Roman de l'IA

IntelligenceC’est son quatorzième roman, mais le premier que je découvre.

Il s’agit de « Playground », traduit par « Un jeu sans fin » en français, de Richard Powers.

C’est un gros roman de plus de 400 pages, avec des histoires qui se croisent, des personnages dont on suit l’existence tout au long de leur vie. On y découvre cette île du Pacifique, Makatea, qui a été colonisée par les Français, et a été un temps une richesse d’exploitation du phosphate. Mais les mines se sont taries, et l’île se retrouve en 2020 avec 90 habitants, et des infrastructures livrées à la jungle.

Et ça parle aussi d’intelligence artificielle qui est aujourd’hui devenue un héros obligé de nombreuses œuvres de fiction.

Car un milliardaire a l’heureuse idée d’imaginer construire une ville flottante au large de Makatea, ce genre de ville libertarienne en dehors de tout État ; et forcément cela aura un impact sur l’économie de cette île perdue.

Et pour convaincre les habitants de Makatea, qui vont voter pour ou contre ce projet dans leur île, il leur propose une intelligence artificielle, un genre de chatbot perfectionné, appelée Profunda. Les habitants peuvent l’interroger à l’infini pour tout savoir du projet, oralement, car la machine comprend leurs paroles, elle génère des plans et des images en 3D, elle répond à toutes les questions.

Au début les habitants posent des questions pour tenter de piéger la machine, en demandant des informations qu’ils connaissent déjà, comme la superficie de l’île, le nombre d’habitants, des informations sur son histoire. La machine sait tout. Alors ils passent à des vraies questions sur ce qu’ils ne connaissent pas et veulent savoir. Et la machine a réponse à tout.

Et les questions se font de plus en plus précises.

« Avec un tel tirant d’eau, est-ce que ces bateaux ne vont pas bousiller le récif ? ».

Et vient la réponse : « La réponse de Profunda surprit tout le monde. Loin d’édulcorer les faits, elle concéda qu’en effet le projet d’implantation maritime modifierait le lagon, le récif et toute leur population. Elle spécula sur la nature et l’ampleur de cette modification, presque en philosophe. Elle employa les termes « coût » et « dommages », et tenta d’évaluer, en francs Pacifique, le manque à gagner pour l’île que représenterait cette perte de ressources, tout en avertissant que ses estimations étaient au mieux approximatives ».

Une petite fille de l’assistance a alors cette remarque : « Si les créatures du récif doivent en souffrir, est-ce qu’elles ne devraient pas elles aussi avoir le droit de voter ? ».

Et Profunda a bien sûr une réponse aussi, qui laisse l’assistance muette : « Profunda se lança dans un développement sur les droits des animaux, leur statut légal, leur reconnaissance comme personnes morales. Elle admit que de nombreuses espèces à l’intelligence développée peuplaient les fonds marins entourant l’île. Elle évoqua les problèmes inhérents à une culture où seuls les humains étaient considérés comme sacrés ou importants. Elle souligna que dans les cultures fondatrices de la Polynésie, d’autres créatures possédaient un caractère divin et un génie propre ».

C’est comme une prise de conscience : « Sur chaque visage se dessinait la même prise de conscience : ils pouvaient demander à ce monstre n’importe quoi. Et la réponse serait aussi imprévisible que le permettaient des dizaines de milliards de pages de connaissance humaine ».

Voilà bien tracé tout le romanesque de l’intelligence artificielle, les admirations et les peurs qu’elle génère, les questions qu’elle soulève, et la place des humains. Car cette communauté de Makatea va quand même voter, avec le choix de chaque humain qui la compose.

Pour connaître le résultat, et tout le pitch génial de ce roman, il ne vous reste plus qu’à le lire.

Les romans sont peut-être les meilleurs compagnons pour réfléchir aux enjeux de l’intelligence artificielle.


Les Directeurs de l'innovation sont-ils des réarrangeurs de chaises sur le Titanic ?

TitanicQuand on est fan d’innovation, rencontrer en même temps trois « Directeurs de l’Innovation » est un plaisir. C’était mon cas cette semaine (Merci à Youmeo de nous l’offrir).

L’occasion d’échanger sur tout ce qui permet l’innovation, les outils, les méthodes, l’organisation. Chacun de ces directeurs avait mis en place ses boîtes à outils, et se félicitait des résultats obtenus, lancement d’un produit nouveau, d’un service, d’un nouveau process. Passionnants retours d’expériences.

Mais cela pouvait aussi donner l’impression que tous ces outils, méthodes et organisations ressemblaient à des astuces innovantes pour réarranger les chaises sur le Titanic.

Ah bon ?

Car l’innovation en France et en Europe ne se porte pas très bien. C’est du moins le constat du rapport Draghi sur la compétitivité de l’Europe, qui a fait déjà beaucoup parler. Le diagnostic est sans appel : L’Europe est à la traîne en matière d’innovation par rapport aux Etats-Unis et à l’Asie notamment la Chine.

Un indicateur de productivité du travail présenté par le rapport montre qu’en 2020 la productivité du travail en Europe est à 80% de celle des Etats-Unis. Et ce qui explique cet écart croissant (il n’était que de 95% en 1995) ce sont d’abord les technologies numériques. L’Europe a un peu raté la révolution digitale créée par internet : pas de nouvelles entreprises technologiques significatives et moindre diffusion des technologies nouvelles dans l’économie. Et cela ne donne pas signe de s’améliorer : Si l’on regarde le développement des technologies quantiques, qui sont présentées comme la prochaine vague d’innovation, sur les dix premières entreprises technologiques qui investissent sur ce créneau, cinq sont aux Etats-Unis et quatre en Chine. Aucune n’est implantée en Europe.

Comment en est-on arrivé là ?

Le rapport Draghi y voit la cause principale dans la structure industrielle de l’Europe qui est restée statique, et a consacré l’essentiel de ses investissements sur des technologies matures et des industries où la productivité était stagnante ou en ralentissement, comme l’industrie automobile, qui a dominé les investissements en Recherche et Innovation. Dans le même temps, les Etats-Unis ont poussé les investissements dans la Tech, le hardware, le software, le secteur numérique, l’intelligence artificielle.

Autre point faible, l’éducation. L’Europe a du mal à passer de la Recherche à la commercialisation. L’Europe est forte en recherche fondamentale, mais elle ne pèse que 17% sur les dépôts de brevets (21% aux Etats-Unis, et 25% en Chine). Et le classement de l’Europe dans les tops universités n’est pas le meilleur non plus : Parmi les 50 meilleures institutions de recherche (classement établi en fonction du nombre de publications dans les revues scientifiques), la France en a trois (21 pour les Etats-Unis, 15 pour la Chine). Une des raisons mises en évidence par le rapport est le manque d’intégration de la recherche dans des « clusters » d’innovation, c’est-à-dire des réseaux comprenant des universités, des start-ups, des grandes entreprises et des VC ’s (investisseurs).

Une autre faiblesse est la trop grande dispersion des dépenses publiques en Recherche et Innovation, et le manque de concentration dans ce qui constitue les innovations de rupture, et donc une dispersion trop grandes des moyens : il suffit de comparer le budget de 256 millions d’euros pour 2024 de l’EIC (European Innovation Council)  au budget de 4,1 milliards de dollars de la DARPA (US Defence Advanced Research Projects Agency) aux Etats-Unis.

Autre coupable désigné : les barrières règlementaires qui brident les entreprises technologiques en Europe, notamment les plus jeunes (on ne compte pas moins de 270 régulateurs actifs sur les réseaux numériques parmi tous les membres de l’Europe).

Alors, on fait quoi pour s’en sortir ?

Le programme proposé par Mario Draghi reprend toutes ces faiblesses, en invoquant des actions au niveau européen comme :

  • Se focaliser sur un champ plus restreint de priorités ciblées sur les innovations de rupture,
  • Une meilleure coordination entre les Etats Membres,
  • Etablir et consolider des institutions académiques européennes sur la Recherche,
  • Faciliter le passage des inventeurs aux investisseurs,
  • Développer le financement de l’innovation très en amont (Very early-stage innovation), grâce à un réseau plus large de « business angels »,
  • La promotion au niveau européen de coordination entre industries et de partage des données pour accélérer l’intégration de l’Intelligence Artificielle dans l’industrie européenne.

Et puis, il est aussi nécessaire de prendre conscience du retard pris en Europe par nos systèmes d’éducation et de formation pour préparer les employés aux changements technologiques. Cela concerne nos étudiants, mais aussi, en grand nombre, les adultes et employés, même les plus seniors, d’aujourd’hui. Cette compétence est majoritairement nationale en Europe, mais pourrait bénéficier d’une approche européenne, par exemple pour attirer aussi des talents en dehors de l’Union Européenne, avec des visas et des programmes pour les étudiants et les chercheurs.

Dès maintenant, ces formations à grande échelle dans les entreprises deviennent urgentes.

Est-il encore possible de faire lire et mettre en œuvre ces diagnostics et recommandations sur les Titanic d’aujourd’hui, et de réveiller et bousculer les réarrangeurs de chaises, concentrés sur leurs outils et succès locaux ? Y compris les responsables publics et politiques en Europe.

Il est encore temps, si l’on en croit les conclusions positives de Mario Draghi.

Il n’y a plus qu’à…


Beau et droit : Qui nous sauvera ?

ArbresssQu’est-ce qui va nous permettre de devenir meilleurs ?

C’était le sujet d’un dossier de « Philosophie Magazine » cet été.

Le progrès, c’est la grande idée des Lumières, au XVIIIème siècle, qui fait du progrès un horizon collectif de l’humanité. Martin Legros, dans ce dossier, rappelle l’image de la forêt d’Emmanuel Kant, dans « Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolite » (1784) : « Individuellement, l’homme est un bois tordu, obnubilé par des intérêts égoïstes, l’ambition, la domination et la cupidité, qui le poussent à faire un usage débridé de sa liberté. On ne peut tailler des poutres droites avec ce matériau-là. Cependant, grâce à l’éducation et à la pression sociale, il peut être incité à développer ses dispositions naturelles au bénéfice de tous ». Citons Kant lui-même : « Ainsi dans une forêt, les arbres, du fait même que chacun essaie de ravir à l’autre l’air et le soleil, s’efforcent à l’envi de se dépasser les uns les autres, et par suite, ils poussent beaux et droits. Mais au contraire, ceux qui lancent en liberté leurs branches à leur gré, à l’écart d’autres arbres, poussent rabougris et tordus et courbés ».

Alors, pour pousser beaux et droits, que faire aujourd’hui ?

Pour Sam Altman, fondateur d’OpenAI, inventeur de ChatGPT, c’est l’intelligence artificielle qui va nous sauver. C’est le sujet d’un article de son blog de lundi 23 septembre, qui est déjà très commenté sur le web et les réseaux sociaux.

Pour Sam Altman, nous sommes proches de la superintelligence, dans « quelques milliers de jours ». Et il nous prévient, avec avidité, tout va s’accélérer encore. Il nous annonce « l’ère de l’intelligence », qui va générer une prospérité inimaginable et résoudre des problèmes mondiaux : « nous pourrons bientôt travailler avec une IA qui nous aidera à accomplir beaucoup plus de choses que nous n'aurions jamais pu le faire sans elle ; un jour, nous pourrons tous avoir une équipe d'IA personnelle, composée d'experts virtuels dans différents domaines, qui travailleront ensemble pour créer presque tout ce que nous pourrons imaginer. Nos enfants auront des tuteurs virtuels capables de leur fournir un enseignement personnalisé dans n'importe quelle matière, dans n'importe quelle langue et à n'importe quel rythme. Nous pouvons imaginer des idées similaires pour améliorer les soins de santé, la capacité de créer tous les types de logiciels possibles et imaginables, et bien plus encore. »

L’avenir qui nous attend est formidable : « Des triomphes stupéfiants - réparer le climat, établir une colonie spatiale et découvrir toute la physique - finiront par devenir monnaie courante. Avec une intelligence presque illimitée et une énergie abondante - la capacité de générer de grandes idées et la capacité de les réaliser - nous pouvons faire beaucoup de choses. »

Il y en a quand même certains qui en doutent, considérant que « Sam Altman nous vend du rêve ». 

Avec l’idée derrière la tête de nous pousser ses logiciels, qui cherchent encore leur modèle économique. Sans parler de ceux qui le prennent carrément pour « un clown » comme les commentaires dans cet article.

Mais pour devenir meilleur, nous avons eu aussi cet été, en plein mois de juillet, une lettre surprenante, signée, eh oui, par le Pape François.

Que nous dit cette lettre ?

Elle nous parle du « rôle de la littérature dans la formation ».

Car « un bon livre devient une oasis qui nous éloigne d’autres choix qui ne nous feraient pas du bien » : pense-t-il aux écrans, aux réseaux sociaux, aux médias audiovisuels ? Sûrement : « Contrairement aux médias audiovisuels où le produit est plus complet et où la marge et le temps pour « enrichir » le récit et l’interpréter sont généralement réduits, le lecteur est beaucoup plus actif dans la lecture d’un livre. Il réécrit en quelque sorte l’œuvre, l’amplifie avec son imagination, crée un monde, utilise ses capacités, sa mémoire, ses rêves, sa propre histoire pleine de drames et de symboles ».

Et le Pape nous parle aussi de désir : « La littérature a donc à voir, d’une manière ou d’une autre, avec ce que chacun désire de la vie ». « C’est donc à cela que « sert » la littérature : à « développer » les images de la vie ».

Et plutôt que d’accélérer, le Pape aimerait nous voir ralentir : « Il est donc nécessaire et urgent de contrebalancer cette accélération et cette simplification inévitables de notre vie quotidienne en apprenant à prendre de la distance par rapport à l’immédiat, à ralentir, à contempler et à écouter. Cela peut se produire lorsqu’une personne s’arrête librement pour lire un livre ».

La littérature comme aide à la digestion : « La littérature nous aide à dire notre présence au monde, à la « digérer » et à l’assimiler en saisissant ce qui va au-delà de la surface du vécu ».

 Aussi pour briser les idoles : « La littérature aide le lecteur à briser les idoles des langages autoréférentiels faussement autosuffisants, statiquement conventionnels. (…) La parole littéraire est celle qui met en mouvement, libère et purifie le langage ».

Alors, pour pousser beaux et droits, ferons nous confiance aux prédictions de Sam Altman qui nous promet des triomphes stupéfiants, ou suffira-t-il de suivre les conseils du Pape de prendre la distance par rapport à l’immédiat grâce à la littérature.

On aimerait bien un peu des deux, peut-être…


Mobilité pour demain : bonnes et mauvaises idées

HidalgoParmi les transformations de notre société, à l’ère de la quatrième révolution industrielle, et de la montée des préoccupations écologiques, la mobilité est en bonne place.

A juste raison car la mobilité est en tête des secteurs émetteurs de GES (Gaz à effet de serre).

Mais de quoi parle-t-on ?

Pierre Veltz, dans un récent ouvrage (« Bifurcations – Réinventer la société industrielle par l’écologie ?») en fait une bonne synthèse, et bouscule aussi quelques idées reçues.

Ce qui a été le plus développé, c’est ce que l’on appelle les mobilités au quotidien, celles pour se rendre de son domicile à son travail essentiellement. Or, la distance entre le domicile et le lieu de travail n’a pas cessé d’augmenter, pour des causes bien connues (logement trop cher en métropole, qui fait s’installer en première couronne, mais aussi en deuxième couronne, voire encore plus loin, de plus en plus loin). On y a encouragé les installations dans des pavillons individuels, dans des quartiers souvent dépourvus de transports collectifs efficaces et pauvres en services.

Dans ce contexte, les déplacements longs du quotidien, entre 10 et 100 kilomètres, ont augmenté de plus de 50% au cours des dix dernières années, et la part de la voiture y reste ultramajoritaire, pour les trajets domicile – travail, faire les courses dans les hypermarchés, et aller dans la grande ville voisine pour les services que l’on ne trouve plus à proximité.

Et pendant ce temps où est allé l’argent des politiques publiques ? Dans les cœurs d’agglomérations, là où il existait déjà une belle offre de transports publics, en y ajoutant trams et pistes cyclables, ainsi que les services de libre-service de vélos, scooters, trottinettes et autres.

Tous ceux qui habitent les pavillons de banlieue sont devenus les victimes des congestions, des difficultés à revenir en ville, et les mauvais élèves du climat, les pollueurs accros à leur détestable voiture.

On peut en conclure, comme le fait Pierre Veltz, que quelque chose cloche, du point de vue climatique comme du point de vue social.

Face à ce constat, que faire ? Et comment ?

La réponse de Pierre Veltz tient en trois mots : sobriété, efficacité et équité. Tout un programme !

La sobriété, c’est la piste de la réduction de la mobilité carbonée et de l’autosolisme (les grosses voitures avec une seule personne dedans par exemple). Mais pour cela il faut prendre en compte que plus de la moitié des citoyens n’ont pas accès à un transport collectif pour aller au travail. Une piste est aussi de faire de l’automobile un transport collectif, avec les offres de covoiturage (qui sont proposées par des entreprises et start up privées aussi, avec des arrêts fixes, des tarifications spéciales).

L’efficacité, c’est tout ce qui concerne la décarbonation des moteurs de voitures (car la marginalisation de la voiture n’est sûrement pas pour demain, quoi qu’on en dise), c’est-à-dire les voitures électriques (mais on aimerait bien aussi des voitures électriques simples et moins chères). Mais cela ne suffira pas. La voie de la création d’un choc d’offre de transports collectifs fait aussi partie des sujets à explorer, et des investissements à anticiper. On pense aussi aux projets de RER métropolitains dans les grandes agglomérations comme Bordeaux ou Lille (en espérant qu’on arrivera à réduire les délais de mise en œuvre, et la bureaucratie des délais administratifs).

Enfin, l’équité, c’est d’éviter un retour des gilets jaunes inquiétés par des mesures de sobriété un peu trop fortes sur l’automobile. Une première alerte a été déclenchée avec les ZFE (zones à faibles émissions) qui consistent à interdire l’accès au centre-ville des véhicules polluants. Facile quand on habite au centre-ville et que l’on peut circuler à pied et à vélo. Moins marrant pour les habitants de banlieue qui n’ont pas les moyens de remplacer leur vieille voiture ou qui n’ont pas accès à un transport collectif adapté. Peut-être à étudier, le système de péage urbain avec modulation de tarif, qui serait plus équitable (comme à Oslo par exemple).

La bonne nouvelle c’est qu’un tel programme concerne les pouvoirs publics, mais aussi les entreprises, les investissements privés, les starts up et toutes les idées créatives de chacun. 


Inquiets du réel ? Réveillons-nous !

InquietIl y a ceux qui ne peuvent plus se passer de ChatGPT, surtout les jeunes, pas seulement ceux qui veulent tricher à l’école, mais aussi tous ceux qui ont compris tout ce que cette IA générative peut leur permettre de faire, trouver des idées, traiter des textes, créer des images, etc.

Et puis il y a ceux qui n’ont jamais osé y toucher, ou même y voient un danger (pour la démocratie, pour la planète, pour la santé mentale, peu importe), ou alors qui considèrent qu’ils n’en tireront rien pour eux personnellement (oui, là on a affaire aux plus seniors d’entre nous).

Alors, quand vous rencontrez un dirigeant ou un manager d’une grande entreprise, qui a la responsabilité d’encadrement de plusieurs centaines de collaborateurs, y compris des jeunes forcément, vous vous demandez ce qu’il en pense.

C’était ma découverte de la semaine, en rencontrant plusieurs dirigeants.

Il y ceux qui s’en méfient ou qui en sont déjà les victimes avec leurs enfants :

« Je ne connais pas grand-chose à l’intelligence artificielle. Ce que je sais, c’est qu’avant, en tant que chef de famille, j’étais l’expert pour corriger les fautes d’orthographe de mes enfants ; aujourd’hui ils font ça avec ChatGPT. ChatGPT m’a tué ! ».

« J’ai vu un philosophe sur internet qui disait que l’IA n’était pas du tout intelligente. J’ai compris que cela provoquait plutôt un appauvrissement du cerveau. Je fais bien de m’en éloigner ».

Il faut dire que la littérature et le cinéma n’aident pas trop à valoriser l’IA, la plupart des romans sur le sujet étant dystopiques.

Nathan Devers, auteur en 2019 du roman « Les liens artificiels » sur le Metaverse, en donnait son interprétation dans Le Figaro du 11/02/2024 :

« Je pense que ce sont des inquiets du réel. (…). La littérature de l'IA est liée à l'absurdité du réel, des cassures qui n'ont rien à voir avec l'IA en tant que telle mais avec des passions, des dynamiques qui sont en nous. Le chapitre 4 du Peintre de la vie moderne est particulièrement éloquent. Il s'interroge sur la position de l'artiste quand il voit un phénomène moderne. Baudelaire donne l'exemple des robes noires qui étaient à la mode en son temps. Il dit qu'il ne faut jamais chercher l'expression du transitoire mais voir la passion éternelle qui se cache derrière la mode. C'est exactement le regard qu'il faut porter sur la vie du virtuel. Ce qui est à l'œuvre, ce sont des passions intemporelles : la peur de s'ennuyer avec l'addiction aux écrans, le narcissisme avec le selfie, la volonté de penser de manière communautariste avec Twitter, la mécanisation de nos esprits pour ChatGPT, etc. Ce serait une erreur de perception littéraire de croire que les phénomènes de la modernité (les écrans, l'IA, tous les autres) posent des questions nouvelles ». 

Mais il y a quand même une prise de conscience de plus en plus forte, qui résiste à ces passions intemporelles pour parler du concret, et cela rend plutôt optimiste pour l'avenir :

« J’ai passé une demi-journée à fouiller dans les statistiques d’accidents du travail pour aller en catégoriser les causes et préparer les plans d’actions. Je me demande si l’IA n’aurait pas pu m’aider ».

« J’ai encore 3.948 mails non lus dans ma boite mail aujourd’hui, et souvent ce sont des mails où je suis en copie ; je n’ai rien à faire, à part être informé, et y perdre du temps. Peut-être que l’IA pourrait m’aider à trier et à répondre dans tout ça, non ? ».

Pour ces dirigeants qui ont tout compris, mais ne savent pas trop par où commencer, il est de plus en plus urgent que nos entreprises prennent au sérieux l’acculturation, la formation, et l’aide à la mise en place des projets concrets qui vont permettre de vraiment bénéficier des avancées de l’intelligence artificielle générative et du machine Learning. Cela ne se fait pas en claquant des doigts ; les infrastructures, les algorithmes, ne se construiront pas tout seuls. L’écosystème de tous ceux qui peuvent contribuer s’élargit chaque jour.

C’est aussi le rôle des Think Tank comme « 4ème Révolution » de mettre en évidence les opportunités, et de créer les rencontres entre ceux qui s’y sont mis et les autres. Car la transmission est aujourd’hui non pas de haut en bas de la hiérarchie, mais entre pairs, de l’extérieur vers l’intérieur, de façon transversale, et aussi intergénérationnelle, les plus jeunes ayant plein de choses à apprendre aux seniors, qui eux-mêmes, pourront transmettre leurs savoirs et expériences dans des versions 3.0 grâce justement à ces technologies.

Pour tous ceux qui se sentent un peu trop « inquiets du réel » ou victimes sidérées de « passions intemporelles », ne nous laissons pas démoraliser par la littérature dystopique ; c’est le bon moment de se réveiller, ou d’accélérer.

Les pionniers montrent la voie, et ils sont de plus en plus nombreux.

Nous ne sommes pas seuls.


Le dataism va-t-il avoir raison de notre raison ?

PenserGrâce à la raison, et à la logique, on a pensé qu’il était possible de décider en toute connaissance de cause, grâce à la réflexion rationnelle. Mais cela a aussi été de plus en plus difficile.

Déjà, au XVIIème siècle, Balthasar Gracian dans ses maximes (« L’homme de cour ») l’avait remarqué :

« Il faut aujourd’hui plus de conditions pour faire un sage qu’il n’en fallut anciennement pour en faire sept : et il faut en ce temps plus d’habileté, pour traiter avec un seul homme, qu’il n’en fallait autrefois pour traiter avec tout un peuple ».

Jacques Birol, dans son ouvrage « 52 conseils éternels d’après les maximes de Balthasar Gracian » (2011), dont j’avais déjà parlé ICI, reprenait cette maxime pour nous convaincre que la rationalité pure ne permettait pas de décider correctement, et qu’il fallait faire entrer en ligne de compte les émotions, car elles seules nous permettent de vraiment décider dans l’incertain.

Mais voilà, ça, c’était avant. Avant l’IA générative, avant les « Big Data », avant ce qui a été appelé le « dataism ».

L’expression date de 2013, utilisée par David Brooks dans un article du New York Times.

En gros, il était déjà convaincu que grâce à la profusion des données et statistiques, on serait capable de prendre les meilleures décisions et de vivre mieux. L’intuition et les émotions seraient alors devenues d’un autre temps ; on n’en aurait presque plus besoin. Au revoir Balthasar Gracian et Jacques Birol. L’incertain n’existe plus : place au « dataism ».Nous allons pouvoir, grâce à la profusion des données, en extraire toutes les informations qui nous sont utiles, et que nous étions auparavant incapables de détecter.

Le concept a bien sûr été encore amplifié par Yuval Noah Harari dans son best-seller « Homo Deus » (publié pour la première fois en hébreu en 2015, puis traduit dans le monde entier) qui voit dans le « dataism » une nouvelle religion, la religion de la data, qui permettra d’accroître le bonheur de l’humanité, son immortalité (on parle maintenant non plus d’immortalité, mais, dans une conception transhumaniste du monde, d’ « amortalité », c’est-à-dire de conserver les données du cerveau et de la personne, au-delà de la mort du reste du corps lui-même, grâce à un « téléchargement de l’esprit ») et sa divinité. Car l’homme ainsi transformé devient un nouveau Dieu.

Dans cette vision « dataiste », l’homme est finalement considéré comme un jeu d’algorithmes qui peuvent être perfectionnés à l’infini, grâce à l’accès aux data. D’où l’idée, pour les plus acharnés, de donner accès aux data à tous pour le bienfait de l’humanité, données publiques comme données privées.

Le dataism a aussi ses martyrs comme Aaron Swarts, le premier hacker célèbre, parfois un peu oublié aujourd’hui.

Partisan de la liberté numérique et défenseur de la « culture libre » il se fait notamment connaître lors de ce qui a été appelé « L’affaire JSTOR » : En 2011, il est accusé d’avoir téléchargé illégalement la quasi-totalité du catalogue de JSTOR (agence d’archivage en ligne d’articles et publications scientifiques), soit 4,8 millions d’articles scientifiques, ce qui a fait s’effondrer les serveurs et bloquer l’accès aux réseaux par les chercheurs du MIT. Il est alors menacé de poursuites et de 35 ans de prison. A 26 ans, en janvier 2013, il se suicide par pendaison dans son appartement, un mois avant son procès pour « fraude électronique ».

Le développement du « dataism » n’et pas terminé. Il conduit aujourd’hui à considérer que ce sont les algorithmes « électro-biologiques », c'est à dire les algorithmes du vivant, qui mêlent la technologie et la biologie, qui domineront les humains « organiques ».

Les plus pessimistes (ou réalistes ?) voient dans ces évolutions une nouvelle classification des humains entre ceux qui auront accès à ces capacités techniques et les autres, le passage d’une catégorie à l’autre étant de plus en plus difficile, voire impossible.

Allons-nous vraiment perdre la capacité à penser en la confiant à des machines et au « dataism » ?

On peut essayer de se consoler en observant les comportements du passé.

Dans un journal de 1908, le Sunday Advertiser de Hawai, on pouvait lire :

« N’oubliez pas comment marcher
Le tramway, l’automobile et le chemin de fer ont rendu la locomotion si facile que les gens marchent rarement. Ils se rendent au magasin, au théâtre, à la boutique, au lieu de villégiature, de la campagne à la ville, d’une rue à l’autre, jusqu’à ce que la marche devienne presque un art perdu. Dans une génération ou deux, nous aurons oublié comment utiliser nos jambes. L’homme est par nature un animal qui marche".

Et pourtant nous n’avons toujours pas perdu l’usage de nos jambes.

Une bonne nouvelle pour notre cerveau et notre capacité à penser.

Il faudra juste, peut-être, apprendre à penser autrement grâce à l’intelligence artificielle et l’accès aux data.

Il est temps de s'y mettre alors, pour ne pas risquer d'être "déclassifié", ou "déclassé". 


L’intelligence artificielle va-t-elle tuer la littérature ? Ou la faire renaître ?

LittératureFace au développement de l’intelligence artificielle, ceux qui étaient dans des métiers de créativité, comme les artistes, les auteurs, pouvaient penser qu’ils n’étaient pas vraiment concernés.

Et voilà qu’on apprenait que Rie Kudan, auteur japonais récompensé par le prix Akutagawa (l’équivalent de notre prix Goncourt), a révélé avoir utilisé l’intelligence artificielle générative pour écrire « environ 5% de son livre ».

Et elle s’est justifiée en disant que cette aide de l’intelligence artificielle l’avait aidée à « libérer sa créativité ».

Mais face à cette utilisation de l’IA, d’autres prennent peur. Ainsi les scénaristes d’Hollywood s’étaient mis en grève pour protester contre les scénarios produits par l’IA. Ils ont fini par trouver un accord avec les plateformes et les studios pour augmenter leur rémunération tout en autorisant l’usage de l’IA pour les premières ébauches des scénarios, mais en garantissant leurs jobs.

Mais la tendance à produire des écrits et œuvres de fiction par l’IA générative ne semble qu’à ses débuts. Ainsi, Kindle Direct Publishing, la plateforme d’autoédition d’Amazon, reçoit des tas de livres chaque jour générés par l’intelligence artificielle. Pour réagir, Amazon a décidé de limiter à trois titres par jour le nombre de publications d’un même auteur et oblige maintenant les auteurs à préciser si une IA a été utilisée.

Alors les auteurs sont-ils condamnés à disparaître à cause de l’intelligence artificielle ?

Nathan Devers, qui avait écrit un roman sur l’emprise des réseaux sociaux et du metaverse, « Les liens artificiels » en 2022, à 24 ans, avance une autre hypothèse, plus optimiste, dans une interview pour Le Figaro du 15 février :

« Grâce aux défis que ChatGPT nous lance, nous allons être amenés à retrouver plus de singularité dans notre création littéraire. La littérature doit casser les habitudes de pensée, les visions toutes faites, les algorithmes idéologiques. Que l’IA fasse des merveilles renforce sa mission : rechercher l’imprévu. S’émanciper des attendus de l’époque. Si la littérature aspire à rester profondément humaine, elle doit s’émanciper des tutelles, des rouages anonymes que la société veut lui imposer. C’est là l’enjeu pour la littérature des prochaines décennies ».

Comme en d’autres temps et pour d’autres métiers, la littérature est confrontée au progrès de l’automatisation, et c’est en étant capable de se dépasser qu’elle survivra. Nathan Devers évoque la révolution industrielle du XIXème siècle, qui a mécanisé le travail manuel, mais n’a pas fait disparaître l’artisanat. Ou la photographie, qui n’a pas fait disparaître la peinture, mais au contraire a permis de sortir de la reproduction du réel et de faire émerger l’impressionnisme ou le surréalisme.

Alors, grâce aux défis de l’intelligence artificielle, allons-nous voir une nouvelle littérature encore meilleure ?

Rendez-vous dans les librairies !


Sommes-nous devenus les serfs de seigneurs féodaux technologiques ?

ChateauLes plateformes, les réseaux sociaux, et les services numériques au sens large, sont les nouveaux systèmes féodaux du XXIème siècle.

C’est ce que Cédric Durand, économiste, appelle le techno-féodalisme, dans son livre, paru en 2020, consacré au sujet, qu’il présente comme une critique de l’économie numérique : "Techno-féodalisme - Critique de l'économie numérique".

Pour cela, il nous rappelle les caractéristiques du système féodal, aux IXème et Xème siècle, lorsque l’Occident médiéval est, pour citer Georges Duby, historien spécialiste de l’époque, « une société abruptement hiérarchisée, où un petit groupe de « puissants » domine de très haut la masse des « rustres » qu’ils exploitent ».

Toujours en citant Georges Duby, cette organisation féodale a pour effet de justement permettre de « drainer, dans ce milieu très pauvre où les hommes séchaient de fatigue pour de maigres moissons, les petits surplus gagnés par les maisons paysannes, par de dures privations sur des réserves infimes, vers le tout petit monde des chefs et de leurs parasites ».

Dans cette organisation, le seigneur exerce une domination sur les paysans en fournissant les terres à ceux qui l’exploitent, et sont ainsi soumis et attachés à la seigneurie, qui leur offre sa protection. Il leur est difficile de changer, sauf à fuir pour rejoindre un autre seigneur.

Mais quel rapport avec les plateforme et les réseaux sociaux, alors ?

En fait celles-ci fournissent aussi le terrain pour permettre aux utilisateurs de faire les rencontres et d’échanger. En échange des data qu’ils fournissent (comme les paysans du seigneur fournissent leur travail), ils bénéficient des usages des services numériques. C’est pourquoi Cédric Durand compare les grands services numériques à des fiefs dont on ne s’échappe pas. Les sujets subalternes constituent une « glèbe numérique » qui détermine la capacité des dominants (les grands services numériques) à capter un surplus économique (l’exploitation des datas pour en faire des services commercialisés qui vont constituer le chiffre d’affaires du service auprès d’annonceurs et d’industriels). Et cela perdure car les individus et organisations consentent, sans y être contraints, à se défaire de leurs datas en échange des effets utiles que leur fournissent les algorithmes (recommandations sur Amazon, propositions de nouveaux amis sur Linkedin ou Facebook, etc). Et ce sont leurs interactions qui permettent d’améliorer les services, au grand bénéfice aussi des annonceurs. En même temps que les services s’améliorent, chacun se retrouve plus fortement rivé à l’univers contrôlé par l’entreprise. On n’a plus envie de quitter Instagram, ni n’importe lequel de ces fiefs qui nous a capturé.

Et donc, naturellement, les individus convergent vers les plateformes les plus importantes qui deviennent alors les plus performantes, concernant l’offre, la demande, et les données permettant d’optimiser leur mise en relation.

Conclusion pour Cédric Durand : «Les services que nous vendent ces entreprises consistent, pour l’essentiel, à retourner notre puissance collective en information adaptée et pertinente pour chacun d’entre nous et, de la sorte, à attacher notre existence à leurs services ».

  Ainsi se noue un lien très fort entre les existences humaines et ce que l’auteur appelle des « cyber-territoires », qui traduit par un enracinement de la vie sociale dans la « glèbe numérique ».

Bien sûr, cette contrainte n’est pas absolue : « Vous pouvez toujours décider de vivre à l’écart des Big Data. Mais cela implique des effets plus ou moins prononcés de marginalisation sociale ». Un peu comme les problèmes des paysans médiévaux qui tentaient la fuite en affrontant les périls de la vie hors du fief.

De la même manière, les grands services numériques sont finalement des fiefs dont on ne s’échappe pas.

Ce que fait aussi remarquer l’auteur c’est que cette situation peut être une entrave à une dynamique concurrentielle : « La dépendance à la glèbe numérique conditionne désormais l’existence sociale des individus comme celle des organisations. L’envers de cet attachement est le caractère prohibitif des coûts de fuite et, par conséquent, la généralisation de situations de capture ».

Le développement de ce monde techno-féodal incarné par l’essor du numérique est ainsi, selon l’auteur, « un bouleversement des rapports concurrentiels au profit de relations de dépendance ».

En fait, dans ce monde féodal, l’autorité de l’Etat, d’une puissance de régulation, disparait au profit du pouvoir des nouveaux seigneurs.

Ce monde est un vrai casse-tête idéologique. Pour ceux qui font de la concurrence un mécanisme libéral intrinsèquement vertueux la réponse est de démanteler ces citadelles numériques grâce à l’actions des régulateurs, afin de restaurer une saine compétition. Mais produire de la centralisation n’est pas non plus considéré comme idéal, et pourrait aussi aboutir, à cause de la fragmentation qui serait exigée, à une destruction de la valeur d’usage, dans la mesure où des bassins de données réduits engendreraient automatiquement des algorithmes moins agiles, et donc des dispositifs pour les utilisateurs moins commodes et moins performants. Et donc la logique économique de l’utilité pour le consommateur ne veut pas d’un éventuel renouveau de lois antitrust ou limitantes.

Mais alors, serions nous condamnés à une gouvernance algorithmique ?

Cédric Durand y voit une calamité : « L’aspiration de la gouvernementalité algorithmique à piloter les individus sans laisser place à la formation des désirs ne peut que dégénérer en une machine à « passions tristes ». L’individu, dans son travail puis dans toutes les phases de sa vie, se trouve tendanciellement exproprié de sa propre existence ».

Plus on sera guidé et entraîné dans nos décisions par ce faisceau d’algorithmes, plus on peut craindre la négation de l’activité autonome et créatrice, facteur de dislocation des subjectivités individuelles et collectives.

Alors, peut on prévoir que les consommateurs deviennent réticents à renoncer ainsi à leurs capacités de décision autonome. Privées d’activité, leurs ressources d’autorégulation ne risquent elles pas de s’épuiser, tandis que le sentiment de satisfaction qui découle du fait d’exercer des choix tendrait à s’évanouir.

La conséquence serait un potentiel danger pour les entreprises : La fuite du sujet humain face aux tentatives de le vider de sa substance, et l’appel à de nouvelles formes de contrôle, les individus refusant la dépossession de leurs choix par les machines.

Ces réflexions de 2020 anticipaient finalement assez bien ce que nous vivons aujourd’hui, et pour les années à venir. Un appel à nous rendre moins dépendants des seigneurs de la techno-féodalité.

Pour s’en sortir il est peut-être alors nécessaire d’aller relire l’histoire du monde féodal et de la fin du Moyen Âge, et d'apprendre à sortir de l'emprise des châteaux numériques.


Mobilité urbaine : Tous en trottinettes ?

TrottinettesIl fut un temps, un temps lointain, où circuler en ville voulait dire circuler en voiture. De nombreuses infrastructures ont été conçues et réalisées pour permettre de faire circuler au mieux les voitures. A Paris, on a eu le boulevard périphérique, un ruban de 35 km autour de Paris, dont le dernier tronçon a été inauguré en 1973 (les premiers travaux avaient débuté en 1956) par le Premier Ministre de Georges Pompidou, Pierre Mesmer, qui le présentait comme un « succès » et « un ouvrage bien intégré dans l’ensemble du paysage parisien ».

En 1967, on avait déjà eu une autre réalisation spectaculaire, la voie express rive droite, inaugurée le 22 décembre par Georges Pompidou, Premier ministre du Général de Gaulle, et fier d’annoncer qu’elle permettrait de traverser Paris en 13 minutes, sans rencontrer un seul feu rouge.

Aujourd’hui, tout a changé, et, pour avoir un impact sur l’aménagement des villes, on va plutôt parler d’en faire sortir la voiture.

Un site américain, Planetizen, vient de faire une consultation de ses lecteurs (donc pas vraiment un sondage, mais une participation libre des lecteurs, surtout américains), pour « élire » les 100 meilleures personnes reconnues pour ce talent à imaginer et mettre en œuvre les villes d’aujourd’hui.

Les trois premiers sont des architectes et professeurs d’urbanisme américains, Jan Gehl, Andrés Duany, et Donald Shoup. Mais la surprise pour nous vient de la quatrième place : Anne Hidalgo, Maire de Paris, saluée comme ayant « dépriorisé l’automobile » dans la capitale, et « réduit la pollution de l’air en améliorant la sécurité routière ».

Car aujourd’hui la mobilité urbaine, dans le monde entier, ce sont les pistes cyclables et les engins « doux » comme les vélos, les trottinettes et microvoitures électriques sans permis. Une récente enquête de McKinsey auprès de plus de 30.000 personnes « mobility users » dans 15 pays (Australie, Brésil, Chine, Egypte, France, Italie, Allemagne, Japon, Norvège, Arabie Saoudite, Afrique du Sud, Corée du Sud, Emirats Arabes Unis, Royaume Uni et Etats Unis) vient le confirmer : Un quart des répondants vivant dans des zones urbaines disent réfléchir à abandonner leur véhicule privé, et le remplacer par d’autres modes de transports. Ce qui marche le mieux dans les intentions, ce sont les navettes autonomes partagées, les solutions de micromobilité (trottinettes, vélos, scooters) et ces voitures sans permis à trois ou quatre roues, très légères et roulant à 45 km/h.

A l’heure où Paris va interdire les trottinettes partagées à partir de septembre, l’étude indique, toujours dans ces 15 pays, que c’est la propriété privée de ce genre de véhicules qui est en train de faire des adeptes : 60% des répondants indiquent un intérêt pour s’acheter bientôt une trottinette.

En gros, pour se déplacer en ville, on aura pour les courtes distances, à pied ou en trottinette, pour les distances moyennes les taxis et Uber, et pour les plus grandes distances les voitures partagées. Car depuis le Covid, on aime moins les transports publics collectifs, ceux où l'on s'entasse dans des caisses métalliques, et on s’est mis à aimer les solutions individuelles de "micromobilité". Pas facile quand même d’imaginer le bazar si tous les usagers du métro se mettaient à rouler en trottinette !

Pour 27% des répondants, l’intégration des « microcars », petites voitures électriques sans permis, est considérée comme une possibilité dans le mix de mobilité, et un sur deux imagine de remplacer leur véhicule personnel par ce type de véhicule, dans les dix ans à venir.

Ces tendances restent à confirmer, mais elles permettent aussi d’imaginer comment vont évoluer nos villes, et les conséquences sur l’activité économique et les entreprises. Voilà un « driver » à ne pas oublier dans nos exercices de prospective et nos visions pour le futur.

 

 

 


Véhicules autonomes : un futur assombri par des cônes de chantier ?

SAFE-STREET-REBEL-CONESQuand on se prête à un exercice de prospective pour anticiper ce que pourrait être notre environnement contextuel à horizon dix ans, pour la société et nos entreprises, on n’échappe pas à une vision futuriste du développement des technologies, avec partout de l’intelligence artificielle, des robots, et bien sûr, des véhicules autonomes. Pour certains c’est un futur très désirable, source de progrès et d’innovations. Pour d’autres, les rebelles, en révolte contre la technologie, c’est une tendance à combattre.

On a déjà connu ça au XIXème siècle avec la révolte des Canuts, ouvriers tisseurs de soie, à Lyon, en 1831, qui ont cassé les machines à tisser en signe de protestation.  Ce sont quand même les machines qui ont gagné la bataille.

Mais ce style de révolte n’a pas disparu.

Prenez les voitures autonomes. Elles commencent à circuler, notamment en Chine qui est le premier pays à autoriser la circulation de voitures autonomes dans certaines de ses villes. Et la circulation de robots taxis sans conducteur est déjà une réalité à Pékin.

Mais à San Francisco, une parade a été trouvée par les rebelles pour empêcher les robots taxis de la compagnie Waymo et de Cruise de circuler.

Cela consiste à placer un cône de chantier sur leur toit, en signe de protestation contre la circulation de tels véhicules en ville.

Les rebelles agissent la nuit, en plaçant ces cônes sur les toits. Résultat : le véhicule allume ses feux de détresse et s’arrête en pleine voie. Et il faut l’intervention d’un technicien pour les faire redémarrer.

Pour le collectif Safe Street Rebel, pro-piéton et pro-vélo, il s’agit en fait de s’opposer à tout type de voitures, qui que soit le conducteur, autonome ou pas. Mais cette contestation des véhicules autonomes grandit. Ils sont aussi accusés par le chef des pompiers de San Francisco d’empêcher la circulation des véhicules d’urgence et des bus.

Et les rebelles ont encouragé les habitants à les suivre dans ces actions de blocage des véhicules et à faire de même, grâce à des tutoriels diffusés sur les réseaux sociaux.

La contestation porte aussi sur la revendication d’un « droit à la ville », afin de bloquer l’empiètement des entreprises sur la ville.

En Europe, la pénétration des voitures autonomes est encore en retard. La législation européenne n’autorise que les véhicules de niveau 3 (sur 5), c’est-à-dire avec un humain derrière le volant quand même : il n’a pas besoin de tenir le volant, mais seulement en cas d’absence de piétons sur la voie, et s’il circule à moins de 60 km/h.

Alors, l’horizon de ce niveau 5 de l’autonomie des véhicules n’est-il pas en train de reculer, voire de disparaître ?

Déjà, au niveau technique, les constructeurs eux-mêmes ont des doutes :

C’est Luca de Meo, Directeur Général de Renault, qui déclarait déjà en octobre dernier : « Le véhicule autonome de niveau 5, je pense que c’est une utopie. […] On travaille sur la voiture autonome mais je n’ai vraiment pas envie d’être le premier constructeur à en mettre une sur le marché… ».

Si maintenant ce sont les rebelles aux cônes de chantier qui s’y mettent, on devient moins optimistes.

Voilà de quoi construire des scénarios prospectifs différenciés.

La quatrième révolution industrielle n'est pas encore complètement écrite. A nous de l'imaginer et d'en être acteurs.