DD qui s'en dédit

Dédé

DéDé !

Avant, quand on prononçait ce nom, ça parlait du Loto, et du cochon à gratter pour nous faire acheter les tickets...Même les oies en étaient folles.

Mais aujourd'hui, quand on parle de DéDé, ça veut dire "DD" : Développement Durable.

C'est un véritable engouement. Les écoles créent les dîplômes "DD", les consultants font du "conseil en DD", les entreprises sortent leur "rapport DD",...Il y des DD partout...C'est l'invasion du marketing vert...Sans parler de la semaine spéciale DD.

Et puis, cet engouement, il a aussi pénétré les entreprises publiques, notamment celles récemment mises en concurrence ou récemment privatisées.

Sandrine Rousseau, de l'Université des sciences et technologies de Lille, analyse le phénomène dans le dernier numéro de la "Revue Française de Gestion" (N°185), à partir d'une enquête qu'elle a menée auprès d'une dizaine d'entreprises publiques, dont EDF, SNCF, La Poste, Air France, RATP,France Télécom,..Elles ont leur rapport DD, leur Directeur DD, leurs journées DD, c'est la DDmania...

Et elle s'est demandée pourquoi un tel engouement?

En effet le service public semblait s'être développé sur un discours qui n'a pas besoin du "DD" pour marquer sa spécificité. Le service public est déjà par nature un concept qui est pensé pour résoudre les désordres, d'ordre social, nés du libéralisme et les défaillances supposées du marché : le service public assure ainsi, par exemple, l'équité de traitement entre les citoyens (c'est La Poste qui permet d'expédier son courrier au même tarif pour tout le monde, partout en France).

Le service public, c'est aussi l'idée de permettre à tout le monde d'accéder au confort (d'où EDF, GDF), ou aux technologies (le téléphone).

Oui, il y a un discours trés "on respecte les parties prenantes, on n'est pas victime des méchants marchés, etc...".

En fait, Sandrine Rousseau fait observer combien ce discours, ce positionnement, n'a fait que régresser au cours des dernières décennies.

Ainsi, alors qu'à l'origine, on estimait que la délivrance du "service public" se faisait sans aucune considération de coût, on en est arrivé, concurrence oblige, à parler de "rentabilité", et l'Union Européenne en vient à considérer que les obligations de "service universel" (un peu différent du pur service public) "visent à assurer l'accès par tous à des prestations essentielles, de qualité et à un prix abordable".

Avec cette histoire de prix abordable, on s'écarte du système "le même prix pour tous", et on commence à challenger le coût du service. Cela est en partie expliqué par un ralentissement de la croissance, et une plus grande sensibilité aux charges fiscales, qui font naître des critiques sur la qualité et le coût des services publics.

Cela se traduit aussi par la reconnaissance qu'il faut fermer des services qui seraient déficitaires, l'autorisation de discriminations tarifaires pour prendre en compte des situations différentes, et aussi l'ajustement de la qualité de service en fonction des moyens disponibles. Toutes ces évolutions ont été largement traduites dans les politiques de la SNCF, de La Poste, ou d'EDF par exemple. L'équilibre financier devient une valeur, un objectif, que les entreprises publiques se fixent comme objectif.

Alors, c'est dans ce contexte où, finalement, l'entreprise publique se rapproche de plus en plus d'un comportement d'entreprise privée, que le DD apparaît. Sandrine Rousseau y voit comme le signe possible d'un recul avoué du "service public".

Face à une contestation des entreprises publiques à cause de leur manque d'efficacité économique, le Développement Durable apporterait une nouvelle parade, une nouvelle légitimité. Il permettrait de proclamer qu'on vise à satisfaire toutes les parties prenantes, à avoir des stratégies d'intérêt général, sans toutefois (n'oublions pas la rentabilité) remettre en cause le bon fonctionnement des mécanismes concurrentiels ou l'ouverture du capital.

La Poste est particulièrement adepte de ce double langage, Sandrine Rousseau citant Jean-Paul Bailly, son Président, déclarant que "le Développement Durable est peut-être le nom contemporain du service public", et " Je suis personnellement persuadé que cette démarche de DD ne trouvera sa pérennité que si elle ouvre de véritables perspectives de développement économique, en procurant de réels avantages concurrentiels et en constituant un moteur de croissance, d'innovation, de motivation des collaborateurs et de progrès économique pour l'entreprise". 

Ainsi, il apparaît que la revendication du Développement Durable est un bon moyen de faire "comme les entreprises privées", et donc de s'en rapprocher, et de sortir des principes contestés du "service public", et en fait, en en reniant certains aspects.

C'est une transformation complète du service public qu'accompagne cet engouement sur le DD, où les usagers disparaissent au profit des clients et des consommateurs. Alors, souligne Sandrine Rousseau, " si les usagers ne deviennent pas immédiatement des clients, s'il reste des critères éthiques qui président à leur choix de consommation, le DD est alors un moyen pour les entreprises de les convaincre de continuer à acheter leurs produits". En clair, le DD devient un outil marketing pour conserver dans les entreprises publiques les nouveaux consommateurs qui pourraient aller à la concurrence privée.

Ainsi, le DD, parce qu'il est, rappelons le , une démarche complètement volontaire des entreprises publiques, non contraint par le droit (encore une différence forte avec ce qui constituaient les obligations de service public), n'est pas une suite logique du service public, mais au contraire une accélération de son identification au secteu privé. Alors que le discours des entreprises privées à l'égard du DD est de revendiquer "une plus grande responsabilité sociale et environnementale", Sandrine Rousseau montre bien le paradoxe, pour les entreprises publiques, puisque la même démarche DD, dans leur cas, est plutôt une réduction des garanties historiques du service public, notamment en matière de continuité du service et d'égalité de service.

Elle note bien que l'intérêt général que poursuivait le service public, dans sa définition originelle, était l'intérêt général de la seule génération présente, alors qu'avec le DD on passe à une définition de l'intérêt général comme celui des générations présentes ET futures.

Ce profond changement n'est peut-être pas encore totalement perçu dans les entreprises publiques, notamment par les syndicats, qui continuent à concentrer leurs revendications sur ce qu'ils nomment la "protection du service public", ne voyant pas que la déferlante du "DD" va venir bouleverser aussi la gestion des relations sociales dans ces entreprises publiques, sous la contrainte.

Oui, le marketing vert des DD de toute sorte, on n'a pas fini d'en mesurer les conséquences sociales...

 

 


Les sages sont tous du même avis

Tiberius_bust Quand on parle de réseaux et de communautés, on pense aux gens qui nous entourent, à nos amis, aux associations professionnelles, d'anciens de notre école, aux copains d'avant, et maintenant les "réseaux sociaux".

C'est à la mode.

Le réseau, tel ou tel, c'est celui à qui on fait appel pour rechercher des réponses à des questions, de l'aide pour un projet personnel ou professionnel.

Il y a un type de "réseau" qui est plus étrange, plus ésotérique, et qui pourtant constitue pour de nombreuses personnes un vrai référent : c'est un réseau imaginaire des hommes du passé, des sages aujourd'hui disparus , que l'on consulte comme un panthéon personnel.

Napoleon Hill, dans cet ouvrage que je considère comme le plus utile pour toute démarche de planification dite "stratégique", "Réfléchissez et devenez riche" ( ouvrage du début du XXème siècle je crois, toujours réédité), nous propose comme une des règles de réussite de justement nous constituer ce panthéon, et de le consulter régulièrement dans nos moments de réflexion et nos songes pour prendre des décisions.

Il est drôle d'essayer de le constituer, comme un conseil d'administration personnel : mettrions nous Sun Tzu, ou bien Napoléon, Cicéron, voire l'Abbé Pierre...l'exercice est inépuisable.

Je retrouve cette idée dans un texte des années 50 d'Henry de Montherlant, rapporté par son biographe Pierre Sipriot, dans son ouvrage "Montherlant sans masque". Il s'agit de notes pour préparer des interviews à la radio, mais les idées correspondent bien au style et au mode de pensée de Montherlant, qui a réglé toute sa vie sur des figures du passé. Comme il s'en explique :

" Chaque évènement contemporain a son double dans le passé. (...). De là que lorsqu'on connaît bien un seul secteur de l'histoire on n'a pas besoin de connaître les autres : ils ne vous apprendront rien. On peut les connaître en matière de passe temps; mais cela n'est pas nécessaire.

De cette identité de l'homme s'ensuit également un sentiment de communauté avec les hommes du passé. Il se crée en vous une sorte de mécanisme, qui devient une seconde nature, par lequel, à chaque évènement, mais surtout aux évènements qui devraient vous être désagréables, vous vous référez à un homme d'autrefois qui le subissait tout pareil, et cette communauté vous aide à le supporter. Je me souviens qu'au lendemain du 6 février 1934 où je crus voir le commencement d'une guerre civile, mon premier mouvement, mon réflexe irrésistible, fut de me jeter dans des auteurs de l'antiquité, et de "chercher des précédents". J'en trouvai sans peine, et mon émotion s'éteignit. Bien plus, je devins assez content d'avoir l'occasion de vivre des circonstances si semblables à celle de l'histoire romaine."

En allant chercher à son comble les conséquences de cette image, Montherlant cite cette phrase de Bacon : "les sages sont tous du même avis" :

" Sur maint sujet, par exemple sur la superstition, sur la prière, sur le fanatisme, sur le paraître opposé à l'être (pour les condamner), sur la mesure, sur le détachement, sur le sucide (pour les louer), (...), toute une famille de grands esprits, de l'Asie et de l'Europe, de l'antiquité la plus reculée et des temps modernes, a pensé et prononcé les mêmes jugements, souvent sans se connaître les uns les autres. Et, autant on doit faire peu de cas de l'opinion du plus grand nombre (dédain sur lequel ces maîtres sont d'accord également), autant une telle unanimité impose : ces rencontres et ces redites, quelquefois jusque dans les mêmes termes, prennent à mes yeux un caractère comme sacré. Quel livre impressionnant on ferait en groupant, pour chacun des sujets, les opinions des penseurs, étalées sur des millions d'années, et qui toutes concordent ! "

" Le fait de n'avoir pas une pensée originale est sans importance : sur cela aussi les grands esprits sont d'accord. Il faut penser juste ; il n'est pas nécessaire de penser original."

Et il en conclue que les pensées originales sont rares; chacun de nous ne conçoit que trés peu de pensées dont il ait la sensation forte qu'il ne les a jamais entendu ni lues. Et encore, lorsqu'il a cette sensation, n'est-il pas sûr qu'elle ne l'abuse pas ?

Oui, cette communauté des hommes du passé, des sages depuis la nuit des temps, elle imprègne nos pensées comme un inconscient universel.

Alors, avant de compter nos amis sur facebook, peut-être suffit-til déjà de consulter, comme un réseau infini sur les millions d'années qui nous précèdent, en y trouvant l'inspiration, les questions, et les principes, qui nous manquent pour décider et agir.

Reste à oser avoir de la mémoire, et à savoir s'y retrouver dans ces auteurs et sages de tous temps...

Mais l'on peut déjà commencer par un échantillon de ceux que l'on privilégie dans nos comités et panthéons personnels.


Démocratie et entreprise : dedans ou dehors ?

Assemblee_nationale La revue "Sciences Humaines" de novembre consacre un dossier spécial à un thème qui a une longue histoire : la démocratie aux portes de l'entreprise...

Cette histoire revient régulièrement dans les débats, et encore dernièrement dans un des débats de ICC'07...avec le témoignage de Michel Hervé...

Le dossier remet bien en perspective une question toute simple, mais difficile : les salariés ont-ils vocation à participer aux décisions de l'entreprise ?

Drôle d'histoire, assurément, car pour nombreux, l'entreprise n'est pas un lieu démocratique mais celui où s'exprime le pouvoir de l'actionnaire (l'éternelle "shareholder value"..), et celui du dirigeant nommé par les actionnaires, le conseil d'administration, pour y prendre les décisions. Les autres, les salariés, ont un contrat de travail qui les rend sujet du dirigeant, pour exécuter ses directives...

Pourtant, depuis longtemps, les salariés ont revendiqué d'y exercer plus de pouvoir. C'est Blum et le front populaire qui fera entrer dans l'entreprise ce qu'on appelle, entre experts, les IRP (Instances de Représentation du Personnel), les délégués du personnel; et puis à la libération, ce seront les comités d'entreprise. Mais ce pouvoir "de l'intérieur", qui a d'ailleurs ses limites, s'est bien moins développé que celui "de l'extérieur", qui s'exerce depuis la porte de l'entreprise, par l'intermédiaire des organisations syndicales, qui connaissent un moment de gloire lors des "accords de Grenelle" en 1968, qui institueront les délégués syndicaux.

En fait, au fil du XXème siècle, vont émerger progressivement ces instances représentatives du personnel au sein des entreprises. Mais, en fait, cela ne signifie pas du tout que les salariés y aient gagné une large participation aux décisions de l'entreprise.

Ce sont surtout les organisations syndicales et leurs représentants, encore trés minoritaires au sein du personnel des entreprises (pas plus de 8% des salariés, 5% dans le privé) qui trustent la représentation, en se concentrant sur les questions d'emploi, de salaires, de régulation du marché du travail. L'entreprise et ses dirigeants gardent la main sur la gestion, l'organisation du travail.

Et puis, ces dernières années, à partir des années 90, les questions de gestion et d'organisation vont être de plus en plus décentralisées, on va parler de management participatif, de "management par projet", d'implication du personnel, etc... Pourtant les syndicats n'aiment pas trop ces dragues organisées, car en mobilisant des groupes de collaborateurs, elles court-circuitent les instances représentatives... et c'est tout le dilemne quand on parle de participation des salariés aux décisions, certains pensent IRP, d'autres des "groupes de travail"...et cette histoire dure encore bien sûr.

Pourtant si il y a un sujet où la démocratie va rester à la porte, c'est ...LA STRATEGIE ...Là, on est dans la vraie question, celle réservée à l'élite, à l'aristocratie dirigeante de l'entreprise : ses dirigeants...

Et pourtant, c'est précisément cette question qui est sur la table aujourd'hui, depuis les années 2000...

En fait, cette histoire sort précisément au moment de l'avènement d'un "nouveau capitalisme", celui de la mondialisation, de la globalisation, de l'importance croissante des actionnaires, de la prise de pouvoir par les conseils d'administration. Comme le signale Xavier de la Vega dans le dossier de "Sciences Humaines" :

" Le personnel et ses représentants ont d'autant moins de possibilités d'influer sur les décisions que le poids des actionnaires sur ces dernières s'est nettement renforcé."

Et ainsi est remis en cause la gouvernance des entreprises.

D'où aussi cette théorie des "stakeholders", à laquelle Thierry Breton ne manquait pas une occasion de déclarer son amour, vient remplacer chez certains l'approche classique des années 90 sur la "shareholder value", c'est à dire la création de valeur pour l'actionnaire seul critère pour jauger la performance.

Les "stakeholders", ce sont les parties prenantes, comprenant les actionnaires, comme les clients, les fournisseurs , et ....oui, le personnel. On y revient.

Cette théorie, dont j'ai déjà parlé, vient donc mettre le personnel dans les discussions, dans la stratégie, au même titre que les autres "parties prenantes", et ainsi revient, à petits pas, la revendication d'une forme moderne de démocratie entre ces parties prenantes pour manager et prendre les décisions dans l'entreprise.

Le dossier nous a ainsi fait un tour complet de 1920 à aujourd'hui, montrant combien cette histoire de démocratie est tantôt dedans, tantôt dehors...

Il est sûr, qu'aux yeux de plusieurs dirigeants, une large participation des salariés est un gage d'efficacité dans les organisations, mais cette conception de la participation ne signifie pas pour autant représantation des instances syndicales ( au contraire) , ni vote démocratique pour les prises de décisions.

Au-delà, on va aussi parler des administrateurs salariés, que l'on pourrait considérer comme le nec plus ultra de la pénétration démocratique dans l'entreprise. Tout va bien alors ?

Pas si sûr, car, comme le souligne Daniel Bouton, PDG de la Société Générale, et auteur d'un rapport sur la gouvernance des entreprises :

" Entre les salariés et les directions, les horizons de temps sont très différents. Il peut être bénéfique pour l'ensemble de l'entreprise de prendre une décision à long terme qui implique des sacrifices à court terme. Or un administrateur salarié aura naturellement plus de difficulté à une telle décision. Le conseil d'administration n'est pas le lieu d'expression des parties prenantes de l'entreprise. En effet, la mission d'un administrateur est de représenter l'intérêt de l'entreprise dans son ensemble".

Le salarié participant au conseil d'administration ressemble ainsi à Icare : en se rapprochant des lieux de décisions de l'entreprise, il risque de s'y brûler, condamné à "trahir" ses pairs, où ne pas être capable d'exercer sa fonction.

Ces réflexions, et d'autres figurant dans ce dossier trés riche, viennent à point nous montrer que ces débats sur la "démocratie" en entreprise se perdent rapidement dans la confusion et le paradoxe...

Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de "réflexion collective", de "management et partage des connaissances",  comme nous le montrent les ouvrages et le blog d'Olivier Zara (qui aborde ce même thème de l'entreprise démocratique ici) ...et une forme de management comme le "fourmi management"...

La démocratie dans l'entreprise ne serait alors qu'un vieille idée....vieillie ? En tous cas une illusion qui dure...


La répartition des esclaves

Slaves_2  Dans cette entreprise, mon interlocuteur m'informe, comme un scoop, de la ré-organisation qui va être annoncée au Comité d'Entreprise la semaine prochaine...

Cela doit être la troisième ou quatrième ré-organisation dont j'entend parler dans cette entreprise depuis trois ou quatre ans, au gré des changements de Président et Directeurs Généraux...Cela me laisse toujours songeur...Bien sûr, derrière tous ces mouvements, il y a des histoires d'hommes, de personnes qui ne s'entendent pas, qui ne s'apprécient pas, et des amitiés d'écoles d'ingénieurs, de corps d'Etat, de partages de moments ensemble dans d'autres entreprises avant de rejoindre celle-ci, des luttes de pouvoir (comme toujours, il vaut mieux diviser pour mieux régner..). Il y a des amitiés professionnelles". Et puis, il y a des illusions : en séparant mieux (c'est à dire en les confiant à deux Directeurs différents) les activités de ceci des activités de cela, cela marchera mieux... Il y aussi des croyances : il vaut mieux décentraliser, et nommer des responsables forts près des opérations, ou bien, avec tout autant de certitudes, "il vaut mieux avoir un centre fort, qui mutualisera, qui détiendra et démultipliera le corps de doctrine et des bonnes pratiques, ...".

Alors, cette nouvelle organisation, qui consiste en l'occasion à nommer des Directeurs par grand domaine, qui vont redécouper les responsabilités de l'entreprise entre eux, c'est bon pour lundi, ça démarre tout de suite ?

Et là, mon interlocuteur lâche :

" Non, car il faut encore se répartir les esclaves".

Et il termine sa phrase avec un air gourmand... en ajoutant : "J'adore cette expression"... devant les visages un peu interloqués de deux de ses jeunes collaborateurs (la trentaine) qui participaient à cette séance...

Tout de suite aprés, un silence flotte, chacun se regarde...Aucun mot ne sort, tout se dit par les yeux, par la réflexion intérieure...Un instant comme une éternité, que l'on contemple comme une ogadine...

Et puis nous avons continué notre réunion...

Cet épisode m'est resté en tête toute la semaine. Cette vision de l'organisation, de l'efficacité, du management (même si le côté "bon mot" a sûrement dépassé la pensée réelle), est-elle encore adaptée au management des activités de l'entreprise d'aujourd'hui ?

C'est vrai que, vu d'"en haut", l'entreprise ce sont des cases et des organigrammes. Comment tous ces collaborateurs vont-ils travailler différemment ensemble, et quels seront les bénéfices pour les clients ? Espérons qu'on s'est posé la question, mais ce n'est pas toujours si sûr.

De fait, ce sont quand même ces liens entre tous les collaborateurs, les échanges, les entraides et les équipes, qui feront toute la différence..Et pas tellement les Directeurs avec leurs "esclaves"...

Cette image des Directeurs avec leurs esclaves qu'ils se sont répartis, elle dit tout : elle présente l'entreprise comme une collectivités d'enchaînés, que d'autres, les chefs, croient diriger...Elle est encore trés caractéristique des visions de l'entreprise les plus répandues...Pour la 2.0, il faudra attendre un peu...

Mais qui croit encore, quel que soit le niveau où nous nous situons dans une organisation, même le poste le plus élevé de ce que l'on appelle un "dirigeant", que l'on "dirige" vraiment une entreprise ?

L'essentiel de ce qui s'y passe, en fait, nous échappe....comme par exemple cette conversation sur la répartition des esclaves...


Henry Ford au secours des stakeholders

Ford Décidément, cette histoire de "stakeholders" dont Thierry Breton nous avait parlé ICI, et Le Figaro ICI, c'est le sujet du moment; Voilà que Les Echos, grâce à Jean-Marc Vittori, s'y met aussi vendredi dernier. C'est l'OPA de Mittal sur Arcelor qui a lancé le sujet.

Rien de neuf dans cet article sur la thèse des "stakeholders", que la Commission générale de terminologie et de néologie a officiellement traduit en "parties prenantes"  : l'entreprise n'est pas sur une île déserte avec ses financiers, elle doit tenir compte des salariés, fournisseurs, clients,...

Les réserves et limites exprimées dans l'article du Figaro ne sont pas reprises; aux Echos on est "pro- stakeholders" : so chic.

Ce qui est amusant c'est d'être allé chercher une histoire de ...1916 pour appuyer la thèse : l'histoire de Henry Ford, grand précurseur de la défense des stakeholders.

De quoi s'agit il ?

En 1916, fort des énormes gains de productivité réalisés grâce à ses chaines d'assemblages, Henry Ford décide, au lieu de verser d'énormes dividendes, d'augmenter les salariés et de baisser les prix.

Les actionnaires ne sont pas contents et poursuivent. Trois ans plus tard, la cour suprême du Michigan leur donne raison et ordonne le versement d'un superdividende de 19 millions de dollars.

Cette histoire est paradoxale, car, si elle fait passer Henry Ford pour le précurseur de la théorie des stakeholders, elle est aussi la démonstration du pouvoir des actionnaires. Chacun y trouvera ce qu'il veut y voir.

Jean-Marc Vittori a aussi trouvé une citation de Henry hymself :

"L'entreprise doit faire des profits sinon elle mourra. Mais si l'on tente de faire fonctionner une entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n'aura plus de raison d'être."

Adam Smith est aussi appelé en témoin : pour lui, la maximisation du profit doit profiter à la société toute entière, "jusque dans les dernières classes du peuple".

N'en jetez plus : Henry Ford, Adam Smith, Thierry Breton, ce club des "stakeholder" est vraiment trés bien.....

L'image des actionnaires va en prendre un coup ( suivez mon regard vers ce Monsieur Mittal...),

.....ce qui n'a pas empêché lle CAC 40 d'atteindre vendredi le seuil des 5000 points.


Bercy veut supprimer les actionnaires ?

Dolle Le Figaro d'hier, dans un article de Cyrille Lachevre, revient sur la thèse que Thierry Breton avait exposée aux anciens HEC la semaine dernière et dont j'ai parlé ICI.

Le titre : "De la difficulté pour un Etat d'être une "partie prenante"

L'auteur semble trés dubitative sur cette histoire de "capitalisme des parties prenantes", et cite notamment Pierre-Yves Gomez, directeur de l'Institut français du gouvernement des entreprises, qui considère que cette idée, sortie des réflexions d'économistes des années 90, tel Edward Freeman, s'est révélée trés difficile à mettre en oeuvre, notamment quand il s'agit de hiérarchiser les droits des différentes parties prenantes les unes par rapport aux autres.

Pour Pierre-Yves Gomez :

"In fine, on en revient toujours au même point : le meilleur moyen de peser sur les décisions consiste à être actionnaire".

Pour se faire soi-même son opinion, l'article indique une sélection d'ouvrages :

- "Strategic Management : A stakeholder Approach, R.E Freeman Pitman, Boston, 1984

- "La République des actionnaires" Pierre-Yves Gomez, Alternatives économiques, 2002

- "La théorie des parties prenantes : théorie normative ou théorie empirique ? ", Salma Damak-Ayadi, 2003.

A lire pour comprendre Thierry Breton.....