Les Directeurs de l'innovation sont-ils des réarrangeurs de chaises sur le Titanic ?

TitanicQuand on est fan d’innovation, rencontrer en même temps trois « Directeurs de l’Innovation » est un plaisir. C’était mon cas cette semaine (Merci à Youmeo de nous l’offrir).

L’occasion d’échanger sur tout ce qui permet l’innovation, les outils, les méthodes, l’organisation. Chacun de ces directeurs avait mis en place ses boîtes à outils, et se félicitait des résultats obtenus, lancement d’un produit nouveau, d’un service, d’un nouveau process. Passionnants retours d’expériences.

Mais cela pouvait aussi donner l’impression que tous ces outils, méthodes et organisations ressemblaient à des astuces innovantes pour réarranger les chaises sur le Titanic.

Ah bon ?

Car l’innovation en France et en Europe ne se porte pas très bien. C’est du moins le constat du rapport Draghi sur la compétitivité de l’Europe, qui a fait déjà beaucoup parler. Le diagnostic est sans appel : L’Europe est à la traîne en matière d’innovation par rapport aux Etats-Unis et à l’Asie notamment la Chine.

Un indicateur de productivité du travail présenté par le rapport montre qu’en 2020 la productivité du travail en Europe est à 80% de celle des Etats-Unis. Et ce qui explique cet écart croissant (il n’était que de 95% en 1995) ce sont d’abord les technologies numériques. L’Europe a un peu raté la révolution digitale créée par internet : pas de nouvelles entreprises technologiques significatives et moindre diffusion des technologies nouvelles dans l’économie. Et cela ne donne pas signe de s’améliorer : Si l’on regarde le développement des technologies quantiques, qui sont présentées comme la prochaine vague d’innovation, sur les dix premières entreprises technologiques qui investissent sur ce créneau, cinq sont aux Etats-Unis et quatre en Chine. Aucune n’est implantée en Europe.

Comment en est-on arrivé là ?

Le rapport Draghi y voit la cause principale dans la structure industrielle de l’Europe qui est restée statique, et a consacré l’essentiel de ses investissements sur des technologies matures et des industries où la productivité était stagnante ou en ralentissement, comme l’industrie automobile, qui a dominé les investissements en Recherche et Innovation. Dans le même temps, les Etats-Unis ont poussé les investissements dans la Tech, le hardware, le software, le secteur numérique, l’intelligence artificielle.

Autre point faible, l’éducation. L’Europe a du mal à passer de la Recherche à la commercialisation. L’Europe est forte en recherche fondamentale, mais elle ne pèse que 17% sur les dépôts de brevets (21% aux Etats-Unis, et 25% en Chine). Et le classement de l’Europe dans les tops universités n’est pas le meilleur non plus : Parmi les 50 meilleures institutions de recherche (classement établi en fonction du nombre de publications dans les revues scientifiques), la France en a trois (21 pour les Etats-Unis, 15 pour la Chine). Une des raisons mises en évidence par le rapport est le manque d’intégration de la recherche dans des « clusters » d’innovation, c’est-à-dire des réseaux comprenant des universités, des start-ups, des grandes entreprises et des VC ’s (investisseurs).

Une autre faiblesse est la trop grande dispersion des dépenses publiques en Recherche et Innovation, et le manque de concentration dans ce qui constitue les innovations de rupture, et donc une dispersion trop grandes des moyens : il suffit de comparer le budget de 256 millions d’euros pour 2024 de l’EIC (European Innovation Council)  au budget de 4,1 milliards de dollars de la DARPA (US Defence Advanced Research Projects Agency) aux Etats-Unis.

Autre coupable désigné : les barrières règlementaires qui brident les entreprises technologiques en Europe, notamment les plus jeunes (on ne compte pas moins de 270 régulateurs actifs sur les réseaux numériques parmi tous les membres de l’Europe).

Alors, on fait quoi pour s’en sortir ?

Le programme proposé par Mario Draghi reprend toutes ces faiblesses, en invoquant des actions au niveau européen comme :

  • Se focaliser sur un champ plus restreint de priorités ciblées sur les innovations de rupture,
  • Une meilleure coordination entre les Etats Membres,
  • Etablir et consolider des institutions académiques européennes sur la Recherche,
  • Faciliter le passage des inventeurs aux investisseurs,
  • Développer le financement de l’innovation très en amont (Very early-stage innovation), grâce à un réseau plus large de « business angels »,
  • La promotion au niveau européen de coordination entre industries et de partage des données pour accélérer l’intégration de l’Intelligence Artificielle dans l’industrie européenne.

Et puis, il est aussi nécessaire de prendre conscience du retard pris en Europe par nos systèmes d’éducation et de formation pour préparer les employés aux changements technologiques. Cela concerne nos étudiants, mais aussi, en grand nombre, les adultes et employés, même les plus seniors, d’aujourd’hui. Cette compétence est majoritairement nationale en Europe, mais pourrait bénéficier d’une approche européenne, par exemple pour attirer aussi des talents en dehors de l’Union Européenne, avec des visas et des programmes pour les étudiants et les chercheurs.

Dès maintenant, ces formations à grande échelle dans les entreprises deviennent urgentes.

Est-il encore possible de faire lire et mettre en œuvre ces diagnostics et recommandations sur les Titanic d’aujourd’hui, et de réveiller et bousculer les réarrangeurs de chaises, concentrés sur leurs outils et succès locaux ? Y compris les responsables publics et politiques en Europe.

Il est encore temps, si l’on en croit les conclusions positives de Mario Draghi.

Il n’y a plus qu’à…


Une expérience démocratique

DemocratiqueC’est une initiative du journal « La Croix » et de « Brut ».

Cela s’appelle « Faut qu’on parle ».

Il y a eu 6.500 inscrits dans toute la France. J’en ai fait partie. Je vous raconte.

L’idée est de proposer une expérience : rencontrer et échanger avec une personne inconnue qui a des opinions différentes des siennes.

Il fallait donc s’inscrire et répondre à neuf questions par oui ou par non, et l’algorithme sélectionnait ensuite un partenaire pour vous.

L’algorithme a trouvé pour moi un jeune homme de 29 ans qui a répondu l’inverse de moi à sept questions sur les neufs.

Nous nous rencontrons à la « Maison de la conversation », à Paris. Les salles sont pleines de duos de toutes sortes, et des journalistes de « La Croix » qui font des interviews et prennent des photos.

Il y a tous les âges, tous les styles, mais j’ai l’impression qu’il y a majoritairement des personnes plutôt seniors, et pas mal de femmes. Mon jeune binôme doit être dans les plus jeunes. A croire que ce sont les plus seniors et les femmes qui ont le moins peur de ce genre de confrontation.

« La Croix » a d’ailleurs recensé les inscrits au niveau national : 56% de femmes, âge médian de 45 ans. Et la question qui divise le plus est celle sur la semaine de quatre jours.

Bon, alors, mon jeune contradicteur ?

On commence par faire connaissance, et on se découvre des intérêts communs ; on n’aborde pas vraiment les questions du questionnaire proposé, mais on partage plutôt notre sens de la vie en général.

Il me dit être un lecteur « épanoui » du journal « La Croix », que je ne lis pratiquement jamais.

Et puis on en arrive à parler politique, ou plutôt de société et de démocratie ; il a envie de réduction de la pauvreté et des inégalités ; reste à trouver le comment ; il ne sait pas trop, en fait ; alors il fait confiance à ceux qui semblent défendre le mieux cette cause. On parle alors de liberté, et même de libéralisme. Il aimerait que le transport ferroviaire reste en dehors de la concurrence, car il craint que l’on ferme les petites lignes et gares pas assez rentables, qui pourraient survivre avec un Etat qui compenserait avec les revenus du TGV. Il n’a pas trop étudié la question. Il n’aime pas les privatisations en général non plus. Bref, l’Etat, c’est son truc, pour défendre l’intérêt général.

C’est vrai que l’on partage ce même idéal pour la démocratie, qui revendique un monde commun plus juste et plus égalitaire pour tous, dans le respect du peuple et des opinions de chacun. Mais dans ce monde commun, il reste à dire quelle part est d’intérêt public, et donc soumis à la volonté du peuple (et donc les lois, les interdictions, les services publics d'Etat), et quelle part est régie par des règles privées (la propriété privée, la liberté d’entreprendre), en gros les règles de l’économie. Et c’est vrai que les luttes démocratiques sont celles de la distribution de ces domaines.

Ce que certains croient être des questions d’intérêt privé (le niveau de salaire fixé par le patron par exemple) ou régies par les lois du marché (la spéculation financière, la détermination des prix, la libre concurrence, le libre échange), d’autres aimeraient en faire des questions d’intérêt public, et donc à réguler, à administrer, à contrôler, à interdire. Et on trouve aussi des compromis (le salaire minimum, l’interdiction de vente à perte, sanction des pratiques anticoncurrentielles). Mais il y aura toujours des partisans pour tirer dans un sens ou dans l’autre de ce fragile équilibre.

Ce débat sur la distribution entre les intérêts publics et les intérêts privés, et le rôle de l’économie, il court encore aujourd’hui. Et il divise toutes les générations. Et l’on cherchera toujours un point d’équilibre que l’on ne trouvera jamais. On peut aussi relire la fable des abeilles de Mandeville ou les discours de Robespierre, 

j'en avais déjà parlé ICI, et LUI aussi. Le débat reste ouvert.

Cette discussion a été une vraie expérience démocratique, finalement.


Souvenirs, souvenirs : une histoire d'expériences

MylenesouvenirOn le sait, une entreprise ne vend pas seulement des produits, mais aussi des services, et la composante des services a pris de plus en plus d’ampleur. Mais, après les services, on a une notion qui est devenue incontournable, c’est l’expérience. Nous sommes dans ce que l’on appelle « l’économie de l’expérience ». C’est le titre d’un livre devenu un incontournable du management, de B. Joseph Pine II et James H. Gilmore, paru en 1999. J’en avais déjà parlé ICI, dans les premiers posts de ce blog, et il figure toujours dans la colonne des lectures ci-contre.

J’ai rouvert ce livre à l’occasion d’une discussion avec les dirigeants d’une encore jeune start-up éditeur de logiciel, qui se posent des questions sur la meilleure façon de dépasser la concurrence. Est-ce par le produit ? Oui, ils y ont pensé, en améliorant toujours le logiciel. Est-ce le service ? Oui, ils y ont pensé, en améliorant ce qu’on appelle le « Customer service », le suivi des clients lors de l’utilisation du produit, et en assurant un service après-vente au plus près du besoin, en embauchant à ce poste. Mais alors, quoi faite d’autre ? Et on a parlé d’expérience. Quelle est l’expérience que vous voulez faire vivre au client ?

On ouvrait la porte vers un monde inconnu. L’expérience, mais de quoi parle-t-on ? On vend un logiciel, on n’est pas Disneyland !

On parle de marketing, ou plutôt de « marketing de l’expérience ». Il s’agit de concevoir une stratégie marketing qui vise à créer des expériences mémorables pour les consommateurs en utilisant des émotions ou des sentiments suscités par le produit et par ses caractéristiques multisensorielles. L’objectif est de créer une connexion émotionnelle entre le consommateur et la marque en offrant une expérience unique et personnalisée.

Mais on fait comment ?

Evidemment, le livre étant de 1999, on n’y parle pas de l’IPhone (2007), pas trop de Google (né en 1998), de Starbucks (à peine 2.500 dans le monde cette année-là,38.000 aujourd’hui !), et encore moins de Metaverse ou de ChatGPT, mais ce qui compte, c’est le principe et la méthode pour créer cette « experience economy ». Et les exemples et analyses aident à concevoir nos propres expériences.

  L'économie de l'expérience met l'accent en priorité sur la valeur de la création d'expériences engageantes et mémorables pour les clients, en passant de la simple vente de produits et de services à la création de liens émotionnels.

Car l’expérience ce n’est pas un service supplémentaire, ou un meilleur service, mais ce petit plus, cette petite différence, qui fait que l’on gardera mémoire et souvenir ému de cette expérience. Il s’agit donc de créer ces « expériences » qui marqueront émotionnellement le client, lui feront des impressions, selon le mot utilisé par les auteurs.

On ne parle pas d’action spécifique mais d’un ensemble qui restera en mémoire, comme un meilleur souvenir, et donnera l’envie de revenir et d’en parler autour de soi pour vous recommander.

Dans cette vision, toute entreprise est un comme un théâtre.

Cela peut tenir à de petites choses, comme ces goodies et souvenir que le client emporte et garde avec lui (porte-clé, coque de téléphone, ou autre objet).

C’est aussi pour les constructeurs de voitures, le petit bruit de la marque lorsque l’on claque la portière, permettant de reconnaître la marque à l’oreille.

C’est peut-être aussi le costume particulier des employés de l’entreprise face au client, dont on se souvient comme d’une marque de fabrique, à condition qu’elle soit originale (les costumes et cravates avec chemise unie ne marcheront plus avec le même impact, même si cela a été pendant longtemps la marque de fabrique des collaborateurs masculins d’IBM -chemise unie obligatoire, mix de couleurs et motifs interdits, surtout pas de rayures, du moins officieusement mal vus).

Evidemment, l’expérience vedette, c’est celle qui ne coûte rien, ou pas grand-chose, mais qui a un impact mémorable extraordinaire. Il faut un peu d’imagination et de créativité.

Pour trouver les bonnes expériences, il faut déjà identifier ce qui fera le thème de l’entreprise, et de la marque. Par exemple pour cet hôpital (oui, il y a aussi matière à expérience à l’hôpital, pas seulement pour les patients mais aussi les visiteurs), l’architecture et les tenues évoqueront la chaleur, le soin, le professionnalisme (Par exemple pour le professionnalisme, tous les employés portent un badge avec leurs titres et diplômes, et frappent toujours à la porte avant d’entrer dans une chambre de patient) ; Pour Disneyland, ce qui fait l’expérience, c’est aussi la propreté (dès qu’un papier traîne, un employé arrive avec pelle et balai pour le ramasser ; et maintenir tout l’espace impeccable).

Pour être impactante, la bonne expérience, c’est celle qui crée des souvenirs.

Pour s’inspirer, observons ces souvenirs que l’on achète : Oui, ces cartes postales en vacances, mais aussi ces casquettes et t-shirts lors des concerts (le merchandising des concerts est devenu une énorme machine commerciale ; on est prêt à payer beaucoup plus cher le t-shirt du concert avec la date du concert, que n’importe quel t-shirt ordinaire). Car ce qui compte dans le souvenir c’est aussi de le montrer aux autres (oui, j’y étais à ce concert ! Et on s’en parle, car l’expérience et les souvenirs, ça permet les conversations et les recommandations). C’est pourquoi dans certaines entreprises, on ne vend pas les souvenirs, on les donne en cadeau. Comme cet hôtel palace qui offre les poignées de porte des chambres richement décorées au logo de l’hôtel, signe que l’on y a bien passé une nuit de rêve.

Et si on ne trouve rien comme souvenir dans votre entreprise, c’est peut-être le signe, plus grave, que vous n’y vendez rien dont on aurait envie de se souvenir. Méfiance ! Si, par contre, vous êtes éditeur de logiciel et que l’on vous achète aussi des t-shirts et casquettes à votre logo sur votre site, c’est que l’expérience est sûrement la bonne et les souvenirs avec. Oui, oui, certains le font !

L’expérience peut aussi être dans le produit lui-même.

Je lis ICI grâce à Marie Dollé 'dont je vous recommande la newsletter), que Lego a sorti un appareil photo Polaroid en LEGO, qui ressemble dans le moindre détail à un vrai Polaroid, sauf que, bien sûr, il ne prend aucune photo ! C’est juste le geste et le souvenir de prendre une photo Polaroid que permet ce LEGO. 

Encore plus fort, et toujours ICI, le projet Flashback, qui fait revivre l’expérience de la photo argentique d’hier avec le numérique : vous prenez les photos comme sur un rouleau d’un nombre limité de photos, et vous ne recevez les photos sur l’application que 24 heures après, pour laisser le temps de vivre l’instant. On retrouve cette sensation d’antan, où l’on fait très attention à la photo qu’on va prendre (au lieu de mitrailler une infinité de photos instantanées) et d’attendre le développement. Un bon moyen de s’affranchir de notre tendance à vouloir tout tout de suite, à consommer le présent de manière obsessionnelle, à vouloir conserver le présent dans ces photos de l’IPhone, sans prendre le temps de ressentir l’instant et d’en fabriquer émotionnellement le souvenir qui nous en restera, comme une madeleine de Proust.

L’économie de l’expérience, c’est l’art de fabriquer des souvenirs.

Qui s’en souviendra ?


Créateur de contenus : métier d’avenir ?

MiquelaIl existe aujourd’hui une UMICC : Vous connaissez ?

Fondée en janvier 2023, c’est l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus. Le but c’est notamment de « promouvoir une influence responsable et transparente ». Mais c’est aussi la revendication pour les influenceurs d’être « labellisés », avec l’idée de pouvoir prétendre aux aides publiques versées à la presse (ah oui, on comprend mieux). On n’en n’est pas encore à l’obtention d’une carte de presse pour les influenceurs mais déjà ils aimeraient bien « un statut pour que notre contribution essentielle à l’information soit reconnue ».

Forcément les entreprises de presse, les vraies, froncent le nez et revendiquent, elles, de « produire une information de qualité et d’employer des journalistes, très attachés au salariat, dans des conditions sociales favorables ». On croit revivre les débats qui ont opposé, un temps, les chauffeurs de taxi et les VTC, ou les hôtels et les loueurs de Airbnb.

L’Etat s’en est mêlé aussi avec la loi du juin 2023 visant à « encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ».  La loi interdit notamment certaines publicités, et exige que les contenus promotionnels soient signalés clairement par la mention de « publicité » ou « collaboration commerciale ». Aussi que les photos retouchées ou les images virtuelles soient aussi signalées.

Créateur de contenu est devenu un métier, avec ses règles et les lois pour l’encadrer.

Difficile de dire combien ils sont, mais les marques sont maintenant incitées à ne plus s’en passer.

Preuve que c’est devenu du sérieux pour le business, le dernier numéro de la Harvard Business Review, version française y consacre un dossier et sa couverture, au titre éloquent : « Votre marque a besoin d’un influenceur (même si vous ne le savez pas encore) – Trouvez le bon profil, Optimisez votre collaboration, Gagnez en marketing d’influence »).

Une question qu’aborde ce dossier : Comment en est-on arrivé là ?

Eh oui, les plus anciens s’en rappellent. On a commencé avec les blogs, dans les années 2000, comme moi ici avec « Zone Franche », le premier post date du 10 octobre 2005 (eh oui !) et j’en suis à 977 notes depuis cette date. Les blogs, c’étaient l’opportunité pour quiconque avait accès à un ordinateur de publier des écrits. Et puis on a pu faire la même chose, dans des formats plus ou moins différents sur Twitter, Facebook, YouTube, Linkedin. C’était le boom de la création de contenus par des gens « ordinaires ». Et en même temps, la confiance dans les journaux de masse déclinait, et on croyait plus à ces témoignages plus « authentiques », plus « démocratiques ». Les réseaux sociaux, un nouveau nom, prenaient la place.

Authentiques ?

Mais voilà, devant ces réseaux et blogs qui attiraient des « followers » parfois très nombreux (voir par exemple le précurseur Hugo Travers avec « Hugo décrypte » qui adaptait les infos piquées dans les journaux mainstream comme Le Monde ou Le Figaro à un public de jeunes, et avait déjà 1 million d’abonnés sur sa chaîne YouTube en 2020; 3 millions aujourd'hui), cela a donné des idées à ceux qui pensaient quel business on pourrait en faire.

C’est à partir de là que cela a donné des idées notamment aux professionnels de la publicité et aux marques, en se disant qu’on pourrait bien « monétiser » (le mot est lâché) ces abonnés si fidèles.

Cela permettait notamment bien sûr de cibler des communautés beaucoup plus précises, car chacun de ces premiers « influenceurs » avait son type de public. Et on a commencé à envoyer des publicités sur les réseaux. Et puis, ces influenceurs n’étaient pas soumis, c’est le principe, aux règles du journalisme. Alors on peut payer un reportage, un article, en cash ou en produits gratuits, pour capturer l’attention de ces communautés.

Alors, cela donna aussi des idées à de nouveaux influenceurs, qui voyaient là un bon métier, celui de se faire panneau publicitaire masqué pour une marque, un produit. L’industrie était partie, et elle a explosé dans les années 2010 et suivantes. Des agences spécialisées dans la promotion sur les plateformes et réseaux des influenceurs se sont créées, et elles continuent à se multiplier, dans le monde entier. En France on a par exemple « Le Crayon », et plein d’autres, qui se concentrent sur le conseil aux marques et entreprises pour cibler les jeunes via des influenceurs, et faire la chasse aux clics, tout en restant intelligent (la frontière est toujours délicate).

Pour aller encore plus loin, certains influenceurs (les stars) en arrivent maintenant à lancer leurs propres produits et générer encore plus de profits pour eux-mêmes et non plus en faisant la promotion de marques et produits existants.

Et puis pour continuer, les marques créent maintenant leur propre influenceur virtuel, conçu par l’intelligence artificielle, permettant de se passer d’un vrai influenceur. C’est le cas de BMW avec Li Miquela, qui a 2,7 millions d’abonnés sur Instagram. Li Miquela n’existe pas ; c’est un avatar créé par IA (c'est la photo en tête de ce post).

Le métier prospère. Le dossier de HBR indique que, aux Etats-Unis, environ 13 millions d’individus disent travailler à plein temps comme créateurs de contenus. En France, à l’occasion de la loi sur les influenceurs, il en a été compté 150.000 actifs sur les réseaux comme YouTube, Instagram, TikTok, Facebook (avec des niveaux d’audience très variés).

Forcément, le système se structurant, cela devient de plus en plus coûteux de construire une telle « stratégie d’influence », avec des procédés sophistiqués, et parfois cela provoque aussi des flops.

HBR cite l’exemple de l’entreprise d’ultra-fast-fashion Shein, qui a payé en 2023 des influenceurs basés aux Etats-Unis pour qu’ils viennent visiter ses usines. Les contenus produits ont été étrillés par la presse (la vraie), qui les a qualifiés de propagande. Une des influenceuses de ces reportages se présentait comme « journaliste d’investigation » et vantait les conditions de travail merveilleuses dans cette entreprise.

C’est pour empêcher ces dérives que la régulation apparaît maintenant, et la France et l’Europe ne sont pas en retard sur le sujet, d’où cette loi de juin 2023 en France, qui est une transposition d’une directive européenne. Mais forcément, il y aura des contournements, car on peut aussi agir hors de France (la loi prévoit quand même que les influenceurs résidant à l'étranger hors Europe (comme à Dubaï) devront désigner un représentant légal dans l'Union Européenne et souscrire une assurance civile dans l'UE dès lors qu'ils visent un public en France).

On est loin des bloggeurs des années 2000…qui existent encore quand même, comme moi.

Est-ce signe d’innovation et de progrès ?

Forcément, les avis sont partagés. Mais il va devenir compliqué pour les entreprises de ne pas s’intéresser au phénomène.

Et les vocations de « créateur de contenu » vont sûrement s’intensifier.

A qui le tour ?


Liberté, égalité, fraternité ?

LiberteQuand on parle de l’Etat et des institutions en France, tout le monde parle de la République.

Le mot est devenu encore plus d’actualité, pourtant, à l’occasion des dernières élections législatives. En effet, c’est au nom de ce qui a été appelé un « front républicain » que se sont mis en place des accords de désistement entre des partis qui pourtant, ne cessaient auparavant de clamer qu’ils n’étaient d’accord sur rien. La justification était de « faire barrage » au Rassemblement National. Et ça a marché, au point de nous amener cette situation où personne ne sort gagnant, et les difficultés à tracer une ligne de gouvernement acceptable par une majorité de députés.

Mais c’est quoi ces « valeurs de la République » qui ont tant agité les débats ? On les connaît : Liberté, égalité, fraternité. C’est simple, non ?

Michel de Jaeghere, éditorialiste du Figaro-Histoire, nous en fournit un portrait historique dans un récent numéro du magazine. Et il a tendance à casser les idées reçues.

La République, c’est la liberté ?

Elle n’est pas cependant la démocratie. Elle exclut la monarchie héréditaire depuis Aristote, mais ne se confond pas avec une démocratie. Voire par exemple la République de Venise, qui donnait le monopole du pouvoir à quarante-deux familles patriciennes.

Et la Ière République en France, c’était plutôt la politique de la Terreur et de la dictature du Comité de salut public. C’est cette République qui, par la « loi des suspects », instaura une présomption de culpabilité de certaines catégories, telles que par exemple les émigrés et leurs familles. On lui doit aussi la « Loi de Prairial » qui prive les accusés devant le tribunal révolutionnaire d’avocats ou de témoins.

C’est Napoléon qui prendra la couronne impériale « pour la gloire comme pour le bonheur de la République ».

La République, c’est l’égalité ?

Oui, mais Michel de Jaeghere nous rappelle qu’elle a été longtemps hostile au suffrage universel. C’est en 1848, sous la IIème République, qu’il est institué, mais qu’un tiers des électeurs en sera radié deux ans plus tard (C’est Thiers qui dira que « les vrais républicains redoutent la multitude, la vile multitude, qui a perdu toutes les républiques »).

Il sera rétabli de nouveau par le Prince Président, futur Napoléon III, et amendé de nouveau par la IIIème République, en 1872, pour en exclure « les hommes sous les drapeaux ».

Et le vote des femmes ? Il a été rejeté par les républicains, craignant l’influence néfaste du clergé sur le vote des femmes, sexe faible. On doit au Général de Gaulle, en avril 1944 seulement, d’instituer le vote des femmes, malgré l’opposition des radicaux-socialistes de l’époque.

C’est aussi une loi très républicaine du 19 juillet 1934 qui disposera qu’un naturalisé français depuis moins de dix ans ne pourra pas être candidat à un mandat électif. Cela restera valable pendant les vingt-cinq premières années de la Vème République, et il faudra attendre que François Mitterrand abroge cette disposition en décembre 1983.

La République, c’est la fraternité ?

Michel de Jaeghere rappelle pourtant des moments violents notre histoire républicaine.

C’est le général Cavaignac qui sauve la IIème République en matant l’insurrection de juin 1848 : 5000 morts.

La IIIème République, c’est la aussi la période d’expansion coloniale en Afrique noire, sans pour autant donner la citoyenneté aux populations autochtones.

C’est aussi une loi du 10 août 1932, votée à l’unanimité (les socialistes et communistes s’abstenant), qui vise à protéger la main-d’œuvre nationale en limitant drastiquement l’immigration en fixant un quota de 10% de travailleurs étrangers dans les entreprises privées, 5% dans les entreprises publiques.

Objectivement, nos ancêtres ne nous montrent pas tous le plus grand respect de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

Mais alors, c’est quoi un républicain ?

Pour y croire, il vaut peut-être mieux oublier l’Histoire alors.


Le télétravail va-t-il tuer l'innovation et créer une épidémie de solitude ?

TeletravailCe n’est pas la première fois que j’entends un dirigeant se plaindre que le télétravail est un frein à l’innovation, empêchant les frottements et échanges salutaires entre collaborateurs présents physiquement ensemble.

Car ces dirigeants sont convaincus que ce sont des espaces physiques où l’on peut se rassembler qui font jaillir l’innovation. On crée même des lieux et espaces dédiés à des exercices d’idéation. C’est toujours étonnant de visiter de tels lieux, qui ressemblent souvent à du mobilier d’école maternelle, très coloré et avec des récipients de toutes sortes garnis de bonbons, chocolats et sucreries (pour sucrer le cerveau ?).

Bien sûr, il en reste qui considèrent que ces arguments n’ont pas de valeur, et que l’on peut très bien être innovant avec des réunions en visio ; Ce qui compte, c’est « l’intelligence collective » et « l’esprit d’innovation », et le lieu n’a rien à voir avec ça.

Néanmoins, le télétravail semble avoir moins la côte parmi les dirigeants aujourd’hui.

Le Figaro y consacrait un dossier cette semaine en recueillant les témoignages et pas de n’importe qui.

On comprend que ce qui fait « revenir en arrière » (c’est le titre du dossier) les patrons, c’est la crainte que le télétravail ait un impact plutôt négatif sur la productivité. En général les accords de télétravail ont été signés avec les organisations syndicales pour une durée limitée, en général trois ans, pendant le Covid. Donc, en 2024, on y est, et nombreux sont ceux qui n’ont pas envie de continuer. Publicis, cité par Le Figaro, exige maintenant de ses salariés trois jours par semaine au bureau, avec une présence obligatoire les lundis, et n’autorise plus le télétravail deux jours consécutifs (comme ça, on chasse ceux qui assimilent télétravail et week-end prolongé à la campagne).

Aux Etats-Unis, le retour en arrière est parfois encore plus brutal. Amazon a carrément annoncé à « la majorité de ses 300.000 employés » leur retour à plein temps au bureau à partir de janvier 2025. Justification du PDG : « C’est une nécessité pour que les employés soient plus aptes à inventer, à collaborer et à être suffisamment connectés les uns aux autres ».

On a compris, l’argument de l’innovation est la façon soft de chasser les fainéants qui ne bossent pas assez en télétravail.

D’autres y vont plus doucement comme L’Oréal, qui a limité à deux vendredis par mois la possibilité de télétravailler. Ou alors, sans exiger, on attire les employés les vendredis en proposant un brunch gratuit (Sanofi). D’autres, carrément, multiplient les offres au bureau de services de conciergerie, de fitness, de garderie pour animaux de compagnie. En gros, être au bureau comme chez soi.

Et puis, certains hésitent encore car cette histoire de télétravail a aussi permis de réduire les coûts d’immobilier, comme chez Stellantis. Alors revenir au plein temps au bureau, ça coûterait peut-être un peu trop cher.

Ce débat sur le télétravail est aussi un dilemme entre les jeunes et les seniors, et encore un sujet de clivage intergénérationnel. Un dirigeant d’une entreprise de jeux vidéo, cité par Le Figaro, rapporte que ses jeunes employés diplômés pendant le covid, « n’ont jamais connu autre chose que le télétravail à 100% », et aiment bien ça, alors que les plus séniors « nous disent en avoir assez d’être isolés de leurs collègues ». Bon, tout le monde ne travaille pas non plus en télétravail à 100% pour développer des jeux vidéo.

Mais quand même, selon une étude de l’APEC, « plus de la moitié des moins de 35 ans assurent qu’ils chercheraient à changer d’entreprise s’ils devaient revenir à 100% en présentiel ».

Mais cette habitude du télétravail pour les jeunes peut aussi avoir ses revers. Un dossier du Monde du 9 octobre nous alarme sur ce qu’il appelle une « épidémie de solitude » chez les jeunes de 18 à 24 ans. Selon une étude de l’IFOP, 62% des jeunes de 18-24 ans se sentent régulièrement seuls. Même chose dans une étude de janvier 2024 de la Fondation Jean Jaurès, révélant que 71% des 18-24 ans se sentent seuls. Et 63% des jeunes qui se sentent seuls déclarent en souffrir (dans l’enquête IFOP). Les sociologues auront vite fait d’accuser les réseaux sociaux, comme des alliés mais aussi des ennemis de la création de liens. L’une d’elles, cité par Le Monde indique que « avec tous ces codes de sociabilité intense qui sont rattachés à la jeunesse, on est vite stigmatisé, à ces âges, quand on est aperçu seul. Cela pousse les jeunes concernés à se mettre encore plus en retrait du monde ».

Finalement, l’entreprise, ses bureaux, ses machines à café, ses espaces où l’on peut se rencontrer « en vrai », est peut-être aussi, pour ses jeunes, et les autres, cet antidote salutaire à « l’épidémie de solitude ».


L'Etat est-il comme une entreprise ?

AssembleeComparer l’Etat à une entreprise est un vieux débat.

Entre ceux qui répondent oui, comme les patrons et dirigeants (« Si mon entreprise était gérée comme la France, elle ferait faillite. D'ailleurs, j'aurais été viré avant par mes actionnaires. Ce n'est pourtant pas compliqué de comprendre qu'on ne doit pas dépenser plus qu'on ne gagne. »). Et puis il y a les politiques, ceux qui considèrent que la politique, c’est un métier (« Cher Ami, une nation ne se gère pas comme une entreprise. On ne peut pas déchirer le tissu social, ni réformer contre la volonté des Français qui nous ont élus. »).

On peut aussi tenter de réconcilier les deux discours en considérant que l’on peut quand même essayer de gérer les affaires publiques avec la rigueur et l’efficacité des méthodes qui réussissent dans la gestion des entreprises. Le débat ressurgit en ce moment de préparation du budget de la France pour 2025, entre ceux qui veulent de l’efficacité par la réduction des dépenses et une meilleure gestion, et ceux qui veulent remettre des recettes supplémentaires en faisant « payer les riches ».

Autre comparaison qui revient souvent : l’Etat comme la gestion d’un ménage.

Pierre Gattaz, ex-Président du MEDEF, faisait remarquer ce matin que « Améliorer la compétitivité de la France, c’est réduire sa structure improductive, ses dépenses et son train de vie, comme un ménage vivant au-dessus de ses moyens ou une entreprise dont les charges dépassent le chiffre d’affaires ».

Et puis, une nouvelle métaphore a été utilisée cette semaine par…Bernard Cazeneuve, dans un entretien pour Le Monde : l’Etat et le parlement comme un conseil d’administration élu par les électeurs, comparés à des actionnaires, y compris des actionnaires activistes :

« Ceux qui conçoivent la nation comme une entreprise ont laissé les actionnaires activistes minoritaires, qui ne représentaient que 5% du capital, faire une OPA sur le gouvernement, au moment de l’assemblée générale des actionnaires, où les petits porteurs, sommés de voter, s’étaient pourtant mobilisés pour l’éviter ». Et il a même identifié le directoire et le conseil de surveillance : « Michel Barnier a été nommé président du directoire et Marine Le Pen présidente du conseil de surveillance ».

Dans la conception de l’Etat-entreprise de Bernard Cazeneuve les votes se font à « un homme, une voix » car, si l’on devait revoir ceux-ci (ça s’est déjà fait, notamment dans l’Ancien Régime) en fonction de la réelle contribution aux finances publiques, où de la part de capital détenu, comme dans une entreprise normale, on arriverait sûrement à des proportions différentes.

Comme quoi, comparaison n’est pas raison !

Comparer l’Etat à une entreprise, ça ne colle pas, pour les politiques, mais pour faire un bon mot quand ça arrange, pourquoi s’en priver.


Nostalgie mon amour

Mylene22La nostalgie, comme une idéalisation du passé, a été longtemps perçue comme négative entre le XVIIIème et le XXème siècle. Elle était même considérée comme une forme de dépression de celui qui n’arrivait pas à vivre le présent, et encore moins l’avenir.

Et puis, aujourd’hui, elle est plutôt considérée positivement par les psychologues, étant associée à des souvenirs agréables. C’est la vision de Katharina Niemeyer, chercheuse à l’université du Québec et auteur de « Nostalgies contemporaines. Médias, cultures et technologies » (2021), qui était interrogée dans Le Monde début septembre.

Pour elle ,la nostalgie peut ouvrir des perspectives nouvelles sur le passé, et être réflexive et prospective. Cela consiste à mobiliser des éléments du passé pour un meilleur présent et avenir en évitant de tomber dans une idéalisation sans nuance.

C’est un peu l’impression que donne peut-être en ce moment l’ambiance des concerts de Mylène Farmer au Stade de France (oui, j'y étais moi aussi). Oui, les chansons sont celles des jeunes années d’un public qui a, pour certains, comme la chanteuse, vieilli, mais qui reste comme envoûté par ces refrains de la « génération désenchantée », repris a capella par tous, et Mylène aux anges. Et même les plus jeunes, oui, il y en a quand même, y chantent à l'unisson.

Et les plus chanceux, ceux des premiers rangs, arrivés sur place avant tout le monde, voire ayant couché sur place dans des tentes, ont apporté un doudou, une peluche, qu’ils auront l’immense plaisir de voir ramassé sur scène par la star. Ah, ces doudous, comme ceux de notre enfance, que Mylène serrera contre son cœur. C’est trop beau !

Car, oui, cette nostalgie, c’est aussi cette communion avec une star qui a traversé le temps, mais qui nous rappelle tout ce temps passé dans lequel on se croit encore. « Je, Je, suis libertine », « sans contrefaçon, je suis un garçon, et pour un empire, je ne veux me dévêtir », on le reprend tous en cœur.

Cette nostalgie d’aujourd’hui, c’est aussi une façon de naviguer entre le passé, le présent et le futur, se servir de belles histoires pour entrevoir l’avenir avec optimisme. 

Ce qui est impressionnant c’est que cette nostalgie des années 80 et 90 de ces chansons touche aussi des jeunes générations, aussi présentes dans ces concerts, alors qu’elles ne les ont pas vécues. Citons Katharina Niemeyer : « S’imaginer vivre à une autre époque ou encore mobiliser les styles et formes d’antan est depuis toujours une possible source d’inspiration ». Car « on peut être nostalgique d’une époque que l’on n’a pas vécue sans pour autant vouloir son retour effectif ».

Pourtant, tout n’était pas si merveilleux dans les années 80 et 90, mais, toujours selon Katharine Niemeyer, « Le réel n’est jamais une donnée brute, nous le construisons cognitivement, culturellement, socialement et historiquement, et la remédiation du passé en fait partie. Il s’agit de fragments sélectionnés qui remontent à la surface et qui sont parfois idéalisés, euphémisés, mais parfois aussi de véritables sources pour un potentiel changement dans le présent ».

Voilà de quoi faire des concerts de Mylène Farmer des sources d’optimisme et de potentiel de changement pour le présent.

Car, on le sait, « Qu’on soit des filles de cocktail, belles, qu’on soit des filles des fleurs de poubelle, toutes les mêmes…On a besoin d’amour, un amour XXL »

Vive l’amour !


Beau et droit : Qui nous sauvera ?

ArbresssQu’est-ce qui va nous permettre de devenir meilleurs ?

C’était le sujet d’un dossier de « Philosophie Magazine » cet été.

Le progrès, c’est la grande idée des Lumières, au XVIIIème siècle, qui fait du progrès un horizon collectif de l’humanité. Martin Legros, dans ce dossier, rappelle l’image de la forêt d’Emmanuel Kant, dans « Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolite » (1784) : « Individuellement, l’homme est un bois tordu, obnubilé par des intérêts égoïstes, l’ambition, la domination et la cupidité, qui le poussent à faire un usage débridé de sa liberté. On ne peut tailler des poutres droites avec ce matériau-là. Cependant, grâce à l’éducation et à la pression sociale, il peut être incité à développer ses dispositions naturelles au bénéfice de tous ». Citons Kant lui-même : « Ainsi dans une forêt, les arbres, du fait même que chacun essaie de ravir à l’autre l’air et le soleil, s’efforcent à l’envi de se dépasser les uns les autres, et par suite, ils poussent beaux et droits. Mais au contraire, ceux qui lancent en liberté leurs branches à leur gré, à l’écart d’autres arbres, poussent rabougris et tordus et courbés ».

Alors, pour pousser beaux et droits, que faire aujourd’hui ?

Pour Sam Altman, fondateur d’OpenAI, inventeur de ChatGPT, c’est l’intelligence artificielle qui va nous sauver. C’est le sujet d’un article de son blog de lundi 23 septembre, qui est déjà très commenté sur le web et les réseaux sociaux.

Pour Sam Altman, nous sommes proches de la superintelligence, dans « quelques milliers de jours ». Et il nous prévient, avec avidité, tout va s’accélérer encore. Il nous annonce « l’ère de l’intelligence », qui va générer une prospérité inimaginable et résoudre des problèmes mondiaux : « nous pourrons bientôt travailler avec une IA qui nous aidera à accomplir beaucoup plus de choses que nous n'aurions jamais pu le faire sans elle ; un jour, nous pourrons tous avoir une équipe d'IA personnelle, composée d'experts virtuels dans différents domaines, qui travailleront ensemble pour créer presque tout ce que nous pourrons imaginer. Nos enfants auront des tuteurs virtuels capables de leur fournir un enseignement personnalisé dans n'importe quelle matière, dans n'importe quelle langue et à n'importe quel rythme. Nous pouvons imaginer des idées similaires pour améliorer les soins de santé, la capacité de créer tous les types de logiciels possibles et imaginables, et bien plus encore. »

L’avenir qui nous attend est formidable : « Des triomphes stupéfiants - réparer le climat, établir une colonie spatiale et découvrir toute la physique - finiront par devenir monnaie courante. Avec une intelligence presque illimitée et une énergie abondante - la capacité de générer de grandes idées et la capacité de les réaliser - nous pouvons faire beaucoup de choses. »

Il y en a quand même certains qui en doutent, considérant que « Sam Altman nous vend du rêve ». 

Avec l’idée derrière la tête de nous pousser ses logiciels, qui cherchent encore leur modèle économique. Sans parler de ceux qui le prennent carrément pour « un clown » comme les commentaires dans cet article.

Mais pour devenir meilleur, nous avons eu aussi cet été, en plein mois de juillet, une lettre surprenante, signée, eh oui, par le Pape François.

Que nous dit cette lettre ?

Elle nous parle du « rôle de la littérature dans la formation ».

Car « un bon livre devient une oasis qui nous éloigne d’autres choix qui ne nous feraient pas du bien » : pense-t-il aux écrans, aux réseaux sociaux, aux médias audiovisuels ? Sûrement : « Contrairement aux médias audiovisuels où le produit est plus complet et où la marge et le temps pour « enrichir » le récit et l’interpréter sont généralement réduits, le lecteur est beaucoup plus actif dans la lecture d’un livre. Il réécrit en quelque sorte l’œuvre, l’amplifie avec son imagination, crée un monde, utilise ses capacités, sa mémoire, ses rêves, sa propre histoire pleine de drames et de symboles ».

Et le Pape nous parle aussi de désir : « La littérature a donc à voir, d’une manière ou d’une autre, avec ce que chacun désire de la vie ». « C’est donc à cela que « sert » la littérature : à « développer » les images de la vie ».

Et plutôt que d’accélérer, le Pape aimerait nous voir ralentir : « Il est donc nécessaire et urgent de contrebalancer cette accélération et cette simplification inévitables de notre vie quotidienne en apprenant à prendre de la distance par rapport à l’immédiat, à ralentir, à contempler et à écouter. Cela peut se produire lorsqu’une personne s’arrête librement pour lire un livre ».

La littérature comme aide à la digestion : « La littérature nous aide à dire notre présence au monde, à la « digérer » et à l’assimiler en saisissant ce qui va au-delà de la surface du vécu ».

 Aussi pour briser les idoles : « La littérature aide le lecteur à briser les idoles des langages autoréférentiels faussement autosuffisants, statiquement conventionnels. (…) La parole littéraire est celle qui met en mouvement, libère et purifie le langage ».

Alors, pour pousser beaux et droits, ferons nous confiance aux prédictions de Sam Altman qui nous promet des triomphes stupéfiants, ou suffira-t-il de suivre les conseils du Pape de prendre la distance par rapport à l’immédiat grâce à la littérature.

On aimerait bien un peu des deux, peut-être…


Seniors aux commandes

VieuxQuand on parle des seniors, il y a un poste où les seniors ont la côte et s’accrochent, c’est celui de patron.

En mai 2024, l’assemblée générale de l’entreprise de conseil informatique aux 58.000 salariés, Sopra Steria, a repoussé la limite d’âge du président de 89 ans à 95 ans, permettant ainsi au président Pierre Pasquier, 89 ans, fondateur du Groupe Sopra en 1968 (fusionné avec Steria en 2015) de rester président.

C’est encore en-dessous de Warren Buffet, 94 ans, toujours président de son Groupe Berkshire Hathaway.

Le Monde indiquait, dans un reportage sur la place des seniors, la semaine dernière, que 27,6% des dirigeants de PME et ETI françaises avaient à leur tête, en 2024, un dirigeant de plus de 60 ans. Pour les dirigeants de grandes entreprises françaises, l’âge moyen est de 57 ans (il était à 55 il y a deux ans).

Au moment où l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies viennent transformer les entreprises, on pourrait se dire que c’est un inconvénient, en faisant l’hypothèse que les seniors ne sont pas capables de suivre la cadence. Mais ce n’est pas si certain. La recherche académique a déjà montré que l’appétit au risque et à l’innovation diminue effectivement à mesure que le PDG vieillit, mais, à l’inverse, les jeunes loups auront plus tendance à investir davantage et à être plus innovants, et, en sens inverse, la probabilité qu’ils « plantent » l’entreprise est plus élevée.

Alors l’expérience, celle que l’on suppose chez les plus seniors, devient une valeur sûre pour apporter la mesure et le recul face à un monde de plus en plus complexe, selon les chasseurs de tête interrogés par Le Monde dans ce reportage.

Et puis, ce que ne dit pas Le Monde, c’est que le dirigeant n’est pas tout seul non plus, même dans les PME. Et la bonne dose d’intergénérationnel apporte aussi les échanges et l’intelligence collective de l’ensemble. A condition de ne pas trop se figer dans les postures de préjugés (oui, les vieux sont des vieux cons, et les jeunes sont des imbéciles qui ne veulent pas travailler, on connaît, non ?).

Une autre pratique, c’est de découpler les postes de président et de directeur général : le directeur général, le jeune (enfin, pas forcément si jeune) qui prend les initiatives audacieuses, et le président qui incarne la sagesse.

Ce que nous dit aussi le reportage du Monde, c’est que les vieux vont être de plus en plus nombreux dans notre société. La durée de vie s’allonge, et on fait de moins en moins de bébés. Le pire, c’est le Japon : en dix ans, il a perdu en moyenne chaque année 1% de sa population âgée de 16 à 65 ans. Au point que la société japonaise Oji Holdings a annoncé récemment qu’elle cessait de fabriquer des couches pour bébé, et va se concentrer sur le marché nettement plus porteur des couches pour adultes. De même, le Japon a réduit la vitesse des escalators de 15%, par une loi, pour faciliter la vie des personnes âgées.

En France, on en prend le chemin. En 2024, plus d’un habitant sur cinq (21,5%), soit 14,7 millions de personnes, a plus de 65 ans. Et le nombre de naissances a été de 678.000 en 2023, soit 20% de moins qu’en 2010.

Alors l’impact sur les dépenses publiques est connu : les retraites représentent aujourd’hui un quart des dépenses publiques en France. La santé et l’invalidité pèsent, elles, un peu plus d’un cinquième. Et cela, logiquement, au détriment de l’éducation qui ne reçoit que 9% des dépenses. En 1981, la France comptait 5 millions de retraités, aujourd’hui c’est 17 millions, et la prévision pour 2050 est 23 millions.

Alors, cela influence aussi les choix politiques : alors que les salariés, en moyenne, ont vu leur rémunération augmenter moins vite que les prix, le gouvernement français a choisi d’augmenter les retraites de 5,3% pour compenser l’inflation (soit 14 millions d’euros). Car les politiques savent bien que les plus âgés vont deux fois plus aux urnes que les jeunes. Et donc le système français fait une redistribution intergénérationnelle à l’envers.

Est-ce à dire que dans notre pays les seniors sont les rois ?

Pas si sûr sur le marché du travail, où dans les entreprises, encore aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de préférence pour les vieux, à part les patrons.

On a le temps de voir la suite. On estime que les centenaires en France seront 200.000 en 2070 (contre 30.000 aujourd’hui).