Syndrome d'utopie
09 mars 2025
Pour changer le monde, sauver la planète, éliminer les inégalités, supprimer la pauvreté, les idées ne manquent pas, et la littérature est abondante, ainsi que les déclarations de politiques exaltés.
Rien de dangereux, sauf quand cela devient une sorte de maladie mentale, celle qui atteint ceux qui sont tellement convaincus d’avoir trouvé (ou même simplement de pouvoir trouver) la solution définitive et totale, et se consacrent à en convaincre les autres, de manière parfois agressive.
C’est ce que Paul Watzlawick et l’école de Palo-Alto ont identifié dès les années 70 comme ce qu’ils ont appelé le « syndrome d’Utopie ». C’est une maladie car celui qui en est atteint souffre précisément de cette quête sans fin qui l’obsède d’une solution définitive et parfaite à des problèmes du monde et de la société, solution qui par nature n’existe pas.
Une des formes de ce syndrome d’Utopie analysée par Watzlawick est ce qu’il appelle la forme « projective » : elle est constituée par une attitude de rigueur morale reposant sur la conviction d’avoir trouvé la vérité. En général, cela s’approche d’une construction imaginaire d’une société idéale conçue sans trop réfléchir au changement « réel » qui permettrait de passer de l’état existant et critiquable à l’état imaginé. A ce titre, elle peut viser, par la mobilisation des imaginaires, à faire advenir ce qu’elle prédit par le fait de le prédire. C’est ce que l’on pratique encore parfois dans les entreprises avec la réalisation et la formalisation de ce qu’on a appelé les « projets d’entreprise », avec plus ou moins de bonheur.
Mais dans une forme plus dangereuse, ce syndrome d’utopie projective devient une mission pour celui qui est sûr de détenir la vérité pour changer le monde, mission de transformer le monde en convertissant les autres. Son idée est de persuader avec l’espoir que la vérité qu’il détient, une fois rendue sensible, apparaîtra forcément à tous les hommes de bonne volonté.
Et donc, conclusion logique, et c’est là qu’est le drame, ceux qui ne veulent pas se convertir, ou même refusent d’écouter, sont obligatoirement de mauvaise foi. Au point qu’il devient nécessaire, pour le bien de l’humanité, de les détruire. Car ceux qui ont tort, et ne s’en rendent pas compte, ce sont toujours les autres, ou la société.
Toujours dans ces situations, les prémisses sur lesquels le syndrome d’utopie se fonde sont considérées comme plus réelles que la réalité : si je veux ordonner le monde selon mon idéal et que ça ne marche pas, je ne vais pas réexaminer mon idéal, mais accuser l’extérieur, ou la société. Watzlawick cite par exemple les maoïstes et les marxistes qui expliquaient que si la société soviétique n’avait pas réussi à créer la société idéale sans classe, c’était parce que la pure doctrine était tombée dans des mains impures, et non parce que, peut-être, le marxisme pourrait contenir quelque chose de fondamentalement faux.
On pourrait voir le même phénomène, toujours d’actualité, où, pour résoudre un problème dans nos services publics, que l’on ne trouve pas conformes à notre idéal, il faut « plus d’argent » et « plus de moyens », ou « un plus grand projet ».
Ce que Watzlawick résume en « plus de la même chose ».
Pour mieux comprendre les affres et conflits intérieurs de ceux qui veulent sauver la planète ou sauver le monde, ou toute autre cause idéale, en détruisant ceux qui n’ont pas les mêmes « vérités », la lecture ou relecture de Watzlawick peut être salutaire, car il ne semble pas que ce syndrome d’utopie et ses manifestations parfois violentes envers les autres ait véritablement disparu.
L’intelligence collective a encore du chemin à faire pour empêcher les conséquences négatives de ce syndrome.