Transformation : de la colère à la vision

Transformation123Quand on parle de transformation d'entreprise, ou de soi-même, on fait référence à un phénomène particulier : ce n'est pas le développement normal de l'entreprise, qui passe par des améliorations lui permettant de croître, d'être meilleure dans ses process et son fonctionnement, quelque chose d'assez linéaire.

Non, la transformation fait référence à un changement d'"être" : quelque chose de non linéaire, fait de ruptures, dans lequel il y a une fin (une mort) et un nouveau début (une naissance).

Les deux phénomènes ne s'opposent pas, et sont tous deux utiles. Il faut juste ne pas les confondre; et être consultant dans des situations de transformation fait appel à des qualités particulières.

Pour l'entreprise qui sent la nécessité d'une transformation, il n'est pas question de chercher à dessiner des systèmes qui soient plus efficaces et plus efficients, mais plutôt de pouvoir rester en vie dans des systèmes qui changent, qui ont déjà changés.

J'aime bien les sept étapes du process de transformation, toutes sortes de transformations, évoquées par Harrison Owen dans son ouvrage " The power of spirit". 

1. Choc et colère

Pour que la transformation puisse s'engager, il faut repérer cette phase de colère, ce moment où l'on arrête de respirer aprés avoir dit "Et zut" ou quelque chose de plus vulgaire. Ce moment où l'on se dit : non, ça ne va pas; mais où l'on se remet à respirer quand même...On voit bien que ça ne peut plus durer comme ça. Ce moment de respiration arrêtée et qui repart est un bon indicateur à observer : si cela se propage parmi les managers, la transformation est partie...

2. Déni

On dirait que cette étape est une perte de temps; elle retarde l'action; mais Harrison Owen la considère indispensable; même courte, elle est nécessaire. C'est l'étape où l'on pense que la fin n'est pas encore pour maintenant. C'est comme un pansement sur une plaie qui saigne. On calme, on anesthésie.

3. Souvenirs

Cette étape, c'est celle où l'on prend conscience de la réalité de la situation, On accepte que c'est la fin d'une situation. Mais on fait défiler ce qui s'est passé avant, ce qui aurait pu se passer, ce qui n'est pas arrivé. On évoque les remords et les regrets. L'avantage de cette étape, c'est de prendre conscience de ses actifs, de ce qui fait notre force; on s'en souvient; on s'en souviendra.

4. Désespoir

Là, on passe à un moment de vide. Ce grand vide qui nous envahit, et peut nous faire peur. Ce vide où l'on a l'impression que l'on ne va pas s'en sortir, où l'on ne voit pas l'avenir précisément. On peut rencontrer une forme de désespoir.

5. Silence

Aprés le choc, la colère, le déni, les souvenirs, le vide, le désespoir (tout ça peut aller trés vite...ou non), on arrive dans le silence. Ce silence est important. C'est pour Harrison Owen comme le moment où l'on est enceinte. Ce moment est celui de la création.

6. Questionnement

Dans ce moment de silence, il faut lutter contre une tendance forte : celle de vouloir remplir le vide; dans les entreprises, cela consiste à ressortir des plans stratégiques, des plans d'actions, des groupes de travail,...Tout ce qui fera du bruit pour empêcher le silence.

Pour Harrison Owen, ce moment de silence est précieux pour apporter non pas du bruit mais un questionnement profond. La meilleure question à ce moment c'est : Que vas tu faire du reste de ta vie ?

Le plus important, ce n'est pas la réponse, chacun peut la trouver à l'intèrieur de lui-même; c'est l'attitude face à la question; cette capacité à entrer dans l'imagination. On pourrait parler d'amour.

7.Vision

La vision est cet état futur que nous avons dans la tête. Nous ne suivons pas une vision; nous sommes mûs par elle, comme possédés. C'est une passion.

Elle n'est pas le résultat d'un effort, d'une analyse, d'un calcul; elle émerge comme ça, comme une force.

Cete description du mouvement de la transformation, parti de la colère pour aboutir à cette vision, telle que décrite par Harrison Owen, elle rappelle un peu, je trouve, les sept demeures de Sainte thérèse d'Avilla,dans son château de l'âme.

Transformer l'entreprise, se transformer...un voyage, quasi initiatique, plutôt qu'une méthodologie.


Personne ou individu ?

PersonnaLe terme de "personne" désignait à l'origine le masque de théâtre grec; puis il s'est appliqué à l'acteur, puis au rôle théâtral et social. Le concept de personne ne vise pas à spécifier ce qu'est l'homme en soi, mais une de ses modalités.

Mais il existe aussi une conception chrétienne de la personne que je découvre en lisant le texte du père Baudoin Roger dans l'ouvrage édité par le collège des Bernardins sur " L'entreprise : formes de la propriété et responsabilités sociales", fruit d'un travail de Recherche appronfondi, et un colloque sur le sujet, à voir ICI.

Cela fait référence à la distinction des trois "Personnes" de la Trinité, tout en tenant l'unité absolue de Dieu. La personne est ainsi constituée par ses relations, sa singularité ne pouvant être saisie que par sa relation, une manière particulière de vivre la relation.

" Ainsi, dans la Trinité, la désignation du Fils, qui le caractérise dans sa singularité, est entièrement référée à sa relation au Père. Cette relation n'est pas un attribut, elle le définit pleinement : il est celui qui est en relation au Père en étant tout entier Fils".

Ce concept s'applique à l'homme : l'identité de la personne est indéfinie au départ, c'est une "singularité sans contenu"; l'homme précise alors son identité à travers les relations qu'il noue. L'homme devient ce qu'il est en s'ouvrant à la relation.C'est la relation qui permet de développer la personnalité.

Ce concept de personne s'oppose à celui d'individu : l'individualisme affirme la primauté de l'individu sur la société. L'individu est qui il est, en substance, indépendamment de toutes les relations. On suppose que l'individu a une singularité intangible, comme un attribut natif.

Ces deux concepts sont intéressants pour observer le fonctionnement et l'organisation de nos entreprises.Ils permettent de comprendre comment sont perçus et gérés les collaborateurs.

Quand mes collaborateurs sont des "individus" je fais l'hypothèse que l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise sont plutôt définis par le haut; les critères de performance sont également déclinés par le haut, généralement à partir des attentes des actionnaires ( la création de valeur pour l'actionnaire, basée sur la valorisation de l'action). Cette déclinaison conduit à descendre les critères par Business Unit, et in fine, jusqu'à la performance individuelle. Les individus dans l'entreprise sont identifiés par leurs compétences, leurs performances; on peut les comparer, les mettre en compétition. Leur substance s'adapte à l'entreprise, et délivre son talent pour l'entreprise.

Lorsque mes collaborateurs sont des "personnes", c'est la relation entre elles qui fabrique les personnalités, qui permet aux collaborateurs de s'identifier à un "bien commun". Dans ce "bien commun", la performance de l'un est la performance de tous, car chacun se construit des succés des autres; les relations sont ce qui fait le succès de chacun, et donc de tous. Les collaborateurs de cette entreprise sont comme les membres d'une même toile, agissant ensemble. Il y a alors une "mobilisation intégrale" des personnes pour l'entreprise et ses buts.

Forcément, on sent bien le paradoxe : parfois, notamment lorsque je fixe les objectifs, lorsque j"évalue les performances, je vais gérer des "individus"; mais lorsque je vais chercher ce petit plus qui fait que mes collaborateurs sont engagés, se donnent à leur travail, croient dans l'entreprise, alors là je vais plutôt avoir tendance à chercher à les considérer comme des "personnes".

Ce paradoxe peut amener à créer des tensions dans l'entreprise, notamment lorsque les dirigeants se sentent d'abord des représentants de actionnaires, exigeant des "individus" le performance adéquate, alors que les collaborateurs ont envie qu'on les reconnaisse comme des "personnes", êtres de relation..

D'où le besoin de retrouver plus souvent dans l'entreprise ce concept de "personne".

Comme le souligne le père Baudoin Roger :

" L'entreprise détermine des aspects fondamentaux de la vie des personnes, et engage pour elles des questions qui relèvent du sens et des finalités.(...). La prise en compte des "personnes" impliquées dans la vie de l'entreprise impose des évolutions significatives des représentations mentales de l'entreprise, de ses modes d'organisation et de management. Il s'agit là d'exigences qui sont au fondement du libéralisme : Les personnes ont le droit de participer (expression, contrôle) aux décisions qui les affectent; les institutions ne peuvent légitimement être prescriptrices de finalité pour les personnes".

On sent aussi combien sera plus exigeante pour les managers et dirigeants, cette prise en compte des "personnes", pour sortir d'une vision trop exclusivement individualiste du management et de la performance.


Un chat sur les nouvelles technologies !

ChatC'est Simon qui m'a prévenu : aujourd'hui le Directeur Général de LOGICA France, Stéphane Jaubert, va faire un chat sur les nouvelles technologies...

Il s'adresse en video à tous ceux qui brûlent de connaître son avis sur le sujet : " Pourquoi les nouvelles technologies sont-elles un tremplin pour l'avenir ?" Super suspense, non ?

Cela se passe ICI à partir de 13H00, aujourd'hui. On peut poser ses questions à l'avance.

Simon aimerait bien que je lui dise ce que m'inspire cette expérience. Je n'y manquerai pas.

A suivre, donc.


Sans pli

Simple22

 Dans l'entreprise, dans nos organisations, dans nos process, tout ce qui est compliqué, c'est mal.

On entend partout que l'on veut des choses et des solutions simples; c'est parfois une façon de refuser le changement et la nouveauté. " Monsieur le consultant, je veux des choses simples".

Ceux qui ont tendance à confondre simplicité et résistance au changement devraient aller rechercher l'origine étymologique de cette " simplicité" que je redécouvre au hasard d'une lecture ( " Ecrits sur l'hésychasme" de Jean-Yves Leloup) à propos de l'état d' apathéia cher aux orthodoxes) :

" L'état d'apathéia que nous traduisons par " état non pathologique de l'être humain", est un état de spontanéité, d'innocence, de simplicité ( simplicitas étymologiquement, veut dire " sans pli", sans retour sur soi). Il décrit un état de clarté de l'intelligence qui " voit" les choses telles qu'elles sont, sans s'y projeter avec ses mémoires, ses idées, ses idéologies ( idoles). C'est la conscience-miroir, état de calme et de santé du cerveau, diront les neuro-psychologues".

Cette pureté de coeur de l'apathéia, cette ouverture sans préjugés, c'est la clé de la simplicité. Pour être dans la simplicité, pas de pli ni de retour en arrière, sur soi.

Une bonne façon de commencer une discussion sur : comment apporter de la simplicité dans mon entreprise, mais aussi, bien sûr, dans nos comportements et attitudes.

C'est....simple, non ? on dirait que " ça ne fait pas un pli"...


Un point indivisible qui soit le véritable lieu : l'identification contre l'imitation

Tableau

Dans le dialogue entre René Girard et Benoît Chantre que constitue "Achever Clausewitz" (et dont je poursuis la lecture, évoquée ICI ), on constate que la figure de Napoléon exerce sur Clausewitz un double effet : du rejet, car c'est contre Napoléon qu'est écrit "De la guerre", ce Napoléon qui a gagné la bataille d'Iéna en 1806 contre les Prussiens. Cette bataille précède le traité de Tilsit qui, en juillet 1807, va amputer la Prusse de la moitié  de son territoire, qui va perdre 5 millions d'habitants, et devoir une énorme indemnité de guerre.

C'est précisément cette honteuse défaite qui va, au dire des historiens, alimenter tout le regain du nationalisme allemand, et les conflits du XIXème et XXème Siècle entre la France et l'Allemagne. Clausewitz est le théoricien de cet appel à la transformation de l'Allemagne.

Mais, comme le remarque René Girard et Benoît Chantre, ce rejet comporte aussi, de la part de Clausewitz, une véritable fascination, admiration (?) de Clausewitz pour Napoléon. qui exerce sur lui un "désir métaphysique".

Cette analyse est alors l'occasion de parler de cette distance difficile à trouver lorsque l'on regarde l'autre, une situation, un objet.

Benoît Chantre rappelle cette citation de Pascal, qui évoque la distance qu'il faut pour voir un tableau, ni trop loin, ni trop près :

" Il n'y a qu'un point indivisible qui soit le véritable lieu.Les autres sont trop près, trop loin, trop haut, ou trop bas. La perspective l'assigne dans l'art de la peinture, mais dans la vérité et la morale qui l'assignera ?".

Dans toute situation, ce thème nous revient. Être trés près de l'autre est le signe d'uen forte empathie, mais qui devient mimétique quand elle est excessive;  l'excessive indifférence est tout aussi mimétique; et dans les deux cas ce mimétisme appelle la violence contre l'autre.

Ce "point indivisible qui soit le véritable lieu" dont parle Pascal, c'est la charité. Et René Girard en conclue que :

" A l'heure où la transcendance des modèles ne nous est plus donnée, c'est à nous qu'il importe de rétablir cette transcendance, en résistant à l'attraction irrésistible que les autres exercent sur nous et qui conduit toujours à la réciprocité violente."

C'ette capacité à maintenir l'autre à distance, c'est  l'identification, elle trouve son inspiration dans le Christianisme, qui délivre précisément le message permettant d'échapper à l'imitation des hommes. Pour sortir de la spirale mimétique, cela consiste à ne plus imiter pour ne plus être imité.

Car "imiter le Christ, c'est s'identifier à l'autre, s'effacer devant lui". L'identification à autrui est ainsi envisagée, par Benoît Chantre comme René Girard, qui convergent dans cette analyse, comme "une correction de notre tendance mimétique".

Le mimétisme, source de désir et de violence, ainsi opposé, grâce à ce "point indivisible qui soit le véritalbe lieu" , à l'identification à autrui, elle-même inspirée par l'imitation du Christ.

Voilà de belles réflexions pour apprendre à prendre du recul et à garder nos distances face aux situations, aux autres, et à nos émotions.

Peut-être de quoi tirer un peu de sagesse pour  trouver sa place dans des situations de crise, de conflits, ou de changement. En fait, toutes situations.


L'alibi le plus mensonger

Idole

Une rencontre m'a fait connaître un auteur jésuite et psychanalyste, Denis Vasse, et un ouvrage paru en 1969 : " Le temps du désir".

C'est une exploration de ce que l'auteur appelle "l'homme de désir".

Le chapitre qui a retenu mon attention est celui sur le travail. L'analyse n'a rien perdu de sa force, depuis quarante ans; on pourrait même penser qu'elle est encore plus pertinente aujourd'hui.

 Vous connaissez ces personnes qui ont l'air dévouées à leur travail, qui le vivent comme un don de soi; ils travaillent, parce qu'ils y croient, parce qu'ils se sacrifient, en quelque sorte;

Denis Vasse nous fait comprendre que le travail peut être un "alibi" ...

Allons voir.

" Le travail peut être l'alibi le plus mensonger de l'homme. Etre à son travail peut être, de toutes, la manière la plus sûre de ne pas être là où un autre nous cherche ou nous attend, dans notre parole."

 " Relever la liste des expressions courantes dans lesquelles le travail est évoqué pour éviter une rencontre ou un affrontement seait une tâche simple."

L'effort laborieux, l'attention portée à son travail, qui se donne ainsi les traits d'une générosité revendicative, est un alibi d'un conflit inconscient qui interdit le jaillissement de la parole libératrice. Pendant qu'on s'enferme dans le travail, à l'excés, on ne parle pas d'autre chose.

D'autant plus quand le travail est "pénible", et que la pénibilité joue un double rôle :

" Elle soulage pour un temps, mais sans y remédier, la culpabilité latente, et par la pitié ou la considération qu'elle suscite, elle valorise. Comme si l'individu en question disait : " Ce n'est pas de ma faute, je ne puis pas faire autrement, regardez comme je travaille, ou...comme je souffre".Aux yeux de l'instance qui le juge - en lui, ou, projetée en dehors de lui, dans l'autre - il n'est pas coupable.L'abrutissement de l'usine ou du bureau, l'asservissement aux exigences indéfinies de l'étude intellectuelle sont de cet ordre. Le travail devient expiation qui conjure et prétend rendre sans objet toute accusation. "

L'ambiguïté réside aussi dans cette admiration que recherche, plus ou moins consciemment, celui qui travaille comme ça, dans les yeux des autres.

" Cette admiration a le goût de la drogue et bientôt l'homme laborieux ne pourra plus s'en passer. Son travail et sa peine ne le délivrent pas de lui-même, ils l'aliènent à l'image trompeuse qu'il a de lui. En général un tel individu ne cesse de protester de sa modestie, et son flair lui fait détecter chez les autres les traces cachées d'un monstrueux orgueil."

Dans cette attitude, dans cette image trompeuse, dans ce monstrueux orgueil, le travail devient comme une idole, Quand ce travail devient la propre fin de l'homme, et, selon Daniel Vasse, ne transmet plus la vie.

" Contraint au mutisme ou vociférant, l'homme se découvre porteur d'une voix qui n'a plus de sens pour lui."

Cette description, elle éclaire aussi ce qui sauvera cet homme : la parole, le désir; retrouver le sens et s'exprimer. Retrouver une parole qui a du sens pour soi; sortir de cet alibi mensonger.

Pour cela il convient de sortir du savoir, nous dit Daniel Vasse :

" La certitude du savoir de l'homme ne cache jamais que l'incertitude de sa vie".

C'est, on le comprend, à une autre conception du travail que nous appelle Daniel Vasse en dénonçant ces comportements mensongers.

Pour lui, l'homme sait qu'il travaille vraiment lorsqu'il se révèle dans son activité; le travail acquiert alors, comme la parole, un caractère de perpétuelle nouveauté.

Ainsi, entre l'alibi mensonger et la révélation libératrice, à chacun d'avoir le courage de choisir. ce n'est pas le travail lui-même qui est différent, mais notre regard.


Papillon blanc

Papillon2  La question de l'identité de l'entreprise est un sujet qui revient régulièrement.

Car une entreprise, ça ne peut pas se résumer à des objectifs financiers, des taux de croissance, des parts de marché.

Il se pose aussi la question : qui sommes-nous ? qui voulons-nous être ? C'est quoi notre différence, ce qui nous rend unique.

Question d'autant plus compliquée quand on s'aperçoit que les réponses que nous avons données hier et parfois encore aujourd'hui à ces questions, ne pourront plus être les mêmes demain. Tous ceux qui sont confrontés à des ruptures technologiques connaissent bien ces sujets. Cela ne concerne pas que les entreprises de technologie, mais aussi, par exemple, celles qui évoluent dans les secteurs de l'énergie (aprés le pétrole, il y a quoi ?), l'automobile (est-ce que ça va marcher, la voiture électrique ? et quand ?), les transports publics (c'est quoi le métro du futur ?). Tout le monde s'y met.

 Mais pour l'entreprise, l'identité, ça ne peut pas se résumer non plus à un choix de positionnement stratégique guidé par une unique préoccupation : où est-ce qu'il y a le plus de fric à se faire ? Là, on ne parle pas d'identité, mais d'opportunisme.

Non, l'identité, l'individualité, de l'entreprise, ça parle plutôt de ses valeurs, de sa vocation, de ce qui fait, allez, osons, son âme.

C'est sûr que de l'âme de l'entreprise, on ne parle pas souvent.

Comment s'approprier ce mot ?

Le plus simple est d'aller fréquenter ceux qui ont passé leur vie à s'occuper de leur âme, c'est à dire les auteurs mystiques.

Un de mes préférés, c'est Sainte Thérèse d'Avila, et son "château de l'âme".

Sainte Thérèse a écrit ce livre, comme un témoignage, en six mois, en 1577, depuis le Carmel où elle résidait, prés de Séville.

Elle y décrit une vision, celle ôù l'âme est représentée par un château divisé en sept demeures, qui correspondent aux sept degrés de l'oraison ou de l'intimité avec Dieu. L'âme doit ainsi parcourir ces sept demeures l'une aprés l'autre pour atteindre la demeure suprême au plus près de Dieu.

Ce qui est éblouissant dans ce livre, c'est de parcourir ces sept demeures, avec les descriptions des sensations et émotions de Sainte Thérèse dans sa vision du parcours à accomplir pour élever son âme.

La première demeure est décisive, puisque c'est celle où l'on passe de l'extérieur à l'intérieur du château. C'est l'image du moment où l'on passe du monde des "affaires", le monde matériel, représenté par une forêt pleine de serpents, à ce château de l'âme, l'endroit où l'on va s'occuper de soi, où l'on va lever les yeux vers un but qui nous appelle et nous dépasse. La première demeure de ce château n'est que le début du parcours, mais elle marque un profond changement. Cette demeure, pour Sainte Thérèse, c'est celle de "la connaissance de soi". Car pour atteindre un but plus élevé, il est nécessaire de prendre conscience d'où l'on part.

Le rapport avec notre sujet de l'entreprise peut paraître bien lointain, voire sacrilège...

Néanmoins, cette connaissance du point de départ, cette capacité à se livrer à un dagnostic sans complaisance, ça nous parle aussi de stratégie.

Et cette vision qui nous appelle, qui vient chercher notre âme, c'est cette sensation qui nous fait voir loin et nous donne envie.

De demeure en demeure, les métaphores vont se multiplier, et, avec un sens poétique certain, Sainte Thérèse nous fait sentir combien ce parcours est exigeant, douloureux, et comporte toujours le risque de retourner en arrière.

Arrivés à la cinquième demeure, elle utilise la métaphore de la chenille qui devient papillon : une rupture forte se produit; l'âme se fait "petit papillon blanc". Mais ce papillon n'arrive pas à s'habituer, il ne trouve pas le repos; il ne sait "ni où se poser, ni où se fixer". " Désormais, il ne compte pour rien les oeuvres qu'il a accomplies, quand il n'était qu'un simple ver et formait peu à peu le tissu de sa coque. Les ailes lui ont poussé; comment se contenterait-il de marcher à pas lent lorsqu'il peut voler ?".

Ce moment où l'on ne veut plus marcher à pas lent, où l'on veut voler, mais où l'on se sait pas où se poser, ce mouvement de l'âme vers une autre dimension, quelle jolie métaphore. Mais Sainte Thérèse nous fait aussi participer aux émois de ce papillon qui veut voler, mais se sent enchaîné.

Alors la sixième demeure va lui faire connaître une autre sensation : le"vol d'esprit". C'est ce moment où l'on se sent décoller, porté et protégé.

Sainte Thérèse aborde sa vision de la septième demeure avec humilité, car elle est persuadée qu'elle n'est elle-même pas encore parvenue à cette demeure, et peut-être même pas à la sixième. Ce qui ne peut que nous rendre humble à notre tour dans notre propre quête.

Cette septième demeure, c'est celle du mariage divin, celle où "notre petit papillon est mort dans une allégresse indicible".

On l'a compris, ce château de l'âme que Sainte Thérèse nous invite à visiter, c'est notre château intérieur, celui où l'on peut entrer et se promener à toute heure. "Nous pouvons considérer l'âme non comme une chose qui est dans un coin et à l'étroit, mais comme un monde intérieur où trouvent place ces demeures si nombreuses et si resplendissantes".

Oui, s'imerger et se laisser porter, lâcher prise, dans ce voyage dans le "château de l'âme", c'est un merveilleux moment pour porter ses regards, sa générosité, vers un but qui nous dépasse, qui nous appelle, plusque nous le visons avec précision.

Parler d'identité, de soi-même, de l'entreprise, d'une organisation, c'est cette remise en cause, cette confrontation avec le château. Le plus grand courage est de franchir la porte, de laisser les serpents, pour parcourir ces demeures nombreuses et resplendissantes.

Pour ceux qui manquent d'idéal, qui voient tout en gris, qui n'ont plus d'inspiration pour eux-mêmes, leurs équipes, leur entreprise, un voyage dans le "château de l'âme" constitue un excellent remède.

Alors, ouvrez la porte...la visite peut commencer....


Le marché du religieux et l'entreprise

SainteBarbie Il y a longtemps que l'on voit les religions circuler et se développer : on pense tout de suite au modèle des missionnaires et des cultures dominantes qui voyaient dans la colonisation une conversion forcée à la religion du dominant.

Cela a permis au catholicisme, en tant que culture, de se développer hors de France par exemple.

On pense aussi aux indiens d'Amérique dominés par la culture protestante.

Pourtant, aujourd'hui, avec la mondialisation, le phénomène a changé.

D'abord, il y a eu les lois qui ont séparé la Religion et l'Etat. En France, c'est la loi de 1905 : le principe de la laïcité, qui résonne encore aujourd'hui dans les débats politiques (terme trés spécifiquement français, sans traduction dans le monde anglo-saxon ou asiatique), confirme la liberté de religion, mais enlève à la Religion toute prétention à vouloir diriger ou interférer dans les affaires publiques ou la gestion de la cité.

C'est pourquoi, si l'on suit le raisonnement d'Olivier Roy, dans son ouvrage  "La sainte ignorance", , la religion s'est séparée de la culture. Ce phénomène s'accentue avec la mondialisation : la religion n'accompagne plus une culture particulière, dont elle constituerait la caractéristique principale. Au contraire, elle s'universalise, coupée des cultures, et les démarches d'adhésion ou de conversion à ces religions ne sont plus des démarches collectives forcées par les missionaires ou les dominants, mais des démarches de plus en plus individuelles.

Chacun fait en quelque sorte son "marché" parmi les religions. Il ne s'agit pas d'adhérer à un système symbolique de culture particulière, mais, pour le croyant qui a cette démarche active et volontaire, d' un "saut de la foi" vers un absolu.

Dans ce contexte, les religions ont tendance à se constituer en "communautés de foi", bien distinctes des cultures ambiantes. Elles ne se transmettent plus au travers des générations appartenant à une même culture. Elles font l'objet d'un "marché" où les religions s'exportent et vont convaincre les "consommateurs de religion" en fonction des critères et avantages mis en avant. D'où la tendance aussi à la simplification : il ne s'agit plus de rentrer dans des débats théologiques, mais de croire, tout simplement, le marché des religions devenant un "grand bazar de rites et de signes".D'où l'expression de "sainte ignorance".

C'est pourquoi cette profonde mutation du religieux vers ce que Olivier Roy appelle le "Pur religieux" s'accompagne de plus en plus de fondamentalisme. Les croyants se sentent appartenir à une communauté minoritaire, en rupture avec les cultures ambiantes, et redonnent vigueur à une "culture" qui leur est propre, avec ses codes et ses comportements, qu'ils mettent en avant. C'est ainsi que l'on peut interpréter les signes religieux ostentatoires (le foulard islamique est l'exemple auqiuel on pense).

On voit ainsi sur un même territoire se développer des religions trés différentes, et notamment parmi les "nouvelles religions", que certains assimilent à des "sectes", comme la scientologie (qui est reconnue comme religion aux Etats Unis), et qui prennent de plus en plus de part du marché. C'est aussi une des explications du phénomène de conversion à l'islam de jeunes européens, de plus en plus nombreux.

Selon cette thèse, les religions vivent donc leur vie au-delà des cultures, ce qui vient ramener ce fameux "choc des civilisations" théorisé par Samuel Huntington, qui suppose un lien permanent et réciproque entre culture et religieux, au rang d'un "fantasme improductif" (dixit Olivier Roy).

Alors, dans ce marché du religieux qui s'intensifie, que se passe-t-il pour les entrepriees ?

Olivier Roy ne traite pas cette question, mais on ne peut s'empêcher de se la poser en le lisant.

La conception qui semble la plus courante en France, cest : dans l'entreprise, pas de religion. La laïcité est érigée en dogme. La religion, c'est privée, l'entreprise est là pour faire du profit, développer sa stratégie, pas de religion là-dedans.

Vision d'autruche.

Car comment peut on encore considérer l'entreprise comme une machine qui fournit des emplois à ses salariés, et fait du profit. L'entreprise, c'est aussi des femmes et des hommes qui ont leurs convictions, leurs personnalités, philosophiques, politiques, et ...religieuses. L'entreprise est donc forcément confrontée à ces différences, et elle ne peut s'exonérer de les prendre en compte si elle veut parvenir à un "travailler ensemble" satisfaisant.

Question d'autant plus importante quand les convictions religieuses se diversifient. On voit déjà quelques sujets qui sortent, notamment à propos des collaborateurs de religion islamique : port du voile dans le lieu de travail, jours fériés, habitudes alimentaires, ...L'entreprise laïque en est aux jours fériés correspondant à des fêtes catholiques, et au repas avec du poisson le vendredi à la cantine.

La HALDE a d'ailleurs formalisé quelques règles sur la question, correspondant à une redéfinition de la religion par le droit, en tentant de fixer le bon équilibre entre respect de la religion et fonctionnement de l'entreprise.

Pas facile, car l'esprit de laïcité qui doit théoriquement caractériser l'entreprise n'exprime pas une logique d'exclusion des religions mais bien au contraire le respect de leurs spécificités.

La gestion de ces particularités va donc devenir un enjeu de plus en plus important pour les entreprises. Cet enjeu, c'est celui de la cohésion de l'entreprise, et, au-delà, de la cohésion de la société. A travers les différentes cultures religieuses, catholiques, protestantes, boudhistes, juives, musulmanes, on ne parle pas seulement de convictions personnelles d'individus, mais, forcément, de projets de sociétés alternatives et d'idéaux qui s'élaborent à travers des formes diverses de pratiques religieuses.

D'où la question que l'on peut se poser (et que traite par exemple Patrick Banon dans son livre "Dieu et l'entreprise") : le multiculturalisme mène-t-il inévitablement à l'introduction de sphères d'influences dans l'entreprise ?

Ce que nous font comprendre ces auteurs, en tous cas, c'est que cette question du religieux ne pourra pas longtemps être ignorée par l'entreprise. La religion est aujourd'hui aux portes de l'entreprise, parfois elle est déjà rentrée.


L'alchimie créative

Alchimia Créer, imaginer, un projet, une entreprise, un produit, une offre, on sent bien que ça ne vient pas en appliquant une procédure. Cela demande de l'imagination, de l'intuition.

Le processus créatif, c'est ....une alchimie.

Justement, c'est quoi l'alchimie ? On pense tout de suite à ces pratiques ésotériques, à base de bave de crapaud et de soufre, qui devaient mener à la découverte de la pierre philosophale, à transformer le plomb en or. Des trucs d'un autre âge, complètement contraire à la science et à la vraie chimie, un truc du moyen-âge. Qui s'intéresserait à des bêtises pareilles?

Et bien, justement, cette alchimie, elle a été observée et analysée par des gens trés sérieux.

Et cela vaut le coup d'y aller voir pour inspirer le processus créatif dans nos entreprises, et pour soi-même.

Celui qui m'inspire, c'est Carl Gustav Jung, psychologue du début du siècle, qui a l'avantage d'écrire dans un langage simple et accessible. Il est connu pour ses théories sur "l'inconscient". Et s'est intéressé à cette alchimie, notamment dans "Psychologie et Alchimie".

Ce que Jung considère dans l'Alchimie, c'est qu'elle est, avec tous ses symbolismes et toutes ses opérations, une "projection", au sens psycholigique, dans la Matière, de l'Inconscient.

Les auteurs alchimistes ne sont pas d'accord sur les processus de l'Alchimie, et se caractérisent par un langage trés obscur, volontairement. Le processus alchimique, pour aboutir à la Pierre Philosophale, comprend de nombreuses étapes, aux noms effrayants : conjonction, putréfaction, coagulation, cibation, etc...

Mais se plonger dans ces processus alchimiques, c'est se poser des questions facilement transposables à notre quotidien :

Pour créer, faut-il se concentrer sur la volonté, la force, ou bien se laisser aller, "lâcher prise" et se laisser envahir par l'inspiration ? L'Alchimie nous permet de nuancer et d'explorer ce processus créatif.

L'Alchimiste est celui qui va projeter son inconscient, et faire émerger son "imaginatio", on dirait "imagination créative".

Ecoutons un des auteurs cité par Jung, Morienus :

" Cette chose que tu as cherchée si longtemps ne peut être acquise ou accomplie par la force ou la passion. Elle ne peut être acquise que par la patience et l'humilité et par un amour résolu et des plus parfaits. "

Autre citation sur ce processus créatif (Maier) :

" Il y a dans la chimie une certaine substance noble (lapis) : sur son commencement règne l'affliction avec le vinaigre, mais sur sa fin règne la joie avec l'allégresse. Ainsi, j'ai admis que cela m'arriverait à moi aussi, c'est à dire que je souffrirais tout d'abord de la difficulté, de la tristesse et du dégoût, mais qu'à la fin j'entreverrais toutes les choses plus joyeuses et plus faciles".

Ce qui encourage le processus, c'est un dévouement complet à l'oeuvre, une concentration inhabituelle, comme une ferveur religieuse.

Pour Jung, c'est cette dévotion qui permet la projection de valeurs et de significations dans l'objet de la recherche, et pousse à remplir ce dernier de formes et de figures ayant en premier lieu leur origine dans l'inconscient du chercheur.

C'est ce mélange de "imaginatio" et de "meditatio" qui provoque une sorte de colloque intérieur avec l'inconscient. Cette imagination, selon un autre auteur, est "l'astre dans l'homme". Cette expression "astrum" (astre) désigne l'imagination comme un "extrait concentré de forces vivantes, aussi bien physiques que psychiques". C'est pourquoi le créateur doit être de constitution physique saine car il est la condition de sa propre expérience.

Dans cette conception, le physique et le psychique sont entremêlés. Jung considère que les alchimistes ont identifié un "domaine intermédiaire" entre la matière et l'esprit, un "domaine psychique des corps subtils". Cette capacité à se situer dans ce "doamine des corps subtils" suppose qu'on ne se replie pas trop sur les certitudes ( croire que l'on sait), mais qu'on croit à "l'inexploré et l'inexplorable".

D'ailleurs la composante essentielle des alchimistes, c'est la "materia prima", cette matière première bien mystèrieuse, cette substance inconnue qui porte la projection du contenu psychique. Elle se caractérise par la confusion et le "chaos", car c'est du chaos et non de l'ordre, par un phénomène de transformation et de résurrection, que la création emmerge.

Jung nous permet de rêver dans ces processus d'alchimie, et rêver, on le sait, c'est une façon privilégiée de communiquer avec l'inconscient, et de voir que "il y a dans l'alchimie des problèmes trés modernes, mais qui se situent sur un autre plan que celui de la chimie". Et paser à d'autres plans, même les plus incertains, c'est activer le processus créatif.

Le processus créatif est un mystère; Jung, et son analyse de l'Alchimie et des auteurs alchimistes, est un bon compagnon pour nous y faire pénétrer...Cet ouvrage "Psychologie et Alchimie" est par ailleurs rempli d'illustrations, d'images et de symboles tirés d'ouvrages anciens, qui sont autant d'appels à l'imagination créatrice.

Si l'on manque d'inspiration dans un projet ou une création, ouvrons ce livre comme un message de notre inconscient, on y trouvera toujours quelque chose.