Automate

MarionnetteIls sont jeunes et brillants, ils ont adoré les études et les classes de Prépa, ils ont réussi le concours de l’école de commerce, et là, ils s’y ennuient. Cela ne les intéresse plus tant que ça ; que vaut le marketing, la compta ou la finance, par rapport à la philosophie, la littérature, l’Histoire ? Le choc est parfois rude.

Pour d’autres, c’est l’entrée dans la vie professionnelle qui est un choc : ce sentiment que ce travail où l’on doit faire des reporting et des présentations Powerpoint sous le contrôle d’un chef, des reporting et des présentations dont on ne sait même pas qui les lit, quel ennui.

C’est ce sentiment qu’évoque, avec une bonne dose de vécu autobiographique, Valentin Grégoire, jeune auteur de 30 ans, dans son roman « L’automate ».

Ce qui l’a amené à écrire ce roman, qu’il a travaillé pendant deux ans en 2021 et 2022, c’est cette impression de perdre toute réflexion intellectuelle dans le monde du travail où l’on vous demande d’appliquer des « process » rôdés sans réfléchir. Ce monde des « process » et procédures que l’entreprise déploie pour être performante et efficace, bien sûr. Pourquoi réinventer ce qui marche ?

C’est ce qui arrive au héros de ce roman ; c’est lui « l’automate », qui exécute le travail demandé, tous ces reporting sans sens, sans résister. On comprend que ce qui infantilise et déshumanise, dans cette vision, ce n’est pas la technologie mais le travail lui-même et le mode de management des chefs. C’est Charlot et les « Temps modernes » au pays des jeunes cadres de 2025.

Les anecdotes sont nombreuses, sûrement souvent des souvenirs d’expériences concrètes. Ce chef qui relit les travaux de ce jeune embauché en se gavant de chocolats, et qui, considérant le travail avec satisfaction, pense quand même à lui en offrir un.  Et le jeune embauché qui se demande si ce manager ne le prend pas pour un animal domestique.

Et cette frustration de ne pas savoir pourquoi on travaille : « Le travail fourni tout au long de ces deux journées était donc achevé, et quelqu’un d’autre allait en assurer la continuité. C’était une sorte de passage de relais, même si R. allait perdre définitivement de vue le témoin. Bien sûr, il ne s’était pas imaginé qu’il allait lui-même défendre ses résultats auprès du comité de direction ; cependant, ne pas savoir quelle était la finalité de son travail et ce à quoi tout cela allait servir le frustrait un peu. Il avait été une sorte de rouage dans la chaîne de décision et lui, encore trop junior, ne pouvait ambitionner le moment pour le moment d’être en bout de celle-ci ».

Autre anecdote révélatrice, ce moment où le jeune débutant essaye de résoudre un problème de données, et qui se voit renvoyé d’un service à l’autre, personne ne voulant s’en sentir responsable. Jusqu’à ce qu’un collègue malin lui suggère « si tu veux éviter qu’on te fasse tourner en bourrique trop longtemps, mets ton manager en copie de tes mails. Sinon, ils se défausseront, ou ils ne te répondront même pas ». Sage conseil, qui permettra effectivement d’obtenir les réponses qu’il n’arrivait pas à avoir. Image révélatrice des rapports d’obéissance et d'influence dans l’entreprise. La peur des chefs.

La deuxième partie du roman prend la forme d’un « journal » où le héros couche ses états d’âme, et aussi ceux de ses collègues, dont celui d’Ariane, qui, elle, ne supporte plus le travail : « J’ai cette impression, depuis mon arrivée, qui s’amplifie à mesure que les jours se succèdent ici, de vivre dans un monde artificiel, coupé de la vraie vie et emmuré dans une bulle de béton. Rien ne me paraît réel ici, tout est factice, impalpable, gazeux. Il m’arrive de me sentir fantôme, fantôme de ma propre vie, où j’obéis à des règles, à des habitudes fabriquées par d’autres, mais où rien n’est décidé par moi-même, par ma seule volonté, par mon seul désir. J’ai l’impression de vivre en plages horaires, où le déroulement du jour est séquencé, découpé en de petites rondelles de temps où chacune a sa propre fonction, son propre mode, où tout est prévu d’avance et où les secondes sont comptées, précieuses, omniprésentes à l’esprit – bien trop présentes ». Elle va démissionner.

Lui, en bon automate, continue à suivre le mouvement ; mais la troisième partie est une sorte de twist qui modifie d’un coup notre lecture. Malin, Valentin.

Au moment où les discours dans l’entreprise sont de vanter le management humaniste, la raison d’être, le sens, ce roman vient comme une petite douche froide nous rappeler que, vécue par les jeunes diplômés de nos brillantes écoles, l’entrée dans la vie professionnelle de l’entreprise n’est pas aussi rose.

Peut-être que ces témoignages des nouvelles générations permettront aussi de continuer à faire bouger nos modes de management afin de mieux les intégrer. Même si, heureusement, toutes les entreprises et tous les managers ne ressemblent pas tous à ce que décrit ce roman.

Ce roman sur le vif est quand même aussi l’occasion de remises en cause pour certains.

A lire et à faire lire.

Merci Valentin !


Qu'est-ce qui fait la force ?

Lion2Pour bien diriger il faut de la force, de l’autorité. C’est du moins ce que l’on pourra retenir de l’année 2024 en matière géopolitique. C’est le constat que fait Nicolas Baverez dans une tribune du Figaro de lundi. L’année 2024 « a accouché d’un monde d’hommes forts, surplombé par la figure de Donald Trump, dont l’influence pèse sur la planète avant même sa prise de fonction. L’année 2025 consacrera cette nouvelle donne où le commerce, le droit et la diplomatie sont soumis à la loi du plus fort ».

La logique du système mondial pour 2025, toujours selon Nicolas Baverez, c’est la fragmentation, la confrontation et la brutalisation.

Alors les rock star d’hier, chantres du multiculturalisme et de la tolérance, comme Justin Trudeau, qui vient de démissionner, c’est fini.

 Mais alors, dans nos entreprises, c’est quoi la tendance ?

Ce serait plutôt l’inverse en ce moment. Prenons Stellantis, marqué par les années Carlos Tavares, celui qui se proclamait « psychopathe de la performance », obsédé par une vision autoritaire de la performance. C’est John Elkann qui le remplace en interim du Comité Exécutif, et apparemment le style a changé. Le Figaro titrait « Champagne, câlinothérapie…Chez Stellantis, la méthode Elkann pour solder l’ère Tavares ».

Et on y apprend que celui-ci a réuni les 130 cadres de direction du Groupe à la cantine du centre de recherche et développement pour sabler le champagne, une première chez Stellantis. Les cadres n’en sont pas revenus. Du changement par rapport à « l’austère Tavares ».

Ils perçoivent aussi du changement dans l’organisation, avec la volonté de décentraliser (là encore ce serait l’inverse de la tendance en politique) : « Très verticale, elle va s’aplatir ».

Et il va y avoir du changement à prévoir aussi dans le style de management, comme le rapporte au Figaro un des cadres syndicaliste : « Sous Tavares, c’était le petit doigt sur la couture du pantalon. Il ne savait pas déléguer, il était craint et donnait l’impression d’aimer être « le boss ». Aujourd’hui la pression s’est relâchée ».

Le temps du patron admiré de tous pour la performance et ce management viril semble vraiment disparu.

Aujourd’hui, être bon patron, c’est parler un peu plus d’humain, d’humilité.

Autre communication dans le même style, celle de la nouvelle directrice générale du Groupe Picard Surgelés, Cécile Guillou, dans un entretien fin décembre, explique : « Si un collaborateur souhaite me parler, mon bureau lui est toujours ouvert ». « Arriver dans une entreprise sans avoir au préalable pris son pouls, cela nécessite de tisser de la confiance rapidement. C’est cela que j’ai créé, car, quand on prend tous la même direction et que l’on est soudés, on traverse plus facilement les tempêtes. ».

Et puis les équipes, c’est important : « Quand on avance, il est indispensable de se retourner pour voir si les équipes suivent ». Et le Figaro ajoute que ces équipes, justement, étaient « bousculées par une précédente direction aux méthodes moins rondes ».

Mais alors, si on est devenu câlinothérapeute et plus rond, ça risque de faire flancher la performance ? Non, car, comme le rapporte un cadre du Groupe cité par Le Figaro, « Cécile est certes dans le jeu collectif, qui est sa marque de fabrique, mais son exigence et la pression sont bien là. C’est utile, car maintenant que Picard est sorti de son sommeil, il ne faudrait pas que la recherche de consensus se fasse au détriment de la prise de décision ».

Chez Stellantis aussi, on reste prudents, selon Le Figaro : « Aujourd’hui, beaucoup s’interrogent sur les leviers que vont utiliser les actionnaires pour continuer de profiter de la machine à cash que Carlos Tavares avait inventée », car « même avec un management moins raide, il faudra encore serrer les coûts. Les actionnaires comptent sur le premier d’entre eux, John Elkann, pour veiller au grain ».

Finalement, n’est-ce pas Napoléon Bonaparte qui aurait le dernier mot, à qui on attribue la formule « Il faut mener les hommes avec une main de fer dans un gant de velours », expression déjà utilisée par Mazarin, et de nombreux politiques.

En ce moment, le velours a la côte ; mais le fer n’est pas trop loin…


Violence à l'Assemblée

Boissy123C’est en octobre 1793 qu’est institué un nouveau calendrier, « révolutionnaire », on dira « républicain », par la Convention nationale, élue en 1792 ; Convention qui siège, à l’époque, dans le jardin des Tuileries (Notre bâtiment de l’Assemblée Nationale, le Palais Bourbon, confisqué comme bien d’émigré en 1791, ne sera lieu de l’Assemblée qu’à partir de 1798).

 Dans ce calendrier, Thermidor correspond au onzième mois, du 19 ou 20 juillet au 17 ou 18 août, et tire son nom « de la chaleur tout à la fois solaire et terrestre qui embrase l'air de juillet en août ».

Ce nom de Thermidor a surtout marqué l’histoire par la journée du 9 Thermidor An II. C’est ce jour-là, soit le 27 juillet 1794, que les députés de la Convention se lancent dans un réquisitoire brutal contre Robespierre, et votent contre lui et ses fidèles à l’unanimité. Et ils sont immédiatement, sans procès, et presque sans jugement, conduits à l’échafaud. Le 10 Thermidor, Robespierre n’est plus.

Ainsi débute cette période de l’An III, que l’on a appelée thermidorienne, par un renversement contre la Terreur qui a sévi lors de l’An II.

Avec Thermidor, on entre dans une nouvelle époque de la Révolution, qui se veut une redéfinition de la Révolution pour mieux la finir. Ce qui va servir de ligne directrice aux thermidoriens, on dirait aujourd’hui les modérés, c’est un mot prononcé à la tribune de la Convention dès le 11 fructidor An II (28 août 1794) par le député Tallien : « La justice est à l’ordre du jour ». C’est maintenant la justice et le droit qui vont être mis en avant, et non plus l’arbitraire de la Terreur, dans un esprit modéré, réparateur, et plus respectueux du droit ordinaire. Ce sera le temps de la réforme de la justice politique, de la réintégration des girondins proscrits dans la période précédente, de la clémence manifestée par l’amnistie en Vendée.

Mais voilà, ce sentiment de bien faire, avec des députés qui se sentent moralement et psychologiquement du parti du peuple, en voulant agir pour son bien, va rencontrer un phénomène de ce que l’on peut appeler « grogne sociale » : le peuple a faim, et la famine va réveiller les esprits.

C’est la célèbre journée du 1er Prairial An III (20 mai 1795) où, dès cinq heures du matin, des sans-culottes forcent les portes de plusieurs églises de Paris pour sonner le tocsin, signal de la révolte. Et ce sont 60.000 hommes et femmes qui marchent sur la Convention aux cris de « Du pain ou la mort », écrits à la main sur les chapeaux.

Les insurgés vont alors envahir la Convention. Le député Féraud tente de les repousser ; il a la tête tranchée, et les rebelles vont promener sa tête au bout d’une pique à travers l’assemblée et les salles avoisinantes pendant des heures.

A 21 heures, les conventionnels sont invités à se regrouper au pied de la tribune pour voter, de force, les décrets préparés par les insurgés, qui exigent de donner du pain au peuple, mettre en liberté les patriotes, arrêter les « coupables de crime de lèse-nation, et de tyrannie envers le Peuple », et aussi abolir le Gouvernement révolutionnaire, et réunir les assemblées primaires pour de nouvelles élections. Le vote doit s’effectuer en levant son chapeau en l’air.

L’Histoire retient l’attitude du député Boissy d’Anglas, président de la Convention, qui sera considéré comme le défenseur de la liberté : Sous la menace des piques, les baïonnettes braquées sur lui, il refuse de mettre aux voix les décrets et exige que la foule se retire. A ceux qui lui brandissent la tête du député Féraud, il répond par un geste qui est resté célèbre. Il ôte son chapeau et s’incline religieusement devant la tête décapitée de son collègue. C’est ce qui est représenté dans plusieurs tableaux dont le tableau de Joseph-Désiré Court, ou celui de Joseph-Auguste Tellier ou encore  celui de Fragonard.

A plusieurs reprises, les députés de la Convention ont prêté serment, à l’approche des insurgés, de ne pas quitter la Convention en cas d’attaque et de mourir à leur poste plutôt que de voir tomber le pays entre les mains des rebelles et anciens terroristes de la Terreur. Néanmoins, certains députés, ceux dits de la Montagne, vont se rallier à la cause des rebelles, une façon pour eux de tenter d’anéantir les réformes thermidoriennes qu’ils combattaient depuis un an.

Pour finir, vers 23 heures, ce sont les troupes de la Garde nationale fidèles au pouvoir, qui vont cerner la Convention, prêtes à intervenir. Et vers minuit, les organisateurs de la défense de l’assemblée pénètrent dans la salle des séances et font évacuer les groupes de sans-culottes encore présents.

Après ces évènements, un des secrétaires de l’assemblée se saisit de la liasse de papiers sur lesquels figurent les décrets des sans-culottes, tâchés de sang, et déclarés entachés de nullité, et les brûle.

S’en suivra une répression sévère et exemplaire. Une commission militaire est instituée le 4 Prairial pour juger les auteurs de l’insurrection ; Elle prononce 36 condamnations à mort, dont 6 à l’encontre des députés montagnards accusés de complicité avec les insurgés.

C’était il y a 230 ans ; ça remuait à l’Assemblée nationale, encore plus qu’aujourd’hui, quoique…

Espérons que nous ne reverrons pas de tels évènements comparables.

(J’ai trouvé le récit de cette journée dans l’excellent ouvrage de Loris Chavanette, « Quatre-vingt quinze – La Terreur en procès » (2017)).


Les Directeurs de l'innovation sont-ils des réarrangeurs de chaises sur le Titanic ?

TitanicQuand on est fan d’innovation, rencontrer en même temps trois « Directeurs de l’Innovation » est un plaisir. C’était mon cas cette semaine (Merci à Youmeo de nous l’offrir).

L’occasion d’échanger sur tout ce qui permet l’innovation, les outils, les méthodes, l’organisation. Chacun de ces directeurs avait mis en place ses boîtes à outils, et se félicitait des résultats obtenus, lancement d’un produit nouveau, d’un service, d’un nouveau process. Passionnants retours d’expériences.

Mais cela pouvait aussi donner l’impression que tous ces outils, méthodes et organisations ressemblaient à des astuces innovantes pour réarranger les chaises sur le Titanic.

Ah bon ?

Car l’innovation en France et en Europe ne se porte pas très bien. C’est du moins le constat du rapport Draghi sur la compétitivité de l’Europe, qui a fait déjà beaucoup parler. Le diagnostic est sans appel : L’Europe est à la traîne en matière d’innovation par rapport aux Etats-Unis et à l’Asie notamment la Chine.

Un indicateur de productivité du travail présenté par le rapport montre qu’en 2020 la productivité du travail en Europe est à 80% de celle des Etats-Unis. Et ce qui explique cet écart croissant (il n’était que de 95% en 1995) ce sont d’abord les technologies numériques. L’Europe a un peu raté la révolution digitale créée par internet : pas de nouvelles entreprises technologiques significatives et moindre diffusion des technologies nouvelles dans l’économie. Et cela ne donne pas signe de s’améliorer : Si l’on regarde le développement des technologies quantiques, qui sont présentées comme la prochaine vague d’innovation, sur les dix premières entreprises technologiques qui investissent sur ce créneau, cinq sont aux Etats-Unis et quatre en Chine. Aucune n’est implantée en Europe.

Comment en est-on arrivé là ?

Le rapport Draghi y voit la cause principale dans la structure industrielle de l’Europe qui est restée statique, et a consacré l’essentiel de ses investissements sur des technologies matures et des industries où la productivité était stagnante ou en ralentissement, comme l’industrie automobile, qui a dominé les investissements en Recherche et Innovation. Dans le même temps, les Etats-Unis ont poussé les investissements dans la Tech, le hardware, le software, le secteur numérique, l’intelligence artificielle.

Autre point faible, l’éducation. L’Europe a du mal à passer de la Recherche à la commercialisation. L’Europe est forte en recherche fondamentale, mais elle ne pèse que 17% sur les dépôts de brevets (21% aux Etats-Unis, et 25% en Chine). Et le classement de l’Europe dans les tops universités n’est pas le meilleur non plus : Parmi les 50 meilleures institutions de recherche (classement établi en fonction du nombre de publications dans les revues scientifiques), la France en a trois (21 pour les Etats-Unis, 15 pour la Chine). Une des raisons mises en évidence par le rapport est le manque d’intégration de la recherche dans des « clusters » d’innovation, c’est-à-dire des réseaux comprenant des universités, des start-ups, des grandes entreprises et des VC ’s (investisseurs).

Une autre faiblesse est la trop grande dispersion des dépenses publiques en Recherche et Innovation, et le manque de concentration dans ce qui constitue les innovations de rupture, et donc une dispersion trop grandes des moyens : il suffit de comparer le budget de 256 millions d’euros pour 2024 de l’EIC (European Innovation Council)  au budget de 4,1 milliards de dollars de la DARPA (US Defence Advanced Research Projects Agency) aux Etats-Unis.

Autre coupable désigné : les barrières règlementaires qui brident les entreprises technologiques en Europe, notamment les plus jeunes (on ne compte pas moins de 270 régulateurs actifs sur les réseaux numériques parmi tous les membres de l’Europe).

Alors, on fait quoi pour s’en sortir ?

Le programme proposé par Mario Draghi reprend toutes ces faiblesses, en invoquant des actions au niveau européen comme :

  • Se focaliser sur un champ plus restreint de priorités ciblées sur les innovations de rupture,
  • Une meilleure coordination entre les Etats Membres,
  • Etablir et consolider des institutions académiques européennes sur la Recherche,
  • Faciliter le passage des inventeurs aux investisseurs,
  • Développer le financement de l’innovation très en amont (Very early-stage innovation), grâce à un réseau plus large de « business angels »,
  • La promotion au niveau européen de coordination entre industries et de partage des données pour accélérer l’intégration de l’Intelligence Artificielle dans l’industrie européenne.

Et puis, il est aussi nécessaire de prendre conscience du retard pris en Europe par nos systèmes d’éducation et de formation pour préparer les employés aux changements technologiques. Cela concerne nos étudiants, mais aussi, en grand nombre, les adultes et employés, même les plus seniors, d’aujourd’hui. Cette compétence est majoritairement nationale en Europe, mais pourrait bénéficier d’une approche européenne, par exemple pour attirer aussi des talents en dehors de l’Union Européenne, avec des visas et des programmes pour les étudiants et les chercheurs.

Dès maintenant, ces formations à grande échelle dans les entreprises deviennent urgentes.

Est-il encore possible de faire lire et mettre en œuvre ces diagnostics et recommandations sur les Titanic d’aujourd’hui, et de réveiller et bousculer les réarrangeurs de chaises, concentrés sur leurs outils et succès locaux ? Y compris les responsables publics et politiques en Europe.

Il est encore temps, si l’on en croit les conclusions positives de Mario Draghi.

Il n’y a plus qu’à…


Une expérience démocratique

DemocratiqueC’est une initiative du journal « La Croix » et de « Brut ».

Cela s’appelle « Faut qu’on parle ».

Il y a eu 6.500 inscrits dans toute la France. J’en ai fait partie. Je vous raconte.

L’idée est de proposer une expérience : rencontrer et échanger avec une personne inconnue qui a des opinions différentes des siennes.

Il fallait donc s’inscrire et répondre à neuf questions par oui ou par non, et l’algorithme sélectionnait ensuite un partenaire pour vous.

L’algorithme a trouvé pour moi un jeune homme de 29 ans qui a répondu l’inverse de moi à sept questions sur les neufs.

Nous nous rencontrons à la « Maison de la conversation », à Paris. Les salles sont pleines de duos de toutes sortes, et des journalistes de « La Croix » qui font des interviews et prennent des photos.

Il y a tous les âges, tous les styles, mais j’ai l’impression qu’il y a majoritairement des personnes plutôt seniors, et pas mal de femmes. Mon jeune binôme doit être dans les plus jeunes. A croire que ce sont les plus seniors et les femmes qui ont le moins peur de ce genre de confrontation.

« La Croix » a d’ailleurs recensé les inscrits au niveau national : 56% de femmes, âge médian de 45 ans. Et la question qui divise le plus est celle sur la semaine de quatre jours.

Bon, alors, mon jeune contradicteur ?

On commence par faire connaissance, et on se découvre des intérêts communs ; on n’aborde pas vraiment les questions du questionnaire proposé, mais on partage plutôt notre sens de la vie en général.

Il me dit être un lecteur « épanoui » du journal « La Croix », que je ne lis pratiquement jamais.

Et puis on en arrive à parler politique, ou plutôt de société et de démocratie ; il a envie de réduction de la pauvreté et des inégalités ; reste à trouver le comment ; il ne sait pas trop, en fait ; alors il fait confiance à ceux qui semblent défendre le mieux cette cause. On parle alors de liberté, et même de libéralisme. Il aimerait que le transport ferroviaire reste en dehors de la concurrence, car il craint que l’on ferme les petites lignes et gares pas assez rentables, qui pourraient survivre avec un Etat qui compenserait avec les revenus du TGV. Il n’a pas trop étudié la question. Il n’aime pas les privatisations en général non plus. Bref, l’Etat, c’est son truc, pour défendre l’intérêt général.

C’est vrai que l’on partage ce même idéal pour la démocratie, qui revendique un monde commun plus juste et plus égalitaire pour tous, dans le respect du peuple et des opinions de chacun. Mais dans ce monde commun, il reste à dire quelle part est d’intérêt public, et donc soumis à la volonté du peuple (et donc les lois, les interdictions, les services publics d'Etat), et quelle part est régie par des règles privées (la propriété privée, la liberté d’entreprendre), en gros les règles de l’économie. Et c’est vrai que les luttes démocratiques sont celles de la distribution de ces domaines.

Ce que certains croient être des questions d’intérêt privé (le niveau de salaire fixé par le patron par exemple) ou régies par les lois du marché (la spéculation financière, la détermination des prix, la libre concurrence, le libre échange), d’autres aimeraient en faire des questions d’intérêt public, et donc à réguler, à administrer, à contrôler, à interdire. Et on trouve aussi des compromis (le salaire minimum, l’interdiction de vente à perte, sanction des pratiques anticoncurrentielles). Mais il y aura toujours des partisans pour tirer dans un sens ou dans l’autre de ce fragile équilibre.

Ce débat sur la distribution entre les intérêts publics et les intérêts privés, et le rôle de l’économie, il court encore aujourd’hui. Et il divise toutes les générations. Et l’on cherchera toujours un point d’équilibre que l’on ne trouvera jamais. On peut aussi relire la fable des abeilles de Mandeville ou les discours de Robespierre, 

j'en avais déjà parlé ICI, et LUI aussi. Le débat reste ouvert.

Cette discussion a été une vraie expérience démocratique, finalement.


Souvenirs, souvenirs : une histoire d'expériences

MylenesouvenirOn le sait, une entreprise ne vend pas seulement des produits, mais aussi des services, et la composante des services a pris de plus en plus d’ampleur. Mais, après les services, on a une notion qui est devenue incontournable, c’est l’expérience. Nous sommes dans ce que l’on appelle « l’économie de l’expérience ». C’est le titre d’un livre devenu un incontournable du management, de B. Joseph Pine II et James H. Gilmore, paru en 1999. J’en avais déjà parlé ICI, dans les premiers posts de ce blog, et il figure toujours dans la colonne des lectures ci-contre.

J’ai rouvert ce livre à l’occasion d’une discussion avec les dirigeants d’une encore jeune start-up éditeur de logiciel, qui se posent des questions sur la meilleure façon de dépasser la concurrence. Est-ce par le produit ? Oui, ils y ont pensé, en améliorant toujours le logiciel. Est-ce le service ? Oui, ils y ont pensé, en améliorant ce qu’on appelle le « Customer service », le suivi des clients lors de l’utilisation du produit, et en assurant un service après-vente au plus près du besoin, en embauchant à ce poste. Mais alors, quoi faite d’autre ? Et on a parlé d’expérience. Quelle est l’expérience que vous voulez faire vivre au client ?

On ouvrait la porte vers un monde inconnu. L’expérience, mais de quoi parle-t-on ? On vend un logiciel, on n’est pas Disneyland !

On parle de marketing, ou plutôt de « marketing de l’expérience ». Il s’agit de concevoir une stratégie marketing qui vise à créer des expériences mémorables pour les consommateurs en utilisant des émotions ou des sentiments suscités par le produit et par ses caractéristiques multisensorielles. L’objectif est de créer une connexion émotionnelle entre le consommateur et la marque en offrant une expérience unique et personnalisée.

Mais on fait comment ?

Evidemment, le livre étant de 1999, on n’y parle pas de l’IPhone (2007), pas trop de Google (né en 1998), de Starbucks (à peine 2.500 dans le monde cette année-là,38.000 aujourd’hui !), et encore moins de Metaverse ou de ChatGPT, mais ce qui compte, c’est le principe et la méthode pour créer cette « experience economy ». Et les exemples et analyses aident à concevoir nos propres expériences.

  L'économie de l'expérience met l'accent en priorité sur la valeur de la création d'expériences engageantes et mémorables pour les clients, en passant de la simple vente de produits et de services à la création de liens émotionnels.

Car l’expérience ce n’est pas un service supplémentaire, ou un meilleur service, mais ce petit plus, cette petite différence, qui fait que l’on gardera mémoire et souvenir ému de cette expérience. Il s’agit donc de créer ces « expériences » qui marqueront émotionnellement le client, lui feront des impressions, selon le mot utilisé par les auteurs.

On ne parle pas d’action spécifique mais d’un ensemble qui restera en mémoire, comme un meilleur souvenir, et donnera l’envie de revenir et d’en parler autour de soi pour vous recommander.

Dans cette vision, toute entreprise est un comme un théâtre.

Cela peut tenir à de petites choses, comme ces goodies et souvenir que le client emporte et garde avec lui (porte-clé, coque de téléphone, ou autre objet).

C’est aussi pour les constructeurs de voitures, le petit bruit de la marque lorsque l’on claque la portière, permettant de reconnaître la marque à l’oreille.

C’est peut-être aussi le costume particulier des employés de l’entreprise face au client, dont on se souvient comme d’une marque de fabrique, à condition qu’elle soit originale (les costumes et cravates avec chemise unie ne marcheront plus avec le même impact, même si cela a été pendant longtemps la marque de fabrique des collaborateurs masculins d’IBM -chemise unie obligatoire, mix de couleurs et motifs interdits, surtout pas de rayures, du moins officieusement mal vus).

Evidemment, l’expérience vedette, c’est celle qui ne coûte rien, ou pas grand-chose, mais qui a un impact mémorable extraordinaire. Il faut un peu d’imagination et de créativité.

Pour trouver les bonnes expériences, il faut déjà identifier ce qui fera le thème de l’entreprise, et de la marque. Par exemple pour cet hôpital (oui, il y a aussi matière à expérience à l’hôpital, pas seulement pour les patients mais aussi les visiteurs), l’architecture et les tenues évoqueront la chaleur, le soin, le professionnalisme (Par exemple pour le professionnalisme, tous les employés portent un badge avec leurs titres et diplômes, et frappent toujours à la porte avant d’entrer dans une chambre de patient) ; Pour Disneyland, ce qui fait l’expérience, c’est aussi la propreté (dès qu’un papier traîne, un employé arrive avec pelle et balai pour le ramasser ; et maintenir tout l’espace impeccable).

Pour être impactante, la bonne expérience, c’est celle qui crée des souvenirs.

Pour s’inspirer, observons ces souvenirs que l’on achète : Oui, ces cartes postales en vacances, mais aussi ces casquettes et t-shirts lors des concerts (le merchandising des concerts est devenu une énorme machine commerciale ; on est prêt à payer beaucoup plus cher le t-shirt du concert avec la date du concert, que n’importe quel t-shirt ordinaire). Car ce qui compte dans le souvenir c’est aussi de le montrer aux autres (oui, j’y étais à ce concert ! Et on s’en parle, car l’expérience et les souvenirs, ça permet les conversations et les recommandations). C’est pourquoi dans certaines entreprises, on ne vend pas les souvenirs, on les donne en cadeau. Comme cet hôtel palace qui offre les poignées de porte des chambres richement décorées au logo de l’hôtel, signe que l’on y a bien passé une nuit de rêve.

Et si on ne trouve rien comme souvenir dans votre entreprise, c’est peut-être le signe, plus grave, que vous n’y vendez rien dont on aurait envie de se souvenir. Méfiance ! Si, par contre, vous êtes éditeur de logiciel et que l’on vous achète aussi des t-shirts et casquettes à votre logo sur votre site, c’est que l’expérience est sûrement la bonne et les souvenirs avec. Oui, oui, certains le font !

L’expérience peut aussi être dans le produit lui-même.

Je lis ICI grâce à Marie Dollé 'dont je vous recommande la newsletter), que Lego a sorti un appareil photo Polaroid en LEGO, qui ressemble dans le moindre détail à un vrai Polaroid, sauf que, bien sûr, il ne prend aucune photo ! C’est juste le geste et le souvenir de prendre une photo Polaroid que permet ce LEGO. 

Encore plus fort, et toujours ICI, le projet Flashback, qui fait revivre l’expérience de la photo argentique d’hier avec le numérique : vous prenez les photos comme sur un rouleau d’un nombre limité de photos, et vous ne recevez les photos sur l’application que 24 heures après, pour laisser le temps de vivre l’instant. On retrouve cette sensation d’antan, où l’on fait très attention à la photo qu’on va prendre (au lieu de mitrailler une infinité de photos instantanées) et d’attendre le développement. Un bon moyen de s’affranchir de notre tendance à vouloir tout tout de suite, à consommer le présent de manière obsessionnelle, à vouloir conserver le présent dans ces photos de l’IPhone, sans prendre le temps de ressentir l’instant et d’en fabriquer émotionnellement le souvenir qui nous en restera, comme une madeleine de Proust.

L’économie de l’expérience, c’est l’art de fabriquer des souvenirs.

Qui s’en souviendra ?


Créateur de contenus : métier d’avenir ?

MiquelaIl existe aujourd’hui une UMICC : Vous connaissez ?

Fondée en janvier 2023, c’est l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus. Le but c’est notamment de « promouvoir une influence responsable et transparente ». Mais c’est aussi la revendication pour les influenceurs d’être « labellisés », avec l’idée de pouvoir prétendre aux aides publiques versées à la presse (ah oui, on comprend mieux). On n’en n’est pas encore à l’obtention d’une carte de presse pour les influenceurs mais déjà ils aimeraient bien « un statut pour que notre contribution essentielle à l’information soit reconnue ».

Forcément les entreprises de presse, les vraies, froncent le nez et revendiquent, elles, de « produire une information de qualité et d’employer des journalistes, très attachés au salariat, dans des conditions sociales favorables ». On croit revivre les débats qui ont opposé, un temps, les chauffeurs de taxi et les VTC, ou les hôtels et les loueurs de Airbnb.

L’Etat s’en est mêlé aussi avec la loi du juin 2023 visant à « encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ».  La loi interdit notamment certaines publicités, et exige que les contenus promotionnels soient signalés clairement par la mention de « publicité » ou « collaboration commerciale ». Aussi que les photos retouchées ou les images virtuelles soient aussi signalées.

Créateur de contenu est devenu un métier, avec ses règles et les lois pour l’encadrer.

Difficile de dire combien ils sont, mais les marques sont maintenant incitées à ne plus s’en passer.

Preuve que c’est devenu du sérieux pour le business, le dernier numéro de la Harvard Business Review, version française y consacre un dossier et sa couverture, au titre éloquent : « Votre marque a besoin d’un influenceur (même si vous ne le savez pas encore) – Trouvez le bon profil, Optimisez votre collaboration, Gagnez en marketing d’influence »).

Une question qu’aborde ce dossier : Comment en est-on arrivé là ?

Eh oui, les plus anciens s’en rappellent. On a commencé avec les blogs, dans les années 2000, comme moi ici avec « Zone Franche », le premier post date du 10 octobre 2005 (eh oui !) et j’en suis à 977 notes depuis cette date. Les blogs, c’étaient l’opportunité pour quiconque avait accès à un ordinateur de publier des écrits. Et puis on a pu faire la même chose, dans des formats plus ou moins différents sur Twitter, Facebook, YouTube, Linkedin. C’était le boom de la création de contenus par des gens « ordinaires ». Et en même temps, la confiance dans les journaux de masse déclinait, et on croyait plus à ces témoignages plus « authentiques », plus « démocratiques ». Les réseaux sociaux, un nouveau nom, prenaient la place.

Authentiques ?

Mais voilà, devant ces réseaux et blogs qui attiraient des « followers » parfois très nombreux (voir par exemple le précurseur Hugo Travers avec « Hugo décrypte » qui adaptait les infos piquées dans les journaux mainstream comme Le Monde ou Le Figaro à un public de jeunes, et avait déjà 1 million d’abonnés sur sa chaîne YouTube en 2020; 3 millions aujourd'hui), cela a donné des idées à ceux qui pensaient quel business on pourrait en faire.

C’est à partir de là que cela a donné des idées notamment aux professionnels de la publicité et aux marques, en se disant qu’on pourrait bien « monétiser » (le mot est lâché) ces abonnés si fidèles.

Cela permettait notamment bien sûr de cibler des communautés beaucoup plus précises, car chacun de ces premiers « influenceurs » avait son type de public. Et on a commencé à envoyer des publicités sur les réseaux. Et puis, ces influenceurs n’étaient pas soumis, c’est le principe, aux règles du journalisme. Alors on peut payer un reportage, un article, en cash ou en produits gratuits, pour capturer l’attention de ces communautés.

Alors, cela donna aussi des idées à de nouveaux influenceurs, qui voyaient là un bon métier, celui de se faire panneau publicitaire masqué pour une marque, un produit. L’industrie était partie, et elle a explosé dans les années 2010 et suivantes. Des agences spécialisées dans la promotion sur les plateformes et réseaux des influenceurs se sont créées, et elles continuent à se multiplier, dans le monde entier. En France on a par exemple « Le Crayon », et plein d’autres, qui se concentrent sur le conseil aux marques et entreprises pour cibler les jeunes via des influenceurs, et faire la chasse aux clics, tout en restant intelligent (la frontière est toujours délicate).

Pour aller encore plus loin, certains influenceurs (les stars) en arrivent maintenant à lancer leurs propres produits et générer encore plus de profits pour eux-mêmes et non plus en faisant la promotion de marques et produits existants.

Et puis pour continuer, les marques créent maintenant leur propre influenceur virtuel, conçu par l’intelligence artificielle, permettant de se passer d’un vrai influenceur. C’est le cas de BMW avec Li Miquela, qui a 2,7 millions d’abonnés sur Instagram. Li Miquela n’existe pas ; c’est un avatar créé par IA (c'est la photo en tête de ce post).

Le métier prospère. Le dossier de HBR indique que, aux Etats-Unis, environ 13 millions d’individus disent travailler à plein temps comme créateurs de contenus. En France, à l’occasion de la loi sur les influenceurs, il en a été compté 150.000 actifs sur les réseaux comme YouTube, Instagram, TikTok, Facebook (avec des niveaux d’audience très variés).

Forcément, le système se structurant, cela devient de plus en plus coûteux de construire une telle « stratégie d’influence », avec des procédés sophistiqués, et parfois cela provoque aussi des flops.

HBR cite l’exemple de l’entreprise d’ultra-fast-fashion Shein, qui a payé en 2023 des influenceurs basés aux Etats-Unis pour qu’ils viennent visiter ses usines. Les contenus produits ont été étrillés par la presse (la vraie), qui les a qualifiés de propagande. Une des influenceuses de ces reportages se présentait comme « journaliste d’investigation » et vantait les conditions de travail merveilleuses dans cette entreprise.

C’est pour empêcher ces dérives que la régulation apparaît maintenant, et la France et l’Europe ne sont pas en retard sur le sujet, d’où cette loi de juin 2023 en France, qui est une transposition d’une directive européenne. Mais forcément, il y aura des contournements, car on peut aussi agir hors de France (la loi prévoit quand même que les influenceurs résidant à l'étranger hors Europe (comme à Dubaï) devront désigner un représentant légal dans l'Union Européenne et souscrire une assurance civile dans l'UE dès lors qu'ils visent un public en France).

On est loin des bloggeurs des années 2000…qui existent encore quand même, comme moi.

Est-ce signe d’innovation et de progrès ?

Forcément, les avis sont partagés. Mais il va devenir compliqué pour les entreprises de ne pas s’intéresser au phénomène.

Et les vocations de « créateur de contenu » vont sûrement s’intensifier.

A qui le tour ?


Liberté, égalité, fraternité ?

LiberteQuand on parle de l’Etat et des institutions en France, tout le monde parle de la République.

Le mot est devenu encore plus d’actualité, pourtant, à l’occasion des dernières élections législatives. En effet, c’est au nom de ce qui a été appelé un « front républicain » que se sont mis en place des accords de désistement entre des partis qui pourtant, ne cessaient auparavant de clamer qu’ils n’étaient d’accord sur rien. La justification était de « faire barrage » au Rassemblement National. Et ça a marché, au point de nous amener cette situation où personne ne sort gagnant, et les difficultés à tracer une ligne de gouvernement acceptable par une majorité de députés.

Mais c’est quoi ces « valeurs de la République » qui ont tant agité les débats ? On les connaît : Liberté, égalité, fraternité. C’est simple, non ?

Michel de Jaeghere, éditorialiste du Figaro-Histoire, nous en fournit un portrait historique dans un récent numéro du magazine. Et il a tendance à casser les idées reçues.

La République, c’est la liberté ?

Elle n’est pas cependant la démocratie. Elle exclut la monarchie héréditaire depuis Aristote, mais ne se confond pas avec une démocratie. Voire par exemple la République de Venise, qui donnait le monopole du pouvoir à quarante-deux familles patriciennes.

Et la Ière République en France, c’était plutôt la politique de la Terreur et de la dictature du Comité de salut public. C’est cette République qui, par la « loi des suspects », instaura une présomption de culpabilité de certaines catégories, telles que par exemple les émigrés et leurs familles. On lui doit aussi la « Loi de Prairial » qui prive les accusés devant le tribunal révolutionnaire d’avocats ou de témoins.

C’est Napoléon qui prendra la couronne impériale « pour la gloire comme pour le bonheur de la République ».

La République, c’est l’égalité ?

Oui, mais Michel de Jaeghere nous rappelle qu’elle a été longtemps hostile au suffrage universel. C’est en 1848, sous la IIème République, qu’il est institué, mais qu’un tiers des électeurs en sera radié deux ans plus tard (C’est Thiers qui dira que « les vrais républicains redoutent la multitude, la vile multitude, qui a perdu toutes les républiques »).

Il sera rétabli de nouveau par le Prince Président, futur Napoléon III, et amendé de nouveau par la IIIème République, en 1872, pour en exclure « les hommes sous les drapeaux ».

Et le vote des femmes ? Il a été rejeté par les républicains, craignant l’influence néfaste du clergé sur le vote des femmes, sexe faible. On doit au Général de Gaulle, en avril 1944 seulement, d’instituer le vote des femmes, malgré l’opposition des radicaux-socialistes de l’époque.

C’est aussi une loi très républicaine du 19 juillet 1934 qui disposera qu’un naturalisé français depuis moins de dix ans ne pourra pas être candidat à un mandat électif. Cela restera valable pendant les vingt-cinq premières années de la Vème République, et il faudra attendre que François Mitterrand abroge cette disposition en décembre 1983.

La République, c’est la fraternité ?

Michel de Jaeghere rappelle pourtant des moments violents notre histoire républicaine.

C’est le général Cavaignac qui sauve la IIème République en matant l’insurrection de juin 1848 : 5000 morts.

La IIIème République, c’est la aussi la période d’expansion coloniale en Afrique noire, sans pour autant donner la citoyenneté aux populations autochtones.

C’est aussi une loi du 10 août 1932, votée à l’unanimité (les socialistes et communistes s’abstenant), qui vise à protéger la main-d’œuvre nationale en limitant drastiquement l’immigration en fixant un quota de 10% de travailleurs étrangers dans les entreprises privées, 5% dans les entreprises publiques.

Objectivement, nos ancêtres ne nous montrent pas tous le plus grand respect de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

Mais alors, c’est quoi un républicain ?

Pour y croire, il vaut peut-être mieux oublier l’Histoire alors.


Le télétravail va-t-il tuer l'innovation et créer une épidémie de solitude ?

TeletravailCe n’est pas la première fois que j’entends un dirigeant se plaindre que le télétravail est un frein à l’innovation, empêchant les frottements et échanges salutaires entre collaborateurs présents physiquement ensemble.

Car ces dirigeants sont convaincus que ce sont des espaces physiques où l’on peut se rassembler qui font jaillir l’innovation. On crée même des lieux et espaces dédiés à des exercices d’idéation. C’est toujours étonnant de visiter de tels lieux, qui ressemblent souvent à du mobilier d’école maternelle, très coloré et avec des récipients de toutes sortes garnis de bonbons, chocolats et sucreries (pour sucrer le cerveau ?).

Bien sûr, il en reste qui considèrent que ces arguments n’ont pas de valeur, et que l’on peut très bien être innovant avec des réunions en visio ; Ce qui compte, c’est « l’intelligence collective » et « l’esprit d’innovation », et le lieu n’a rien à voir avec ça.

Néanmoins, le télétravail semble avoir moins la côte parmi les dirigeants aujourd’hui.

Le Figaro y consacrait un dossier cette semaine en recueillant les témoignages et pas de n’importe qui.

On comprend que ce qui fait « revenir en arrière » (c’est le titre du dossier) les patrons, c’est la crainte que le télétravail ait un impact plutôt négatif sur la productivité. En général les accords de télétravail ont été signés avec les organisations syndicales pour une durée limitée, en général trois ans, pendant le Covid. Donc, en 2024, on y est, et nombreux sont ceux qui n’ont pas envie de continuer. Publicis, cité par Le Figaro, exige maintenant de ses salariés trois jours par semaine au bureau, avec une présence obligatoire les lundis, et n’autorise plus le télétravail deux jours consécutifs (comme ça, on chasse ceux qui assimilent télétravail et week-end prolongé à la campagne).

Aux Etats-Unis, le retour en arrière est parfois encore plus brutal. Amazon a carrément annoncé à « la majorité de ses 300.000 employés » leur retour à plein temps au bureau à partir de janvier 2025. Justification du PDG : « C’est une nécessité pour que les employés soient plus aptes à inventer, à collaborer et à être suffisamment connectés les uns aux autres ».

On a compris, l’argument de l’innovation est la façon soft de chasser les fainéants qui ne bossent pas assez en télétravail.

D’autres y vont plus doucement comme L’Oréal, qui a limité à deux vendredis par mois la possibilité de télétravailler. Ou alors, sans exiger, on attire les employés les vendredis en proposant un brunch gratuit (Sanofi). D’autres, carrément, multiplient les offres au bureau de services de conciergerie, de fitness, de garderie pour animaux de compagnie. En gros, être au bureau comme chez soi.

Et puis, certains hésitent encore car cette histoire de télétravail a aussi permis de réduire les coûts d’immobilier, comme chez Stellantis. Alors revenir au plein temps au bureau, ça coûterait peut-être un peu trop cher.

Ce débat sur le télétravail est aussi un dilemme entre les jeunes et les seniors, et encore un sujet de clivage intergénérationnel. Un dirigeant d’une entreprise de jeux vidéo, cité par Le Figaro, rapporte que ses jeunes employés diplômés pendant le covid, « n’ont jamais connu autre chose que le télétravail à 100% », et aiment bien ça, alors que les plus séniors « nous disent en avoir assez d’être isolés de leurs collègues ». Bon, tout le monde ne travaille pas non plus en télétravail à 100% pour développer des jeux vidéo.

Mais quand même, selon une étude de l’APEC, « plus de la moitié des moins de 35 ans assurent qu’ils chercheraient à changer d’entreprise s’ils devaient revenir à 100% en présentiel ».

Mais cette habitude du télétravail pour les jeunes peut aussi avoir ses revers. Un dossier du Monde du 9 octobre nous alarme sur ce qu’il appelle une « épidémie de solitude » chez les jeunes de 18 à 24 ans. Selon une étude de l’IFOP, 62% des jeunes de 18-24 ans se sentent régulièrement seuls. Même chose dans une étude de janvier 2024 de la Fondation Jean Jaurès, révélant que 71% des 18-24 ans se sentent seuls. Et 63% des jeunes qui se sentent seuls déclarent en souffrir (dans l’enquête IFOP). Les sociologues auront vite fait d’accuser les réseaux sociaux, comme des alliés mais aussi des ennemis de la création de liens. L’une d’elles, cité par Le Monde indique que « avec tous ces codes de sociabilité intense qui sont rattachés à la jeunesse, on est vite stigmatisé, à ces âges, quand on est aperçu seul. Cela pousse les jeunes concernés à se mettre encore plus en retrait du monde ».

Finalement, l’entreprise, ses bureaux, ses machines à café, ses espaces où l’on peut se rencontrer « en vrai », est peut-être aussi, pour ses jeunes, et les autres, cet antidote salutaire à « l’épidémie de solitude ».


L'Etat est-il comme une entreprise ?

AssembleeComparer l’Etat à une entreprise est un vieux débat.

Entre ceux qui répondent oui, comme les patrons et dirigeants (« Si mon entreprise était gérée comme la France, elle ferait faillite. D'ailleurs, j'aurais été viré avant par mes actionnaires. Ce n'est pourtant pas compliqué de comprendre qu'on ne doit pas dépenser plus qu'on ne gagne. »). Et puis il y a les politiques, ceux qui considèrent que la politique, c’est un métier (« Cher Ami, une nation ne se gère pas comme une entreprise. On ne peut pas déchirer le tissu social, ni réformer contre la volonté des Français qui nous ont élus. »).

On peut aussi tenter de réconcilier les deux discours en considérant que l’on peut quand même essayer de gérer les affaires publiques avec la rigueur et l’efficacité des méthodes qui réussissent dans la gestion des entreprises. Le débat ressurgit en ce moment de préparation du budget de la France pour 2025, entre ceux qui veulent de l’efficacité par la réduction des dépenses et une meilleure gestion, et ceux qui veulent remettre des recettes supplémentaires en faisant « payer les riches ».

Autre comparaison qui revient souvent : l’Etat comme la gestion d’un ménage.

Pierre Gattaz, ex-Président du MEDEF, faisait remarquer ce matin que « Améliorer la compétitivité de la France, c’est réduire sa structure improductive, ses dépenses et son train de vie, comme un ménage vivant au-dessus de ses moyens ou une entreprise dont les charges dépassent le chiffre d’affaires ».

Et puis, une nouvelle métaphore a été utilisée cette semaine par…Bernard Cazeneuve, dans un entretien pour Le Monde : l’Etat et le parlement comme un conseil d’administration élu par les électeurs, comparés à des actionnaires, y compris des actionnaires activistes :

« Ceux qui conçoivent la nation comme une entreprise ont laissé les actionnaires activistes minoritaires, qui ne représentaient que 5% du capital, faire une OPA sur le gouvernement, au moment de l’assemblée générale des actionnaires, où les petits porteurs, sommés de voter, s’étaient pourtant mobilisés pour l’éviter ». Et il a même identifié le directoire et le conseil de surveillance : « Michel Barnier a été nommé président du directoire et Marine Le Pen présidente du conseil de surveillance ».

Dans la conception de l’Etat-entreprise de Bernard Cazeneuve les votes se font à « un homme, une voix » car, si l’on devait revoir ceux-ci (ça s’est déjà fait, notamment dans l’Ancien Régime) en fonction de la réelle contribution aux finances publiques, où de la part de capital détenu, comme dans une entreprise normale, on arriverait sûrement à des proportions différentes.

Comme quoi, comparaison n’est pas raison !

Comparer l’Etat à une entreprise, ça ne colle pas, pour les politiques, mais pour faire un bon mot quand ça arrange, pourquoi s’en priver.