Seniors aux commandes

VieuxQuand on parle des seniors, il y a un poste où les seniors ont la côte et s’accrochent, c’est celui de patron.

En mai 2024, l’assemblée générale de l’entreprise de conseil informatique aux 58.000 salariés, Sopra Steria, a repoussé la limite d’âge du président de 89 ans à 95 ans, permettant ainsi au président Pierre Pasquier, 89 ans, fondateur du Groupe Sopra en 1968 (fusionné avec Steria en 2015) de rester président.

C’est encore en-dessous de Warren Buffet, 94 ans, toujours président de son Groupe Berkshire Hathaway.

Le Monde indiquait, dans un reportage sur la place des seniors, la semaine dernière, que 27,6% des dirigeants de PME et ETI françaises avaient à leur tête, en 2024, un dirigeant de plus de 60 ans. Pour les dirigeants de grandes entreprises françaises, l’âge moyen est de 57 ans (il était à 55 il y a deux ans).

Au moment où l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies viennent transformer les entreprises, on pourrait se dire que c’est un inconvénient, en faisant l’hypothèse que les seniors ne sont pas capables de suivre la cadence. Mais ce n’est pas si certain. La recherche académique a déjà montré que l’appétit au risque et à l’innovation diminue effectivement à mesure que le PDG vieillit, mais, à l’inverse, les jeunes loups auront plus tendance à investir davantage et à être plus innovants, et, en sens inverse, la probabilité qu’ils « plantent » l’entreprise est plus élevée.

Alors l’expérience, celle que l’on suppose chez les plus seniors, devient une valeur sûre pour apporter la mesure et le recul face à un monde de plus en plus complexe, selon les chasseurs de tête interrogés par Le Monde dans ce reportage.

Et puis, ce que ne dit pas Le Monde, c’est que le dirigeant n’est pas tout seul non plus, même dans les PME. Et la bonne dose d’intergénérationnel apporte aussi les échanges et l’intelligence collective de l’ensemble. A condition de ne pas trop se figer dans les postures de préjugés (oui, les vieux sont des vieux cons, et les jeunes sont des imbéciles qui ne veulent pas travailler, on connaît, non ?).

Une autre pratique, c’est de découpler les postes de président et de directeur général : le directeur général, le jeune (enfin, pas forcément si jeune) qui prend les initiatives audacieuses, et le président qui incarne la sagesse.

Ce que nous dit aussi le reportage du Monde, c’est que les vieux vont être de plus en plus nombreux dans notre société. La durée de vie s’allonge, et on fait de moins en moins de bébés. Le pire, c’est le Japon : en dix ans, il a perdu en moyenne chaque année 1% de sa population âgée de 16 à 65 ans. Au point que la société japonaise Oji Holdings a annoncé récemment qu’elle cessait de fabriquer des couches pour bébé, et va se concentrer sur le marché nettement plus porteur des couches pour adultes. De même, le Japon a réduit la vitesse des escalators de 15%, par une loi, pour faciliter la vie des personnes âgées.

En France, on en prend le chemin. En 2024, plus d’un habitant sur cinq (21,5%), soit 14,7 millions de personnes, a plus de 65 ans. Et le nombre de naissances a été de 678.000 en 2023, soit 20% de moins qu’en 2010.

Alors l’impact sur les dépenses publiques est connu : les retraites représentent aujourd’hui un quart des dépenses publiques en France. La santé et l’invalidité pèsent, elles, un peu plus d’un cinquième. Et cela, logiquement, au détriment de l’éducation qui ne reçoit que 9% des dépenses. En 1981, la France comptait 5 millions de retraités, aujourd’hui c’est 17 millions, et la prévision pour 2050 est 23 millions.

Alors, cela influence aussi les choix politiques : alors que les salariés, en moyenne, ont vu leur rémunération augmenter moins vite que les prix, le gouvernement français a choisi d’augmenter les retraites de 5,3% pour compenser l’inflation (soit 14 millions d’euros). Car les politiques savent bien que les plus âgés vont deux fois plus aux urnes que les jeunes. Et donc le système français fait une redistribution intergénérationnelle à l’envers.

Est-ce à dire que dans notre pays les seniors sont les rois ?

Pas si sûr sur le marché du travail, où dans les entreprises, encore aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de préférence pour les vieux, à part les patrons.

On a le temps de voir la suite. On estime que les centenaires en France seront 200.000 en 2070 (contre 30.000 aujourd’hui).


La France beau cluster

NapoleonQuand on parle de villes et de territoires, et que l’on regarde du côté de la Chine, Paris et la France paraissent bien petits; De quoi imaginer la France en grand.

C’est Pierre Veltz, dans son ouvrage très bien documenté, « La France des territoires, défis et promesses » (2019) qui rappelle que la Chine a décidé de structurer son territoire, mais aussi son économie, autour de 19 méga-villes, ou « clusters de ville ». Trois sont déjà une réalité depuis 2018 : l’ensemble de la Rivière des Perles (Hong Kong, Shenzen, Canton), l’estuaire du Yangstse (autour de Shanghai), et l’ensemble appelé Jingjinji (autour de Beijing et Tianjin). Leurs populations sont respectivement de 60 millions, 152 millions et 112 millions d’habitants.

En fait, pour l’auteur, ingénieur et sociologue, qui a été président-directeur général du conseil d’administration de l’Etablissement public de Paris-Saclay, « l’équivalent français des grandes villes mondiales-Shanghai ou Mumbai ou Tokyo ou Sao Paulo- ce n’est pas Paris, c’est la France ».

Car, vue de Chine, la France entière est un « beau cluster ».

Voilà une façon de reconsidérer le territoire France et ce beau « cluster » d’une façon plus large que notre vision purement administrative, et d’imaginer des ponts et synergies sources de création de valeur.

Rêvons un peu avec Pierre Veltz à cette magnifique richesse de relations :

« Toulouse, du fait de son histoire, de sa position géographique, de ses communautés issues de l’immigration espagnole, est la porte naturelle vers le monde ibérique.

Lyon est un point d’articulation fondamental vers l’Italie, mais plus généralement vers le monde alpin, qui devient progressivement, de l’Italie du Nord à l’Allemagne du Sud en passant par la Suisse, le véritable cœur industriel de l’Europe.

Strasbourg pourrait s’affirmer davantage (mais l’histoire a son poids…) comme la cheville-clé de relations vers le monde germanique, et plus spécifiquement rhénan, concentration unique en Europe d’universités de premier plan (Bâle, Fribourg, Strasbourg, Karlsruhe, Heidelberg, Mannheim) dans un mouchoir de poche.

Lille, bien sûr, ouvre vers l’espace nord-européen, et notamment vers le dynamisme de la Flandre.

Mais il est temps aussi de penser la métropole-réseau française avec Genève, capitale des Alpes du Nord, Barcelone, Liège, et pourquoi pas Bilbao.

Le Havre, mais aussi Rouen et Caen, dans une Normandie enfin unifiée, sont la porte maritime qui s’impose car presque toutes les métropoles mondiales sont liées à la mer, à un grand espace portuaire.

Restent Marseille, Nice et la Méditerranée. Les choses sont ici plus complexes car liées à une histoire coloniale passionnelle, douloureuse et incomplètement digérée. Mais c’est là, comme à Paris, que se joue la partie essentielle du siècle qui vient, celle de nos relations avec l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne ».

Reste à trouver le Bonaparte du XXIème siècle qui emmènera la France dans une telle vision, pour faire vivre ce cluster ouvert. Il ne s'agit plus de conquêtes de territoires, mais des usages et de la création de synergies et coopérations inter régions.

Et aussi à adapter nos entreprises, nos politiques publiques, nos gestionnaires d' infrastructures, dans cette vision d’un nouveau monde élargi.


Gaïa : plaidoyer pour le vivant

TerreVivanteParmi les conceptions de la Terre, il y en a une qui fait encore controverse, mais qui s’est imposée progressivement parmi les scientifiques. On l’a appelée « l’hypothèse Gaïa ».

De quoi s’agit-il ?

Tout démarre en 1972 par un article de James Lovelock.

James Lovelock, mort en 2022 à 103 ans, est un ingénieur et chimiste anglais, qui se rend célèbre en 1972 par ce fameux article qui introduit son concept majeur, le terme de « Gaïa ».

Gaïa, c’est le nom d’un objet nouveau, qui identifie l’entité constituée par l’ensemble des interactions entre les êtres vivants et leur environnement global. En gros la Terre est « vivante » (résumé simpliste que les « gaïens » contestent eux-mêmes, mais que James Lovelock a choisi comme titre de ses livres), et cette influence pourrait être le facteur qui régule le climat et la composition chimique de la planète pour la maintenir habitable. Comme un organisme vivant régulant sa température interne.

Selon Lovelock, la Terre est un ensemble d’êtres vivants et de matière qui se sont fabriqués ensemble, qui ne peuvent vivre séparément et dont l’homme ne saurait s’extraire. 

Bruno Latour, qui a publié un livre sur cette hypothèse Gaïa, la résume ainsi : « Les vivants ne résident pas dans un environnement, ils le façonnent. Ce que nous appelons l’environnement est le résultat de l’extension, du succès, des inventions, des apprentissages des vivants. Cela ne prouve pas que la Terre soit « vivante », mais que tout ce dont nous avons l’expérience sur Terre est l’effet imprévu, secondaire, involontaire, de l’action des organismes vivants. Il en est de l’atmosphère, des sols, de la composition chimique de l’océan, comme des termitières, ou des barrages des castors : ils ne sont pas eux-mêmes vivants, mais sans les organismes vivants il n’y aurait ni termitière ni barrage. L’idée de Gaïa n’est donc pas d’ajouter une âme au globe terrestre ou une intention aux vivants, mais de reconnaître l’ingénierie prodigieuse des vivants pour façonner leur propre monde ».

Sébastien Dutreuil, chargé de recherche au CNRS en histoire et philosophie des sciences, vient de publier une histoire passionnante de ce concept, « Gaïa, Terre vivante – histoire d’une nouvelle conception de la Terre », qui permet de vivre en direct comment évoluent les recherches et controverses entre scientifiques de disciplines diverses. On retrouve une idée chère à Edgar Morin, sur la difficulté de construire une pensée complexe quand on ne fait que juxtaposer des compétences et expertises disjointes. Les biologistes, les climatologues, les géologues, les paléontologues, et les « gaïens » ne sont pas souvent d’accord, mais ce sont ces débats et discussions qui permettent aussi de penser autrement la Terre, et de soulever de nouvelles questions, et, comme le dit James Lovelock, « Gaïa est une nouvelle manière d’organiser les faits à propos de la vie sur Terre ».

Sébastien Dutreuil résume ce qu’il appelle le cœur du programme de recherche gaïen à deux revendications méthodologiques : « Une revendication d’ »influence » : celle de la vie sur son environnement géologique doit être davantage prise en compte (par les géologues, par les biologistes) ; une revendication « système » : l’ensemble composé des vivants et de l’environnement géologique avec lequel ils interagissent doit être étudié « comme un système » (interconnecté, avec des mécanismes actifs de régulation) ».

C’est bien Gaïa qui est à l’origine de ce qu’on a appelé les sciences du système Terre (SST).

 Et l’idée s’est rapidement répandue : « L’idée que la surface de la Terre se comporte comme un système complexe ou comme un organisme, que les processus physiques, chimiques et biologiques sont interconnectés dans un seul système, l’idée que ce système est autorégulé et que la vie a un rôle actif central et, plus largement, l’idée que la vie constitue une force géologique se sont durablement installées au cours des trente dernières années dans l’ensemble des sciences de la Terre. »

Avec Gaïa, c’est bien un nouvel objet savoir pour les sciences de la Terre qui est apparu.

En outre, Gaïa, comme l’indique Sébastien Dutreuil, n’est pas seulement un programme de recherche scientifique mais une « vision du monde ou une philosophie de la nature », citant Lovelock lui-même : « Gaïa devrait être une manière de voir la Terre, nous-mêmes, et notre relation avec les choses vivantes ».

Ce qui caractérise ceux qu’on appelle les « gaïens », disciples de Lovelock, c’est surtout leur vitalisme, cette pensée (croyance ?) que la vie occupe une place particulière sur Terre.

Une des lectures de ce vitalisme est celle que Sébastien Dutreuil appelle une « extension vitale » : « Si Gaïa est vivante, c’est parce qu’elle est une extension vitale des organismes », c’est-à-dire que le milieu physiologique global est devenu une extension vitale des vivants. L’atmosphère devient alors une partie des vivants, c’est-à-dire une construction qui fait partie de ces derniers, comme (encore une formule de Lovelock) « la fourrure d’un vison ou la coquille d’un escargot ».

On s’écarte ainsi de la vision malthusienne qui conçoit le milieu comme un ensemble de ressources : elles sont consommées par des organismes en compétition pour l’accès à ces ressources et s’épuisent puisqu’elles se renouvellent moins vite que les populations qui croissent exponentiellement. Avec Gaïa, « l’environnement typique n’est pas un ensemble de ressources, mais une variable systémique qui détermine la croissance des vivants comme la température ou le pH ». En fait, « les vivants n’utilisent pas une ressource qui diminue à mesure qu’elle est consommée ; ils font diminuer ou augmenter une variable systémique ».

L’inquiétant, vu par les gaïens, n’est pas l’épuisement des ressources à mesure que les vivants croissent, mais celui d’un déséquilibre des forces en présence ou d’une perturbation externe trop brutale.

Ainsi, la philosophie de la nature selon les gaïens a une conviction de départ qui tranche totalement avec les visions malthusiennes : les vivants s’affranchiront des limites immédiatement imposées par le milieu en modifiant ce dernier plutôt qu’en s’y adaptant.

Dans Gaïa, c’est le milieu qui se déforme sous l’action des vivants, et de telle manière qu’il finit par être une extension de ces derniers.

Darwin est aussi contredit par Gaïa : « La lutte pour l’existence plaçant les individus d’un même groupe en compétition pour les ressources du milieu est remplacée dans Gaïa par un excès sur les variables du milieu, rendant secondaires les questions des ressources et reléguant ainsi à l’arrière-plan les rapports de compétition entre individus ».

Avec Gaïa, on ouvre une perspective de richesse et de transformation plutôt optimiste, avec une conviction que « les problèmes posés aux vivants cessent d’être ceux des ressources puisqu’il se trouvera toujours une innovation évolutive ou écologique pour recycler une ressource qui deviendrait limitante ».

La controverse n’est sûrement pas terminée pour autant.

Mais ce plaidoyer pour la Vie est peut-être aussi un espoir et un antidote pour ne pas sombrer dans une éco-anxiété trop paralysante.


La prospective du passé et le balancier de l'Histoire

BalancierLe passé est constamment reconstruit et analysé à partir du présent.

Cette remarque est celle d'Edgar Morin dans son ouvrage "Où va le monde?" :

"Le passé est construit à partir du présent, qui sélectionne ce qui, à ses yeux, est historique, c'est à dire précisément ce qui, dans le passé, s'est développé pour produire le présent. La rétrospective fait ainsi sans cesse - et en toute sécurité - de la prospective : l'historien qui traite de l'année 1787-1788 prévoit avec perspicacité ce qui, dans les évènements de ces années, prépare l'explosion ultérieure (évidemment totalement ignorée par acteurs et témoins de cette période pré-révolutionnaire). Ainsi le passé prend son sens à partir du regard postérieur qui lui donne le sens de l'histoire. D'où une rationalisation incessante et inconsciente, qui recouvre les hasards sous les nécessités, transforme l'imprévu en probable, et annihile le le possible non réalisé sous l'inévitabilité de l'advenu".

Et comme le présent change sans cesse, ce sont autant d'occasions de relire le passé différentes.

On peut lire certains moments de notre histoire avec cette réflexion en tête, et par exemple ces trois journées de Juillet 1830, que l'on a appelé (ensuite) "les trois glorieuses". 

Camille Pascal, agrégé d'histoire, qui a été le collaborateur de ministres et du président Nicolas Sarkozy, s'est lancé, dans son roman "L'été des quatre rois", à faire revivre jour après jour, d'heure en heure, ce moment de l'histoire, que l'on vit comme si on y était. Le roman date de 2018, et peut aussi éclairer nos jours de 2024.

Alors reprenons l'histoire.

Le Roi Charles X n'est pas satisfait des élections législatives de 1827 qui ont fait entré à l'assemblée une majorité de ceux qu'il n'aime pas trop, à l'époque les libéraux. 

Alors il imagine et met en œuvre une bonne feinte, qu'il conçoit en secret un dimanche soir le 25 juillet 1830 : la publication   de six ordonnances destinées à lui redonner du pouvoir :

La 1re abolit la liberté de la presse, toutes les publications devront être approuvées par autorisation gouvernementale avant d'être diffusées.
La 2e dissout la Chambre des députés, qui vient pourtant d'être élue.
La 3e révise le droit de vote afin de réduire le poids des bourgeois libéraux.
La 4e convoque des élections en septembre.
Les 5e et 6e nomment des ultras (conservateurs) au Conseil d'État. 

Camille Pascal fait revivre ce moment avec finesse :

"Il signa la dernière des ordonnances, contempla son œuvre législative puis, se tournant vers ses ministres, troussa une petite phrase historique qui lui était venue en écoutant tous ces braves serviteurs et dont il se trouvait content : Voilà de grandes mesures. Il faudra beaucoup de courage et de fermeté pour les faire réussir. Je compte sur vous, vous pouvez compter sur moi. Notre cause est commune. Entre nous, c'est à la vie à la mort."

Mais ça ne se passe pas comme prévu. Dès le lendemain de la publication (lundi 26 juillet), le 27 juillet, c'est l'insurrection qui s'organise. Les boutiques et ateliers sont fermés tandis que les rues se remplissent et que les barricades bloquent les petites rues.

Nouvelle idée géniale le 29 juillet : changer de premier ministre. Encore Camille Pascal :

"Le Conseil des ministres s'achevait enfin. Le roi avait pris des décisions fortes, le maréchal Marmont était relevé de son commandement au profit du dauphin, et le duc de Mortemart invité à constituer un nouveau gouvernement. La nomination de ce libéral bien né était de nature à satisfaire tous les partis et à ramener enfin le calme. Il était donc temps pour Sa Majesté d'aller remercier les troupes et de passer en revue les jeunes élèves de Saint-Cyr venus mettre leur épée à son service.".

Et le roi semble y croire :

"Au reste, messieurs, en cédant ainsi, peut-être à tort, à l'empire des circonstances, je dois vous dire qu'au fond de mon coeur je suis convaincu que, dans la voie où nous sommes entraînés, il n'y a rien à faire de bien pour l'avenir de la France et le salut de la monarchie...Le duc de Polignac et monsieur de Peyronnet en avaient les larmes aux yeux. Tout le monde s'inclina et se retira, laissant Sa Majesté se réconforter par la prière".

Cela ne va pas calmer grand chose, et le 29 juillet les insurgés vont prendre le Palais Bourbon, où siège la Chambre des députés.

L'entourage du roi essaye, ce vendredi 30 juillet, de lui faire réaliser la situation. Camille Pascal encore, évoquant Vitrolles :

"Vitrolles, ne pouvant plus ignorer le mécontentement de son maître, franchit une nouvelle étape dans le courage politique. Il se redressa et, regardant le roi dans les yeux pour la première fois depuis le début de la conversation, lui tint à peu près ce langage : Je m'étonne, Sire, que Votre Majesté ne comprenne pas à quel point en sont arrivées les choses. Il ne s'agit pas de disputer de tel ou tel acte mais de faire reconnaître dans Paris l'autorité royale. Je dirais même plus, que le nom du roi soit reconnu à Paris, et nous en sommes loin!".

Et il poursuit :

"C'est au point que je considérerais comme un miracle que monsieur de Mortemart, ici présent, ministre de Votre Majesté, puisse d'ici à trois jours s'établir à Paris dans un ministère et y contresigner une ordonnance. Oui, Sire, cela tiendrait du miracle...".

 Alors tout le monde cherche une issue, et on parie sur le cousin du roi, le duc d'Orléans: "L'insurrection avait chassé Charles X sans espoir de retour, la haute banque et le corps diplomatique ne voulaient pas entendre parler d'une république, tout le monde réclamait la liberté, mais personne ne cherchait l'aventure, et seul le duc d'Orléans pouvait réconcilier tout le monde".

C'est du moins l'avis d'Adolphe Thiers, journaliste , qui va faire paraître dans son journal ce 30 juillet une proclamation en ce sens :

"Charles X ne peut plus entrer à Paris; il a fait couler le sang du peuple.

La république nous exposerait à d'affreuses divisions; elle nous brouillerait avec l'Europe.

Le duc d'Orléans est un prince dévoué à la cause de la révolution. Le duc d'Orléans ne s'est jamais battu contre nous. Le duc d'Orléans était à Jemappes. Le duc d'Orléans a porté au feu les couleurs tricolores. Le duc d'Orléans peut seul les porter encore; nous n'en voulons point d'autres.

Le duc d'Orléans ne se prononce pas; il attend notre vœu. Proclamons ce vœu, et il acceptera la Charte, comme nous l'avons entendue et voulue.

C'est du peuple français que le duc d'Orléans tiendra sa couronne".

 A partir de là, Thiers est à la manœuvre :

"Thiers savait maintenant qu'il pouvait gagner la partie qui se jouait depuis quatre jours et sur laquelle il avait misé toute sa vie. A ses yeux, le pacte avec les Orléans était scellé. Il suffisait désormais de prendre de vitesse les barbons qui, au palais du Luxembourg, tentaient de sauver la couronne de Charles X et les jeunes fous qui, à l'Hôtel de Ville, rêvaient tout éveillés d'une Seconde République. Les premiers avaient un demi-siècle de retard, les autres peut-être un demi-siècle d'avance et, seul à avoir compris où devait s'arrêter en cet instant le balancier de l'Histoire, il comptait bien en devenir le grand horloger".

On connaît la suite. Le roi abdique le 3 août; Le duc d'Orléans deviendra le roi des français; Thiers entamera une brillante carrière politique et deviendra Président de la République.

Le balancier de l'Histoire continue...


Poker : Quelle est cette ombre qui veut sa part?

PokerLe business, les affaires, les négociations, c'est parfois comparable à des parties de poker. Et aussi dans la politique parfois.

Et quand c'est un des protagonistes qui le raconte, on s'y croit comme dans un film.

C'est ce que je lis dans un ouvrage qui date un peu (2011), d'Emmanuel Faber, alors Vice-Président de Danone, "Chemins de traverse - Vivre l'économie autrement". Autrement, mais avec des moments intenses dans la fièvre des négociations.

Il raconte l'épisode de la vente de l'activité de verre d'emballage de Danone, héritage de l'époque BSN. 

L'idée est de fusionner BSN Emballage avec le leader allemand, Gerresheimer, filiale du Groupe VIAG, et de revendre le tout ensuite. C'est ainsi qu'apparaît le fond d'investissement CVC, intéressé. 

Et nous entrons alors, grâce à Emmanuel Faber dans la salle des négociations le 30 mai 1999. La partie de poker va commencer. 

Avant la réunion, tôt le matin, les allemands et Danone se sont mis d'accord de ne pas accepter de vendre en dessous de 7 milliards (de francs, eh oui, on n' avait pas encore l'euro). 

Ça démarre...

"Dans la salle du conseil, rue de Téhéran à Paris, il y a de notre côté l'équipe de Danone et celle de VIAG, la banque Lazard et d'autres conseils. Du leur, ils sont une quinzaine : investisseurs, banquiers qui vont financer la dette, auditeurs comptables, avocats. Ils ont travaillé d'arrache-pied".

Philippe Gleize, le patron de CVC, commence à parler pour expliquer son analyse du dossier, avec l'idée d'en déterminer le prix d'achat.

C'est Emmanuel qui l'interrompt immédiatement : "Nous ne sommes pas là pour partager vos travaux mais connaître leurs résultats, Philippe".

Philippe Gleize essaye de poursuivre mais Emmanuel continue : "Ostensiblement, je ferme le cahier que j'ai ouvert quelques minutes auparavant dans la perspective d'y prendre des notes. J'interromps chaque tentative d'argumentation. Je ne veux qu'un chiffre, pas d'atermoiement. "

Finalement Philippe Gleize lâche: "Pour tout un tas de raisons qu'il faut qu'on vous explique, nous ne pensons pas pouvoir faire au-delà de 6,5 milliards".

 Et voilà le grand coup : "Je sais que 6,5 milliards, c'est déjà beaucoup, et que nous n'avons aucune autre solution équivalente à court terme, et peut-être même pas du tout". 

Mais bon : "Je respire un grand coup et je dis simplement : "Merci. Dans ces conditions, il n'y a évidemment pas de deal. Nous aurions préféré ne pas attendre un mois pour le savoir".

Et : "Je me lève, suivi de tout le côté de notre table. Nous rangeons nos affaires. Nos interlocuteurs sont médusés. Nous serrons des mains et les congédions. Certains sont venus de Londres, de Munich. La réunion devait durer dix heures, elle a duré dix minutes".

Fin de l'acte I. Mais cela n'est pas fini, bien sûr. Emmanuel et Danone font savoir a CVC qu'ils gardent la limite de 7 milliards, et qu'ils devront prendre une décision en interne sur la suite le 5 juin.

Suspense.

Et c'est le 5 juin au matin que Philippe Gleize appelle Emmanuel Faber.

"Emmanuel, je sais que vous avez une réunion importante aujourd'hui, voyons nous avant, je voudrais vous faire une proposition".

Et Emmanuel rétorque : "Ecoutez Philippe, je vois Franck (Riboud, le PDG du Groupe) à midi. Soit vous êtes au prix que nous demandons, et on continue avec vous. soit on arrête tout. Je n'ai rien de plus à discuter avec vous".

A 11H30 ils rappellent. Et Emmanuel raccroche sans attendre.

A 11H58, troisième appel : "Nous ne sommes pas loin, avec un certain nombre de conditions...". 

Et Emmanuel continue et hausse le ton: "Philippe, j'en ai ras le bol. Dans une minute, il est midi. Je vais raccrocher et monter chez Franck. Vous avez une dernière chance dans la prochaine phrase que vous prononcez. Vous la prenez ou pas? C'est maintenant ou jamais".

Et voilà Philippe, après un silence de deux secondes: "C'est d'accord pour 7 milliards, mais ça va être très, très dur".

Cela se terminera quelques jours plus tard à 7,4 milliards, moyennant une participation de Danone au financement de BSN-Glasspack : "Nous n'avions aucune alternative sérieuse, et le candidat suivant était à peine à 6 milliards de francs".

Et la suite est conforme aux craintes, comme le reconnaît Emmanuel Faber : "Trois ans plus tard, il faut restructurer le bilan de BSN-Glasspack, car il est devenu clair que l'entreprise ne peut pas supporter le niveau de dette que ce prix de vente lui a fait porter".

10 ans après, en racontant cette histoire dans son livre, Emmanuel Faber prend le recul pour s'interroger et réfléchir à ce qui s'est passé pour lui, et cette prise de conscience est aussi porteuse de leçon :

"Qu'est-ce qui se joue en moi dans ces moments-là? Testostérone. Parties de poker nocturnes d'étudiants. Cet instinct qui pousse à aller jusqu'au bout, à l'extrême limite. Ne rien laisser sur la table. Sur la ligne de crête. Griserie de ce jeu où l'équilibre intérieur tient une part si grande. Quelque chose se réveille. Je sens que je cède les commandes à un joueur en moi. Je le laisse jouer, et le contrôle. Mais jusqu'où est-il légitime qu'il joue? Et selon quelles règles? Car c'est surtout avec moi-même que je joue. Avec mes propres limites. Quelle est cette ombre qui veut sa part?

L'ombre de l'envie de gagner, tout simplement. Gagner tout, au-delà de ce qu'il est juste de partager. La force qui mute en violence. Quand elle submerge, elle peut réduire mon champ de conscience à un terrain de jeu très étroit, déconnecté de la réalité, construction éthérée financière, juridique, théorique, intellectuelle. Dans cette extrême, confrontation, les conséquences "collatérales" sortent de mon champ de conscience".

Et dans ce jeu de poker qui grise, avec cette ombre qui veut sa part, on peut parfois gagner et parfois perdre. 

Une leçon pour d'autres Emmanuel... ? Ou pas.


Punchlines d'un homme d'influence

WarburgEn 1985, Jacques Attali, conseiller de François Mitterrand, Président de la République, qui consignera dans « Verbatim » chaque journée de cette présidence, publie un livre biographique sur un personnage peu connu, bien que très influent, du XXème siècle, Siegmund G. Warburg, avec un sous-titre éloquent, « Un homme d’influence ».

Lire ou relire cet ouvrage aujourd’hui c’est parcourir le XXème siècle et la géopolitique au travers du monde de l’argent et des banques, ce monde où ceux qui cherchent de l’argent rencontrent, grâce à ces intermédiaires, ceux qui en ont à prêter, des Etats comme des entreprises. Siegmund Warburg anticipant le futur va fuir l’Allemagne de 1933 vers l’Angleterre, quittant une situation honorable, et reviendra après la guerre pour faire développer le nom de Warburg partout en Europe, en Angleterre, mais aussi aux Etats-Unis, et en Asie notamment au Japon. Un bon exemple d’entrepreneur résilient que tous les entrepreneurs d’aujourd’hui pourraient lire pour se donner le même courage. Ce qui frappe dans ce récit c’est l’audace de Siegmund Warburg, souvent visionnaire et détecteur des bons coups dont il profitera, pour le bonheur de ses clients.

On y croise aussi des entreprises et hommes aux noms célèbres de grandes fortunes (aucune femme dans cette galerie!), comme Rothschild, Morgan Stanley, Lazard, Merrill Lynch, qui fusionnent ou se rachètent les unes les autres. Certains noms existent encore aujourd'hui, d'autres, absorbés depuis, ont disparu.

Pour écrire ce livre Jacques Attali a aussi eu accès le premier, grâce à la famille, à « une sorte de journal intime » que tenait Siegmund Warburg, recueil de réflexions et d’aphorismes divers tout au long de sa vie. Jacques Attali évoque ce recueil à la fin du livre : « Il les a écrits ou choisis au fil de ses lectures, les a agencés en un étonnant jeu de miroirs, de Butler à Talleyrand, de Goethe à Dostoïevski, de Trollope à Balzac. Mais le temps lui manque pour le faire publier et, après sa mort, ni sa femme ni ses amis ne voudront le faire, gardant même caché ce manuscrit ». Et il ajoute, comme pour l’excuser « Au demeurant, sans doute aurait-il lui-même trouvé le temps de le faire éditer s’il l’avait vraiment souhaité ».

Cette habitude de garder des notes de ses lectures ou de ses rencontres, elle se rencontre souvent, et encore aujourd’hui. Aujourd’hui avec les blogs, les réseaux sociaux, les chaines youTube, elle est encore plus répandue, au jour le jour, sans passer par l’édition ; mais c’est aussi l’activité intime de ceux qui ne la publieront jamais.

Le livre de Jacques Attali nous permet de connaître des perles de ces aphorismes de Siegmund Warburg, avec des remarques qui ont franchi le temps aussi, et agréables à lire même aujourd’hui.

Alors, voici un florilège des « punchline » de Siegmund Warburg.

« En finance, il faut être impitoyable avec soi-même et généreux avec les autres ».

« Dans la vie, on ne peut rien changer d’autre que soi-même ».

« De temps en temps, les obstacles constituent un défi incitant à trouver de nouveaux chemins ».

« Un américain ne se pose plus que deux questions : Où puis-je garer ma voiture ? et Comment perdre dix kilos ? ».

« Faire un effort est considéré comme de mauvais goût par la haute société ».

« Quand on a affaire à des gens sans intérêt, on doit se concentrer avec eux sur des choses sans importance ».

« Si l’eau est trop pure, le poisson n’y nagera pas ». Proverbe japonais pour indiquer la haine du totalitarisme, le refus de l’absolu et la force de la tolérance.

« La promotion y est fondée, aujourd’hui encore plus encore qu’hier, sur la cooptation de la médiocrité par la médiocrité ». A propos de son inquiétude de voir monter en Europe, dans les banques et ailleurs, de grises bureaucraties incontrôlables (1973).

Et aussi : « Il y a des gens assez pervers pour mettre leur point d’honneur à ne pas être originaux ».

« Nos efforts vont dans la mauvaise direction quand nous n’avons pas le courage de dire non ».

« Une des qualités d’un bon dirigeant est de ne tenir aucun compte, autant que faire se peut, des médiocres ».

« Les gens médiocres, quand ils ont de l’influence, l’exercent dans la mauvaise direction ».


Réputation régulée ?

ReputationPour faire respecter la loi, et considérant que la nature humaine est principalement animée par des intérêts égoïstes, un bon système inventé de longue date est celui de manipuler ces intérêts à travers des châtiments et des récompenses.

C’est comme ça qu’on enlève des points de permis aux mauvais conducteurs qui se sont faits surprendre par les radars en excès de vitesse (ça ne date que de juillet 1992 en France).

Mais ce système de points peut aussi jouer avec la réputation : on a des points sur TripAdvisor pour le restaurant, mais aussi dans des like sur les réseaux sociaux. C’est devenu universel. C’est la course aux « like ».

Quand on pense au phénomène, on pense bien sûr aussi à la Chine, qui a sophistiqué le système avec le mécanisme de crédit social.  On peut en retracer le développement dans la contribution de Séverine Arsène, du Medialab de Sciences Po, dans le recueil « Penser en Chine » sous la direction d’Anne Cheng.  

Cela date du début des années 2000, pour rendre plus efficace le « gouvernement par la loi », en codifiant les règles pour apporter plus de prévisibilité, de clarté et de confiance dans les relations sociales et économiques.

Et ce qui permet de construire ce gouvernement c’est bien sûr la disposition d’une masse importante de données sur les citoyens et aussi les entreprises. Il consiste donc à construire des barèmes pour permettre d’évaluer le « crédit » des résidents dans une ville (ce sont les municipalités qui ont mis en place ces systèmes de points). Ces barèmes peuvent comprendre des dizaines voire de centaines d’indicateurs issus des données. En fait, ces systèmes, paradoxalement, n’ont pas grand-chose à voir avec l’intelligence artificielle, mais sont construits à partir de données disponibles dans les administrations (Impôts, Transports, …), mettant en évidence des défauts de paiement, ou des infractions à la règlementation, qui font l’objet de sanctions. Ce qui est subtil, c’est l’établissement de « listes noires » sur les citoyens sanctionnés qui sont rendues publiques. Cela vaut aussi pour les entreprises. Les individus et entreprises sur liste noire peuvent alors faire l’objet de contrôles plus fréquents, se voir interdire certains emplois, voire être soumis à des restrictions concernant les dépenses somptuaires (acheter un billet d’avion, jouer au golf). Le fait de rendre ces listes publiques a pour but d’utiliser la réputation comme levier pour convaincre les citoyens de mieux respecter la loi.

Séverine Arsène cite le « Rapport d’analyse annuel sur les listes noires de personnes malhonnêtes » de 2018, produit par le Centre national chinois d’information sur le Crédit social public. Le système de sanctions a permis de mettre sur listes noires 3 594 000 entités (individus ou entreprises), dont un million a l’interdiction de participer à des appels d’offres. Du côté des tribunaux, ce sont 17,46 millions de personnes a qui il a été interdit de réserver des billets d’avion.

Le système est moins high-tech qu’il n’y paraît. Il n’utile pratiquement pas les technologies de Big Data, ou l’intelligence artificielle. Il utilise des données déjà collectées par les administrations dans le cours normal de leurs activités, qui peuvent quand même représenter des centaines de points de données pour un individu. L’intervention humaine, et non la machine, est partout : établissement des barèmes dans les systèmes de notes de crédit personnel, seuil de gravité des délits qui conduisent à l’inscription sur les listes noires. Les notes de crédit personnel sont donc établies à partir de barèmes très simples, et non par des algorithmes, comme nombreux le suspectent sans trop bien connaître le système.

Par ailleurs, des entreprises privées ont mis en place un « marché » du Crédit social, en proposant des services commerciaux et facultatifs de notes de crédit personnel, qui ressemblent à des programmes de fidélité et viennent ainsi compléter la fonction de signal exercée par les notes de crédit public (ça se rapproche de ce que l’on constate ailleurs dans le monde, y compris en France). Des entreprises privées ont aussi développé des solutions pour la gestion et la visualisation des données. Exemple d’une application qui permet de visualiser sur une carte les restaurants qui n’ont pas respecté la règlementation sur l’hygiène.

On peut évidemment se poser la question de savoir si ces systèmes encouragent vraiment les citoyens à corriger leurs comportements vis-à-vis de la loi. Séverine Arsène met en doute l’efficacité, considérant qu’une grande partie des délits sont d’ordre économique (non-paiement de factures, emprunts ou amendes) et que l’exclusion de nouvelles opportunités rend en fait encore plus difficile l’exécution des mesures demandées (sauf à considérer que le fait de ne pas payer les factures correspond exclusivement à une mauvaise volonté).

En fait, ce que l’on observe dans le monde des plateformes numériques et réseaux sociaux ressemble un peu, dans son principe, à ce régime chinois finalement. Comme le souligne l’auteur : « La prolifération des bases de données et la croissance exponentielle des capacités de calcul, le rôle croissant des sociétés privées dans la maîtrise de ces instruments, et le manque de contrôle démocratique sur leur capacité d’influence, constituent des tendances préoccupantes dont la Chine nous montre l’une des facettes possibles ».

Peut-être que ce qui se passe en Chine n’est que l’anticipation d’une voie que nous allons aussi connaître (que nous connaissons déjà ?), le marché privé prenant la place, avec les mêmes intentions, que le Crédit social public. Ou un mélange des deux.

De quoi nous interroger sur le rôle que la manipulation de la réputation va avoir sur l’autodiscipline et les comportements des citoyens et des consommateurs, mais aussi, bien sûr dans le domaine politique.

2024 va être passionnante, non ?


Un horizon de la raison

AronAvec l’anniversaire de sa mort, il y a quarante ans, plusieurs médias ont reparlé de lui. Cela m’a inspiré de ressortir ses Mémoires (780 pages !) de ma bibliothèque, publiées en août 1983. Intéressant d’y revenir aujourd’hui.

Lui, c’est Raymond Aron, intellectuel qui a parcouru le XXème siècle et qui livre dans ces « Mémoires » une sorte de bilan de ses réflexions de philosophe politique sur le monde moderne, comme un « spectateur engagé » (titre d’un autre de ses livres).

C’est presque un testament, car il décède deux mois après, le 17 octobre 1983 : Il vient de témoigner au palais de justice de Paris en faveur de son ami Bertrand de Jouvenel, penseur politique qui avait été brièvement rallié au parti fasciste de Jacques Doriot, avant de s’engager dans la Résistance, et qu’un livre de l’historien Zeev Sternhell avait qualifié de « pro nazi ». Après avoir dénoncé « l’amalgame » à la barre, Raymond Aron rejoint une voiture de L’Express, où il est un chroniqueur régulier. Il a le temps de dire au chauffeur « Je crois que je suis arrivé à dire l’essentiel », puis s’effondre, terrassé par une crise cardiaque. Il avait 78 ans.

Dire l’essentiel, c’est ce que l’on retiendra de ses Mémoires.

On y trouve notamment cette réflexion à propos d’une anecdote de 1932 qui l’a marqué, à l’occasion d’une rencontre avec un sous-secrétaire aux Affaires étrangères, à qui il débite « un laïus, brillant je suppose, dans la plus pur style normalien » à propos de la situation internationale et de la politique allemande. « Il m’écouta avec attention, apparemment avec intérêt. Lorsque mon discours fut terminé, il me répondit, tour à tour ridicule et pertinent : « La méditation est essentielle. Dès que je trouve quelques instants de loisir, je médite. Aussi je vous suis obligé de m’avoir donné tant d’objets de méditation. Le président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, dispose d’une autorité exceptionnelle, c’est un homme hors du commun (il parle d’Edouard Herriot). Moment propice à toutes les initiatives. Mais vous qui m’avez si bien parlé de l’Allemagne et des périls qui se lèvent à l’horizon, que feriez-vous si vous étiez à sa place ? ».

Raymond Aron en tirera leçon : « Je me suis efforcé, le plus souvent, d’exercer mon métier de commentateur dans un esprit tout autre, de suggérer aux gouvernants ce qu’ils devraient ou pourraient faire. Parfois, je savais mes suggestions inapplicables à court terme. Du moins, en influant sur l’opinion, je contribuais à faciliter l’action à mes yeux souhaitable ».

Entre les pages du livre, je retrouve la critique qu’en avait faite dans « Le Monde » Bertrand Poirot-Delpech (et que l’on peut retrouver grâce à Google en deux clics aujourd’hui). Son papier a pour titre "Quand le meilleur de la classe relit sa copie". Tout est dit. Il revient sur cette caractéristique de rigueur qu’exprime Raymond Aron, et qui le distingue :

« S’il est vrai que le génie permet tout, il ne suffit pas de tout se permettre pour être génial. La littérature et la formule à l’emporte-pièce ont des charmes qui valent souvent aux hommes de lettres une prééminence méritée, mais qui s’accordent mal à la rigueur d’une analyse économique ou diplomatique. En somme, les intellectuels ont le droit de s’exprimer en politique, comme tout citoyen, mais ils devraient cesser de se croire compétents dans une matière qui, plus que jamais, relève des spécialistes ».

Et de faire ainsi l’éloge de l’auteur et de ce qu’il appelle « une sûreté de raisonnement », « qu’il entretient depuis la khâgne, comme un sportif cultive sa forme. L’exercice de cette belle machine lui a tenu lieu d’ambition et de joie constantes ». « L’athlète n’est tombé dans aucun des pièges tendus par ce demi-siècle, et où tant d’autres ont trébuché. Il croit avoir accompli son « salut laïc ». Il a fait mieux : au moment où règnent l’à-peu-près, l’imposture et le pancrace, plaider, en actes, pour une déontologie du travail intellectuel, une morale de l’esprit, un horizon de la raison ».

Cet « horizon de la raison » reste de bon conseil pour tous les commentateurs et « experts » autoproclamés d’aujourd’hui qui occupent les réseaux sociaux et les chaînes d’information, ainsi que tous ceux qui confondent expertise et bavardage.

Et cette leçon toujours valable : Que feriez-vous si vous étiez à sa place ?

Relire Raymond Aron aujourd'hui pour retrouver le sens de cette rigueur. Une leçon pour tous.


Sauver la planète ou sauver la démocratie ?

PlaneteAAOn a cru pouvoir dire qu’elle était heureuse.

Et puis on l’a critiqué, voire on l’a accusée d’être la cause de tous nos problèmes, et avec elle, pourquoi pas, le capitalisme lui-même, et même la croissance.

Oui, elle, c’est la mondialisation.

Le débat est encore en vigueur.

Déjà, c’est quoi la mondialisation ?

On désigne par ce terme le processus d’intensification et de fluidification des échanges, et donc le libre-échange des marchandises, des capitaux, des services, des personnes, des techniques et de l’information, en gros la liberté des échanges, pour le bien de tous sur toute la planète (pour ses partisans). Pour les autres, il faut au contraire du protectionnisme, empêcher les marchandises des étrangers, et les étrangers eux-mêmes, de pénétrer chez nous, afin de protéger nos affaires et nos populations et productions locales.

La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, donne son avis dans un entretien pour « Le Monde » le 12 novembre 2023 : « Pendant longtemps, nous avons trop insisté sur les bénéfices de la mondialisation. Ils ont été considérables : Sur les trois dernières décennies, l’économie mondiale a triplé, en particulier au profit des économies en développement qui, elles, ont quadruplé, et il en est résulté une incroyable réduction de la pauvreté. Mais tout le monde n’en a pas profité. Trop longtemps, l’attention n’a pas suffisamment porté sur ceux dont les emplois et les moyens de subsistance se sont évaporés, parce que les mécanismes de compensation ont été insuffisants ».

 Et ce manque de prise en compte de ces populations ayant moins profité de la mondialisation qui est à la source, toujours selon Kristalina Georgieva, des mouvements altermondialistes et du populisme (qu’elle n’aime pas trop, on l’a bien compris).

C’est pourquoi elle veut proposer de « repenser la mondialisation ».

Diantre ! Et comment alors ?

Elle se veut conseil aux pays de ne pas jouer la carte de l’intérêt national contre les autres, et au contraire de « réfléchir aux mécanismes permettant de poursuivre l’intégration mondiale et d’équilibrer les risques ». Ouais, il va falloir encore un peu d’effort pour être un peu plus concret. Et réfléchir encore un peu donc.

Le principal risque qu’elle met en avant, et dont on parle de plus en plus, c’est celui de « fragmentation du commerce mondial », qui consisterait à un repli de chacun sur lui-même. Et donc elle nous suggère de résister le plus possible à cette tentation d’imposer des barrières commerciales, dont plusieurs partis politiques en Europe font pourtant un des piliers de leur programme électoral.

Et pourtant, c’est elle qui cite ces chiffres, le nombre de barrières commerciales est passé de 500 en 2017 à 2000 en 2019, et 3000 en 2022. Pourtant, on connaît l’histoire : dès qu’un pays prend une mesure protectionniste, il est probable que le pays partenaire va en faire immédiatement autant. Ce que Kristalina Georgieva appelle « une pente dangereuse ».Celle qui nous mènerait à être tous plus pauvres et moins en sécurité.

Cette fragmentation pourrait atteindre « entre 0,2% et 7% du produit intérieur brut (PIB) mondial, 7%, le cas extrême, équivaudrait à exclure deux pays comme l’Allemagne et le Japon de l’économie mondiale ».

En fait dans les politiques dites « politiques industrielles » des États, il y a les bonnes (agir pour rendre son économie plus attractive pour les investisseurs) et les moins bonnes (instaurer des barrières commerciales au mépris des règles de l’Organisation mondiale du commerce).

Mais quand même, insiste l’auteur de l’interview du Monde (Marie Charrel), n’y a-t-il pas quand même un « bon protectionnisme », ne serait-ce que pour protéger l’environnement, ou éviter que des produits ne fassent trois fois le tour de la planète avant d’être vendus ?

C’est l’histoire qui nous a appris que la division du travail entre les pays est bénéfique en permettant d’apporter de la nourriture, des biens et des services à tous.

La directrice générale du FMI voit plutôt la réponse dans la réflexion sur les chaînes d’approvisionnement mondiales en tenant compte de leur empreinte carbone, mais, là encore, « en prenant garde également à l’ampleur des préjudices que leur restructuration pourrait causer à des travailleurs ailleurs sur la planète ». Elle voit plutôt des solutions en subventionnant la R&D pour permettre aux technologies vertes de pénétrer plus rapidement l’économie, ce qui serait une bonne utilisation d’argent public.

Donc, pour la directrice générale du FMI, c’est encore la technologie qui apporte les meilleures réponses.

Intéressant.

Mais la critique de la mondialisation, qu’elle n’évoque pas, c’est aussi de contester la croissance elle-même des échanges et des économies.

Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol, Think Tank libéral, aborde le sujet dans une récente tribune d’opinion dans Le Figaro (14/11/2023). Et pour lui ces débats sur la croissance, ou plutôt la décroissance, sont une menace sérieuse pour la démocratie elle-même.

Encore une menace !

Pour lui, les politiques climatiques mises en place par les gouvernements, notamment en France, n’ont pas vraiment fait l’objet de discussion générale, ni n’ont été approuvées par les électeurs (il rappelle que lors des élections européennes de 2019 le total des votes en faveur d’une liste écologiste n’a été que de 9,4% pour l’ensemble de l’Union européenne). Ces politiques sont plutôt des accords entre chefs d’ États, ou de négociations entre groupes parlementaires.

Oui, mais devant l’urgence climatique, ne devons nous pas considérer qu’il faut prendre les décisions au nom de vérités scientifiques, et non en fonction des votes des citoyens, ces citoyens ne pouvant les contester, car ne disposant pas des compétences requises ?

Voilà exactement la menace qu’il veut dénoncer : « l’usage abusif du thème de l’urgence climatique » qui donne l’impression d’un forçage de l’agenda gouvernemental.

Il appelle cette forme d’écologisme un « altruisme autoritaire ».

Oui, mais que répondre à ceux qui nous disent que l’on ne peut pas refuser de « sauver la planète » et que « nous n’avons pas le choix » ?

Alors, dans ce cas, c’est bien la démocratie qui devient un problème, puisqu’elle suppose justement l’existence d’un choix. Et donc cet enjeu climatique « favorise l’émergence d’une nouvelle tendance illibérale ».

En fait, cette lutte contre le réchauffement climatique emporte avec elle un combat contre le capitalisme, et est idéologiquement orientée : « centralisation, bureaucratisation, planification, hyperréglementation, fiscalisation, méfiance ou hostilité à l’égard du capital, de l’entreprise et du profit ». « Lorsque Jean Jouzel estime que le capitalisme est antinomique avec les politiques climatiques, il ne parle plus en climatologue ».

Mais alors, la décroissance ?

Dominique Reynié a du mal à croire que cette notion ait du succès auprès des populations : « La globalisation démontre les bienfaits du capitalisme pour l’humanité. La part de la population mondiale vivant dans la pauvreté est tombée de 16% en 2010 à 8,5% aujourd’hui, alors que nous n’avons jamais été aussi nombreux. Il suffit de constater ces performances inouïes pour comprendre que l’humanité n’acceptera jamais une gauche « décroissantiste », ni même la sobriété ».

Il retrouve les mêmes arguments que la directrice générale du FMI, avec des chiffres similaires.

En fait, pour lui, « la poursuite du développement humain, dont la condition est la croissance, est bel et bien l’un des moteurs de la démocratisation du monde. Ne pas faire bénéficier l’écologie de la puissance du capitalisme, c’est sacrifier le climat et la démocratie à l’idéologie ».

D’où la résistance des ménages aux programmes gouvernementaux de dégradation de leur mode de vie (rappelons-nous les « gilets jaunes »).

En fait, le lien entre la démocratie et la croissance apparaît comme essentiel. La démocratie s’est précisément implantée à partir du XIXème siècle, grâce au développement économique, au progrès social qui en a découlé, et au suffrage de masse qui a conféré un pouvoir législatif indirect au mouvement ouvrier. « La démocratie doit beaucoup à l’industrialisation, c’est-à-dire à la carbonation des sociétés ».

Et donc, « le projet de décroissance, plus ou moins assumé, parfois euphémisé avec le mot de « sobriété », n’est pas seulement un programme anticapitaliste, c’est aussi un chemin rapide pour en finir avec la démocratie ».

Avec Kristalina Georgieva et Dominique Reynié, on comprend que les résistances à la fragmentation du commerce mondial et à la tentation « altruiste autoritaire » ont de bons défenseurs.

Devra-t-on choisir entre sauver la planète et sauver la démocratie ?

Un bon débat…démocratique, qui nous concerne tous, nous citoyens.


Qui défendra Jéricho ?

JERICHOC’est un poème de Victor Hugo, dans le recueil « Les châtiments » (1853) qui relate cet épisode de la Bible, de la chute de Jéricho, Josué ayant reçu de Dieu l’ordre d’en faire sept fois le tour, en sept jours, au son de sept trompettes, pour faire tomber les murailles de la ville avant de permettre au peuple d’Israël de l’envahir.

Pendant les premiers tours, le roi de Jéricho se met à rire :

« Quand Josué rêveur, la tête aux cieux dressée,
Suivi des siens, marchait, et, prophète irrité,
Sonnait de la trompette autour de la cité,
Au premier tour qu’il fit le roi se mit à rire ;
Au second tour, riant toujours, il lui fit dire :
– Crois-tu donc renverser ma ville avec du vent ? »

Les remparts sont si solides que ces tours n’y font rien.

Au sixième tour, le roi de Jéricho rit toujours.

Et puis :

« À la septième fois, les murailles tombèrent. »

Selon le récit de la Bible, ce septième jour où les murs de la ville s’effondrèrent, Jéricho fut rasée, sa population massacrée, et le lieu maudit.

Ce récit des trompettes de Jéricho est devenu une expression populaire pour signifier une puissance capable de détruire des préjugés, mais aussi des réalités. Tout dépend de quel côté on se place.

C’est le titre qu’a choisi Henri Guaino pour son dernier livre (« A la septième fois, les murailles tombèrent ») et dont il explique celui-ci dans l’interview qu’il donne au Figaro du 21-22 octobre; et pour lui, nous sommes peut-être au soir du sixième jour :

«  Depuis une quarantaine d’années, la croyance dominante dans nos sociétés est que nous sommes devenus tellement meilleurs, tellement plus intelligents que nos aïeux que les malheurs et les catastrophes qu’ils ont vécus ne peuvent pas se reproduire ».

« Ça ne peut plus nous arriver. Ni la guerre, ni les guerres civiles, ni les guerres de Religion, ni les grandes crises économiques comme celle des années 30. Même les pandémies ne pouvaient plus nous arriver et nous avions cessé de nous y préparer ».

D’où son diagnostic pour aujourd’hui :

« Comme « l’histoire ne se répète pas », on a cessé de lui attacher de l’importance et on a jugé qu’elle n’était pas utile et qu’elle était au mieux un ornement de l’esprit. On devrait se demander pourquoi, si l’histoire n’a pas d’importance, l’assassin de Samuel Paty a assassiné un professeur d’histoire et pourquoi l’assassin de Dominique Bernard cherchait un professeur d’histoire.

L’histoire ne se répète pas à l’identique, mais elle nous apprend ce qu’est la nature humaine qui, elle, ne change pas. Et dans la nature humaine il y a le plus fécond et le plus dangereux. Le plus dangereux c’est la violence sauvage, animale, primitive de l’homme que la culture, la civilisation, la civilité, les institutions, l’école, l’Etat, s’efforcent tant bien que mal de contenir. Quand l’effort se relâche, quand on fragilise ces remparts, le risque grandit que l’homme redevienne brute, que la foule devienne meute et que la violence dévore tout sur son passage. A force de penser que cela ne peut plus nous arriver, de nier la nature humaine et sa sauvagerie, nous avons préparé une fois de plus le grand retour de la violence ».

Pour Henri Guaino nous sommes, c’est-à-dire nos gouvernants et nos élites, comme ce roi de Jéricho qui continue à rire dans sa tour sans voir la violence et les ennemis de toutes sortes qui s’apprêtent à faire tomber nos murailles avec leurs trompettes, tant les fondations sur lesquelles reposent nos sociétés occidentales sont devenues fragiles.

La vision d’Henri Guaino sur l’état de nature rappelle celle de Thomas Hobbes, dans son « Léviathan » (1651), pour qui l’état de nature est précisément « un état de guerre de chacun contre chacun », où les passions humaines entraînent une compétition meurtrière entre les individus. Pour Hobbes, il nous faut renoncer à certaines libertés au profit de la sécurité, et, pour cela, la solution qu’il défend, c’est celle d’un pouvoir central, la monarchie, fort. C’est le monarque, le chef, qui assure le bien-être des sujets qui lui confient par contrat l’administration de l’Etat. Pour résoudre les problèmes, on devine que Henri Guaino, qui fut conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, aime bien cette idée du chef qui rétablit l’autorité politique.

Mais on peut aussi aller lire ou relire John Locke et son «Second Traité de gouvernement civil » (1690), presque 40 ans après Hobbes, qui décrit, lui, les individus comme des êtres rationnels et égaux parfaitement à même de régler leurs conflits. Mais, comme le risque de chaos existe toujours, cette éventualité appelle à recourir au gouvernement civil pour assurer la paix. Le contrat proposé est cependant différent de celui de Hobbes. Il s’agit plutôt de rechercher un consentement mutuel par lequel un individu « peut convenir, avec d’autres hommes, de se joindre et s’unir en société pour leur conservation, pour leur sûreté mutuelle, pour la tranquillité de leur vie, pour jouir paisiblement de ce qui leur appartient en propre ». Lui défend plutôt une monarchie parlementaire (pas encore un régime démocratique ; on est en 1690, et, même en France, c’est Louis XIV qui est l’autorité politique), avec un souverain régulé par une instance représentative, et non une conception théocratique de l’Etat.

Ce qui fonde le gouvernement civil, pour Locke, c’est le droit de propriété que doit protéger l’Etat, c’est-à-dire protéger les droits fondamentaux de l’individu, sa liberté, son intégrité physique, et la propriété acquise par le travail, mais, avant d’être propriétaire de biens, on est d’abord propriétaire de sa vie et de sa liberté. C’est donc un conception de la propriété large que propose Locke.

Et ce qui fonde pour Locke la société politique, c’est le consentement des individus : «Un homme qui s’est joint à une société, a remis et donné ce pouvoir dont il s’agit, en consentant simplement de s’unir à une société politique, laquelle contient en elle-même toute la convention, qui est ou qui doit être, entre des particuliers qui se joignent pour former une communauté. Tellement que ce qui a donné naissance à une société politique, et qui l’a établie, n’est autre chose que le consentement d’un certain nombre d’hommes libres, capables d’être représentés par le plus grand nombre d’eux, et c’est cela, et cela seul qui peut avoir donné commencement dans le monde à un gouvernement légitime ».

Pour protéger la société et en assurer le bon gouvernement, certains pensent plutôt au retour de régime autoritaire, d’autres à la représentation du peuple, où même à la prise en main des problèmes par la société civile et aux dirigeants d’entreprises.

Car même les dirigeants d’entreprises sont concernés par ces débats qui concernent aussi l’économie et les stratégies.

Alors, comment défendre Jéricho, au lieu de rire dans la tour ?

Guaino, Hobbes, Locke : bonne recherche.