DD qui s'en dédit
01 septembre 2008
DéDé !
Avant, quand on prononçait ce nom, ça parlait du Loto, et du cochon à gratter pour nous faire acheter les tickets...Même les oies en étaient folles.
Mais aujourd'hui, quand on parle de DéDé, ça veut dire "DD" : Développement Durable.
C'est un véritable engouement. Les écoles créent les dîplômes "DD", les consultants font du "conseil en DD", les entreprises sortent leur "rapport DD",...Il y des DD partout...C'est l'invasion du marketing vert...Sans parler de la semaine spéciale DD.
Et puis, cet engouement, il a aussi pénétré les entreprises publiques, notamment celles récemment mises en concurrence ou récemment privatisées.
Sandrine Rousseau, de l'Université des sciences et technologies de Lille, analyse le phénomène dans le dernier numéro de la "Revue Française de Gestion" (N°185), à partir d'une enquête qu'elle a menée auprès d'une dizaine d'entreprises publiques, dont EDF, SNCF, La Poste, Air France, RATP,France Télécom,..Elles ont leur rapport DD, leur Directeur DD, leurs journées DD, c'est la DDmania...
Et elle s'est demandée pourquoi un tel engouement?
En effet le service public semblait s'être développé sur un discours qui n'a pas besoin du "DD" pour marquer sa spécificité. Le service public est déjà par nature un concept qui est pensé pour résoudre les désordres, d'ordre social, nés du libéralisme et les défaillances supposées du marché : le service public assure ainsi, par exemple, l'équité de traitement entre les citoyens (c'est La Poste qui permet d'expédier son courrier au même tarif pour tout le monde, partout en France).
Le service public, c'est aussi l'idée de permettre à tout le monde d'accéder au confort (d'où EDF, GDF), ou aux technologies (le téléphone).
Oui, il y a un discours trés "on respecte les parties prenantes, on n'est pas victime des méchants marchés, etc...".
En fait, Sandrine Rousseau fait observer combien ce discours, ce positionnement, n'a fait que régresser au cours des dernières décennies.
Ainsi, alors qu'à l'origine, on estimait que la délivrance du "service public" se faisait sans aucune considération de coût, on en est arrivé, concurrence oblige, à parler de "rentabilité", et l'Union Européenne en vient à considérer que les obligations de "service universel" (un peu différent du pur service public) "visent à assurer l'accès par tous à des prestations essentielles, de qualité et à un prix abordable".
Avec cette histoire de prix abordable, on s'écarte du système "le même prix pour tous", et on commence à challenger le coût du service. Cela est en partie expliqué par un ralentissement de la croissance, et une plus grande sensibilité aux charges fiscales, qui font naître des critiques sur la qualité et le coût des services publics.
Cela se traduit aussi par la reconnaissance qu'il faut fermer des services qui seraient déficitaires, l'autorisation de discriminations tarifaires pour prendre en compte des situations différentes, et aussi l'ajustement de la qualité de service en fonction des moyens disponibles. Toutes ces évolutions ont été largement traduites dans les politiques de la SNCF, de La Poste, ou d'EDF par exemple. L'équilibre financier devient une valeur, un objectif, que les entreprises publiques se fixent comme objectif.
Alors, c'est dans ce contexte où, finalement, l'entreprise publique se rapproche de plus en plus d'un comportement d'entreprise privée, que le DD apparaît. Sandrine Rousseau y voit comme le signe possible d'un recul avoué du "service public".
Face à une contestation des entreprises publiques à cause de leur manque d'efficacité économique, le Développement Durable apporterait une nouvelle parade, une nouvelle légitimité. Il permettrait de proclamer qu'on vise à satisfaire toutes les parties prenantes, à avoir des stratégies d'intérêt général, sans toutefois (n'oublions pas la rentabilité) remettre en cause le bon fonctionnement des mécanismes concurrentiels ou l'ouverture du capital.
La Poste est particulièrement adepte de ce double langage, Sandrine Rousseau citant Jean-Paul Bailly, son Président, déclarant que "le Développement Durable est peut-être le nom contemporain du service public", et " Je suis personnellement persuadé que cette démarche de DD ne trouvera sa pérennité que si elle ouvre de véritables perspectives de développement économique, en procurant de réels avantages concurrentiels et en constituant un moteur de croissance, d'innovation, de motivation des collaborateurs et de progrès économique pour l'entreprise".
Ainsi, il apparaît que la revendication du Développement Durable est un bon moyen de faire "comme les entreprises privées", et donc de s'en rapprocher, et de sortir des principes contestés du "service public", et en fait, en en reniant certains aspects.
C'est une transformation complète du service public qu'accompagne cet engouement sur le DD, où les usagers disparaissent au profit des clients et des consommateurs. Alors, souligne Sandrine Rousseau, " si les usagers ne deviennent pas immédiatement des clients, s'il reste des critères éthiques qui président à leur choix de consommation, le DD est alors un moyen pour les entreprises de les convaincre de continuer à acheter leurs produits". En clair, le DD devient un outil marketing pour conserver dans les entreprises publiques les nouveaux consommateurs qui pourraient aller à la concurrence privée.
Ainsi, le DD, parce qu'il est, rappelons le , une démarche complètement volontaire des entreprises publiques, non contraint par le droit (encore une différence forte avec ce qui constituaient les obligations de service public), n'est pas une suite logique du service public, mais au contraire une accélération de son identification au secteu privé. Alors que le discours des entreprises privées à l'égard du DD est de revendiquer "une plus grande responsabilité sociale et environnementale", Sandrine Rousseau montre bien le paradoxe, pour les entreprises publiques, puisque la même démarche DD, dans leur cas, est plutôt une réduction des garanties historiques du service public, notamment en matière de continuité du service et d'égalité de service.
Elle note bien que l'intérêt général que poursuivait le service public, dans sa définition originelle, était l'intérêt général de la seule génération présente, alors qu'avec le DD on passe à une définition de l'intérêt général comme celui des générations présentes ET futures.
Ce profond changement n'est peut-être pas encore totalement perçu dans les entreprises publiques, notamment par les syndicats, qui continuent à concentrer leurs revendications sur ce qu'ils nomment la "protection du service public", ne voyant pas que la déferlante du "DD" va venir bouleverser aussi la gestion des relations sociales dans ces entreprises publiques, sous la contrainte.
Oui, le marketing vert des DD de toute sorte, on n'a pas fini d'en mesurer les conséquences sociales...