Montrer notre travail

PapiersOn connaît ces dirigeants et managers qui pensent que moins on en dit aux employés sur l’entreprise et les affaires, mieux c’est. Il suffit de leur raconter de belles histoires en ayant l’air important, faisant sentir que l’on sait, mais sans trop en dire. C’est le syndrome du magicien d’Oz dont j’ai déjà parlé ICI, et qui sévit encore aujourd’hui dans certaines entreprises.

Et puis, il y a ceux qui sont convaincus de la vertu de la transparence.

C’est le cas de Seth Godin, auteur prolifique de nombreux livres dits de « management », toujours bien présentés et illustrés, avec des titres qui claquent (en bon spécialiste de Marketing).

Le dernier traduit ne faillit pas à sa réputation : « Qu’est-il arrivé au management ? Un nouveau manifeste pour les équipes ».

En 144 petits textes l’auteur nous délivre ses conseils pour mettre en œuvre ce qu’il appelle les « compétences réelles », c’est-à-dire les real skills, terme qu’il préfère à soft skills, qui pourrait laisser entendre que ce sont des compétences accessoires, alors qu’elles lui semblent essentielles dans le monde des entreprises aujourd’hui (et ne pourront pas tout de suite être remplacées par l’intelligence artificielle).

Et justement, au numéro 87, on trouve cette recommandation : « Montrer notre travail ».

Avec cette anecdote sur les fondateurs de Hewlett-Packard (que j’avais déjà évoqués ICI) :

« Pendant les deux décennies mythiques au cours desquelles Hewlett-Packard est passé de deux hommes dans un garage à un grand leader technologique, le protocole standard était le suivant : laissez votre travail et vos carnets ouverts sur votre bureau lorsque vous partez le soir ».

 Montrer son travail, ce n’est pas forcément laisser ses carnets ouverts sur le bureau (remplacés aujourd’hui par nos ordinateurs), c’est aussi expliquer comment se prennent les décisions, pourquoi on a fait tel ou tel choix, et pas un autre. C’est rendre visible nos intentions, nos méthodes, nos critères objectifs d’évaluation et de mesure (et non d’en rester pour les promotions ou les choix d’investissements, par exemple, à la « tête du client », ou au secret de délibérations anonymes). Ce qui compte, ce n'est pas notre opinion, mais la façon, le comment nous travaillons.

Comme l’indique Seth Godin, cette habitude de transparence est aussi une façon d’offrir notre travail à l’amélioration : grâce aux retours des collaborateurs et de nos pairs, nous recevons des conseils et suggestions d’amélioration qui vont aider à être encore meilleurs, et à soigner notre réputation.

Un chiffre cité par l’auteur pour nous en convaincre, si nécessaire : Lorsqu’on demande aux gens, où qu’ils soient dans le monde, « En quoi cette organisation pourrait-elle être différente ? », plus de 90% des personnes interrogées suggèrent des améliorations.

Une formule le résume bien : « Si vous construisez quelque chose, pourquoi ne pas saisir l’occasion de l’améliorer ? »

Bien différent de ces « Monsieur Je sais tout » qui donnent des leçons à tout le monde ,en n’écoutant personne, et qui sapent le moral ou attirent l’agressivité de tous, même sans s’en apercevoir, ne comprenant même pas pourquoi tant de gens leur en veulent alors qu’ils sont convaincus de détenir la vérité et le savoir d’un magicien d’Oz. C’est souvent au contraire le signe d’une faiblesse que l’on cache en faisant l’important. Enfermés dans une conviction qu'ils se sont forgé de leur excellence, ils ne songent plus qu'à faire la leçon, cette obsession se trahissant à leur voix ou à leur attitude.

Lire Seth Godin et ses 144 conseils ne suffira peut-être pas à convaincre les plus irréductibles, mais cela ne peut pas faire de mal d’essayer.

En montrant notre travail, nous l’améliorons. « Non pas en partageant notre opinion, ni en exerçant notre statut au sein de la hiérarchie, mais en proposant des moyens de perfectionner objectivement le travail existant. C’est ainsi que les chaînes d’amélioration progressives se mettent en place et perdurent ».

Au travail !


Les Jeux Olympiques, c'est déjà fini ?

GamesAALe transhumanisme, c’est ce rêve (ou ce cauchemar selon certains) d’augmenter l’homme grâce à la technologie.

Dans sa version la plus « soft », cela consiste à utiliser la technologie comme un moyen pour modifier (au sens améliorer) la nature humaine grâce à la technologie. On y est déjà avec les crèmes qui effacent nos rides, les pilules qui nous font vaincre la fatigue et nous rendent plus productifs. Mais on pense aussi aux puces implantées dans le cerveau ou dans les bras pour mieux réfléchir ou ouvrir les portes.

Mais le transhumanisme c’est aussi, comme le souligne Julien Gobin dans son livre « L’individu, fin de parcours », une « finalité », c’est-à-dire une idéologie qui se donne pour mission de transformer l’Homme et la civilisation. C’est Elon Musk avec son entreprise Neuralink, qui vise à implanter des puces dans les cerveaux pour augmenter les capacités cérébrales. Il a annoncé en janvier 2024 avoir réussi l’implantation d’une puce de la taille d’une pièce de monnaie dans le cerveau d’un macaque qui a réussi a jouer au jeu vidéo « Pong » sans manettes ni clavier.

Un domaine semblait préservé, celui du sport. Oui, les Jeux Olympiques, comme le Tour de France, c’est « non au dopage », du sport, du sport humain, rien que du sport.

Ah bon ? Et pourquoi pas ?

Certains y ont justement pensé. C’est le projet sponsorisé par Peter Thiel, investisseur de la Silicon Valley (eu auteur de « Zero to one », dont j’avais parlé ICI), les « Enhanced Games ». Le projet consiste à lancer des jeux olympiques où les compétiteurs auront droit à toute « amélioration » grâce à la technologie.

Ne rions pas ; le projet est sérieux, et le site fournit tous les renseignements, y compris si l’on a envie de le soutenir financièrement, ou en achetant les t-shirts et polos à leur effigie.

Il a obtenu récemment un surcroît d’intérêt grâce à une conférence de soutien au projet organisée par la chambre des Lords du Parlement britannique.

Le projet prévoit aussi un environnement très strict au niveau médical, prévoyant que les athlètes soient pleinement informés des conséquences des traitements éventuels appliqués, et que leurs aptitudes à les prendre soient vérifiées.

Newsweek rendait compte de cette conférence avec optimisme en mars 2024.

L’association française du Transhumanisme se réjouit de cette initiative dans sa dernière newsletter, en indiquant :

«  Au lieu de continuer à nous cacher derrière l’hypocrisie de la philosophie naturaliste, qui prétend qu’on aligne des athlètes à égalité, ne se départageant que par le mérite de leurs efforts personnels, il est temps de reconnaître que les performances sportives qui font l’admiration des foules sont le résultat de complexes médicaux, techniques, scientifiques … et financiers ».

Est-ce que les Jeux Olympiques sont déjà dépassés ?

Le débat est ouvert entre la science et le sport. 

De quoi mettre un peu de potion magique dans les Jeux Olympiques, et faire participer Astérix  et Obélix.

Voilà une course à suivre, même sans puces dans le cerveau.

 

 


Punchlines d'un homme d'influence

WarburgEn 1985, Jacques Attali, conseiller de François Mitterrand, Président de la République, qui consignera dans « Verbatim » chaque journée de cette présidence, publie un livre biographique sur un personnage peu connu, bien que très influent, du XXème siècle, Siegmund G. Warburg, avec un sous-titre éloquent, « Un homme d’influence ».

Lire ou relire cet ouvrage aujourd’hui c’est parcourir le XXème siècle et la géopolitique au travers du monde de l’argent et des banques, ce monde où ceux qui cherchent de l’argent rencontrent, grâce à ces intermédiaires, ceux qui en ont à prêter, des Etats comme des entreprises. Siegmund Warburg anticipant le futur va fuir l’Allemagne de 1933 vers l’Angleterre, quittant une situation honorable, et reviendra après la guerre pour faire développer le nom de Warburg partout en Europe, en Angleterre, mais aussi aux Etats-Unis, et en Asie notamment au Japon. Un bon exemple d’entrepreneur résilient que tous les entrepreneurs d’aujourd’hui pourraient lire pour se donner le même courage. Ce qui frappe dans ce récit c’est l’audace de Siegmund Warburg, souvent visionnaire et détecteur des bons coups dont il profitera, pour le bonheur de ses clients.

On y croise aussi des entreprises et hommes aux noms célèbres de grandes fortunes (aucune femme dans cette galerie!), comme Rothschild, Morgan Stanley, Lazard, Merrill Lynch, qui fusionnent ou se rachètent les unes les autres. Certains noms existent encore aujourd'hui, d'autres, absorbés depuis, ont disparu.

Pour écrire ce livre Jacques Attali a aussi eu accès le premier, grâce à la famille, à « une sorte de journal intime » que tenait Siegmund Warburg, recueil de réflexions et d’aphorismes divers tout au long de sa vie. Jacques Attali évoque ce recueil à la fin du livre : « Il les a écrits ou choisis au fil de ses lectures, les a agencés en un étonnant jeu de miroirs, de Butler à Talleyrand, de Goethe à Dostoïevski, de Trollope à Balzac. Mais le temps lui manque pour le faire publier et, après sa mort, ni sa femme ni ses amis ne voudront le faire, gardant même caché ce manuscrit ». Et il ajoute, comme pour l’excuser « Au demeurant, sans doute aurait-il lui-même trouvé le temps de le faire éditer s’il l’avait vraiment souhaité ».

Cette habitude de garder des notes de ses lectures ou de ses rencontres, elle se rencontre souvent, et encore aujourd’hui. Aujourd’hui avec les blogs, les réseaux sociaux, les chaines youTube, elle est encore plus répandue, au jour le jour, sans passer par l’édition ; mais c’est aussi l’activité intime de ceux qui ne la publieront jamais.

Le livre de Jacques Attali nous permet de connaître des perles de ces aphorismes de Siegmund Warburg, avec des remarques qui ont franchi le temps aussi, et agréables à lire même aujourd’hui.

Alors, voici un florilège des « punchline » de Siegmund Warburg.

« En finance, il faut être impitoyable avec soi-même et généreux avec les autres ».

« Dans la vie, on ne peut rien changer d’autre que soi-même ».

« De temps en temps, les obstacles constituent un défi incitant à trouver de nouveaux chemins ».

« Un américain ne se pose plus que deux questions : Où puis-je garer ma voiture ? et Comment perdre dix kilos ? ».

« Faire un effort est considéré comme de mauvais goût par la haute société ».

« Quand on a affaire à des gens sans intérêt, on doit se concentrer avec eux sur des choses sans importance ».

« Si l’eau est trop pure, le poisson n’y nagera pas ». Proverbe japonais pour indiquer la haine du totalitarisme, le refus de l’absolu et la force de la tolérance.

« La promotion y est fondée, aujourd’hui encore plus encore qu’hier, sur la cooptation de la médiocrité par la médiocrité ». A propos de son inquiétude de voir monter en Europe, dans les banques et ailleurs, de grises bureaucraties incontrôlables (1973).

Et aussi : « Il y a des gens assez pervers pour mettre leur point d’honneur à ne pas être originaux ».

« Nos efforts vont dans la mauvaise direction quand nous n’avons pas le courage de dire non ».

« Une des qualités d’un bon dirigeant est de ne tenir aucun compte, autant que faire se peut, des médiocres ».

« Les gens médiocres, quand ils ont de l’influence, l’exercent dans la mauvaise direction ».


Sommes-nous condamnés à obéir longtemps à ChatGPT ?

ObeirSommes-nous libres ?

Oui, bien sûr, dans nos systèmes démocratiques, on n’est pas en dictature. On a la possibilité de se déplacer, de s’exprimer, d’entreprendre. De nombreux pays ne permettent pas l’équivalent. Alors, de quoi se plaindre ?

En fait, il s’agit de cette impression d’être manipulés par les médias, par la publicité, par les réseaux sociaux (mais, oui). On suit le mouvement de la pensée conforme, et ceux qui s’en écartent sont considérés comme des originaux et des marginaux dont on se méfie.

La difficulté, c’est de vraiment considérer que l’on pense et agit pour soi-même, du plus profond de son être intérieur, à l’abri du conditionnement social.

Une citation de Nietzsche, dans « Par-delà le bien et le mal », offre une voie pour une libération qu’il considère comme véritable, et nous fait réfléchir par son côté paradoxal :

« Choisis un maître, peu importe lequel, et obéis longtemps. Sinon tu périras et tu perdras toute estime de toi-même ».

Car, en effet, on ne trouve pas de liberté véritable dans une absence de toute contrainte, ou dans l’absence d’obéissance, mais plutôt en se fixant des règles de conduite.

Le mot important de Nietzsche, c’est « choisis » : C’est en faisant des choix pour soi-même que l’on prend les décisions qui nous font avancer et sortir de l’hésitation. Si vous avez vu comme moi le film « Anatomie d’une chute » vous avez remarqué cette scène où l’accompagnatrice du petit garçon lui dit que c’est en décidant que l’on choisit. Et le petit garçon qui hésite dans la compréhension de la situation, où sa mère est accusée de crime, choisit son attitude, et va livrer un témoignage décisif au tribunal.

Mais faire un choix personnel n’est pas chose facile ; on se croit toujours influencé. Cela exige sûrement l’effort de se délier de tous les conditionnements qui nous influencent.

C’est pourquoi un deuxième mot est important dans cette citation de Nietzsche qui nous incite à obéir « longtemps ».

Cela parle de la façon dont nous donnons un sens à la vie, et quelle forme nous lui donnons. C’est une aventure du temps long. Et pour être sûr de nos choix, il est aussi nécessaire de trouver une zone de prise de distance (de recul, ou de hauteur), de calme en soi-même, avant de s’y lancer. (Le petit garçon du film prend le temps de se forger son choix).

Cela fait penser aux initiatives chamaniques qui demandent aux jeunes gens de partir en forêt à la recherche de leur animal tutélaire, donc d’eux-mêmes). J’ai souvenir d’un séminaire organisé pour une assemblée de dirigeants, au musée du Quai Branly, où chacun était allé en quête d’une statue, ou d’un totem, dans le musée, pour y retrouver « son ombre ». L’un d’eux était revenu en racontant sa rencontre avec une statue onirique de ce qu’il avait interprété comme « un homme qui pleure «  (il nous en montrait la photo ), et révélé à ses collègues, avec émotion, comment il se sentait aussi pleurer intérieurement.

Mais voilà, à l’ère des nouvelles technologies, de l’intelligence artificielle et de ChatGPT, n’est-ce pas justement ChatGPT qui devient notre maître ? Il fut un temps, pas si lointain, où c’était Google qui était notre maître : une question, une interrogation, on demande à Google pour avoir la réponse. Maintenant, on demande à ChatGPT, qui répond à tout, qui donne les solutions, qui trie nos mails, et nous propose même les réponses à faire aux messages reçus. N’est-ce pas le risque de déléguer à la machine, à extérioriser, toute notre réflexion ? Julien Gobin, dans son livre « L’individu, fin de parcours – Le piège de l’intelligence artificielle », met en évidence ce phénomène, où la technologie se substitue à notre capacité de décision et nous fait perdre notre liberté par cette « perte d’autonomie cognitive liée à la disparition progressive de l’usage de la faculté de décision ».

Il cite à l’appui de ces réflexions Gaspard Koenig (dans « la fin de l’individu »:

«  Nous ne sommes pas dotés à la naissance de libre arbitre, comme si une fée s’était penchée sur le berceau de l’espèce humaine ; contrairement à la formule malheureuse de notre déclaration des droits de l’homme, nous ne sommes pas « nés libres ». En revanche, nous pouvons cultiver et fortifier notre arbitre libre. C’est la clé de notre responsabilité, ni donnée (biologiquement) ni présupposée (intellectuellement), mais objet d’une lente élaboration. Plus nos circuits de décision sont complexes, plus notre capacité réflexive est mobilisée, plus notre acte, aussi insignifiant soit-il, reflète qui nous sommes. En revanche, moins nous délibérons, moins nous nous contrôlons nous-mêmes".

Alors, allons nous être coincés à obéir longtemps à ChatGPT ?

Au risque d’ailleurs de réduire l’usage de notre cerveau. Julien Gobin fait remarquer que, déjà, en trois mille ans, la taille du cerveau humain a diminué de près de 10%, passant en moyenne de 1 500 cm3 à 1 250 cm3, grâce (ou à cause) des structures sociales ayant fait émerger la communication, le partage de connaissances, et l’intelligence collective, qui permettent à l’homme de ne plus faire tout tout seul.

De même, comme il y a toujours une moitié pleine dans un verre à moitié vide, Julien Gobin garde espoir, en identifiant un avenir moins sombre, quoique :

« De toute évidence, le cloud humain qui s’annonce réduira encore la taille de notre cerveau tout en optimisant son usage. La disparition de certaines tâches encombrantes autrefois consacrées au maintien d’une autonomie devenue obsolète sera largement compensée par le développement d’une intelligence collective à laquelle contribueront les intelligences artificielles. Les augmentations du cerveau humain qui auront lieu se concentreront alors sur les facultés de spécialisation et d’interactions avec le réseau, plutôt que sur celles lui assurant une autonomie physique ou cognitive devenue illusoire. Autant d’externalisations et de mutualisations qui enfermeront pour toujours l’individu de jadis, si fier de son autonomie, dans la vitrine d’un Museum d’histoire naturelle. Le plafond civilisationnel pourra enfin sauter ».

ChatGPT va-t-il nous permettre de développer l’intelligence collective et la coopération, en faisant sauter le plafond civilisationnel ?

Qui sera notre nouveau maître, à qui nous obéirons…longtemps ?


A quoi servent encore nos diplômes dans le monde d'aujourd'hui ?

DiplômeAvec le développement rapide des nouvelles technologies, on finit par se demander si ce que l’on a appris dans nos études allait être suffisant pour survivre dans le mode du travail d’aujourd’hui et de demain.

On lit régulièrement, comme ICI, que 60 ou même 85% des métiers de 2030 sont encore à inventer.

C’est d’ailleurs aussi confirmé aujourd’hui, où de nombreux métiers qui montrent une forte demande n’existaient pas non plus il y a dix ans (exemple ceux qu’on appelle « data scientists », ou aujourd’hui les « prompt engineers » capables de formuler les bonnes questions aux intelligence artificielles génératives comme ChatGPT).

Mais alors si cela va aussi vite, qu’allons-nous faire de ce que nous apprenons dans les grandes écoles et les universités ? Est-ce que cela sera suffisant pour s’en sortir dans la vie ? A peine sorti de l’école, on a déjà une bonne partie de ce que l’on a appris qui est déjà démodé et plus en phase avec la réalité du monde. A se demander si le retour sur investissement en vaut la peine.

C’est pourquoi le marché des formations courtes à des expertises pointues et au goût du jour a explosé et est en train de se développer. Et ce sont ces formations pointues qui vont prendre de la valeur, pour tous, par rapport aux formations académiques initiales et aux diplômes. Il suffit de regarder aujourd’hui le booming des formations et « acculturations » à l’intelligence artificielle pour sentir tout le potentiel de ce type de formations.

Il ne s’agit pas seulement de chercher à transformer l’éducation de base de nos jeunes générations, mais véritablement de se poser la question pour l’ensemble de la force de travail des actifs de nos sociétés ; et cela concerne aussi nos entreprises et institutions.

Les « microcertificats », qui certifient les acquis des cours et formations de courte durée, sont ainsi devenus un outil précieux sur un marché du travail en évolution rapide, aidant les professionnels très occupés à acquérir des compétences recherchées et à démontrer leurs capacités aux employeurs potentiels. À mesure que la main-d’œuvre continue d’évoluer, ces opportunités d’apprentissage flexibles et inclusives joueront probablement un rôle crucial dans le développement de carrière des individus dans divers domaines. À l’inverse, cette évolution pourrait potentiellement diminuer le prestige et l’importance des programmes universitaires traditionnels tels que les diplômes de licence et de maîtrise.

D’où la mise en évidence de ces « microcertificats » par les institutions européennes.

Voilà un marché d’avenir pour tous ceux qui se lanceront dans ces formations à jour des besoins de la société et du monde du travail.

L'évolution rapide des professions et des secteurs signifie que de nombreux diplômes ne correspondent plus aux exigences de compétences du marché du travail et ne peuvent garantir une carrière professionnelle réussie ni même un emploi à temps plein.

A l’inverse, si l’offre et la demande ne se rencontrent pas véritablement, l’obtention de diplômes obsolètes et inutiles peut s’avérer coûteux tant pour les sociétés que pour les individus. Cette évolution ne concerne pas seulement le renouvellement de l’éducation des générations futures : il est primordial d’investir dans la formation continue et la rééducation de la main-d’œuvre existante.

Plus l'inadéquation entre le diplôme nouvellement obtenu et les attentes du marché du travail quant aux compétences pratiques du diplômé est évidente, plus il est probable qu'une personne récemment diplômée souffre d'une sorte de syndrome de l'imposteur. Il s'agit du sentiment qu'après l'obtention de son diplôme, la personne est obligée d'agir comme si elle était un professionnel, alors qu’en réalité, les compétences acquises au cours de ses études ne correspondent pas à celles requises par le poste qu’on lui propose.

D'un autre côté, les personnes qui n'ont pas les moyens de se permettre ou d'accéder aux programmes d'études traditionnels pourront alors peut-être trouver plus facilement des opportunités d'emploi basées sur leurs qualifications et réalisations pratiques.

Cette tendance, si elle s’accélère, va être le signal d’une diversification obligatoire de nos sources de formations, et une obligation de continuer à se former et à apprendre tout au long de la vie.

Voilà encore de nouveaux métiers et entreprises de formations à inventer ; et des parcours professionnels à construire. Cela vaut pour les plus jeunes comme pour les anciens.

Même si l’éducation des fondamentaux ne disparaîtra pas non plus. Savoir écrire et argumenter seront aussi, par exemple, des compétences à conserver. Et les vertus de l’art des bonnes relations et du travail en équipe seront aussi souvent des « soft skills » à acquérir.

Education et formation : un volet stratégique à ne pas oublier, dans la société et nos entreprises, alors que les diplômes sur les CVs ne pourront sûrement plus suffire.

Et cela ne concerne pas seulement les groupes de niveaux au collège.


Les loisirs vont-ils disparaître ?

Temps-libreOn distingue généralement la vie professionnelle et la vie personnelle. Et nombreux sont ceux qui sont attentifs à ce qu’il existe un bon équilibre entre les deux, pour ne pas voir sa vie personnelle mangée ou annihilée par les occupations professionnelles.

La vie professionnelle, c’est celle où l’on travaille, en échange d’un salaire, ou, pour l’entrepreneur, celle où l’on s’occupe des clients et du chiffre d’affaires.

A l’inverse, la vie personnelle, c’est celle de nos loisirs et de nos hobbies, celle où l’on ne parle pas d’argent, où l’on consomme pour le plaisir. Je peux faire du bricolage, la cuisine, faire les boutiques pour acheter les vêtements qui me plaisent.

Mais voilà, une nouvelle tendance est maintenant apparue, surtout parmi les jeunes générations, qui consiste à monétiser ses hobbies et ses projets personnels, que les anglo-saxons appellent les « side hustle ».

Ce sont les réseaux sociaux qui ont fait naître ces vocations. J’aime la cuisine, alors je fais un site ou une chaîne Youtube pour présenter mes recettes, et par la même occasion, grâce à la fréquentation de ma chaîne, je recueille des revenus publicitaires, je fais la promo de marques, et mon hobby est devenu une source de revenus, je suis moi-même un influenceur.

Même chose avec la mode, les voyages, l’artisanat, le bricolage, la liste est infinie.

Si j’aime aider mes voisins en faisant leurs courses, il y a un site pour me rémunérer dans ces tâches et trouver de nouveaux « voisins » pour avoir une source de revenus complémentaires.

Déjà BlaBlaCar avait fait de l’autostop un business.

Mais alors si tous mes hobbies deviennent des business, peut-on encore parler de hobbies ? Est-ce que je ne deviens pas un individu qui ne vit que par l’argent et le business, ne laissant plus de place à des occupations gratuites, ou pour me relaxer sans arrière-pensée ?

Si aider mes voisins, cuisiner, acheter des vêtements deviennent des business, reste-t-il de la place pour l’aide gratuite, le plaisir de flâner ou de cuisiner ? Et cela n’est-il pas un danger pour notre vie en société, nos relations humaines étant complètement happées par l’argent ? On devient tous des entrepreneurs de nos hobbies. C’est pourquoi on n’utilise plus le mot « hobby » mais « side hustle », pour bien signifier que je fais de l’argent avec mes projets et hobbies personnels.

Les sociologues s’intéressent à ce phénomène pour tenter d’en analyser les conséquences sociales et économiques.

Je lis ICI que 39% des américains déclarent avoir un « side hustle », et le pourcentage monte à plus de 50% pour les générations Y et Z. Tous ces entrepreneurs en herbe pullulent dans les réseaux sociaux, et même Linkedin.

Des plateformes sont également apparues pour permettre d’y venir monétiser nos hobbies et « side hustle », comme Shopify ou Etsy.

Les entreprises ne voient d’ailleurs pas d’un mauvais œil que leurs employés aient ainsi une seconde vie d’entrepreneurs grâce à ces projets et hobbies monétisés. Ils y voient la marque d’un tempérament d’entrepreneur, qui peut aussi avoir de l’intérêt pour l’entreprise. Et cette passion touche même les étudiants.

Car pour les jeunes générations, cela offre une source de revenus dès leur plus jeune âge, à 15 ou 16 ans, et elles y prennent goût pour toute leur vie, comme une source de revenus complémentaires, voire pour en faire leur business et lancer leur entreprise.

Allons-nous devoir nous habituer à ces pratiques ? Ou nous méfier des risques pour notre société ?

Peut-être, pour trouver les réponses, pouvons-nous en faire un projet et le monétiser sur une plateforme ? Certains y ont peut-être déjà pensé.


Des oeufs, du sucre et de la vodka

Russe« L’impératrice de Pierre », de Kristina Sabaliauskaité, m’est tombé entre les mains grâce à la plateforme française Gleeph, qui me l’a offert en échange d’une promesse de récension (oui, cette plateforme propose aux éditeurs ce genre d’opérations, pour pouvoir bénéficier de retours de lecteurs sur les réseaux sociaux ; c’est la deuxième fois que j’en suis l’heureux bénéficiaire – Sympa Gleeph !).

Le genre de ce livre : roman historique. C’est-à-dire qu’il part de faits historiques réels, mais ajoute une romance pour en faire un roman. Donc on ne sait plus trop ce qui est réellement l’histoire, et ce qui est du registre de la fiction.

L’histoire dans l’Histoire, c’est celle de Catherine 1er (à ne pas confondre avec Catherine II), première tsarine de Russie de 1725 à 1727, année de sa mort. D’origine lituanienne, elle a été l’épouse de Pierre le Grand, et lui succède à sa mort. Le livre est l’occasion de revivre à travers le récit de Catherine 1er sur son lit de mort ces années depuis sa jeunesse jusqu’à 1727. C’est une orpheline, ne sachant ni lire ni écrire, qui démarre comme servante, et, de rencontre en rencontre, finit au pouvoir suprême. C’est Voltaire qui l’a appelée « Cendrillon du XVIIIème siècle ».

On ne sait pas grand-chose de cette Catherine 1er, et c’est tout le talent de Kristina Sabaliauskaité, lituanienne elle-même, traduite par Marielle Vitureau, de nous la faire revivre dans son intimité imaginaire, avec l’histoire, la vraie, en décor de fond.

Pierre le Grand, qui mesurait effectivement deux mètres, y est décrit comme une sorte de monstre vulgaire, assaillant des territoires et sanguinaire, souvent ivre, ou pris de crises de délire. Bref, un Russe. On y vit comme dans les coulisses de son règne, le personnage traversant les grands moments de la Russie de l’époque, dont cette longue guerre contre la Suède. Et l’on suit la vie de Catherine, d’origine lituanienne et catholique, qui se convertira et sera baptisée, à la demande de Pierre, orthodoxe.

Tout est vécu à travers les yeux et les réflexions de Catherine que l’auteur fait ainsi parler et se souvenir. Ce n’est néanmoins pas avec ce livre que l’on va creuser vraiment le sujet historique, même si des détails sur la vie de l’époque restent intéressants, bien retracés par l’auteur, qui est quand même une historienne de l’art.

Le roman a été un best-seller en Lituanie. Il est un récit à la première personne de Catherine sur son lit de mort, heure par heure. Chaque chapitre est une heure. C’est pourquoi ça commence à 9, car il est neuf heures le 5 mai 1727 quand commence ce roman que l’on va vivre d’heure en heure comme une tragédie grecque.

Ce qui marque les pages de ce roman, ce sont les moments où Catherine se donne physiquement à ses amants et notamment à Pierre le Grand. Cela vaut des passages à l’érotisme bon teint, qui nous en donnent tous les détails. Mais aussi à des développements que l’on pourrait appeler féministes, la femme étant celle qui fait les hommes en les tenant par leurs instincts faibles. On connaît ce genre d’histoire ; ce sont les femmes qui font l’histoire, plus malines que les hommes, et l’auteur semble bien aimer en parler comme ça à travers le personnage romancé de Catherine. Catherine qui empêche Pierre le Grand, qu’elle appelle amoureusement Peter, de faire trop de bêtises, Catherine, résignée mais habile, qui apporte réconfort et calme à un Pierre le Grand perturbé et agressif. Etc. Voilà de quoi satisfaire un lectorat féminin.

Un moment fort est son baptême auquel on assiste comme si on y était : « Par trois fois, je dois me laisser immerger dans les fonts baptismaux. J’ai peur de l’eau, de boire la tasse, de couler, mais j’ai confiance en Peter, à mes côtés, qui ne le permettra pas. Leur baptême exige d’avoir confiance. Et je sais, je sens qu’il me protègera. Il sourit d’un air encourageant, hoche la tête et me fait un clin d’œil. C’est ce Peter-là que j’aime ». Voilà une idée du style et des émois de cette brave Catherine. Cela ne convaincra pas tous les lecteurs.

Mais ce n’est pas tout.

Car cette Lituanie, plutôt de mœurs occidentaux, plutôt catholique, avec qui ce rustre de Pierre le Grand veut faire alliance contre les Suédois, mais aussi les dominer, ce rustre de Pierre le Grand qui « saccage les tableaux saints à coup d’épée » d’une église contenant des reliques ( « donnant l’ordre à ses soldats de forcer le tabernacle, il a répandu le Saint-Sacrement et l’a piétiné »), lorsqu’il débarque à Kaunas, deuxième ville du pays, ça ne vous rappelle rien ? Et oui, on imagine le parallèle avec Poutine et l’Ukraine. La Lituanie du XVIIIème siècle offre un parallèle osé avec l’Ukraine d’aujourd’hui. Et le roman devient alors une défense des gentils contre les Russes, plutôt méchants. Catherine la lituanienne est ici l’alliée d’Alexandre Danilovitch Menchikov, lituanien lui aussi (dont elle a aussi été la maîtresse), et meilleur ami et favori de Pierre le Grand.

Ce bon et sage Alexandre, mais rallié au Tsar, qui fait remarquer à Pierre le Grand : « Mein Herz, était-ce bien nécessaire ? Désormais toute la frange orientale de la Lituanie nous haïra, n’aurait-il pas mieux valu les garder de notre côté ? Ce sont des orthodoxes, après tout, n’aurait-on pas mieux fait de les avaler peu à peu, de grignoter discrètement leur territoire avant de les asservir ? Dorénavant tous ces popes uniates seront nos ennemis, ils monteront les gens contre nous, s’en prendrons à notre armée, nous aurons des difficultés avec le ralliement et ce sera à moi de nettoyer cette merde et de trouver un moyen de nourrir les soldats ».

On sait que Pierre le Grand était fasciné par les mœurs en Europe et avait envie d’en importer en Russie. Et l’auteur nous en fait voir les détails tant enviés par Pierre le Grand et Alexandre, comme lors de ce bal à Vilnius, capitale de la Lituanie, dédié aux divinités de la mer, en l’honneur de Pierre le Grand (vérité historique, ou imaginé par l’auteur, je ne sais pas), qui impressionne tant Catherine : « C’est lors de ce bal à Vilnius que j’ai bu pour la première fois un vin mousseux et goûté à ces huitres si prisées en Europe, que nous appelions usters et qui dégoûtaient tant l’escorte de Peter. Personne ne comprenait qu’on puisse avaler des limaces. Par esprit de contradiction, j’en ai goûté – après tout j’étais une occidentale. Toute la saveur de la mer, à la fois rafraîchissante et salée, était enfermée dans cet écrin de nacre. Pendant que l’huître, accompagnée d’une gorgée de vin, glissait contre mon palais et que je regardais par la fenêtre en direction du jardin italien et de ses lumières scintillantes se reflétant dans le canal, Alexandre est passé à côté de moi avec Daria : « En voilà une belle vie, Catherine…Tu verras, c’est une question de temps, mais nous aussi vivrons ainsi ! Et encore mieux ! ».

Mais cette envie de mettre de l’Occident dans les mœurs de la Russie ne sera pas complètement satisfaite, et l’auteur ne manque pas d’y revenir en inventant les réflexions de Catherine : « Malgré tous ses efforts, Peter n’est pas parvenu à apporter aux villageois la lumière de l’Occident. Comment éclairer le peuple quand il croule sous les impôts, qu’il se tue à la tâche, que l’armée avale ses fils ? ».

L’auteur n’oublies pas, cependant, de mettre dans les mots de Pierre le Grand sa vision des Russes : « Une nouvelle Russie adviendra, plus humaine. Il faut juste un peu de patience, nous dégrossirons les nôtres, ils ne se distingueront pas des Allemands. Ils seront encore meilleurs, le Russe a beau être fainéant, il est plus doué ». S’il le dit…

Ce Tome 1 se termine au moment où Catherine devient tsarine, femme de Pierre. Il y a un Tome 2.

Que retenir de cette lecture ?

La petite histoire de la grande Histoire, et cette composition originale des chapitres d’heure en heure avec les souffrances et les souvenirs de Catherine. Et on apprend aussi des détails sur la Russie et cette période.

Comme la recette du Kuddelmuddel : « Servi dans une coupelle à pied de vermeil : une douzaine de jaunes d’œufs battus avec du sucre et de la vodka, jusqu’à obtenir un mélange ferme et rond, avec une petite montagne au centre, à l’endroit où on a ressorti la cuillère. Un sein de vierge et son téton dans un bol ».

C’est un peu l’impression et le goût que m’ont laissé ce roman.


Inquiets du réel ? Réveillons-nous !

InquietIl y a ceux qui ne peuvent plus se passer de ChatGPT, surtout les jeunes, pas seulement ceux qui veulent tricher à l’école, mais aussi tous ceux qui ont compris tout ce que cette IA générative peut leur permettre de faire, trouver des idées, traiter des textes, créer des images, etc.

Et puis il y a ceux qui n’ont jamais osé y toucher, ou même y voient un danger (pour la démocratie, pour la planète, pour la santé mentale, peu importe), ou alors qui considèrent qu’ils n’en tireront rien pour eux personnellement (oui, là on a affaire aux plus seniors d’entre nous).

Alors, quand vous rencontrez un dirigeant ou un manager d’une grande entreprise, qui a la responsabilité d’encadrement de plusieurs centaines de collaborateurs, y compris des jeunes forcément, vous vous demandez ce qu’il en pense.

C’était ma découverte de la semaine, en rencontrant plusieurs dirigeants.

Il y ceux qui s’en méfient ou qui en sont déjà les victimes avec leurs enfants :

« Je ne connais pas grand-chose à l’intelligence artificielle. Ce que je sais, c’est qu’avant, en tant que chef de famille, j’étais l’expert pour corriger les fautes d’orthographe de mes enfants ; aujourd’hui ils font ça avec ChatGPT. ChatGPT m’a tué ! ».

« J’ai vu un philosophe sur internet qui disait que l’IA n’était pas du tout intelligente. J’ai compris que cela provoquait plutôt un appauvrissement du cerveau. Je fais bien de m’en éloigner ».

Il faut dire que la littérature et le cinéma n’aident pas trop à valoriser l’IA, la plupart des romans sur le sujet étant dystopiques.

Nathan Devers, auteur en 2019 du roman « Les liens artificiels » sur le Metaverse, en donnait son interprétation dans Le Figaro du 11/02/2024 :

« Je pense que ce sont des inquiets du réel. (…). La littérature de l'IA est liée à l'absurdité du réel, des cassures qui n'ont rien à voir avec l'IA en tant que telle mais avec des passions, des dynamiques qui sont en nous. Le chapitre 4 du Peintre de la vie moderne est particulièrement éloquent. Il s'interroge sur la position de l'artiste quand il voit un phénomène moderne. Baudelaire donne l'exemple des robes noires qui étaient à la mode en son temps. Il dit qu'il ne faut jamais chercher l'expression du transitoire mais voir la passion éternelle qui se cache derrière la mode. C'est exactement le regard qu'il faut porter sur la vie du virtuel. Ce qui est à l'œuvre, ce sont des passions intemporelles : la peur de s'ennuyer avec l'addiction aux écrans, le narcissisme avec le selfie, la volonté de penser de manière communautariste avec Twitter, la mécanisation de nos esprits pour ChatGPT, etc. Ce serait une erreur de perception littéraire de croire que les phénomènes de la modernité (les écrans, l'IA, tous les autres) posent des questions nouvelles ». 

Mais il y a quand même une prise de conscience de plus en plus forte, qui résiste à ces passions intemporelles pour parler du concret, et cela rend plutôt optimiste pour l'avenir :

« J’ai passé une demi-journée à fouiller dans les statistiques d’accidents du travail pour aller en catégoriser les causes et préparer les plans d’actions. Je me demande si l’IA n’aurait pas pu m’aider ».

« J’ai encore 3.948 mails non lus dans ma boite mail aujourd’hui, et souvent ce sont des mails où je suis en copie ; je n’ai rien à faire, à part être informé, et y perdre du temps. Peut-être que l’IA pourrait m’aider à trier et à répondre dans tout ça, non ? ».

Pour ces dirigeants qui ont tout compris, mais ne savent pas trop par où commencer, il est de plus en plus urgent que nos entreprises prennent au sérieux l’acculturation, la formation, et l’aide à la mise en place des projets concrets qui vont permettre de vraiment bénéficier des avancées de l’intelligence artificielle générative et du machine Learning. Cela ne se fait pas en claquant des doigts ; les infrastructures, les algorithmes, ne se construiront pas tout seuls. L’écosystème de tous ceux qui peuvent contribuer s’élargit chaque jour.

C’est aussi le rôle des Think Tank comme « 4ème Révolution » de mettre en évidence les opportunités, et de créer les rencontres entre ceux qui s’y sont mis et les autres. Car la transmission est aujourd’hui non pas de haut en bas de la hiérarchie, mais entre pairs, de l’extérieur vers l’intérieur, de façon transversale, et aussi intergénérationnelle, les plus jeunes ayant plein de choses à apprendre aux seniors, qui eux-mêmes, pourront transmettre leurs savoirs et expériences dans des versions 3.0 grâce justement à ces technologies.

Pour tous ceux qui se sentent un peu trop « inquiets du réel » ou victimes sidérées de « passions intemporelles », ne nous laissons pas démoraliser par la littérature dystopique ; c’est le bon moment de se réveiller, ou d’accélérer.

Les pionniers montrent la voie, et ils sont de plus en plus nombreux.

Nous ne sommes pas seuls.


Vivre de manière plus authentique : Comment ?

TranshumanceEn ce moment, on parle beaucoup de recherche de sens. Mon travail ne me donne pas de sens, je ne l’aime pas. J’ai besoin d’un chef qui donne du sens et me fait croire à la vision de l’entreprise.

Et si je ne trouve pas ça, je n’y croie plus.

Alors lire les témoignages de ceux qui ont trouvé un sens à ce qu’ils font, c’est encourageant, on croyait qu’ils n’existaient plus.

C’est ce que l’on trouve dans une série de portraits du Figaro Magazine du 23 février, des agricultrices.

Car on apprend dans ce dossier établi par Eric de La Chesnais que, si le nombre de fermes en France est passé de plus de 2 millions en 1960 à moins de 400.000 en 2020, le quart des exploitations françaises sont dirigées par des femmes.

Certaines ont eu la révélation dès leur plus jeune âge, leur avenir s’étant écrit à ce moment. C’est le cas de Bérénice Walton, éleveuse de bovins en Gironde : « Dès que j’ai vu quatre vaches bazardaises rapportées par mon père sur l’exploitation viticole familiale en 2001, j’ai été prise d’une passion pour cette race locale. Ils les avaient achetées pour se diversifier. J’avais 11 ans et ce fut comme une bouffée d’oxygène ».

Mais ils y aussi celles qui ont changé de vie brutalement, en étant attirées par leur parents.

C’est le cas de Noémie Lachenal, qui exploite une bergerie en Haute-Savoie. Elle a commencé par des études de droit et de langues à l’université de Grenoble, mais a délaissé les lettres et le code civil pour le grand air et les animaux, entraînée par son père, salarié dans une société d’économie alpestre en Haute-Savoie, chargée d’assurer la maintenance des équipements dans les alpages, qui lui donne le goût de la transhumance. Elle le confesse au Figaro : « J’ai entamé en 2000, à l’âge de 22 ans, ma vie de bergère ». Et elle avoue : « C’est un choix de vie et un engagement ».

Et il y a aussi celles qui changent d’elles-mêmes, comme Gwendoline Palmer. C’est une « jeune femme urbaine bien installée dans la vie parisienne » qui devient une paysanne modeste en Normandie. Directrice Marketing dans une entreprise familiale elle a une révélation vers trente ans : « Je ne voulais plus de cette vie citadine à cent à l’heure. Je ne voyais pas les saisons passer. Je ne me sentais pas assez utile dans mon travail. J’avais envie de vivre de manière plus authentique avec une activité quotidienne plus concrète. Mon entreprise s’est fait racheter. J’ai profité de cette occasion pour partir vivre au Havre dont j’étais originaire, et j’y ai rencontré mon compagnon Mahdi, ingénieur ». C’est le déclic : « Après une année de réflexion pendant laquelle nous avons profité de faire un stage en permaculture, nous avons décidé de nous former pour nous installer en maraîchage ». Ce qui leur permet aujourd’hui de cultiver des légumes certifiés bio en plein champ ou en serres froides sans pesticides.

Il y a aussi des occasions qui créent un destin. Celui de Mathilde Sainjon qui, à vingt ans, alors étudiante à Tours en philosophie, part garder un troupeau pendant ses vacances d’été : « Je ne retrouvais pas ma place en ville et j’avais une envie de me recentrer ». Elle découvre alors une nouvelle passion pour la montagne, et de fil en aiguille, change de vie pour devenir bergère, elle aussi. « Je me sens libre tous les jours, je n’ai plus l’impression de travailler. La liberté se définit par contrainte. Toujours dehors dans les beaux paysages, je ne m’imagine pas faire autre chose. J’ai besoin d’être avec mes animaux, d’aller à ma cabane l’été. Si je pars une semaine, mon quotidien me manque ».

Alors, vivre de manière plus authentique, se sentir libre tous les jours, une envie de se recentrer ; de bonnes inspirations pour que chacun fasse aussi des choix de vie et un engagement.

Des agricultrices inspirantes.


Le dataism va-t-il avoir raison de notre raison ?

PenserGrâce à la raison, et à la logique, on a pensé qu’il était possible de décider en toute connaissance de cause, grâce à la réflexion rationnelle. Mais cela a aussi été de plus en plus difficile.

Déjà, au XVIIème siècle, Balthasar Gracian dans ses maximes (« L’homme de cour ») l’avait remarqué :

« Il faut aujourd’hui plus de conditions pour faire un sage qu’il n’en fallut anciennement pour en faire sept : et il faut en ce temps plus d’habileté, pour traiter avec un seul homme, qu’il n’en fallait autrefois pour traiter avec tout un peuple ».

Jacques Birol, dans son ouvrage « 52 conseils éternels d’après les maximes de Balthasar Gracian » (2011), dont j’avais déjà parlé ICI, reprenait cette maxime pour nous convaincre que la rationalité pure ne permettait pas de décider correctement, et qu’il fallait faire entrer en ligne de compte les émotions, car elles seules nous permettent de vraiment décider dans l’incertain.

Mais voilà, ça, c’était avant. Avant l’IA générative, avant les « Big Data », avant ce qui a été appelé le « dataism ».

L’expression date de 2013, utilisée par David Brooks dans un article du New York Times.

En gros, il était déjà convaincu que grâce à la profusion des données et statistiques, on serait capable de prendre les meilleures décisions et de vivre mieux. L’intuition et les émotions seraient alors devenues d’un autre temps ; on n’en aurait presque plus besoin. Au revoir Balthasar Gracian et Jacques Birol. L’incertain n’existe plus : place au « dataism ».Nous allons pouvoir, grâce à la profusion des données, en extraire toutes les informations qui nous sont utiles, et que nous étions auparavant incapables de détecter.

Le concept a bien sûr été encore amplifié par Yuval Noah Harari dans son best-seller « Homo Deus » (publié pour la première fois en hébreu en 2015, puis traduit dans le monde entier) qui voit dans le « dataism » une nouvelle religion, la religion de la data, qui permettra d’accroître le bonheur de l’humanité, son immortalité (on parle maintenant non plus d’immortalité, mais, dans une conception transhumaniste du monde, d’ « amortalité », c’est-à-dire de conserver les données du cerveau et de la personne, au-delà de la mort du reste du corps lui-même, grâce à un « téléchargement de l’esprit ») et sa divinité. Car l’homme ainsi transformé devient un nouveau Dieu.

Dans cette vision « dataiste », l’homme est finalement considéré comme un jeu d’algorithmes qui peuvent être perfectionnés à l’infini, grâce à l’accès aux data. D’où l’idée, pour les plus acharnés, de donner accès aux data à tous pour le bienfait de l’humanité, données publiques comme données privées.

Le dataism a aussi ses martyrs comme Aaron Swarts, le premier hacker célèbre, parfois un peu oublié aujourd’hui.

Partisan de la liberté numérique et défenseur de la « culture libre » il se fait notamment connaître lors de ce qui a été appelé « L’affaire JSTOR » : En 2011, il est accusé d’avoir téléchargé illégalement la quasi-totalité du catalogue de JSTOR (agence d’archivage en ligne d’articles et publications scientifiques), soit 4,8 millions d’articles scientifiques, ce qui a fait s’effondrer les serveurs et bloquer l’accès aux réseaux par les chercheurs du MIT. Il est alors menacé de poursuites et de 35 ans de prison. A 26 ans, en janvier 2013, il se suicide par pendaison dans son appartement, un mois avant son procès pour « fraude électronique ».

Le développement du « dataism » n’et pas terminé. Il conduit aujourd’hui à considérer que ce sont les algorithmes « électro-biologiques », c'est à dire les algorithmes du vivant, qui mêlent la technologie et la biologie, qui domineront les humains « organiques ».

Les plus pessimistes (ou réalistes ?) voient dans ces évolutions une nouvelle classification des humains entre ceux qui auront accès à ces capacités techniques et les autres, le passage d’une catégorie à l’autre étant de plus en plus difficile, voire impossible.

Allons-nous vraiment perdre la capacité à penser en la confiant à des machines et au « dataism » ?

On peut essayer de se consoler en observant les comportements du passé.

Dans un journal de 1908, le Sunday Advertiser de Hawai, on pouvait lire :

« N’oubliez pas comment marcher
Le tramway, l’automobile et le chemin de fer ont rendu la locomotion si facile que les gens marchent rarement. Ils se rendent au magasin, au théâtre, à la boutique, au lieu de villégiature, de la campagne à la ville, d’une rue à l’autre, jusqu’à ce que la marche devienne presque un art perdu. Dans une génération ou deux, nous aurons oublié comment utiliser nos jambes. L’homme est par nature un animal qui marche".

Et pourtant nous n’avons toujours pas perdu l’usage de nos jambes.

Une bonne nouvelle pour notre cerveau et notre capacité à penser.

Il faudra juste, peut-être, apprendre à penser autrement grâce à l’intelligence artificielle et l’accès aux data.

Il est temps de s'y mettre alors, pour ne pas risquer d'être "déclassifié", ou "déclassé".