La technologie est géopolitique

GeopolitiqueIl semble aujourd’hui, avec une concurrence géopolitique, économique et technologique qui ne cesse de s'intensifier, que l’on assiste de plus en plus à l'émergence d'une lutte sur la scène internationale pour l'hégémonie mondiale entre deux camps concurrents : les démocraties et les autocraties. Les prospectivistes anticipent qu’au cours de la prochaine décennie, une nouvelle guerre froide entre les démocraties, centrées sur le leadership des États-Unis, et les nations autoritaires, dirigées par la Chine et soutenues par la Russie, s'ensuivra très probablement. D'autres pays pourraient être amenés à décider de plus en plus souvent à quel camp leur allégeance va.

Cette lutte a des conséquences directes sur le développement des technologies. Chaque camp a les siennes, et en décide des usages.

Alors qu’il y a une dizaine d’années, les technologies et le web étaient vus comme un facteur de liberté et de démocratie pour les régimes autoritaires ( on se rappelle le printemps arabe), mais aussi comme un moyen de permettre une plus grande participation des citoyens au débat public, et une meilleure transparence, il apparaît aujourd’hui que les technologies sont de plus en plus utilisées comme des moyens de surveillance par ces régimes autoritaires, voire par d’autres (reconnaissance faciale, techniques de crédit social). Au point que l’on parle maintenant d’ « autoritarisme digital ».

Certains y voient un danger pour la démocratie.

Evidemment, le pays vers qui tous les regards se tournent, c’est la Chine, qui a développé des technologies performantes de surveillance, et de censure, qui ont aussi accompagnées la stratégie de « Zéro-Covid ».

Mais les technologies ont aussi servi à des stratégies de désinformation sur les réseaux sociaux, dont la Russie a été accusée. Faustine Vincent, dans un reportage pour Le Monde ( 8/02/2022), à propos de la tension entre Moscou et l’Ukraine, indiquait que la guerre par l’armée était remplacée par une forme plus technologique : « Depuis que la politique de détection et de blocage des activités suspectes (mouvements préparant une attaque) s’est renforcée, Moscou a dû changer de tactique. Aujourd’hui, il utilise des sociétés ukrainiennes de relations publiques pour mener les campagnes de désinformation. Faire le lien avec la Russie est ainsi plus difficile. L’objectif reste inchangé. Il s’agit de semer le doute, la peur, de manipuler les esprits et saper la confiance des Ukrainiens envers leur gouvernement ». Cette stratégie commence par la démoralisation, pour réduire la capacité à réfléchir de façon critique et à se défendre. Et ainsi, « plus la population panique, plus elle est susceptible de relayer la désinformation et de faire, malgré elle, le jeu du Kremlin ». Bien sûr, comme le redoute l’Ukraine, cette déstabilisation mentale peut aussi être un moyen de faciliter une invasion physique.

Autre menace technologique, également redoutée en Ukraine, l’espionnage dans des structures sensibles et les cyberattaques. Toujours selon ce reportage du Monde, « L’Ukraine est victime chaque jour de dizaines, voire de centaines de milliers de cyberattaques. Les hackers les plus actifs sont associés au GRU (le service russe de renseignement militaire) ».

Au-delà de l’utilisation de ces technologies par les pays autoritaires, ce qui inquiète aussi, c’est leur diffusion. Les organisations et les firmes liées à la Russie se sont trouvées directement liées à des opérations de ce que l’on appelle « influence sociale » dans de nombreux pays à travers l’Afrique. Même chose avec les technologies de surveillance développées en Chine, que la Chine essaye de faire adopter dans des pays tout autant autoritaires que démocratiques. Ces technologies ne sont d’ailleurs pas développées uniquement en Chine mais aussi aux Etats-Unis (Google, Amazon), en Angleterre (BAE), au Japon (NEC).

Il semble évident que l’usage de ces technologies dépassent maintenant les pays autocratiques, et se répand mondialement. Toutefois, les observateurs remarquent que ceci ne correspond pas à une volonté des pays autocratiques de diffuser leur idéologie, mais de montrer que leurs régimes fonctionnent bien en comparaison de tous les dysfonctionnements constatés, en comparaison, dans les pays démocratiques. On a bien vu cela à propos de la lutte contre la Covid.

On ne peut pas dire que ces technologies ont menacé la démocratie, car on ne peut que reconnaître que la proportion de pays démocratiques demeure très élevée. Néanmoins, le nombre de "régimes autoritaires à parti dominant" est passé de 13 % de tous les pays avant la guerre froide à 33 % aujourd'hui.

Ces craintes envers ces technologies ont amené certains pays à les réguler, par exemple en interdisant l’usage de la reconnaissance faciale, ou les technologies 5G de Huawei.

Les prospectivistes sont partagés entre deux scénarios. Il est intéressant de les considérer.

Le premier scénario est celui où une nouvelle forme de guerre froide entre les pays autocratiques et démocratiques s’amplifie, d’un point de vue politique.

Les pays autocratiques utilisent et répandent ces technologies, favorisant les innovations, permettant de maîtriser les techniques de désinformation et de démoralisation.

Les deux camps établissent leur propre Internet, leurs normes technologiques, leurs organisations internationales, leurs valeurs et règles communes, leurs vérités historiques et leurs systèmes monétaires. Pourtant, contrairement à la première guerre froide entre le capitalisme et le communisme, au lieu d'essayer de détruire les démocraties, les autocraties visent désormais à éroder leur capacité à innover et à renouveler leurs sociétés, et à les faire paraître incapables de maintenir l'ordre par le biais de campagnes de désinformation et de démoralisation et d'autres tactiques de guerre hybride, notamment en sapant la confiance du public, en favorisant les troubles civils et en menant des attaques et des actes de cybercriminalité. Une autre différence entre l'ancienne et la nouvelle guerre froide concerne le commerce. Contrairement à l'ancienne, les deux camps maintiennent le commerce et autorisent les opérations commerciales à travers le nouveau "rideau de fer". La nouvelle lutte est plus politique, territoriale, technologique, scientifique, culturelle, éducative et sur les ressources, et surtout pour montrer quel système politique et administratif est le meilleur. 

Dans le deuxième scénario, la nouvelle lutte pour l'hégémonie sera principalement axée sur la concurrence technologique, la domination des ressources et le commerce plutôt qu'entre les valeurs autocratiques et démocratiques.

La guerre hybride continue de s'intensifier entre les pays autocratiques et démocratiques, mais aucun camp unificateur ni rideau de fer n'est réellement introduit. Seuls des blocs (géo)économiques moins stricts émergent. Alors que les régimes autocratiques cooptent de plus en plus la technologie pour surveiller leurs citoyens et censurer l'information, les régimes démocratiques cessent complètement d'utiliser la technologie développée dans les pays autocratiques par crainte de l'espionnage et des logiciels malveillants. Il en résulte une divergence totale en matière d'innovation technologique entre les deux blocs, chaque partie utilisant exclusivement ses propres normes technologiques, fabriquées au sein de son bloc et conformes à ses propres processus de normalisation. L'internet est également partiellement fragmenté, les régimes autocratiques mettant de plus en plus souvent en place des pare-feu qui limitent l'accès de leurs citoyens à l'internet mondial.

Pour le reste, le même internet est toujours partagé au niveau mondial. La lutte pour l'hégémonie technologique et commerciale qui en résulte réduit le commerce mondial et la diffusion des idées, diminue la croissance économique et augmente le risque de conflits. 

La revue « Foreign Affairs »avait fait, en 2019, une consultation d’experts sur la question : La technologie favorise-t-elle la tyrannie ?

Les avis sont partagés, mais on y retrouve les mêmes tendances et scénarios.

Voilà un bon exercice de « Scenario Planning » pour apprendre le futur et nous permettre d’anticiper comment nos sociétés, nos entreprises, et chacun d’entre nous, vont se préparer à ce ou ces nouveaux mondes. Même les candidats à la Présidence de la République française pourraient s'y intéresser (on en est loin pour le moment malheureusement). 

La quatrième révolution industrielle et les technologies exponentielles seront aussi géopolitiques.


Le choix de l'anomalie

AnomalieFaut-il suivre et copier ce que font les autres, ou bien s’en différencier et innover ? Que et comment choisir ? 

Lors d’une conversation avec une dirigeante, celle-ci me confie que son entreprise choisit de se développer dans un créneau de services nouveau pour elle. Pourquoi ce choix ?

  • « Comme tous nos concurrents y sont, on n’a pas le choix ».
  • Ah, bon ?

Le choix de n'avoir pas le choix ! 

C’est justement à cette notion de « tendance », et de choix,  que trois auteurs chercheurs de l’Henderson Institute (émanation du BCG), Martin Reeves, Bob Goodson et Kevin Whitaker, consacrent un article dans la dernière parution de Harvard Business Review (Juillet-Août 2021), qui a pour titre « Le pouvoir de l’anomalie ».

Leur diagnostic, c’est que quand une tendance est établie et connue de tous, elle a de grandes chances d’avoir déjà été capturée par les compétiteurs, et vouloir s’y faire une place va être une bataille serrée contre les concurrents. Ce choix de position peut être utile, et même parfois nécessaire, mais il ne permettra pas tout seul de sortir leader de la compétition, ni de se différencier par un avantage concurrentiel incontournable. Le risque est plutôt de rester le second couteau de cette tendance déjà accaparée par ceux qui s’y sont installés bien avant, et qui y excellent.

Et donc, pour vraiment innover, ce sont les tendances que les autres n’ont pas encore vues qu’il faut capter. Ce sont celles que les auteurs appellent les « anomalies », ces phénomènes embryoniques, pas encore nommés ou connus. Ce sont ces signaux faibles surprenants, auxquels on risque de ne pas faire attention quand on a les yeux fixés sur les tendances largement connues. Bien sûr, toutes les anomalies ne sont pas des futures tendances gagnantes, mais certaines le seront, et celui qui les aura identifiées, et surtout interprétées, gagnera plus facilement une marche de leader dans la compétition.

Mais comment faire, alors, pour détecter et exploiter ces « anomalies » ? C’est précisément l’objet de l’article de nos trois auteurs.

C’est une affaire d’état d’esprit et de méthode.

L’état d’esprit, d’abord.

Ce qui menace les entreprises qui grandissent (grossissent ?), c’est de devenir trop introverties, ne penser qu’à soi-même, se concentrer sur les process internes et l’organisation, en oubliant de regarder à l’extérieur, et surtout de se regarder soi-même avec cet œil extérieur. C’est pourtant à l’extérieur, dans ces angles morts de l’entreprise que l’on ne voit plus, que vont apparaître les fameuses anomalies.

Les auteurs nous encouragent à retrouver cette perspective externe, d’aller voir en dehors de notre zone de confort, dans d’autres modèles et d’autres industries. C’est aussi en allant écouter les clients plus souvent, sans chercher à leur vendre nos certitudes, que l’on ouvre son esprit. Et c’est aussi en challengeant régulièrement nos modèles mentaux auxquels nous ne faisons plus attention. Et pour cela aimer l’ambiguïté.

Alors, la méthode ?

Rien de génial dans cette méthode préconisée par les auteurs, mais du bon sens qui ne demande qu’à être pratiqué.

Il y a quatre étapes.

  1. Analyser et visualiser les données au niveau adéquat pour mettre en évidence les anomalies. Cela peut aussi passer par l’analyse sémantique des posts des clients sur les réseaux sociaux, les annonces de toutes sortes faites par les concurrents, tout ce qui permet d’être alerté sur des évènements anormaux en train de se produire. En plus, bonne nouvelle, les outils et algorithmes y aident aujourd’hui grandement.
  2. Une fois le dispositif d’analyse et de visualisation opérationnel, place à l’identification des anomalies qui fournissent des informations sur le futur. Il faut pour cela les trier selon leur fréquence, leur robustesse, leur impact actuel ou imaginé.
  3. Une fois les anomalies les plus significatives identifiées, les auteurs recommandent d’en faire une histoire, un scénario, avec un nom permettant de les identifier. C’est la même approche que l’on utilise quand on construit des scénarios avec la démarche de « scenario planning ». Car donner un nom marque l’imagination et permet d’imaginer les opportunités pour le futur.
  4. Enfin, dernière étape, qui se reproduit plusieurs fois, à l’infini, c’est celle où l’on va tester les opportunités, à l’occasion de petites expérimentations, pour tester. Car une fois une opportunité identifiée, inutile d’attendre d’avoir tout compris, et préparer un « plan stratégique », mais au contraire foncez dans le test, avant que les autres y pensent.

Pour oser imaginer quelque chose de nouveau, il faut parfois aller justement à l’encontre de ce que font tous les autres. Parfois, ça marche.

Je lis ainsi dans un récent rapport du Groupe Pictet l’histoire de l’entreprise Hallstein. C’est une entreprise pas très connue, histoire d’une famille autrichienne qui voulait trouver la meilleure eau minérale du monde, et l’a trouvée dans le Dachstein, massif montagneux au sud de Salzbourg, en Autriche. Pour la trouver, la famille a travaillé avec des chercheurs, nutritionnistes et médecins. Et la source de Dachstein a été trouvée à la suite d’un avis de recherche international. L’eau en question provient de gouttes de pluie et de flocons de neige filtrés pendant près d’une décennie par une roche calcaire de grande pureté. Tout est expliqué sur le site, qui donne vraiment envie, avec une photo de famille très chic. 

Mais ce qui est encore plus surprenant, c’est le modèle économique créé par la famille Muhr qui possède l’affaire : Cette eau n’est disponible que sur abonnement, pour environ 13.000 clients dans le monde. Les clients choisissent le nombre de bouteilles qu’ils veulent et Hallstein les livre à intervalle régulier. Il n’y a ni intermédiaire, ni distributeur, comme le dit le Directeur Général Philippe Muhr : « personne entre le client et nous ». La famille s'est approprié le modèle de l'abonnement, que l'on connaît bien pour le streaming. Et s'est constitué un réseau de clients fortunés qui sont attentifs à leur santé. Bingo ! 

C’est comme un club très sélect. Et les prix sont à l’avenant, consultables sur le site : Pour une livraison mensuelle de huit bouteilles de 750 ml, comptez 56€ HT, aussi cher qu’une bouteille de vin. Mais, bonne nouvelle, la livraison est gratuite. Le luxe n’a pas de prix, on le sait bien.

Alors, chasser les anomalies avec un verre d’eau Hallstein, quoi de mieux ?


Un nouveau chemin avec un soufflé au fromage

SouffléC’était il y a longtemps, dans l’ancien monde. Quand on parlait du futur, qu’on était Premier Ministre, et qu’on s’appelait Jean-Pierre Raffarin, on parlait de la route : elle était droite mais la pente était forte ; c’était en juillet 2002.

Aujourd’hui, ce n’est plus la route que l’on emprunte, mais un nouveau concept : le chemin.

C’est le nouveau Buzzword d’Emmanuel Macron, qui a proposé un « nouveau chemin ». C’est sûr, ça a ce petit côté écolo et campagnard qui est bien dans l’air du temps. Et certains prévoient déjà que cette histoire de chemin va se propager, jusqu’à atteindre peut-être aussi nos entreprises. Avalanche de « nouveaux chemins » dans les plans stratégiques, les plans de retournement, les programmes d’action post-covid.

Pourtant, il ne semble pas si facile d’apercevoir le bon chemin dans un environnement qui est toujours associé à l’incertain. On connaît les acronymes qui pourraient nous dissuader de trop « planifier » : VUCA ( Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambuguity), mais aussi TUNA ( Turbulent, Uncertain, Novel, Ambiguous).

Alors, penser qu’il faille aujourd’hui, dans ce « chemin », se lancer dans un exercice, avec un Commissariat ad hoc, de planification, voilà ce que Jean-Marc Daniel, économiste et professeur, qualifie dans L’Opinion du 10 juillet, d’« idée loufoque » : «  L’idée qu’il faut maîtriser l’avenir par la technostructure a été totalement démentie et détruite par l’histoire ».

Cette notion de Plan correspond à cette période des années 50, une autre époque. Un commissaire qui l’a incarné, c’est Jean Monnet. Jean-Marc Daniel nous rappelle qu’il raconte dans ses Mémoires qu’à son arrivée au poste, il a pris deux décisions : « il a fait décrocher le portrait de l’ancien ministre de la IIIème République Jules Méline, symbole du retour au protectionnisme que lui rejetait. Et il a embauché un cuisinier, considérant qu’à ce poste il était important d’organiser des déjeuners pour créer du lien ». L’histoire retiendra qu’il aimait y servir des soufflés au fromage.

Mais alors, si l’on veut quand même s’en sortir dans ce monde incertain et prendre les bons chemins, que faire ? La dernière livraison de Harvard Business Review (juillet-août 2020), consacre un dossier au sujet «  Comment émerger d’une crise ». J.Peter Scoblic, consultant dirigeant de « Event Horizon Strategies »,consacre un article à la question «  Learning from the future » afin de construire des stratégies robustes dans des temps de profonde incertitude (ça tombe bien !). Il y vend l’approche par la prospective stratégique et le « Scenario Planning », qui permet, par cette méthode des scénarios, de naviguer dans l’incertitude en anticipant les futurs possibles, et en simulant, pour chaque scenario du futur, ce qu’il faudrait faire maintenant qui permettrait de s’en sortir au mieux dans ce scenario futur.

Dans cette vision, on ne va pas dire que l’on se prépare pour le futur, mais que l’on va le faire. Les moments d’incertitude sont ceux des entrepreneurs, de ceux qui identifient les réelles opportunités qui vont apporter les avantages compétitifs grâce à de bons choix stratégiques.

Cela suppose de ne pas se laisser dominer par la tyrannie du présent et d’investir dans l’imagination.

Pour y réussir, les comportements solitaires de celui qui pense s’en sortir tout seul sont voués à l’échec. Ce sont les coopérations, les équipes, ceux qui ont des réseaux ouverts et vastes, qui vont s’en sortir le mieux. C’est le bon moment pour créer les rencontres et les discussions stratégiques.

Et pourquoi pas, finalement, avec un bon soufflé au fromage.

Même si la pente est forte.

 


Wargame : pour quoi faire ?

WargameOn peut considérer la stratégie, pour l'entreprise et ses dirigeants, comme la recherche des meilleurs moyens pour l'organisation de se relier à son environnement. C'est pourquoi cette notion d' "environnement" interroge toujours, et n'est pas facile à décrire. 

Les tenants de l'approche "Scenario Planning", dont j'ai déjà parlé ICI et ICI y voient un enjeu pour apprendre le futur, et  se mouvoir dans un contexte incertain. Il est ainsi fait une distinction importante entre "l'environnement transactionnel", celui directement lié à l'entreprise (ses fournisseurs, ses clients, ses employés, ses concurrents, ses investisseurs, les régulateurs, les lobbyes), et cet environnement plus large appelé "l'environnement contextuel" ( la macroéconomie, la géopolitique, la démographie,..).. Cet environnement "contextuel", c'est celui sur lequel les organisations, individuellement, ont peu ou pas d'influence. Alors que leurs offres ont des relations avec tous les acteurs de l'environnement " transactionnel", et peuvent donc l'influencer à des degrés plus ou moins larges.  Environements

En fait, cette distinction entre environnement "transactionnel" et environnement "contextuel"n'est pas aussi fermée. Dans l'environnement "transactionnel" chaque acteur peut avoir une influence sur d'autres acteurs identifiés, mais pas un total contrôle de l'ensemble des acteurs de cet environnement. En fait les influences se répercutent d'une interaction à l'autre entre tous les acteurs de l'environnement. C'est ainsi que l'on appelle cet environnement le "champ de bataille". Et pour le simuler on peut même considérer que ce champ de bataille est un lieu où les interactions, les compétitions, les alliances, se jouent entre les acteurs pour construire les scénarios et dynamiques de marché qui vont directement s'inscrire dans l'environnement "contextuel". Et ainsi les mouvements et interactions entre firmes vont repousser la frontière entre environnement transactionnel et environnement contextuel.

Pour prendre cette hauteur, et simuler ces interactions entre acteurs, et l'impact sur l'environnement, une approche est de jouer à un "war game".

Le "war game" va ainsi permettre, en simulant les comportements de chaque acteur du champ de bataille, ainsi que leurs mouvements et décisions, comment chacun peut et va réagir dans l'environnement transactionnel, et comment il peut réagir aux mouvements et aléas de l'environnement contextuel. En faisant varier les aléas et les mouvements de l'environnement contextuel, on construit ainsi des scénarios dynamiques qui sont autant de chemins vers le futur, et peuvent même avoir valeur prédictive si les mouvements et réactions des acteurs sont bien anticipés. 

C'est donc un outil puissant pour mettre en évidence les opportunités et challenges qui se présentent aux dirigeants de l'entreprise qui l'utilisent : quelles dynamiques de marché et quelles interactions peuvent se mettre en place et surprendre les adversaires, selon les scénarios pour l'environnement contextuel ?

Pour en savoir plus et trouver les bonnes méthodes pour concevoir et tirer le meilleur bénéfice de ce type de démarche : ICI

A nous de jouer ! 


L'incertain est une chance

AvenirDEMAINPourquoi ne peut-on plus prévoir? Pourquoi l'avenir est-il si incertain?

Cela ne date pas d'aujourd'hui pourtant.

Croire qu'il existe des modèles de prévisions est un leurre.

Mais cet incertain est la chance de ceux qui croient à la liberté, et se méfient des programmes et des experts.

De quoi avons-nous alors besoin pour faire face à l'imprévisible ? 

C'est le thème de ma chronique de ce mois sur "Envie d'entreprendre"; C'est ICI.

N'oubliez pas votre boussole personnelle pour retrouver le chemin...


Comment apprendre le futur ?

Futur2Se tourner vers le futur, c'est un exercice habituel pour de nombreux dirigeants et pour chacun : quelle est notre stratégie? Quelles opportunités va-t-on pouvoir saisir? Comment anticiper?

On va parler de plan stratégique, de prévisions. Mais, si l'on tourne le regard encore plus loi, là où justement on ne peut plus trop prévoir, car les paramètres deviennent de plus en plus incertains, on va s'intéresser à la prospective.

Ces exercices ne sont pas faciles, et l'on a aussi besoin de méthodologies pour s'y lancer.

 

C'est précisément l'objet des démarches de "Scenario Planning" dont j'ai déjà parlé dans ce blog, comme ICI, ou ICI. 

Le point de départ du scenario planning est la prise conscience que le monde est caractérisé par ce que Rafael Ramirez et Angela Wilkinson appellent dans leur livre " Strategic reframing", TUNA : Turbulence, Uncertainty, Novelty, Ambiguity. Et ces caractéristiques sont les conditions de tous les changements et disruptions que nous connaissons. 

Alors dans ce contexte, comment explorer le futur ? 

Cette question trouve son origine dans les sciences sociales, et plusieurs écoles s'y sont attaqué; cette branche de la philosophie a un nom : l'épistémologie, qui étudie comment connaître et découvrir la vérité. 

L'épistémologie la plus utilisée dans les sciences sociales est cette qui a été adaptée des sciences "naturelles" (chimie, physique) et nommée positivisme. Les positivistes, comme Leibnitz, considèrent que la réalité existe de manière indépendante, et que la tâche du chercheur est de découvrir cette réalité "objective". Dans la recherche du futur, cette démarche positiviste a ses limites : elle permet de définir le consensus sur les faits non contestés, mais ne challenge pas complètement les certitudes.Si tous les experts partagent la même vision fausse, cette fausse vision sera confondue avec la vérité, jusqu'à ce qu'un nouveau chercheur vienne démontrer que l'hypothèse est fausse (on est sûr que tous les cygnes sont blancs, jusqu'à ce que l'on découvre qu'il existe des cygnes noirs).

C'est dans la deuxième moitié du XXème siècle qu'une critique de l'épistémologie positiviste est apparue : le constructivisme. Selon cette philosophie, tout, y compris les faits, est considéré comme socialement construit : ce sont les perceptions des personnes qui construisent la réalité; et celle-ci change avec les perceptions. Cette approche  permet d'imaginer des futurs en tenant compte des perceptions variées des personnes.Elle imagine ainsi plusieurs futurs selon les personnes diverses qui participent à l'exercice.

Toutefois, la démarche de scenario planning n'est pas limitée au constructivisme : Elle veut aussi critiquer ce que l'on croit être "connu" ou "évident". Il s'agit aussi de comprendre d'où viennent les perceptions dans les structures de pouvoir et les relations. Imaginer les scénarios du futur nécessite de développer des alternatives de contextes du futur, et donc de challenger le status quo qui sous-tend un "futur officiel". Ce futur officiel est le scénario le plus courant dans les imaginations. Et c'est précisément ce que l'on cherche à critiquer avec le scenario planning. 

 ¨Pour explorer le futur, il s'agit de faire l'hypothèse que le futur, précisément, n'existe pas encore. Il n'est pas encore dans le présent. C'est une histoire émergente qui n'est pas encore réelle. Explorer le futur, cela consiste donc à aller chercher de nouvelles perspectives, à développer des idées créatives. 

Les questions qui se posent sont alors : De quel savoir a-t-on besoin pour explorer ce qui n'existe pas encore dans les faits? Comment acquérir ce savoir, et grâce à qui? Comment utiliser ce savoir?

Le savoir du futur n'est pas la même chose qu'une pensée à long terme. Le futur est en effet toujours un aspect du présent. Car ce qui va faire émerger le futur existe déjà dans le présent, comme quelque chose de latent qui va bientôt éclore. Les scientifiques ont d'ailleurs démontré que les zones de notre système nerveux qui contiennent notre mémoire sont aussi celles qui contiennent notre imagination de futurs possibles. C'est pourquoi quand on parle des scénarios du futur on évoque "les mémoires du futur". C'est grâce à la mémoire que nous évaluons les décisions que nous devons prendre, en nous référant à des situations que nous avons connues précédemment. Les auteurs appellent cela des "pré-jugements", on pourrait dire préjugés aussi. C'est précisément pour débusquer ces biais que l'exploration par le scenario planning va nous être utile. L'objectif est alors de rendre explicites ces "pré-jugements" pour mieux les contourner.

On comprend alors que explorer le futur consiste d'abord à comprendre ce qui se passe dans le présent, et comment nous l'appréhendons avec nos "pré-jugements". Et une fois cette situation présente mieux comprise, intérieurement, il va s'agir de "recadrer" notre savoir, d'abandonner ce qui le freine, et de produire de la nouveauté dans l'incertain.

Les situations de l'incertain ne sont pas des analyses de risques. Les analyses de risques se déroulent dans des situations stables et prévisibles : elles s'appuient par exemple sur des analyses statistiques du passé, et supposent que le futur reproduira la courbe en cloche (courbe de Gauss) du passé. normal. Mais quand un événement non prévu se réalise, il sort de la courbe normale justement. Explorer le futur ne consiste donc pas à faire des probabilités, mais à plonger dans l'incertain le plus profond.

 Ce que l'on va aller chercher ainsi, c'est ce que les auteurs appellent notre "intuition logique". C'est elle qui va nous permettre d'identifier comment des connexions entre des facteurs contextuels incertains peuvent faire basculer la compréhension du présent et produire de nouveaux futurs. 

Pour parvenir à développer cette "intuition logique", les moyens sont nombreux. Ils consistent tous à savoir sortir du cadre, à rencontrer des personnes diverses, "remarquables" (pas remarquables au sens de gens extraordinaires, mais remarquables parce que différents de ceux que l'on côtoie habituellement). Cela consiste à travailler avec des personnes nouvelles (oui, ça concerne aussi les consultants, il faut savoir aussi aller chercher ceux qui nous feront sortir des sentiers battus). on peut aussi voyager, faire des "Learning journeys", mais aussi des exercices de type "future expedition". C'est aussi explorer les tendances du futur les plus incertaines pour faire naître les "images du futur"...

Apprendre le futur, c'est mieux connaître le présent, en identifier ce qui nous empêche d'imaginer autre chose, et faire travailler notre "intuition logique".

Ainsi libérés, nous pourrons alors inventer le futur...


Les sept erreurs du management

ErreurmanagementJean-Michel Palagos et Julia Maris sont tous deux en binôme pour diriger DCI (Défense Conseil International), une entité entreprise de service pour le Ministère de la Défense, pour accompagner le transfert de savoir-faire militaire français à l'International. Ils sont aussi tous deux anciens du cabinet du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. Il viennent de commettre un ouvrage de management que je découvre avec admiration. L'ouvrage part de cet épisode incroyable du projet de système informatique de paye des militaires, dit "projet Louvois", qui a été un échec retentissant : soldes non versés, erreurs de calculs, nécessité de tout recalculer à la main. Impressionnant ! 

L'ouvrage des deux auteurs n'est pas du tout polémique, et ne dit pas grand chose finalement sur ce qui s'est passé concrètement dans ce projet. Par contre il en tire sept erreurs de management, et de prise de décision, qui deviennent des alertes pour tout manager, que ce soit dans le monde public ou privé. Et ces sept erreurs sont argumentées à l'aide de nombreux exemples tirés de lectures de Harvard Business Review, d'auteurs américains, et d'entreprises américaines. Cela vaut la peine d'y aller voir.

le livre s'appelle : " Diriger en ère de rupture - Brouillard et solitude" avec un illustration de couverture troublante, d'un petit bonhomme entre deux montagnes qui a du mal à trouver l'équilibre... Palagos

Le brouillard, c'est celui dans lequel tout dirigeant évolue. On est confronté à l'incertain, rien n'est prévisible. Et la solitude c'est celle du dirigeant qui à un moment ou à un autre doit décider.

Les auteurs militent d'ailleurs pour un modèle de management qu'ils pratiquent chez DCI : le fonctionnement en binôme pour diriger, qu'ils voient comme apportant une meilleure qualité de décision et un surplus d'énergie. Ce n'est pas la partie du livre la plus convaincante, car binôme ou pas, la direction d'entreprise prend aujourd'hui des formes qui recherchent de manière plus globale la mise en oeuvre de l'intelligence collective, la décentralisation, la délégation du management aux niveau du terrain, plutôt que de savoir si le chef est un ou deux.

Par contre, les sept erreurs qui sont décortiquées sont très pertinentes, et on comprend vite que le projet Louvois, et les fonctionnaires du ministère de la Défense, les ont commises toutes les sept !

Erreur 1 : L'aveuglement cognitif : conjurer le risque et l'incertitude - Imaginer qu'il fallait disposer d'un logiciel unique pour les trois armées, voilà le côté rationnel, c'est une évidence. Imaginer les risques et les anticiper, c'est une autre affaire. C'est le syndrome du "cygne noir" de Nassim Nicholas Taieb: Nous avons tendance à surestimer les informations factuelles dont nous disposons, à déformer rétrospectivement les événements, et à entretenir l'illusion de comprendre. En clair, nous nous croyons plus rationnels que nous ne le sommes vraiment.

Erreur 2: L'anarchie des objectifs: Dans le cas de Louvois, on voulait à la fois un système plus simple, mais aussi réorganiser, diminuer les effectifs (petite critique au passage de la RGPP de Sarkozy, Révision Générale des Politiques Publiques). Beaucoup d'objectifs, pas beaucoup de cohérence. Cette idée qu'on veut tout et son contraire. Alors qu'il vaut mieux avoir un objectif mieux défini.

Erreur 3: L'action à contretemps: C'est le sens du timing. Dans le cas de Louvois, c'est cet antagonisme entre le temps politique ( il faut annoncer des résultats rapides) et le temps technique (il faut du temps et les réalisations sont longues à bâtir pour être opérationnelles). Savoir trouver le bon tempo, ce n'est en effet pas si facile. 

Erreur 4: La tentation du management participatif: Les auteurs considèrent que cela dilue les responsabilités, et qu'il faut malgré tout un leader et un chef pour décider, et non un système trop participatif. Avec Louvois, on comprend que c'était le système parfait où personne n'était responsable de rien, vus les nombreux intervenants. La question c'est celle des responsabilités, et du qui. Comme dit un adage, " One neck to grab" (un cou à serrer). 

Erreur 5: L'illusion technophile: C'est cette illusion qui abdique l'entendement humain, qui fait trop confiance à la technologie. Là encore Louvois a l'air d'un bon modèle, car ce n'est pas la technologie elle-même qui a été mauvaise, mais la gouvernance des données elles-mêmes qui a été défaillante. 

Erreur 6 : L'orgueil des "têtes bien pleines": C'est cette croyance que l'erreur est interdite ( Failure is not an option). Les auteurs, eux-mêmes issus du même système scolaire d'élite, reconnaissent que nos dirigeants français n'ont presque jamais connus l'échec, issus de grands corps et ayant effectué des études brillantes. Ils font donc complètement l'impasse sur les vertus heuristiques de l'erreur. Ils sont dans l'image du "bon élève" qui ne se trompe jamais, qui applique à la lettre les règles établies. Ce refus de l'erreur provoque alors des attitudes néfastes, telles que la dissimulation, la créativité bridée, les mécanismes de routine et de défense, les difficultés à détecter à temps les potentiels désastres, et aussi le manque de franchise. Tout ça a caractérisé l'affaire Louvois.

Erreur 7: Le dogme de l'absence d'alternative: C'est la phrase de Margaret Thatcher, "There is no alternative ! " (TINA). C'est la posture du décideur qui est tellement sûr de lui qu'il n'est pas besoin d'imaginer un plan B. A l'inverse de toutes les démarches de "Scenario Planning" que citent les auteurs, et dont j'ai déjà parlé, comme ICI. Avec Louvois il n'y avait pas d'alternative, ni de plan B. En fait ne pas avoir de plan B, c'est finalement ne pas avoir non plus de plan A, car à la moindre chose qui ne se passe pas comme prévu, on perd tout. 

Toutes ces erreurs, on les identifie bien dans les projets qui dérapent, les décisions qui tournent mal. 

Intéressant de lire cet ouvrage entre les affres de la loi El Khomri et la nouvelle du Brexit. Là encore, on a affaire à tous ceux qui croient encore que "il n'y pas d'alternative".

On n'arrête pas de jouer à ce jeu des sept erreurs !

 


L'important et l'insignifiant : histoire de merle

Merle" Au cours des deux cents dernières années, le merle a abandonné les forêts pour devenir un oiseau des villes. D'abord en Grande-Bretagne, dès la fin du XVIIIe siècle, quelques dizaines d'années plus tard à Paris et dans la Ruhr. Tout au long du XIXe siècle, il a conquis l'un après l'autre les villes d'Europe. Il s'est installé à Vienne et à Prague aux environs de 1900, puis a progressé vers l'est, gagnant Budapest, Belgrade, Istanbul.

Au regard de la planète, cette invasion du merle dans le monde de l'homme est incontestablement plus importante que l'invasion de l'Amérique du Sud par les Espagnols ou que le retour des juifs en Palestine. La modification des rapports entre les différentes espèces de la création (poissons, oiseaux, hommes, végétaux) est une modification d'un ordre plus élevé que les changements dans les relations entre les différents groupes d'une même espèce. Que la Bohème soit habitée par les Celtes ou par les Slaves, la Bessarabie conquise par les Roumains ou par les Russes, la Terre s'en moque. Mais que le merle ait trahi la nature pour suivre l'homme dans son univers artificiel et contre nature, voilà qui change quelque chose à l'organisation de la planète.

Pourtant personne n'ose interpréter les deux derniers siècles comme l'histoire de l'invasion des villes de l'homme par le merle. Nous sommes tous prisonniers d'une conception figée de ce qui est important et de ce qui ne l'est pas, nous fixons sur l'important des regards anxieux, pendant qu'en cachette, dans notre dos, l'insignifiant mène sa guérilla qui finira par changer subrepticement le monde et va nous sauter dessus par surprise".

Milan Kundera - Le livre du rire et de l'oubli (1978, 1985).

Et pour nous, quel est l'important? Quel est l'insignifiant? Et quel insignifiant pourrait-t-il bien nous sauter dessus par surprise? Une bonne raison d'explorer les signaux faibles avant qu'ils grossissent, comme la leçon de Lawrence d'Arabie; et de développer notre art de la longue vue.

Un bon exercice pour prendre du recul dans ces dernières semaines d'août...

Même en lisant les romans de Milan Kundera...


Comment sera le travail en 2030 ?

FutureofworkO

On le sait : les prévisions sont toujours difficiles, surtout lorsqu'elles concernent l'avenir (merci Pierre Dac). Cela ne décourage pas pour autant les prospectivistes.

La prospective, d'ailleurs, ne consiste pas à "prévoir" le futur mais à imaginer, à partir de tendances plus ou moins déjà perceptibles dans le présent, des combinaisons de facteurs, des scénarios plausibles, qui nous aident à réfléchir et à préparer l'avenir dans un environnement incertain

.C'est toute la démarche d'une étude récente sur le futur du travail, à horizon 2030, conduite pour l'Angleterre, par un institut de prospective (Z-Punkt), l'Université de South-Wales, et une organisation publique UKCES (UK Commission for Employment and Skills).On trouve tout ICI (la version ppt, la version résumée, et, pour les courageux, le rapport complet).

On peut facilement transposer ces éléments de l'Angleterre à d'autres pays européens, comme la France, car les tendances étudiées et mises en évidence sont tout aussi présentes, avec peut-être des variantes, sur notre territoire. Et puis, l'emploi, le travail, c'est d'ailleurs une des tendances, ne seront plus à considérer seulement pays par pays mais à l'échelle de l'Europe, voire du monde.

Une fois parcouru les hypothèses et scénarios, une chose au moins paraît certaine : pour les employeurs et les entreprises, la capacité à attirer et à conserver des talents de classe mondiale va être un facteur de plus en plus important de différenciation sur les marchés mondiaux.

Il est intéressant de parcourir, pour s'en convaincre, les treize tendances que les chercheurs ont analysées, regroupées en cinq types.

Tendances sociétales individuelles

1. Changement démographique : En Angleterre la population de 65 ans et plus va augmenter de 42% d'ici 2030, alors que la population des 16-24 ans ne va, elle, augmenter que de 3%. Les lieux de travail dans les entreprises vont naturellement devenir plus multi-générationnelles; quatre générations vont travailler en même temps.

2. Augmentation de la diversité : le rôle des femmes sur le marché du travail va continuer à s'accroître en nombre et en importance dans les hiérarchies.Les 2/3 de la croissance des jobs de haut niveau seront occupés par des femmes. Même phénomène sur l'immigration : les migtrations en Angleterre contribueront à plus de 10% de la croissance nette de la population.

3. Incertitude des revenus : Les salaires et revenus ont de fortes chances de baisser, avec de plus en plus d'inégalités. Les prévisions indiquent que la part de la richesse nationale captée par les 0,1% les plus riches va passer de 5% à 14% d'ici 2030 (toujours en Angleterre, mais les autres feront-ils différemment?).

4. Désir plus fort d'un meilleur équilibre vie professionnelle - vie personnelle : Cela se traduit par une demande de plus de flexibilité dans le travail. Flexibilité sur les horaires, le lieu de travail, les tâches. Cette possibilité de flexibilité va peser de plus en plus sur le choix d'un lieu de travail et d'un employeur.

5. Changement de l'environnement de travail : Les organisations des entreprises pourront être défaites et reconstruites rapidement. Les collaborations seront de plus en plus importantes, ainsi que les interactions entre collaborateurs. Le travail à distance se développera. Les jobs seront flexibles, avec les horaires flexibles, le télétravail.

Tendances dans lesTechnologies et l' Innovation

6. Convergence entre les technologies et les expertises : La frontière entre les disciplines va disparaître. L'informatique, les sciences de la vie, les sciences naturelles vont converger pour créer de nouveaux business models, avec des robots qui vont occuper des tâches aujourd'hui faites par des humains. 

7. Développement des Technologies de l'Information et de la Communication, et avènement du Big Data : Les performances vont continuer en termes de miniaturisation, de puissance de calcul, nanotechnologies. Les données seront de plus en plus nombreuses; les analyses des Big Data vont aussi changer les modèles.

8. Digitalisation de la production : Les process de production vont se transformer par la digitalisation; l'échange en temps réel de données entre les machines, les équipements, les objets connectés, et les en-cours de production, les systèmes de production et les usines vont devenir de plus en plus autonomes et automatisés. La décentralisation des process de production complexes sera une réalité gra^ce à de nouvelles techniques comme les imprimantes 3D.

Tendances du Business et de l'économie

9. Changement des perspectives économiques : Du fait de la globalisation et des changements technologiques l'économie et le système financier vont encore augmenter en complexité. Face à la volatilité des prix des matières premières, les entreprises devront plus que jamais pouvoir rendre leurs activités et chaînes de valeur de plus en plus résilientes, et s'habituer à l'incertitude.

10. Transfert vers l'Asie : Le poids économique du monde va basculer vers l'Asie, là où seront les croissances économiques les plus fortes, et les opportunités d'investissement les plus rentables. D'ici 10 ans, 40% des jeunes diplômés de l'OCDE seront en cHine et en Inde, alors que ceux de l'Europe et des Etats-Unis n'en représenteront que le quart.

11. Nouveaux ecosystèmes Business : Les entreprises vont devenir de plus en plus des "chefs d'orchestre de réseaux". Leurs capacités à connecter les expertises et les ressources, où qu'elles soient, seront plus importantes que les ressources qu'elles posséderont en propre dans l'entreprise elle-même. La plupart des innovations viendront de coopérations entre partenaires , à l'extérieur de l'organisation.

Tendances sur les ressources et l'environnement

12. Rareté des ressources naturelles et dégradation des écosystèmes : Le développement débouche sur un accroissement de la demande de ressources naturelles et de matières premières. On va donc avoir une volatilité des prix, et une recherche de solutions alternatives, qui vont bousculer les modèles d'entreprises.La surexploitation des ressources naturelles va augmenter les coûts d'extraction et de dégradation des écosystèmes.

Tendances politiques et règlementaires

13. Décroissance de l'action publique : les finances publiques étant limitées, et raréfiées, l'action publique va diminuer; moins de subventions, moins de redistribution, etc...Les actions privées et individuelles vont ainsi prendre plus d'importance. L'investissement dans le capital humain va être privé, y compris dans l'Education, de plus en plus.

Ces tendances, on les connaît toutes; on les a là, aujourd'hui, sous les yeux. Il n'est pas difficile d'imaginer combien elles vont impacter, à des degrés variables, toutes nos entreprises et le marché du travail, et pas seulement en Angleterre.

Et pourtant, combien d'entreprises, petites ou grands groupes, imaginent encore que le futur, c'est un peu plus de la même chose qu'aujourd'hui? C'est difficile d'imaginer les ruptures; et il est toujours trop tard pour réagir quand elles arrivent.

Alors, pas besoin d'attendre 2030, au contraire, pour être prospectiviste : c'est maintenant que les transformations se préparent et s'anticipent. Et il y a de quoi faire....


Être devant

Y_a_t_il_un_pilote_dans_l_avion_02_cabineJ'ai lu ICI que c'est une expression des pilotes de ligne : Être "devant l'avion". Il s'agit pour l'équipage d'être dans l'anticipation plutôt que d'agir dans la précipitation. Cela consiste à évaluer les menaces, les erreurs potentielles que l'on pourrait commettre. Cela n'a rien à voir avec la prévision, car nous agissons, nous le savons, dans l'incertitude; cela correspond plutôt à ce que les auteurs de cet article (un pilote de ligne - Jerôme Schimpff- et un économiste - Nicolas Bouzou) appellent " un état de vigilance permanente". Si l'on transpose ce concept à la direction eu au management de l'entreprise, cela correspondrait à "être devant l'entreprise". 

Cela va correspondre à quelque chose qui ressemble, je trouve, aux approches par le "scenario planning" dont j'ai souvent parlé ici, à retrouver ICI, et que je retrouve en lisant cet article.

Mais cette expression "être devant", c'est aussi, peut-être, un message, paradoxalement, d'humilité : en étant "devant" son entreprise, son équipe, ses collaborateurs, nous cherchons à comprendre "quelles erreurs nous pourrions faire", et donc nous sommes en conscience, en responsabilité. Trés différent d'une approche de matamore, sûr de lui, prêt à faire les pires bêtises et à commettre les erreurs sans consulter personne, sans écouter les autres, sans douter. "être devant", c'est peut-être finalement être dans l'écoute. Comme tendre l'oreille, et interroger son intuition.

"Être devant", ce n'est pas un message pour se croire meilleur que tout le monde, c'est plutôt, tel que l'on comprend le message du pilote de ligne, réduire le taux de défaillance d'entreprises comme on réduit le taux des accidents dans le transport aérien en apportant cette vigilance à nos comportements et décisions.