Les M&Ms du mercredi

Mms SAS est une société de logiciel informatique qui me fait l'honneur de reprendre une des notes de ce blog dans leur site, à la rubrique Management (dans la colonne hypertextes à gauche des articles). Ils ne m'ont rien demandé, mais bon..C'est le post sur "Performance et affectif".

Je n'ai rien à voir avec cette société, mais je me suis souvenu d'un article que j'avais lu il y a quelques semaines à son sujet dans "The Economist". C'était le 1er décembre.

Cet article décrit cette entreprise, et surtout son patron, Jim Goodnight, comme étant réputée pour être gentille, super gentille avec ses employés. Et le patron interrogé explique pourquoi c'est un choix, et pourquoi il pense que c'est une source de bénéfices.

Exemples de choses super gentilles : le mercredi, il y a distribution gratuite de M&Ms au Siège, sur le campus de Cary, en Caroline du Nord...Cela symbolise la fantastique "employee-friendly culture" de l'entreprise.

Et l'article de continuer avec la liste de toutes les choses gentilles; c'est Noël tous les jours chez SAS :

- Tous les employés ont un bureau; il n'y a pas d'open space;

- Comme il y a des bureaux, il y a plein de murs à décorer avec des oeuvres d'art : le gentil Goodnight man en a mis 5000, plus des sculptures à l'extérieur;

- Les snacks sont gratuits et les cafés sont subventionnés (tiens; pourquoi pas gratuit aussi le café ?),

- Le campus offre aussi des super salles de sport, des crèches, et même un centre médical privé, qui permet à chacun de bien s'occuper de sa santé . Comme ça, chez SAS, il n'y a que 2,5 jours d'arrêts maladie par personne et par an....

Par contre, ce que n'offre pas SAS, ce sont des stocks options, car l'entreprise est 100% familale; tous les titres sont à Goodnight man...Il avait pensé à entrer en Bourse, mais il a renoncé car il ne voulait pas être contrôlé par des "analystes de 25 ans qui lui diraient comment gérer son business"...

L'article indique aussi que SAS est une entreprise super lucrative, sur un créneau à haute valeur ajoutée, et que Jim Goodnight est l'homme le plus riche de la Caroline du Nord, avec une richesse de plus de 9 Milliards de dollars...

L'article termine sur une petite pique à propos de ce philanthropique Mr Goodnight , en se demandant ce que deviendrait ce "management par la créativité" si les temps devenaient plus durs pour ses affaires...

Pas facile de se faire une idée précise de cette histoire. Est-ce qu'il faut marcher dans cette guimauve, ou bien s'en méfier, en suspectant une entreprise qui caline ses employés pour mieux les faire bosser dur ? Oui, c'est vrai, cela est pure imagination, je n'en sais rien, mais c'est vrai que ce genre d'histoires me laisse toujours un peu dubitatif. Ces employés heureux qui sautent de joie avec des M&Ms plein la bouche, qui font du sport ensemble , pour le plus grand bien du patron à 9 milliards de dollars qui possède toute l'entreprise...Je pense qu'il y doit quand même y avoir des employés qui font un rejet.

En fait, c'est un véritable dilemne : soit l'entreprise est accusée de manquer de reconnaissance et d'intérêt pour ses employés, soit on l'accuse de manipulation et d'endoctrinement. La marge de manoeuvre est étroite, et il est facile de faire des erreurs. Probablement, le critère de réussite est il la sincérité de la démarche. On constate aussi que ce sont souvent les entreprises détenues par leurs dirigeants qui recherchent, comme SAS, à fidéliser ainsi et à considérer comme un "club" leurs salariés. Mais la tendance s'étend.

En tous cas, si ces attentions marchent en terme de résultat et de performance, ça vaut le coup de s'y intéresser sèrieusement,

Seul problème pour moi : j'aime pas trop les M&Ms....


Réseaux dans l'entreprise : poison ou salut ?

Network_associate_meeting C'est une histoire que l'on entend depuis plus de dix ans, mais qui continue aujourd'hui.

Déjà, en 1997, le sénateur Tregouët en avait fait une commission et un rapport au titre trés chic : "Des pyramides de pouvoir aux réseaux du savoir"...

Oui, le sujet, c'est les réseaux.

On nous dit que les entreprises ne peuvent plus être dirigées et managées selon des modèles hiérarchiques, et que maintenant le truc dans le coup, ce sont les réseaux. Et puis les réseaux, ce n'est pas seulement dans l'entreprise, c'est dans la société toute entière, ça traverse les entreprises, les frontières, et puis internet, et bla bla bla, c'est le web 2.0, l'entreprise 2.0...Oui, tout ça on connaît...

Pourtant, les réseaux, c'est vieux comme le monde, non ? Et cela fait tourner le monde et les entreprises depuis bien longtemps, au grand dam de certains .

C'est Saint-Simon, déjà, qui avait décripté les réseaux qui tournaient, avec leurs codes et leurs signes secrets, autour du Roi Louis XIV, et que Emmanuel Le Roy Ladurie a trés bien analysé. Selon votre influence, vous pouviez avoir un strapontin ou un tabouret; votre proximité du frère de Roi vous donnait un pouvoir officieux parfois plus important que celui d'un ministre...

Cette comédie de Versailles est encore d'actualité dans nos entreprises, et c'est vrai qu'elle dépasse les hiérarchies : il y a les réseaux des anciens de telle ou telle école, où l'ENA et l'X ont droit aux meilleurs fauteuils, et de s'asseoir auprès du Roi lors des réunions du Conseil...Ce qui compte dans ces réseaux, c'est quelque chose qui excite les puissants et ceux qui veulent le devenir depuis toujours : le pouvoir.

Pour les promotions, les privilèges, les avantages, oui, les réseaux sont à l'oeuvre. C'est une spécialité en France, et ailleurs.

Et puis, à part les écoles, d'autres réseaux se constituent de toutes sortes, ou bien on les soupçonne de se constituer et d'être influents : oui, dans les années 30 l'antisémitisme se nourissait de ce type de soupçon (encore aujourd'hui peut être même); D'autres se constituent ou sont suspectés, avec toujours autant d'occasions d'entr'aide et de passe-droits, de copinage, du moins le croît on...

Il y a les grands classiques qui font le plus fantasmer, la franc-maçonnerie, l'Opus Dei, etc...Oui, ils sont de mèche, ils trustent tout, ...

Plus anodins, il y a les réseaux dits d'"influence"...Les bons vendeurs les repèrent, ceux qu'on appelle parfois les "mazarins" : ils ne sont pas trés visibles dans la hiérarchie, mais ont l'oreille (et bien sûr on pense aussi la couche) du patron...Autant d'histoires, jamais vérifiées, qui peuplent l'imaginaire de ceux qui voient des réseaux et des influenceurs partout, d'autant plus intéressant qu'il y a des histoires sexuelles en plus.

Et, si l'on n'est pas dans ces réseaux d'influences, il reste les réseaux de contestataires : les syndicats, les râleurs, les opposants de toute nature, savent aussi trés bien se constituer leurs réseaux dans les entreprises et à l'extérieur, pour se défendre et faire entendre leurs doléances collectives...

Alors, c'est sûr, pour certains dirigeants, pour qui "les réseaux d'entreprise" c'est cette foire aux privilèges aux magouilles, et aux complots de tous ceux qui veulent mettre la pagaille, le mot réseau donne des boutons...Et ils ont du mal à imaginer leur utilité. Ils aiment bien les hiérarchies, le pouvoir de leur réseau à eux, et surtout pas ceux des autres. Bref, les réseaux ont un goût de poison.

Pourtant certains, comme chez Renault, considèrent justement que ce sont leurs réseaux informels qui font la performance de l'entreprise.

Alors, qui croire ?

C'est vrai que ce phénomène de réseaux est extraordinairement efficace parfois. Cette capacité à s'entraider, à résoudre ensemble les problèmes, à constituer les équipes qui vont bien s'entendre, on en rêverait...Surtout si l'on compare aux diffcultés à faire marcher tous ces montages complexes d'organigrammes evec des matrices, des rattachements fonctionnels et hiérarchiques, des comités, des groupes projets, des commissions, tout un tas de trucs qui se marchent sur les pieds et entrent en conflits les uns les autres.

C'est pourquoi le sujet est constamment à l'ordre du jour des plans d'actions d'amélioration de la performance, et fait frétiller les consultants...

Ce qu'essayent de faire ceux qui tentent de dompter les réseaux, souvent aussi pour casser les baronnies des hiérarchies, c'est d'officialiser des réseaux plus formels, et de mettre en oeuvre des principes de management modernes, et non des passe-droits. C'est ce que Thomson a initialisé, avec les "réseaux de management". Le but est simple : faire que ça marche aussi bien qu'un réseau spontané, mais plus surveillé, plus contrôlé. Un peu comme une tribu de chats qu'on aurait castrés, qui deviendraient ainsi plus faciles à dresser.

C'est aussi la façon de promouvoir un management plus décentralisé.

Mais il serait stupide de croire que ces réseaux plus formels vont supprimer les autres. Et puis si l'on doit choisir entre le réseau des castrés et les autres, c'est vite vu...Donc les deux types de réseaux vont co-exister. Reste à trouver la raison d'être et le bon fonctionnement des réseaux formels de management.Pour l'entreprise, mettre en oeuvre des réseaux de management c'est finalement le moyen d'empêcher les réseaux poisons de faire la loi, et de donner un vrai socle de management transversal. C'est donc pratiquement un salut. Partout où seule la hiérarchie a droit à la parole officielle, ce sont les réseaux poisons qui vont prospérer.

Rob Cross, un professeur de l'université de Virginia, a commis un ouvrage cde référence sur le sujet, " The hidden power of social networks", repris, et co-écrit avec un autre professeur, Jeanne Liedtka, dans un article de Harvard Business Review .Cet article vise à nous donner un guide pratique pour mettre en place des réseaux formels dans l'entreprise.

Il nous donne de bons conseils pour structurer des réseaux de management permettant vraiment de faire s'exprimer les talents et la créativité, et de coordonner les actions.

Ce qu'il nous encourage d'abord à faire c'est de déterminer de quels types de réseaux exactement a besoin l'entreprise pour atteindre les objectifs stratégiques qu'elle s'est fixés.

Parfois on a besoin de réseaux capables d'adresser des sujets pour lesquels les solutions sont ambiguës, et où l'on a besoin de plusieurs spécialistes ensemble trés rapidement. Ce type de réseau,que Rob Cross appelle "customized Response", il est bien connu des entreprises de conseil par exemple, où se mettent en place des "communautés de pratiques" ou "centres de compétences", pour capitaliser et faire évoluer les offres et méthodologies.

Un autre type de réseau, c'est celui où les composantes de la question à traiter sont connues, mais où l'assemblage de ces composantes et la séquence de leur utilisation dépend de chaque situation. C'est le type de réseau où les protagonistes, par exemple, s'organisent pour mener un procès ou la procédure d'une opération chirurgicale, ou coordonner le contrôle aérien.. Rob Cross appelle ça les "Modular Response".

Enfin, le dernier type de réseau, c'est celui où il s'agit de répondre à des problèmes qui sont trés connus et standardisés, ainsi que les solutions . Le réseau sert alors à mettre en relation, de manière organisée, et permanente, tous ceux qui vont contribuer à la solution. C'est le modèle des call centers, où selon la question posée, le client est mis en contact avec le bon spécialiste pour son problème. C'est aussi comme ça que s'organisent les processus de gestion des sinistres des compagnies d'assurances. C'est le système des "Routine Response". Pour être efficace, ce type de réseau doit avoir bien défini les frontières entre les contributeurs, et les éléments qui déclenchent leur participation.

Ce que nous apprend cette typologie, c'est à nous poser la question : de quels types de réseaux avons nous vraiment besoin ? Et puis, ensuite, d'adapter les règles de fonctionnement, les délégations de responsabilités, en fonction de chaque type de réponse que l'on veut apporter aux différents types de problèmes.

Si nous ne nous posons pas ce genre de questions, alors les seuls réseaux qui fonctionneront correctement seront ceux des rumeurs et des copains, les autres restant des réunionites ou des échanges de mails sans aucune efficacité .

Oui, pour que les réseaux soient autre chose que du poison, il faut y mettre un peu d'organisation,..mais pas trop non plus, car, dans ce domaine, comme dans bien d'autres dans l'entreprise, le mieux et l'ennemi du bien, et la bureaucratie n'est jamais bien loin.

Les réseaux, on n'a donc pas fini d'en parler dans nos univers professionnels et dans la société en général.


Devenir célèbres

Tourdebabel Vouloir que son entreprise se développe, ait la meilleure performance, le plus de croissance, être leader, que dire contre ça ?

Ce genre d'objectifs, d'ambition, c'est exactement ce qu'attendent les actionnaires, les clients, et même les employés qui tiennent à leur emploi, de toute entreprise.

Pour ça, il faut, pensent certains, des procédures, des méthodes, et, dans le reporting et les systèmes de pilotage, ce que l'on appelle "un langage commun".

C'est sûr, ça ?

Pourtant, on dit aussi que si tout le monde pense et agit pareil, vient des mêmes écoles, des mêmes formations, c'est pas bon du tout pour l'innovation, et qu'il faut au contraire de la "diversité", des équipes autonomes et responsables, etc...C'est de plus en plus à la mode comme discours ça, même si dans l'action, c'est pas toujours calé.

Alors, finalement, qui croire ?

Et si nous allions regarder à la source, dans le chapitre 11 de la Genèse, oui, dans la Bible...

C'est quoi, ce chapitre 11 ? Oui, c'est l'histoire de la Tour de Babel.

On connaît, ou on croît connaître, cette histoire.

Le début, ça parle d'une entreprise, et d'une ambition:

" Tout le monde parlait la même langue et se servait des mêmes mots."

Génial, ça, dans ce temps là, tout le monde se comprenait, parlait pareil. Le langage commun sur toute la ligne...Quel pied non ? alors qu'aujourd'hui il y a plusieurs langues...Le bon temps vraiment ...

" Partis de l'est, les hommes trouvèrent une large vallée en basse mésopotamie et s'y installèrent."

Ces hommes passent du statut de nomade à celui de sédentaires. Ils s'installent et vont bâtir quelque chose ensemble. Oui, comme des entrepreneurs qui se rencontrent, s'unissent, et fondent une entreprise...C'est le début de l'aventure, l'envie de bâtir, de développer...Toujours parfaite, cette histoire, non ?

"Ils se disent les uns aux autres : "Allons ! Au travail pour mouler les briques et les cuire au four ! " Ils utilisèrent les briques comme pierres de construction et l'asphalte comme mortier."

Là, c'est comme dans l'entreprise, un élan commun, et de l'innovation (à cette époque utiliser les briques et le l'asphalte, c'est une véritable innovation technologique par rapport à l'utilisation de pierres pour la construction). Et ce "Allons !", c'est comme le discours d'un chef qui harangue ses cadres lors du séminaire de direction. En même temps, il y a là dedans la même ambiguïté que dans nos entreprises: c'est quoi ce "nous" ? Des cadres qui sont fascinés par l'autorité du chef, ou bien des moutons anonymes à qui l'on demande de contribuer à l'ambition ? Mais, bon, continuons...

" Puis ils se dirent : " Allons ! Au travail pour bâtir une ville avec une tour dont le sommet touche au ciel ! Ainsi nous deviendrons célèbres et nous éviterons d'être dispersés sur toute la surface de la terre".

Aprés l'ambition, le projet, comme un plan stratégique d'entreprise. Une ville et une tour, un objectif extra : toucher au ciel...Tout le monde en veut, non ? Mais , ce qui frappe surtout, c'est la motivation affichée : se faire un nom, être célèbre. Quoi de mieux pour ça que de construire un édifice prestigieux ? On reconnaît bien là les ambitions affichées ou cachées de ces dirigeants qui font du développement de leur entreprise un objectif de gloire personnelle, dans laquelle l'ensemble des employés vont se fondre. C'est la fin des particularités, c'est la gloire de l'entreprise et de sa marque, le logo partout, le "ketchup dans les veines",...

Alors, pour la suite de l'histoire, jusque là impeccable, (non ?), voilà l'empêcheur de tourner en rond :

" Le Seigneur descendit du ciel pour voir la ville et la tour que les hommes bâtissaient;"

Trop fort ! Cette belle entreprise s'évertue à faire monter une tour le plus haut possible, et le Seigneur, lui, il "descent", l'air de dire que, peu importe jusqu'où les hommes vont monter, lui, il est encore plus haut, il est ailleurs, il "descent".. ça sent le roussi notre belle entreprise...

" Aprés quoi il se dit : "Eh bien, les voilà tous qui forment un peuple unique et parlent la même langue ! S'ils commencent ainsi, rien désormais ne les empêchera de réaliser tout ce qu'ils projettent."

Finalement, c'est plutôt sympa : le Seigneur reconnaît que l'entreprise a de bonnes chances de réussir. L'ambition et l'objectif sont corrects...On a eu tort de s'inquiéter...On reconnaît bien notre chef d'entreprise qui se persuade que ce qu'il fait, c'est bien.

" Allons ! Descendons mettre le désordre dans leur langage et empêchons-les de se comprendre les uns les autres".

C'est la douche, c'est le moment le plus troublant de l'histoire : Quoi ? On monte une belle entreprise, une ambition extraordinaire, des chances de réussite extrêmes, et vlan, le Seigneur vient tout mettre en l'air ...Il est taré ce type non ?

" Le Seigneur les dispersa de là sur l'ensemble de la terre, et ils durent abandonner la construction de la ville."

Et il a réussi à tout foutre en l'air. Il a mis la confusion : les hommes ne s'entendent plus, ils sont dispersés, ils ne bâtissent plus.

" Voilà pourquoi celle-ci porte le nom de Babel. C'est là, en effet, que le Seigneur a mis le désordre dans le langage des hommes et c'est à partir de là qu'il a dispersé les humains sur la terre entière."

C'est vrai que c'est troublant cette histoire de la tour de Babel, non ?

Ce que l'on en retient, c'est que tout ce qui gomme les différences, qui tente de fondre tout le monde dans un moule unique, c'est pas trés bon pour nous. L'intervention de Dieu dans cette histoire, c'est pour nous empêcher de nous enfermer dans un discours, un système de pensée, qui est tellement globalisant et identique pour tout le monde qu'il en devient totalitaire...Et l'on reconnaît bien là les caractéristiques de ce genre d'entreprises totalitaires (on pourrait d'ailleurs tirer les mêmes conclusions sur les politiques et les Etats du même style).

Finalement ce que nous dit cette histoire de tour de Babel, c'est que c'est justement en créant cette confusion, en laissant les langues, les particularités de chacun, s'exprimer, que la vie se répand et féconde toute la planète. Si l'histoire de la Tour de Babel avait marché, on ne serait peut être plus là; ils seraient tous morts peut être...L'unicité de la langue et du "langage commun", c'est la même chose que le "lavage de cerveaux", la propagande où les mots ont un seul sens, celui décidé par l'autorité suprême, par l'entreprise, et surtout son dirigeant...

Inversement, les langues différentes, les comportements différents, c'est la possibilité d'apporter des nuances, de la créativité, que ne permettrait pas ce "langage commun" si "commun" veut dire "unique".

L'histoire de la tour de Babel nous enseigne que, pour développer nos entreprises, nous n'avons pas besoin de ces discours vides et homogènes, mais de capacité de communiquer entre des personnes responsables, différentes, fragiles. C'est cette capacité à communiquer entre des gens différents qui fera que l'entreprise pourra se "disperser sur la terre entière"  C'est la diversité qui nous sauvera, et permettra à l'entreprise d'innover et de se développer, en respectant l'identité de chacun...

L'histoire de la tour de Babel, et de son échec salutaire, c'est un peu l'histoire de la globalisation intelligente et féconde. Un bon message pour Noël non ?

Cela me rappelle une citation d'Elie Faure que j'aime bien, et dont j'avais parlé ICI. Un point de vue qui vient apporter encore un peu plus de subtilité à notre sujet : comment nous rapprocher grâce à nos différences. L'anti-tour de Babel...

Cette envie de relecture de ce texte de la Genèse, et mon commentaire, m'ont été inspirés par le dossier que consacre le Journal de l'Ecole de Paris, dans son numéro de novembre/décembre à "Manager les différences",

Claude Riveline, dans l'Edito de ce numéro, rappelle notamment que l'on dit que les Eskimos disposent de trente mots pour désigner la neige, tandis que les français ont un vocabulaire trés développé pour parler du vin. Si Babel existait, ces deux populations ne disposeraient probablement que de "snow" et "wine" pour échanger sur ces deux sujets.

Ce sont bien les différences qui rendent célèbres...et riches.


Faut il être bête pour être discipliné ?

Caniche Bête et discipliné, on connaît la formule.

C'est la caractéristique de l'employé parfait, celui qui respecte les ordres, qui applique les procédures, qui obéit...la perle pour le manager, non ?

Pourtant ce qui dérange dans cette perfection, c'est le mot "bête"...ça donne pas envie; et on a l'impression qu'avec une équipe constituée de tels éléments, on ne va pas aller bien loin dans l'innovation.

Naturellement, quand on a un peu de fierté et de confiance en soi, on aime plutôt se sentir rebelle, libre, et non attaché par un chef qui nous adresse des ordres en permanence, et que nous appliquons sans conviction ni passion.

Pourtant, c'est un lieu commun dans de nombreuses entreprises : pour que tout fonctionne bien, il faut de la discipline, de l'ordre, et pour qu'il y ait de la discipline, il faut des employés obéissants, et qui la ramènent pas trop...

Afin de calmer les rebelles, il faut que les "managers" soient en état de contrôle et de surveillance permanents, afin d'éviter toutes dérives.

Il es clair qu'n croyant à de telles "évidences", nous ne sommes pas prêts d'innover en matière de management.

C'est justement pour nous ouvrir les yeux, nous apprendre à penser autrement, que Gary Hamel, dans une démarche proche de celle de Sutton et Pfeiffer, nous donne les clefs dans son ouvrage "the future of management", dont je poursuis la lecture.

C'est vrai qu'il faut de la discipline pour faire fonctionner correctement l'entrprise, et qu'un système complètement anarchique garantirait difficilement une performance stable. Mais là où l'"évidence" est fausse, c'est quand on croit que cette discipline impose d'avoir des employés bêtes et contraints. Le "comment" de l'entreprise disciplinée ET intelligente reste à inventer.

Gary Hamel cite quand même quelques pionniers intéressants, telle une entreprise de distribution (Whole Foods) où les équipes magasins ont la responsabilité du staffing, des prix, de la sélection des produits, et de la rentabilité de leurs départements. Les équipes sont évaluées chaque mois par rapport à des objectifs de rentabilité, et, quand ils atteignent ces objectifs, les membres de l'équipe, collectivement, reçoivent un bonus sur leur paye du mois suivant. Comme les bonus sont attribués à l'équipe, les membres de l'équipe ont un niveau de tolérance pour leurs collègues qui ne feraient pas le poids extrêmement faible. Le fait que la performance de chaque équipe soit visible et connue au sein de toute l'entreprise est un autre élément d'incitation à la performance. Dans ce type d'entreprise, la pression vient donc des pairs et n'a pas besoin de discipline imposée par le haut.

Autre exemple dans l'entreprise Gore (qui vend les produits en Gore-Tex) : les employés peuvent choisir les équipes et projets de recherche où ils ont envie de travailler. Ils peuvent dire non à une affectation qui leur est proposée. Ils ont aussi une partie de leur temps (20%) qui leur est réservé pour travailler sur n'importe quel projet qui leur fait envie. Mais ils savent aussi que le processus de management prévoit qu'ils seront évalués par au moins 20 de leurs pairs à la fin de l'exercice, et que cette évaluation déterminera leur rémunération.

Ce que nous apprennent ces expériences, et d'autres, c'est cette capacité à imaginer un système où la discipline est respectée et régulée sans nécessairement faire jouer la carotte et le bâton des chefs.La régulation par les pairs, et la solidarité des équipes, sont de bons exemples.

Quatre conditions reviennent souvent :

- les employés de base sont responsables de leurs propres résultats,

- les membres de l'équipe ont accés en temps réel aux données des indicateurs de performance,

- ils ont autorité de décision sur les variables clés qui influencent cette performance,

- il a une bonne cohérence entre les résultats, les rémunérations, et la reconnaissance.

Bien sûr, on sent bien que ces systèmes nouveaux remettent en cause les croyances de base les plus ancrées dans le management, et surtout déstabilisent ceux qui en profitent le plus : les "managers". Avec ces nouvelles approches fondées sur la responsabilité, on peut imaginer que l'on aura besoin de moins de "managers", du moins dans leur forme actuelle, et que c'est précisément cette caste des "managers" qui, cherchant consciemment ou inconsciemment à protéger leur situation, va lutter le plus fort contre toute évolution...

C'est pourquoi Gary Hamel aime bien parler de "Révolution" quand il parle d'innovation en management. C'était d'ailleurs le titre de son précédent livre, qui se prolonge en fait avec son dernier. Ce sont peut être les cadets de l'entreprise qui permettont cette révolution.

Intelligent, révolutionnaire, et...discipliné....une nouvelle forme de participation pour l'entreprise; c'est comme si on peignait les pattes et les oreilles du chien en jaune et le corps en violet...il va falloir s'y habituer...


Le futur du management

Startrek Si un cadre d'entreprise des années 60, ou avant encore, revenait tout d'un coup aujourd'hui dans notre monde, il trouverait beaucoup de changements : les nouvelles technologies, les chaînes de télévision, la mode, et puis internet,...

Par contre, il y a une chose avec laquelle il ne serait pas dépaysé, c'est le fonctionnement du management dans les entreprises : bien sûr, il y eu des changements, les organisations ont parfois un peu changé , plus matricielles. Mais, globalement, il y a des chefs, des hiérarchies, des comités de direction, des plans stratégiques, des budgets, des tableaux de bord...Bref, il n'aurait aucun mal à reprendre son poste.

C'est pas un peu bizarre ça ?

Est-ce que cela voudrait dire que nous sommes arrivés à un optimum, à l'aboutissement ultime , à la meilleure façon de gérer les entreprises, et qu'on n'a plus qu'à continuer comme ça ? Est-ce le signe que tout marche bien maintenant, qu'avec cette forme de management optimum, tout le monde est heureux, les actionnaires, les clients, les employés, etc... ?

Ben, justement, on dirait que non...Cherchez l'erreur ...

Alors cela voudrait il dire au contraire que ce modèle de management vit ses dernieux feux, et qu'un nouveau mode, pas encore en place, va bientôt le remplacer, une sorte de 2.0 quelque chose ?

C'est sur ce point de départ que Gary Hamel a construit son dernier opus, "The future of management", qui vient de sortir. Il nous prédit une révolution du management. Lire un tel ouvrage en fin d'année donne vraiment de l'optimisme; de quoi nourrir des consultants pour les cinquante prochaines années...

L'intérêt de l'ouvrage, c'est justement que Gary Hamel ne donne aucune réponse ou solution sur ce que sera "le futur du management"; il considère que rien n'existe encore, que tout est à inventer et à créer. Et sa démarche consiste à nous aider à poser les questions, à nous inciter à nous mettre en situation d'être innovants et inventeurs...Une approche qui change justement de tous ces ouvrages qui tentent toujours de nous vendre la dernière méthodologie à la mode, et les benchmarks plus débiles les uns que les autres.

Je n'en ai pas terminé la lecture, mais les questions qu'il considère comme les plus grands challenges des entreprises dans le XXIème siècle sont certainement un bon point de départ pour faire avec lui ce parcours de l'innovation en management :

1. Comment accélérer le renouvellement des stratégies dans les organisations ? (besoin urgent car les stratégies sont appelées à changer et à s'adapter de plus en plus vite)

2. Comment faire pour que l'innovation soit l'affaire de tous dans l'entreprise ?

3. Comment créer un environnement de travail trés engageant, qui inspire les employés à donner le meilleur d'eux mêmes ?

Joli programme de réflexion en effet...

A suivre...


Performance et affectif

Gandecart   Pour piloter la performance et développer une culture de la performance, que faut-il ?

C'était la question vendredi au Sénat, lors d'une manifestation de la DFCG, association des directeurs financiers et contrôleurs de gestion, organisée par le groupement "Secteur Public", avec une question : Les techniques de gestion du privé peuvent elles s'appliquer au pilotage de la performance des organismes publics ?

Un des débats, réunissant notamment des représentants de l'ANPE, de La Poste et de la Mairie de Paris, a tenté de trouver les ingrédients pour "mettre en place une culture de la performance dans les services publics".

Tous se sont empressé de nous faire étalage des outils, des indicateurs, des tableaux de bords, des revues de gestion, et même des systèmes de primes et rémunérations variables...Oui, pas besoin de les forcer, les gestionnaires publics ont eu vite fait de copier ce qu'ils croient être les techniques "du privé" pour mieux "piloter la performance"...Pour beaucoup, encore, la performance, c'est une histoire d'outils.

Alors, tout va bien, les organismes publics sont devenus performants ? C'est là que ça bloque...Les témoins n'ont pas pu s'empêcher de mettre en évidence les "difficultés rencontrées".. Et là de quoi ont-ils parlé ?

De la difficulté à motiver, à responsabiliser, à mobiliser...à rendre performante une communauté humaine.La Poste a d'ailleurs renommé son programme d'amélioration des performances "Performance et confiance".

Ils ont découvert qu'il ne suffit pas de créer un système de mesure pour que tout fonctionne bien. lls commencent à comprendre combien il est illusoire de croire que la performance se met en équation et qu'il suffit ensuite de la mesurer avec les bons indicateurs et de verser les primes variables à partir de calculs mathématiques. Ils découvrent que la dimension du management est toute aussi déterminante.

Et si le fonctionnement d'un système de pilotage de la performance se basait aussi sur des critères affectifs, comme le suggérait un sociologue invité à participer au débat, en définissant le manager comme celui "qui fait faire à autrui ce qu'il ne ferait pas tout seul" ?

Quoi, horreur, l'affectif, ça veut dire quoi ?? Dans le secteur public, il y a des règles, des responsables, des procédures, du contrôle, surtout a priori, alors l'affectif, non, on ne voit pas de quoi l'on parle...la simple idée qu'il puisse y avoir du "jugement" dans l'évaluation de la performance, et que certains se voient reconnus ce droit à juger l'autre, est souvent vivement rejetée dans les organisations publiques. Alors, pour éviter de devoir reconnaître leur limites managèriales, les chefs vont essayer de se convaincre qu'un bon tableau de bord et des "instructions" feront l'affaire, et leur permettrons d'être tranquilles...Pour la performance, on attendra un peu.

Et pourtant, la vraie évaluation de la performance d'un collaborateur, elle dépend aussi de l'appréciation de celle-ci par le manager, qui porte ainsi un jugement, avec une part aussi subjective, sur la performance de son collaborateur. Ce jugement bienveillant, c'est celui qui aide, qui fait grandir, qui repousse toujours plus loin les limites de la capacité humaine, et de la performance.Oui, ce jugement affectif des managers, il est déterminant dans la qualité de fonctionnement du système de pilotage de la performance. Le management est ainsi fait de face à face entre les managers et leurs collaborateurs, de jugement sur la valeur et la contribution de chacun, et c'est cette capacité à correctement juger et évaluer, à faire gravir les marches de la performance à l'autre, en équité, qui fait la qualité des systèmes de management.

Cela demande bien sûr du courage, de l'écoute, de l'envie de faire grandir ses collaborateurs, et c'est plus complexe que de barder son organisation de mesures et d'indicateurs, et grâce à des calculs automatiques, de désigner les performants et les non-performants : un tel système, tel un robot, auquel semble encore rêver quelques responsables d'organisations publiques, ne peut conduire qu'à la déresponsabilisation, à un sentiment de défiance où les chefs surveillent les collaborateurs.

Il est vrai que cette nouvelle étape de la culture de la performance, elle va nécessiter des mutations beaucoup plus grandes, et d'abord mentales, que de mettre en place des balanced scorecard, et autres outils. Elle va nécessiter de sortir du système de défiance qui caractérise encore trop souvent les comportements du secteur public : on y manage par circulaire, par contrôle a priori, par des échelons hiérarchiques inutiles qui contrôlent ceux qui contrôlent ceux qui contrôlent ceux qui travaillent, et dont l'Administration en général est pleine...

Il va falloir parler de sens, de confiance, d'"empowerment"...d'affectif, de leadership, de management...et trouver les mécanismes de fonctionnement des communautés humaines où des gens ordinaires font faire des choses extraordinaires à d'autres gens ordinaires. Ceux qui imaginent que c'est le charisme d'un chef qui suffit à faire prendre la dynamique se trompent. C'est justement le comportement des managers et des agents de proximité qui fait la performance des organisations publiques (comme des autres), et non les incantations et discours des élites.

En écoutant les débats et interventions lors de cette journée de la DFCG, on sentait combien cette transformation ne faisait que commencer.

Ce qui était amusant, c'est que les sponsors de cette manifestation, qui étaient fortement représentés dans l'assistance, étaient majoritairement des sociétés informatiques Cap Gemini, Unilog, Atos, venus s'épier les uns les autres, et dont la vocation est justement de commercialiser et de mettre en oeuvre des "solutions" et systèmes d'informations de tous ordres...Les débats et états d'âmes des entreprises et administrations publiques présentes étaient la criante démonstration que ces outils, bien sûr utiles, ne permettraient jamais de garantir la moindre performance, ou culture de performance, et que ce sont les managers et les leaders de ces organisations qui doivent s'en charger, leurs prestataires d'outils ne pouvant rien pour eux...On sent la fin de cette "griserie" qui a sévit au cours des dix dernières années où le mirage des technologies et des méthodes de contrôle de gestion ( fortement promues par les consultants techniques en tous genres) a illusionné les cadres des administrations et collectivités locales sur leur capacité à influencer ainsi la performance.

La performance par l'affectif et l'humain, et non par les outils...

Indéniablement, les organisations publiques progressent dans leur réflexion...

Le challenge est de  traduire tout ça en comportements, actions et résultats.....

D'autant que sur ce sujet, il n'est pas sûr que ce qu'ils appellent "le privé" leur fournisse les solutions sur étagères. La recherche d'un nouveau modèle de management pour être performant, c'est une question éternelle autant pour les organisations publiques que privées.. et pour ceux qui essayent de se prétendre leurs conseils...


Catastrophe !

Catastrophes_naturelles_4 Catastrophe !

Rien que ça.

C'était dans Le Monde d'hier soir :

" Son départ est une catastrophe"

Qui parle comme ça ? Un journaliste du Figaro, qui parle du départ de son patron, Nicolas Beytout, pour rejoindre la direction du pôle Médias d LVMH, fort de l'acquisition récente des Echos par bernard Arnault, Les Echos qu'il avait quitté il y a trois ans pour venir au Figaro.

Paradoxe insolent, c'est ce même jour que Le Figaro a choisi de consacrer son supplément "Le Figaro Réussir" à un thème qu'il vit en direct :

"Comment retenir les meilleurs ?"

Superbe démonstration d'arroseur arrosé !

Bon, alors ces journalistes catastrophés que leur patron a quitté, que nous disent ils sur ce thème ?

Pour nous donner les secrets pour retenir les meilleurs, Jean-François Arnaud et Anne Jouan sont allés recueillir l'avis éclairé d'un expert, Antoine de Riedmatten, associé en charge du recrutement chez Deloitte France, cabinet d'audit, dont j'ignorais qu'il était "best in class" pour retenir les meilleurs ...

Cet expert nous livre les trois secrets :

1. "D'abord il faut leur proposer une formation de trés bon niveau de manière régulière".

2. " de la mobilité. " Soit on est capable de proposer des évolutions à ses meilleurs collaborateurs, soit ces derniers vont aller les chercher ailleurs. Si l'on arrive, en le faisant tourner en interne, à garder ses talents, alors on est gagnant".

3. Enfin, ne pas négliger les salaires. " Il est clair qu'il faut valoriser les meilleurs, car il s'agit d'une source de motivation"...

Bon, voilà...c'est tout ?

Et cette façon de parler de "gagnant" pour l'entreprise, elle fait entendre que le salarié s'est bien fait avoir, non ?

Et ces formations "de trés bon niveau", c'est quoi ?

Si l'on en croit Sandra Elart, qui enseigne en sciences de l'éducation à l'université de Genève, et qui vient de sortir un ouvrage sur " Concevoir des dispositifs de formation d'adultes : du sacre au simulacre du changement", et dont Le Monde rendait compte lundi, c'est du pipeau total :

" La formation est un lieu de mise en scène du changement, permettant aux hommes et aux organisations de croire au changement, de l'instrumentaliser, de le donner en représentation, d'en vivre une simulation. Mais, fondamentalement, la formation n'est pas un levier de transformation profonde. Au contraire, dans certains cas - et l'on peut penser qu'ils sont majoritaires - la formation est là pour renforcer les structures et le pouvoir en place, tout en donnant l'illusion, de traiter de leur mutation...la formation sacralise le changement en lui fournissant des credos, des rites, des acteurs dédiés, mais elle n'en donne en fait qu'un simulacre".

Et pan sur le bec, comme dit la comtesse dans le canard enchaîné...

On dit qu'une catastrophe n'arrive jamais seule...

Aprés celle du départ de leur chef, les propositions indigentes de cet expert, reprises par nos deux journalistes traumatisés, en est une nouvelle démonstration.

Tous ceux qui croient encore que des formations, du fric, et de la mobilité dans l'intérêt unique de l'entreprise vont suffire à attirer et conserver ceux qu'ils appellent "les meilleurs" vont vite apprendre que ces discours auront de moins en moins d'effets...si tant est qu'ils en aient encore (peut être que cela marche encore pour les auditeurs de Deloitte ? )...

Dans ce même numéro du Figaro Réussir, d'autres experts consultants sont interrogés sur les raisons principales de la démission d'un collaborateur....Ils reprennent exactement les causes considérées comme secondaires par Matthew Kelly dans mon précédent post...et ne parlent pas de "dream manager".

On peut se prendre à rêver que Nicolas Beytout a pris sa décision de quitter le Figaro hier soir en jetant dans sa poubelle cet ultime numéro, avec son nom comme directeur de la rédaction, du Figaro Réussir qui cherchait à "retenir les meilleurs"....Espérons qu'il n'utilisera pas ces conseils surranés pour recruter et garder les talents dans son nouveau groupe..

Bonne chance à toi, Nicolas...


Manager de rêve

Reve_2 Dans certaines entreprises, on reste longtemps, on ne quitte jamais, ou presque jamais. On m'a dit un jour que chez Air France, il y a plus de décés que de départs...Glups !

Et puis dans d'autres, les départs sont monnaie courante. Le secteur de l'informatique en sait quelque chose. Et c'est pire encore dans la restauration ou le BTP, qui n'ont pas une cote terrible auprés des jeunes, malgré les efforts de promotion que font les responsables de ces secteurs, en mettant en avant que ces jobs peuvent constituer un vrai ascenseur social pour, notamment, des non-diplômés.

Et puis, quel que soit le secteur, un turnover en surchauffe, c'est toujours quelque chose qui coûte énormément, et beaucoup plus qu'on ne le croit.

Il suffit d'imaginer, dans une entreprise où le turnover dépasse les 100%, combien il en coûte de trouver des candidats, de les recruter, de les former, de les intégrer, de les rendre efficaces dans leur poste...Et si, avec tout ça, c'est pour les voir partir en masse avant même d'avoir passé un an dans l'entreprise, il y a de quoi vraiment se dire qu'il y a quelque chose qui ne va pas.

Alors, ensuite, une fois le problème identifié, reste à trouver les causes...et les remèdes.

Si vous interrogez les "experts" ou les "consultants", ils vont généralement vous expliquer pourquoi les employés quittent leur job par une des raisons suivantes (essayez autour de vous...on est entouré d'experts en tout de nos jours) :

1. ils ont une mauvaise relation avec leur manager,

2. ils ne se sentent pas assez reconnus et appréciés,

3. l'employé pense que ses talents ne sont pas, ou pas assez, correctement utilisés; il pense qu'il pourrait offrir plus;

4. l'employé n'a pas les moyens de mesurer ses progrés .

Bien sûr, là-dedans, il y aura probablement des raisons valides, mais on peut aussi considérer que tout ça, ce ne sont que des raisons finalement secondaires.

C'est ce que pense profondément Matthew Kelly, qui vient de sortir un livre au titre éloquent : "The dream manager", qui se lit comme un conte. Il est d'ailleurs écrit sous forme d'une fiction.

Sa thèse est toute simple :

La première raison pour laquelle un collaborateur quitte son job, c'est parce qu'il ne voit pas de lien entre le travail qu'il fait tous les jours, et le futur qu'il imagine pour lui.

Quand un employé est convaincu que ce qu'il fait dans son travail l'aide à accomplir son rêve personnel, il peut tolérer son travail. Sans compréhension de ce lien entre leur travail quotidien et leur futur, les employés partiront pour n'importe quelle raison triviale officielle, mais la raison profonde sera toujours la même.

Le livre présente une entreprise imaginaire, dont les employés sont des hommes et des femmes de ménage dans les bureaux. C'est exprés qu'il a choisi justement un secteur qui n'est pas des plus sexy pour s'épanouir dans son travail. C'est d'ailleurs ce que dit le patron, face au constat du déplorable turnover : c'est normal, on fait un métier d'abrutis, donc on ne peut rien faire d'autre; à part donner un peu d'argent de temps en temps. Et c'est vrai que nombreux pensent que pour réduire le turnover et fidéliser, un carnet de chèques suffit.

C'est une autre voie que suggère le livre : celle, justement, de s'occuper du rêve personnel de chaque employé. L'entreprise embauche donc à l'extérieur un "dream manager", une sorte de Mary Poppins des employés. Ce "dream manager", que va-t-il faire ? Il va poser une seule question à chacun (l'entreprise se lance dans une grande enquête) :

WHAT'S YOUR DREAM ?"

Et va ensuite rechercher toutes les initiatives pour rendre réels ces rêves des employés.

Et le livre raconte, à partir de nombreux exemples concrets qui rappellent des contextes que l'on rencontre dans nos entreprises en général, comment les employés vont ainsi être fidélisés et comment le turnover va décroître au-delà des espérances les plus folles, compensant ainsi largement le coût de ce dream manager (bientôt rejoint par toute une équipe de dream managers)...

A première vue, tout cela peut paraître bien nunuche, histoire à l'eau de rose typiquement américaine, vantant le fameux "rêve américain", et allant appeler à la rescousse Martin Luther King ("I had a dream.."), ou Abraham Lincoln...

Oui, il y a un peu de ça, mais il serait dommage d'en rester là, car l'ouvrage est plein de réflexions et d'approches de l'entreprise trés pertinentes. Et il aide à rêver d'une entreprise meilleure.

Un élément intéressant, et trés significatif, c'est que la principale difficulté que rencontre cette démarche au début, ce n'est pas de trouver les actions à conduire pour réaliser les "rêves" des employés, mais, tout simplement, de leur faire exprimer qu'ils ont un rêve.

Et à qui s'applique cette remarque en priorité, qui est donc le principal coupable de ce manque de rêve dans l'entreprise ?

Oui, vous l'avez vu venir, ce personnage, c'est le dirigeant lui-même.

Le dirigeant qui ne rêve pas pour lui-même, qui est vide de projet et d'envies personnels, que peut il communiquer comme rêve ou vision à son entreprise ?

Et sans ce point de départ, tout le reste en découle : le dirigeant sans rêve génère une entreprise sans rêve, et les employés ne rêvent pas non plus face à un dirigeant qui ne les fait pas rêver....histoire sans fin...

Matthew Kelly nous encourage à répondre à cette question : quel est mon rêve ? en continu, et même à tenir un "dream book" où l'on écrira tous nos rêves. Certains rêves sont trés atteignables, voire en cours de réalisation ( je rêve d'aller voir un bon film avec mes amis), d'autres sont plus lointains, voire a priori innaccessibles (le rêve d'une reconnaissance sociale, le rêve d'être le patron d'une grande entreprise, ou d'une petite...), peu importe. C'est cet exercice de "rêve" qui fera naître d'autres rêves, et ceux des autres . Les personnes qui rêvent et communiquent sur leurs rêves vont donner envie à leur entourage de rêver aussi, et de communiquer...

Et in fine, il considère que les dirigeants, les employés, et l'entreprise ont une responsabilité absolue :

L'employé a la responsabilité d'apporter de la valeur ajoutée à la vie de son entreprise, et l'entreprise a la responsabilité d'ajouter de la valeur à la vie de son employé. C'est le principale composant, bien que non écrit, du contrat entre les employés et leurs employeurs.

C'est une nouvelle façon de concevoir la loyauté dans l'entreprise. L'entreprise ainsi conçue ne peut pas garder un employé qui n'ajoute pas de valeur, ou n'aide pas son entreprise à devenir une meilleure version d'elle-même. Inversement, une entreprise ne peut attendre de son employé qu'il soit loyal et fidèle si les exigences et attentes de cette entreprise conduisent de façon évidente cet employé à devenir une moins bonne version de lui-même.

Cette notion d'aider ses collaborateurs à devenir toujours une meilleure version d'eux mêmes est vraiment trés inspirante, mais aussi exigente.

Bon, alors cette histoire de rêve, de "dream manager", où pourrait on l'imaginer en ce moment ?

A la SNCF, par exemple, ça serait comment ?

Et à la RATP ?

Ouh la la...c'est pas facile d'imaginer ce rêve en ce moment...ça coince trop sur les retraites...qui risquent de ne pas trop faire rêver...

De toute façon, c'est pas grave, dans ces deux entreprises le turnover est extrêmement faible...

Comme quoi les histoires américaines ne sont pas complètement transposables à nos bonne vieilles entreprises nationales....

Mais on peut toujours rêver que cela change un jour....

Mettons le dans notre "dream book"....on verra bien.

Bons rêves !


Démocratie et entreprise : dedans ou dehors ?

Assemblee_nationale La revue "Sciences Humaines" de novembre consacre un dossier spécial à un thème qui a une longue histoire : la démocratie aux portes de l'entreprise...

Cette histoire revient régulièrement dans les débats, et encore dernièrement dans un des débats de ICC'07...avec le témoignage de Michel Hervé...

Le dossier remet bien en perspective une question toute simple, mais difficile : les salariés ont-ils vocation à participer aux décisions de l'entreprise ?

Drôle d'histoire, assurément, car pour nombreux, l'entreprise n'est pas un lieu démocratique mais celui où s'exprime le pouvoir de l'actionnaire (l'éternelle "shareholder value"..), et celui du dirigeant nommé par les actionnaires, le conseil d'administration, pour y prendre les décisions. Les autres, les salariés, ont un contrat de travail qui les rend sujet du dirigeant, pour exécuter ses directives...

Pourtant, depuis longtemps, les salariés ont revendiqué d'y exercer plus de pouvoir. C'est Blum et le front populaire qui fera entrer dans l'entreprise ce qu'on appelle, entre experts, les IRP (Instances de Représentation du Personnel), les délégués du personnel; et puis à la libération, ce seront les comités d'entreprise. Mais ce pouvoir "de l'intérieur", qui a d'ailleurs ses limites, s'est bien moins développé que celui "de l'extérieur", qui s'exerce depuis la porte de l'entreprise, par l'intermédiaire des organisations syndicales, qui connaissent un moment de gloire lors des "accords de Grenelle" en 1968, qui institueront les délégués syndicaux.

En fait, au fil du XXème siècle, vont émerger progressivement ces instances représentatives du personnel au sein des entreprises. Mais, en fait, cela ne signifie pas du tout que les salariés y aient gagné une large participation aux décisions de l'entreprise.

Ce sont surtout les organisations syndicales et leurs représentants, encore trés minoritaires au sein du personnel des entreprises (pas plus de 8% des salariés, 5% dans le privé) qui trustent la représentation, en se concentrant sur les questions d'emploi, de salaires, de régulation du marché du travail. L'entreprise et ses dirigeants gardent la main sur la gestion, l'organisation du travail.

Et puis, ces dernières années, à partir des années 90, les questions de gestion et d'organisation vont être de plus en plus décentralisées, on va parler de management participatif, de "management par projet", d'implication du personnel, etc... Pourtant les syndicats n'aiment pas trop ces dragues organisées, car en mobilisant des groupes de collaborateurs, elles court-circuitent les instances représentatives... et c'est tout le dilemne quand on parle de participation des salariés aux décisions, certains pensent IRP, d'autres des "groupes de travail"...et cette histoire dure encore bien sûr.

Pourtant si il y a un sujet où la démocratie va rester à la porte, c'est ...LA STRATEGIE ...Là, on est dans la vraie question, celle réservée à l'élite, à l'aristocratie dirigeante de l'entreprise : ses dirigeants...

Et pourtant, c'est précisément cette question qui est sur la table aujourd'hui, depuis les années 2000...

En fait, cette histoire sort précisément au moment de l'avènement d'un "nouveau capitalisme", celui de la mondialisation, de la globalisation, de l'importance croissante des actionnaires, de la prise de pouvoir par les conseils d'administration. Comme le signale Xavier de la Vega dans le dossier de "Sciences Humaines" :

" Le personnel et ses représentants ont d'autant moins de possibilités d'influer sur les décisions que le poids des actionnaires sur ces dernières s'est nettement renforcé."

Et ainsi est remis en cause la gouvernance des entreprises.

D'où aussi cette théorie des "stakeholders", à laquelle Thierry Breton ne manquait pas une occasion de déclarer son amour, vient remplacer chez certains l'approche classique des années 90 sur la "shareholder value", c'est à dire la création de valeur pour l'actionnaire seul critère pour jauger la performance.

Les "stakeholders", ce sont les parties prenantes, comprenant les actionnaires, comme les clients, les fournisseurs , et ....oui, le personnel. On y revient.

Cette théorie, dont j'ai déjà parlé, vient donc mettre le personnel dans les discussions, dans la stratégie, au même titre que les autres "parties prenantes", et ainsi revient, à petits pas, la revendication d'une forme moderne de démocratie entre ces parties prenantes pour manager et prendre les décisions dans l'entreprise.

Le dossier nous a ainsi fait un tour complet de 1920 à aujourd'hui, montrant combien cette histoire de démocratie est tantôt dedans, tantôt dehors...

Il est sûr, qu'aux yeux de plusieurs dirigeants, une large participation des salariés est un gage d'efficacité dans les organisations, mais cette conception de la participation ne signifie pas pour autant représantation des instances syndicales ( au contraire) , ni vote démocratique pour les prises de décisions.

Au-delà, on va aussi parler des administrateurs salariés, que l'on pourrait considérer comme le nec plus ultra de la pénétration démocratique dans l'entreprise. Tout va bien alors ?

Pas si sûr, car, comme le souligne Daniel Bouton, PDG de la Société Générale, et auteur d'un rapport sur la gouvernance des entreprises :

" Entre les salariés et les directions, les horizons de temps sont très différents. Il peut être bénéfique pour l'ensemble de l'entreprise de prendre une décision à long terme qui implique des sacrifices à court terme. Or un administrateur salarié aura naturellement plus de difficulté à une telle décision. Le conseil d'administration n'est pas le lieu d'expression des parties prenantes de l'entreprise. En effet, la mission d'un administrateur est de représenter l'intérêt de l'entreprise dans son ensemble".

Le salarié participant au conseil d'administration ressemble ainsi à Icare : en se rapprochant des lieux de décisions de l'entreprise, il risque de s'y brûler, condamné à "trahir" ses pairs, où ne pas être capable d'exercer sa fonction.

Ces réflexions, et d'autres figurant dans ce dossier trés riche, viennent à point nous montrer que ces débats sur la "démocratie" en entreprise se perdent rapidement dans la confusion et le paradoxe...

Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de "réflexion collective", de "management et partage des connaissances",  comme nous le montrent les ouvrages et le blog d'Olivier Zara (qui aborde ce même thème de l'entreprise démocratique ici) ...et une forme de management comme le "fourmi management"...

La démocratie dans l'entreprise ne serait alors qu'un vieille idée....vieillie ? En tous cas une illusion qui dure...


La répartition des esclaves

Slaves_2  Dans cette entreprise, mon interlocuteur m'informe, comme un scoop, de la ré-organisation qui va être annoncée au Comité d'Entreprise la semaine prochaine...

Cela doit être la troisième ou quatrième ré-organisation dont j'entend parler dans cette entreprise depuis trois ou quatre ans, au gré des changements de Président et Directeurs Généraux...Cela me laisse toujours songeur...Bien sûr, derrière tous ces mouvements, il y a des histoires d'hommes, de personnes qui ne s'entendent pas, qui ne s'apprécient pas, et des amitiés d'écoles d'ingénieurs, de corps d'Etat, de partages de moments ensemble dans d'autres entreprises avant de rejoindre celle-ci, des luttes de pouvoir (comme toujours, il vaut mieux diviser pour mieux régner..). Il y a des amitiés professionnelles". Et puis, il y a des illusions : en séparant mieux (c'est à dire en les confiant à deux Directeurs différents) les activités de ceci des activités de cela, cela marchera mieux... Il y aussi des croyances : il vaut mieux décentraliser, et nommer des responsables forts près des opérations, ou bien, avec tout autant de certitudes, "il vaut mieux avoir un centre fort, qui mutualisera, qui détiendra et démultipliera le corps de doctrine et des bonnes pratiques, ...".

Alors, cette nouvelle organisation, qui consiste en l'occasion à nommer des Directeurs par grand domaine, qui vont redécouper les responsabilités de l'entreprise entre eux, c'est bon pour lundi, ça démarre tout de suite ?

Et là, mon interlocuteur lâche :

" Non, car il faut encore se répartir les esclaves".

Et il termine sa phrase avec un air gourmand... en ajoutant : "J'adore cette expression"... devant les visages un peu interloqués de deux de ses jeunes collaborateurs (la trentaine) qui participaient à cette séance...

Tout de suite aprés, un silence flotte, chacun se regarde...Aucun mot ne sort, tout se dit par les yeux, par la réflexion intérieure...Un instant comme une éternité, que l'on contemple comme une ogadine...

Et puis nous avons continué notre réunion...

Cet épisode m'est resté en tête toute la semaine. Cette vision de l'organisation, de l'efficacité, du management (même si le côté "bon mot" a sûrement dépassé la pensée réelle), est-elle encore adaptée au management des activités de l'entreprise d'aujourd'hui ?

C'est vrai que, vu d'"en haut", l'entreprise ce sont des cases et des organigrammes. Comment tous ces collaborateurs vont-ils travailler différemment ensemble, et quels seront les bénéfices pour les clients ? Espérons qu'on s'est posé la question, mais ce n'est pas toujours si sûr.

De fait, ce sont quand même ces liens entre tous les collaborateurs, les échanges, les entraides et les équipes, qui feront toute la différence..Et pas tellement les Directeurs avec leurs "esclaves"...

Cette image des Directeurs avec leurs esclaves qu'ils se sont répartis, elle dit tout : elle présente l'entreprise comme une collectivités d'enchaînés, que d'autres, les chefs, croient diriger...Elle est encore trés caractéristique des visions de l'entreprise les plus répandues...Pour la 2.0, il faudra attendre un peu...

Mais qui croit encore, quel que soit le niveau où nous nous situons dans une organisation, même le poste le plus élevé de ce que l'on appelle un "dirigeant", que l'on "dirige" vraiment une entreprise ?

L'essentiel de ce qui s'y passe, en fait, nous échappe....comme par exemple cette conversation sur la répartition des esclaves...