliste qui précipite par ses excès la ruine de la planète ». Elle n'est pas comme Victor, à économiser pour vivre sans travailler. Non, elle, c'est juste ne pas travailler comme les autres qu'elle recherche.

Justine a déjà utilisé son temps libre pour écrire un livre (« surmonter le XXIème siècle avec des potes, des bières et des idées ») avec deux auteurs membres, eux, du « Collectif Travailler Moins » (CTM), qui a aussi son site, et prône « le détravail, dont l’objectif est de décentrer la place qu’occupe le travail dans nos vies et nos identités. C’est bien sûr sa forme dominante, l’emploi, que nous ciblons ». Dans une pétition, ce collectif propose trois mesures qu’il estime « urgentes » : le droit au temps partiel, la création d’un fonds de désinvestissement public (pour accompagner avec de l’argent public les individus au détravail), et la création d’un « revenu de base ».

Pour Justine et Victor, il semble que la PsyTech ne pourra plus grand-chose…quoique. Pour eux, la panne de travail, c'est carrément le moteur qui a lâché. Même si certains essayent encore de les raisonner, comme ce polytechnicien scientifique, Vincent Le Biez dans Le Figaro du 28 juin, qui tentait de répondre à ces jeunes diplômés de Polytechnique qui avaient déclaré refusé "le système" : " Tout subordonner à un hypothétique changement de "système", mal défini, c'est prendre le risque de ne rien faire de très utile pour la société pendant sa vie". Et il termine sa tribune par " Camarades ingénieurs, la société a besoin de vous et elle attend vos solutions, pas vos états d'âme". 

Pour les autres, qui n'ont parfois qu'une ou plusieurs roues de crevées, mais un moteur intact, ou  qui voudraient songer à s’absenter, ou à rejoindre Justine et Victor pour mettre du vert dans leurs vies, les docteurs Frankenstein des RH et de la Tech sont là pour les retenir ou les regonfler.

Restent les potes, les bières et les idées pour surmonter le XXIème siècle. C’est tentant quand il fait chaud, non ?

Et puis, les vacances arrivent; Les absents vont être plus nombreux. Les vacances, c'est une bonne PsyTech sans la Tech aussi pour regonfler les pneus de certains. 


Le travail, c'est la santé ?

TravailQuel est le critère qui compte le plus pour nous dans un travail ?

On a envie de répondre que c’est la rémunération.

Eh bien, Cela n’est le critère numéro un que pour 22% des employés.

C’est ce qui figure dans l’enquête réalisée par Bain, avec l’institut Dynata, auprès de 20.000 travailleurs dans dix pays ( Etats-Unis, Allemagne, France, Italie, Japon, Chine, Inde, Brésil, Indonésie et Nigeria), et publiée en janvier 2022.

Elle est pleine d’enseignements pour comprendre comment ont changé et sont en train de changer les relations entre les travailleurs et les entreprises. Et cela ne concerne pas que les conséquences du Covid.

Ce taux de 22% révélé par cette enquête ne veut pas dire que les personnes accepteraient un travail qui ne serait pas payé correctement. La rémunération reste un critère important par rapport aux autres tels que l’intérêt du travail (critère numéro un pour 15%) ou une entreprise inspirante (5%). Il reste même dans le top 3 des critères pour 56% des répondants. Mais il est l’indication que considérer qu’un emploi est réduit à une transaction financière sous-estimerait les motivation humaines plus profondes pour le travail. D’ailleurs ce critère de la rémunération est classé plus haut par les employés insatisfaits que par les employés satisfaits : le critère de la rémunération est plus un critère d’insatisfaction qu’un critère de satisfaction. Quand on n’est pas satisfait de son travail, on n’est pas satisfait de la rémunération ; mais quand on est content, le critère de la rémunération est moins prépondérant.

Mais alors, c’est quoi un bon job qui nous donne satisfaction ? Voilà une bonne question pour toutes les entreprises qui rêvent d’attirer et de conserver les meilleurs talents.

A partir d’une sélection de critères, et de l’importance accordée par les répondants, l’étude de Bain distingue six archétypes correspondant à des catégories de motivations différentes. Cela permet de vérifier ceux qui sont représentés, ou non, dans l’entreprise, et d’adapter nos politiques et pratiques de management et de gestion, et aussi, pour les collaborateurs, de s’auto-évaluer et de challenger nos motivations profondes.

Comme toutes ces analyses, on ne se retrouve pas forcément pile dans une des catégories, certains se sentiront un mix de plusieurs, ou même évolueront au cours de leur carrière professionnelle.

Ce qui est intéressant dans l’enquête, c’est de constater que les différences d’attitudes ne sont pas très différentes d’un pays à l’autre, ni la répartition des archétypes. C’est donc à l’intérieur de chaque pays que se font les différences.

Alors, quels sont ces six archétypes ?

  1. Les opérateurs

Les opérateurs trouvent un sens et une valeur personnelle principalement en dehors de leur travail. En fin de compte ils considèrent le travail comme un moyen d'atteindre une fin. Ils ne sont pas particulièrement motivés par le statut ou l'autonomie, et ne cherchent généralement pas à se distinguer sur leur lieu de travail. Ils ont tendance à préférer la stabilité et la prévisibilité.

Ainsi, ils ont moins intérêt à investir pour changer leur avenir que les autres archétypes.

En même temps, les opérateurs sont l'un des archétypes qui ont le plus l'esprit d'équipe et considèrent souvent leurs collègues comme des amis. Au mieux, ils sont les joueurs d'équipe qui forment l'épine dorsale de l'organisation. Dans le pire des cas, ils sont désengagés et manquent de proactivité.

  1. Les donneurs

Les donneurs trouvent un sens à un travail qui améliore directement la vie des autres. Ils sont l'archétype le moins motivé par l'argent.

Leur nature empathique se traduit généralement par un fort esprit d'équipe et des relations personnelles profondes au travail.

En même temps, leur nature plus prudente signifie qu'ils ont tendance à être des planificateurs avant-gardistes, qui hésitent relativement à prendre des risques.

Au mieux de leur forme, ils sont désintéressées et contribuent à établir la confiance dont toute organisation a besoin pour fonctionner. Au pire, ils peuvent être peu pratiques ou naïfs.

  1. Les artisans

Les artisans recherchent un travail qui les fascine ou les inspire. Ils sont motivés par la recherche de la maîtrise. Ils apprécient d'être appréciés pour leur expertise, bien qu'ils soient moins concernés par le statut au sens large du terme. Les artisans désirent généralement un degré élevé d'autonomie pour exercer leur métier et accordent le moins d'importance à la camaraderie de tous les archétypes. Bien que beaucoup trouvent un but supérieur dans le travail, il s'agit plus de passion que d'altruisme. Au mieux de leur forme, ils sont capables de résoudre même les défis les plus complexes. Au pire, ils peuvent être distants et perdre de vue les grands objectifs.

  1. Les explorateurs

Les explorateurs apprécient la liberté et les expériences. Ils ont tendance à vivre dans le présent et recherchent des carrières qui offrent un haut degré de variété et d'excitation. Les explorateurs accordent une importance supérieure à la moyenne à l'autonomie.

Ils sont également plus disposés que d'autres à échanger la sécurité contre la flexibilité. Ils ne dépendent généralement pas de leur emploi pour avoir un sentiment d'identité et explorent souvent plusieurs professions au cours de leur vie.

Ils ont tendance à adopter une approche pragmatique du développement professionnel, en n'obtenant que le niveau d'expertise nécessaire.

Au mieux, ils se lancent avec enthousiasme dans n'importe quelle tâche qui leur est demandée.

Au pire, ils ne savent pas où aller et manquent de conviction.

  1. Les ambitieux

Les personnes ambitieuses ont un fort désir de faire quelque chose de leur vie. Ils sont motivés par la réussite professionnelle, et apprécient le statut et la rémunération. Ce sont des planificateurs d'avenir qui peuvent avoir relativement une aversion au risque, préférant opter pour des voies bien tracées vers le succès. Ils ont tendance à définir le succès en termes relatifs, et peuvent donc être plus compétitifs et transactionnels dans leurs relations que la plupart des autres archétypes.

Au mieux, ils sont disciplinés et transparents. Au pire, leur compétitivité dégrade la confiance et la camaraderie au sein de l'organisation.

  1. Les pionniers

Les pionniers veulent changer le monde. Ils ont une vision forte de la façon dont les choses devraient être et cherchent à obtenir le contrôle nécessaire pour réaliser cette vision. Ils sont les plus tolérants au risque et orientés vers l'avenir de tous les archétypes. Les pionniers s'identifient profondément à leur travail. Leur vision importe plus que tout, et ils sont prêts à faire de grands sacrifices personnels en conséquence.

Leurs relations professionnelles ont tendance à être plus transactionnelles par nature. Leur vision est souvent au moins partiellement altruiste, mais elle leur est propre. Au mieux, elles mobilisent leur énergie contagieuse pour apporter un changement durable.

Dans le pire des cas, elles sont intransigeantes et impérieuses.

Aucun archétype n’est meilleur ou moins bon. La diversité est aussi importante. Mais certaines entreprises favorisent plutôt un profil qu’un autre.

On pourrait penser, néanmoins, qu'une entreprise qui aurait surtout des opérateurs dans son personnel pourrait manquer de dynamisme, ou qu'une entreprise remplie d'ambitieux et de pionniers devrait souffrir d'un perpétuel conflit entre les egos. Mais c'est la diversité de ces profils qui  crée l'équilibre. 

Cela influence aussi le système de préférences dans l'entreprise. Les opérateurs et les ambitieux accordent de l'importance à la sécurité de l'emploi. Pour les opérateurs et les donneurs, la camaraderie est un facteur important et ils attendent de bonnes relations de travail entre les collaborateurs. Les artisans, eux, accordent plutôt de l'importance à l'intérêt du travail. 

Un point commun, c’est d’aimer le travail. L’enquête mentionne qu'en 2017 seulement 28% des américains disent qu’ils arrêteraient de travailler s’ils avaient assez d’argent pour le reste de leur vie (ils étaient 34% en 1995). 

Le travail, c’est la santé ?

 


La dictature du bonheur

Bonheur2C’est une évidence : avoir une équipe motivée, des collaborateurs « engagés », c’est une bonne chose pour la performance de l’entreprise et de toute organisation. On en rêve tous.

Et pourtant, paradoxalement, les études diverses, dont celles de Gallup qui publie un baromètre depuis 25 ans, montrent que les employés sont précisément de plus en plus « désengagés ».

L’enquête Gallup est réalisée auprès de 30 millions de collaborateurs dans 200 pays.

Selon la dernière enquête de 2020, avec une moyenne européenne autour de 11%, seuls 7% de français se disent engagés au travail, alors qu’ils étaient 11% il y a dix ans à vivre avec bonheur et implication leur expérience en entreprise. La France partage donc en 2021 l’avant dernier rang du classement avant l’Italie. A titre de comparaison, 34% des salariés aux Etats-Unis se disent engagés. Mieux qu'en Europe.

Dans les entreprises, les enquêtes internes orchestrées par des organismes comme « Great Place to Work » ou « Choose My Company », permettent de se créer des baromètres personnalisés, en interrogeant anonymement les collaborateurs. Le classement permet d’identifier les entreprises où les collaborateurs sont les plus heureux. Et on a envie de comprendre ce qu’ont pu faire ces entreprises pour répandre le bonheur parmi leurs collaborateurs, pour les copier.

Et c’est ainsi que les entreprises et leurs dirigeants rivalisent d’idées pour redresser la situation de « désengagement ». Ils ont souvent l’impression d’en faire un maximum : des salles de repos sympas, des baby-foot, des bonbons et fraises Tagada en libre-service, des séminaires où l’on rigole bien, mais aussi l’anticipation des primes de fin d’année tout au long de l’année, idem pour les promotions, etc. Cela parle de plaisir et d’argent.

Ces démarches peuvent se transformer, si l’on n’y prend garde, en une forme de « dictature du bonheur » : avec la conviction que l’on fait tout pour rendre heureux les employés, l’entreprise et ses dirigeants ne comprennent pas pourquoi ces mêmes employés auraient encore à se plaindre et à râler. Cette déferlante de gestes soi-disant faits pour le bonheur, comme des offrandes, doit désamorcer tout acte de contestation. C’est ainsi que si les employés sont désengagés, c’est leur faute, c’est qu’ils n’ont pas compris, ni su apprécier tous les avantages que leur procurent l’entreprise et leurs employeurs. Ceux qui oseraient encore se déclarer désengagés ou insatisfaits en deviennent suspects, comme des personnes dangereuses susceptibles de contaminer leurs collègues. Alors que l’entreprise fait tout pour ton bonheur, tu dois te conformer à cette pensée dominante du bonheur.

On pourrait parler de conflits de visions et de perceptions. Alors, on cherche un nouveau truc, des formations, des évènements, des fêtes, des apéros, et pas que « Zoom », ou alors de nouvelles promotions, de nouvelles primes, du cash. L’argent achète tout, non ? Même le bonheur.

Pourtant, ce qui fait chuter l’engagement dans les équipes et parmi les collaborateurs, on sait ce que c’est. Là encore, les enquêtes et études l’ont bien disséqué : la pauvreté du leadership, en premier, et aussi les processus bureaucratiques trop lents, l’incapacité à influencer les décisions de l’entreprise (les chefs ne nous écoutent pas), les inégalités, et l’atmosphère générale qui nous déprime. Evidemment, c’est plus compliqué à traiter qu’avec des paquets de bonbons. Et c’est vrai que les premiers désengagés vont porter un coup à la motivation des autres employés, voire à celle des chefs et sous-chefs.

Alors les idées ne manquent pas pour proposer de créer sa « machine à bonheur ». Et l'on va alors jouer sur un autre créneau, plus smart pour communiquer : "la responsabilité". 

Cette semaine, c’était, dans Le Figaro, le dirigeant d’une entreprise de Conseil, Marc Sabatier, qui répondait aux questions de Marc Landré. Il est le cofondateur du cabinet, né par acquisition et fusion de deux structures existantes, et qui compte aujourd’hui 450 employés. Le « credo » de l’entreprise dont il semble être fier c’est « consulting for good ». Car, c’est lui qui le dit, la spécificité de l’entreprise c’est d’être « business et people » : « Notre force, c’est d’avoir une approche intégrée qui prend en compte l’humain au même niveau que l’organisation et le développement du business ». Cela ressemble à ce que l’on appelle la « novlangue », un mot inventé par Orwell dans « 1984 ». C’est la langue officielle d’Océania, qui correspond à un langage dont le but est l’anéantissement de la pensée. C’est devenu une expression pour repérer la « novlangue managériale ».

Le dirigeant explique quand même ce que, concrètement, il a mis en place dans son entreprise, ou plutôt ce qu’il n’a pas mis en place : « Il n’y pas de comité de direction, pas de budget, pas d’objectif de chiffre d’affaires à attendre ». Et pour prendre les décisions, alors : « Pour les décisions courantes, chacun a la main, en responsabilité ». Dans cette entreprise sans hiérarchie ni organigramme, c’est la responsabilité et la confiance qui créent l’engagement, et, toujours selon ce dirigeant, « le plaisir et la fierté » de travailler pour l’entreprise. Le journaliste pose quand même la bonne question : « Il y a bien un chef qui tranche ? ». Mais le dirigeant répond qu’il ne « tranche » pas, il « anime ». Car la fonction de « manager » est « éclatée entre plusieurs personnes en fonction des sujets », et pour l’organisation, « la vie en interne est gérée par 34 règles du jeu et chacun peut exercer jusqu’à trois rôles sur les quatre existants : leader de communauté d’expertise, à laquelle chacun est libre d’adhérer ; facilitateur de développement chez les clients ; référent RH, et consultant".

Cela ressemble au fonctionnement de l’holacratie, qui aide à repenser une forme de management distribué entre plusieurs rôles, même si le dirigeant ne cite pas le concept.

Il le reconnaît lui-même, le secret de son entreprise et la fidélisation des collaborateurs repose beaucoup sur ce qu’il appelle, dans sa langue, « la responsabilité entrepreneuriale des collaborateurs ».

Autres biscuits dans sa « machine à bonheur », il soutient une cause (une association pour aider les jeunes en difficulté) et il ouvre le capital aux collaborateurs.

Avec une telle machine, même histoire, qui oserait dire qu’il n’a pas tout pour être heureux dans cette entreprise ?

Oui, qui ?

Et puis, si ça ne suffit pas, il reste la chanson et la danse que le dirigeant peut adopter aussi et se faire gratter l’épaule droite (de quoi redevenir tous Mowgli) :


Qui va revenir au bureau ?

RetourbureauA partir de mardi 31 août soir, Elisabeth Borne l’a annoncé, le nombre de jours minimal en télétravail dans les entreprises n’est plus imposé par l’Etat. C’est aux entreprises d’en décider avec leurs salariés.

Si l’on en croit le Wall Street Journal, traduit dans L’Opinion en juin dernier, des Américains, eux, plutôt que de retourner au bureau, préfèrent démissionner pour trouver un autre poste. Les travailleurs américains sont plus nombreux à quitter leur emploi qu’ils ne l’ont jamais été depuis plus de vingt ans. A force d’être en télétravail loin du bureau, certains se sont dit qu’ils pourraient bien aller ailleurs. Au point que les entreprises se dépêchent d’offrir les promotions et les augmentations de salaires pour éviter que leurs employés partent en trop grand nombre.

Parmi les causes de ce non-retour, il y a ceux qui ont pris goût à la flexibilité du télétravail et ne veulent plus retrouver leur bureau.  Et aussi tous ceux qui ont profité du recul lors de l’année écoulée pour repenser leur parcours professionnel et développer une envie de changer d’orientation. Comme si, avec la pandémie, les gens voyaient le monde différemment.

Au point que les responsables des ressources humaines et les spécialistes du marché de l’emploi prévoient une vague de démissions.

Une catégorie est particulièrement observée, celle des nouveaux employés, dont beaucoup ont démarré en télétravail et n’ont jamais rencontré physiquement leurs collègues.

Et puis, avec le télétravail, certains ont commencé à comprendre qu’ils pouvaient travailler de n’importe où pour leur entreprise, et même à la plage. C’est devenu un argument d’embauche pour les entreprises de la Silicon Valley.

Pas sûr que l’on connaisse exactement la même tendance en France, mais on ne sait jamais, ça peut donner des idées.

Alors, pour les entreprises, il va peut-être falloir faire la promotion du retour au bureau pour retrouver les collaborateurs sur place. Et même lutter contre les employeurs qui rêveraient de se séparer de leurs m2 inutilisés avec le télétravail. Le DRH d’une entreprise éditeur de logiciel s’y attaque dans une tribune des Echos le 10 août dernier. Il attaque les « sirènes des locaux low-cost ». Car si on n’a plus de bureaux ou si les employés ne veulent plus y revenir, il y aussi des « effets de bord » : «  difficultés à couper avec la vie professionnelle qui envahit la sphère privée ; ces allers et retours en transports que nous maudissions, étaient aussi autant de sas de décompression ; difficultés à maintenir la motivation en étant confronté aux seuls écrans des heures durant ; privation de communication émotionnelle et « corporelle » de l’énergie d’équipes réduites à de simples vignettes en visioconférence ».

Le bureau ainsi revalorisé devient « un vaste salon servant de lieu de vie, de détente, de restauration, de conversations, de débats, de présentations ».

Cela va nous amener à revoir le design et l’équipement alors. Des tables hautes et connectiques prêtes à l’emploi pour les salariés de passage, des mini-salons, des plateaux. En gros, l’idéal serait de passer moins de temps au bureau, mais de meilleure qualité et de plus grande intensité.

Convaincus ?

Qui rentre au bureau, alors ?


Troisième ligne créative

TeletravailOn, ou plutôt, il, les appelle la troisième ligne. La première, ce sont les soignants, la deuxième, les chefs de rayons, les caissières, les manutentionnaires. La troisième ligne, ce sont les autres, qui restent chez eux tranquilles en télétravail, les chômeurs partiels, les retraités ; leur acte d’héroïsme à eux, c’est de rester chez eux. C’est comme ça qu’on partage la société en ce moment ; d’un côté les métiers indispensables, pas tous très bien payés, applaudis sur les balcons, et de l’autre les télétravailleurs, souvent bien payés, dont l’activité est supposée moins intense. On pourrait les prendre pour les planqués contre les fantassins des deux premières lignes.

Alors certains vont aller rejoindre la deuxième ligne pour se sentir plus utiles : Chez Carrefour, le DRH a proposé à tous ceux qui sont disponibles de donner du temps pour aider à la mise en rayon ou tenir une caisse, et s’ils ont une expérience de directeur de magasin, de reprendre du service. En quelques jours 320 collaborateurs se sont portés volontaires.

Et les autres alors ?

La presse et les sondages sont là pour nous donner les témoignages , en plus de nos expériences personnelles avec nos collaborateurs et nos clients.

Selon un sondage Ifop, pour BNP Paribas Real Estate, rapporté par Le Figaro du 18 avril, le télétravail est plutôt apprécié par ceux qui le pratiquent, la moitié des interviewés « souhaitent davantage de télétravail après la crise ». Au total, 72% des français assurent « bien vivre » le confinement chez eux.

Autre sondage étonnant, celui de Deskeo, opérateur de bureaux flexibles en France, rapporté ICI : 62% des français veulent plus de télétravail après le confinement. Mais, néanmoins, comme le rapporte Audrey Richard, présidente de l’Association nationale des DRH(ANDRH), « Hier comme demain, le télétravail cinq jours par semaine, sans sortir de chez soi, n’est pas une option ».

Certains, par ailleurs, espèrent, en revanche, pouvoir goûter le plus longtemps possible aux plaisirs de cette vie suspendue.   C’est à ceux-là que Guillemette Faure consacre un article plutôt amusant dans Le Monde magazine du 18 avril.  Elle pense à tous ceux à qui « leur vie d’avant, celle avec une chemise repassée et des chaussures cirées, ne manque pas plus que ça : pourquoi faudrait-il retourner en réunions, retrouver des collègues qu’on n’aime pas et renouer avec un quotidien dans lequel on ne faisait que croiser ses enfants le soir en rentrant ? ». Ces « fans cachés du confinement », ce sont ceux qui « cette année, dès le changement d’heure, ont pris le temps de re-régler la pendule du four » et qui « tutoient désormais des voisins dont ils ne connaissaient pas même l’existence en février (ils les prenaient pour des locataires Airbnb) ». Bon, bien sûr ces fans ne vivent pas dans 20 mètres carrés, et ont pour principale question existentielle : « Est-ce qu’il faudra recommencer à faire la bise à ceux qu’on n’aime pas ? ».

Alors si le télétravail de la troisième ligne devient un plaisir qu’on redemande, il va sûrement se trouver des entrepreneurs et des entreprises pour inventer et nous proposer des services et accessoires spéciaux pour ce type de travail. On pense bien sûr à tous les outils numériques comme Slack, Zoom ou Teams, bien sûr.

Mais la créativité ne s’arrête pas là ; Cette panoplie de « Zoom suit » proposée ici est vraiment une super idée, non ?  :

 

La troisième ligne sera créative ou ne sera pas.


La bonne équipe

7EMEEn ce moment, l’important c’est la « distanciation sociale », faut éviter de s’approcher trop près des autres, le mieux est de rester chez soi, dans sa bulle. Mais pour d’autres, comme à l’hôpital, il faut au contraire travailler en équipe, jouer en intelligence collective pour sauver les autres. Et puis dans nos entreprises, même en télétravail, le travail d’équipe continue, car on connait tous la formule, proverbe africain paraît-il, « tout seul, on va plus vite, ensemble on va plus loin ».

Encore faut-il être capable de savoir fonctionner en équipe, et de savoir diriger une équipe.

Parmi les critères pour savoir jouer dans le jeu infini, Simon Sinek, dans son livre « The infinite game », dont j’ai déjà parlé ICI, identifie justement ce qu’il appelle « Trusting teams », les équipes où règne la confiance.

Car il y a une grande différence entre un groupe de personnes qui travaillent ensemble et un groupe de personnes qui se font confiance les uns les autres.

Dans un groupe de personnes qui travaillent simplement ensemble, les relations sont principalement transactionnelles ; on est ensemble avec le désir commun que le travail se fasse. Pas besoin, pour ça, qu’on aime les personnes avec qui on travaille, ni même qu’on soit heureux au travail ; on fait le boulot, et voilà. Mais dans ce cas, on n’est pas dans une équipe qui se fait vraiment confiance. Car la confiance est d’abord une sensation. On ne peut pas demander à quelqu’un, un collaborateur, en tant que manager, d’être heureux, ou inspiré. Pareil pour la confiance. On ne pas commander la confiance par ordre.

Alors, on fait comment ?

Simon Sinek donne la clé : pour développer ma confiance, j’ai besoin de me sentir en sécurité pour m’exprimer, c’est-à-dire me sentir en sécurité pour parler de ma vulnérabilité. Oui, ma vulnérabilité !

Travailler dans une équipe qui se fait confiance, c’est se sentir autorisé à parler de sa vulnérabilité. Des exemples ? Se sentir à l’aise pour dire qu’on a fait une erreur, plutôt que de tout faire pour la cacher. Savoir dire qu’on n’y arrive pas, et demander de l’aide, plutôt que de faire semblant. Dans une équipe qui se fait confiance, on ose demander de l’aide, car on sait que le chef ou nos collègues seront là pour nous apporter le support dont on a besoin. Alors que dans une équipe où il n’y a pas la confiance, on va avoir tendance à mentir, à cacher, à faire semblant. Et forcément, dans une entreprise avec de telles équipes, on aura plus de mal à identifier ce qui ne va pas, car les problèmes seront cachés ou ignorés.

Oui, mais bon, je vous entends là, et on a envie de dire à Simon : Eh, ho, Simon, si on commence à laisser tout le monde pleurnicher qu’il n’y arrive pas, et qu’en plus on les cajole, on va planter la boîte, non ? L’entreprise, c’est pour être performant, pour récompenser les meilleurs qui se défoncent, c’est un monde de professionnels, pas le temps de s’occuper des peines personnelles. On veut bien aider tout le monde, bien sûr, mais faut pas en faire trop non plus. Et puis, il faut quand même des membres performants dans une équipe, non ? 

Alors, Simon ?

Réponse de Simon : Vous ne pourrez pas empêcher les émotions. Et ce n’est pas parce qu’on est au travail que l’on peut éliminer toutes les émotions des collaborateurs. On peut bien sûr, chacun, les contenir, et ne pas tomber en sanglots à la moindre contrariété, mais on ne les élimine jamais.

La croyance que les émotions, la confiance, et la performance sont indépendantes, est fausse. Performancetrust

La matrice suivante est utilisée pour mieux comprendre.

Bien sûr, personne n’a envie d’être dans la case en bas à gauche (faible performance et faible confiance). On veut plutôt se trouver dans la case en haut à droite (haute performance et haute confiance). Et bien sûr, on le sent bien, la personne toxique dans une organisation, c’est celle qui est en haut à gauche (haute performance, faible confiance). C’est elle qui est narcissique, qui a tendance à accuser les autres des problèmes, et a une influence négative sur les autres et ses collègues. Et Simon Sinek parie que, dans une organisation obsédée par l’atteinte d’objectifs court terme, où l’on va valoriser les « top performers », on va avoir tendance à avoir ce type de personnage, plus à l’aise pour améliorer leur propre performance que pour aider les autres. Et plus ils réussissent plus ils risquent d’intoxiquer leur entourage. D’ailleurs, Simon Sinek propose un test : pour identifier ces personnages de haute performance et faible confiance dans une équipe, demandez aux membres de l’équipe de vous les désigner ; ils vous renseigneront très vite, car tout le monde les connaît. Ils leur donnent des noms genre « connard ».

On comprend alors que faire tourner l’équipe, avec performance et confiance, est plutôt subtil. En comprenant mieux la situation, on pourra d’ailleurs aider les « top performers – low trust »  à être un peu moins toxiques, et les « high trust – low performers » à être un peu moins « low performers ». Et le bon dosage fera la bonne équipe, en veillant à ces deux dimensions. Sinon, on risque de chercher où est donc passée la 7ème compagnie.

Si, comme Simon Sinek, on est convaincu que les leaders ne sont pas responsables des résultats, mais des collaborateurs de leur équipe qui sont responsables des résultats, alors la construction d’un environnement où les personnes se sentent en sécurité pour tout se dire et se faire confiance devient aussi une priorité. Avec la difficulté, bien sûr, de mesurer cela. On a plein de KPI pour mesurer la performance, mais comment mesurer qu’une personne est digne de confiance, et qu’elle inspire confiance ? et une équipe entière ? Une fois qu’on a repéré les « low trust », ce sont ceux qui restent.

Avec ces « Trusting teams », on est prêts pour rester « in the game », « the infinite game ».


Incompétent et habile

IncompetenceIl est toujours d'accord avec tout le monde, il ne prend pas de décision, il dispose de "routines défensives", c'est à dire des actions ou procédures qui permettent d'éviter toute surprise, embarras ou contrainte, et d'éviter ainsi de traiter toute situation un peu chaude de manière directe. 

Quand ce type de personnes prospère parmi les managers de l'entreprise, c'est le chaos assuré, et la garantie que l'entreprise ne va pas apprendre beaucoup, et probablement s'immuniser contre tout projet de transformation ou de changement.

On les appelle les "incompétents habiles", ces managers qui, finalement ne font presque rien à part parler et discourir en réunion.

C'est le sujet de ma chronique du mois sur "Envie d'entreprendre".

C'est ici