Elle se met à genoux, elle lève les yeux au ciel, on sent comme une tristesse, et tout doucement l'air démarre :
" Vissi d'arte, vissi d'amore,
non feci mal male ad anima viva !"
"J'ai vécu d'art, j'ai vécu d'amour,
Je n'ai jamais fait de mal à âme qui vive !".
Elle, c'est Flora Tosca, héroïne de l'opéra de Puccini; mise en scène de Werner Schroeter; à l'opéra de Paris en ce moment; interprétée par la soprano autrichienne Martina Serafin; c'est sa première apparition à Paris.
Cet air, c'est le tube de l'opéra. C'est le moment où Scarpia, le chef de la police, essaye de convaincre Tosca de se donner à lui en échange de la libération de son amoureux, le peintre Cavadarossi. C'est le moment où tosca se lamente et s'interroge : Pourquoi, pourquoi Seigneur ?
Elle a a fait des prières, adoré la madone, soulagé les misères, fleuri les autels...alors^pourquoi, pourquoi cette épreuve? On ressent avec elle ce sentiment de désespoir et d'incompréhension...On souffre avec elle, en elle. Deux fois dans cet air, elle implore, les larmes dans les yeux :
" Nell'ora del dolore,
perché, perché Signore,
perché me ne rimuneri cosi ?"
( Dans cette heure de douleur,
pourquoi, pourquoi Seigneur,
m'en remercier ainsi?)
Tosca, c'est le seul rôle de femme de cet opéra; tous les autres sont des hommes; Elle incarne ainsi LA femme. Elle ensorcèle son entourage. Elle tourne la tête du peintre Cavadarossi; elle déboussole Scarpia, à qui elle fait "oublier Dieu" ( c'est le fameux air du Te Deum de la fin de l'acte I);
Et puis Tosca, c'est cet assassinat de Scarpia à la fin du deuxième acte, sa vengeance : "Muori, dannato ! Muori ! Muori !!" ( Meurs, damné, meurs, meurs).La musique de l'orchestre et le chant à l'unisson.
C'était la semaine dernière ; pour voir Tosca avec les consultants de PMP face à face avec la passion, les sentiments, le drame.
Une façon de goûter un moment de perfection.
Cet air magique Vissi d'arte...ici , dans la version de Maria Callas, celle à laquelle on ne peut s'empêcher de penser, forcément, quand on voit ou écoute cet opéra, l'émotion à son maximum :
La crise va se nicher là où on ne la croyait pas possible..
Le Monde de mardi dernier consacre un article aux " Big Five", les cinq orchestres philarmoniques les plus prestigieux des Etats-Unis ( Chicago, Cleveland, Philadelphie, New York), qui sont en tournée invités par Pleyel cette année.
Ces orchestres sont financés à plus de 50% sur des fonds privés, contrairement à l'Europe où leurs homologues bénéficient de subventions publiques. Et l'argent venant moins facilement vers ces orchestres, il a fallu prendre des mesures drastiques pour réduire les dépenses, et mieux gérer. Et même annuler certaines tournées ( pas celles de Paris, rassurons-nous).
L'orchestre de Philadelphie s'est même mis en faillite, du fait de pertes de l'ordre 14 millions de dollars.
Et l'article nous montre combien il a fallu que ces entreprises se bougent : campagne de financement, réduction des salaires des directeurs et salariés. A l'orchestre de Cleveland, les musiciens vont devoir faire don de services de répétition. Bien sûr, les coûts administratifs, et notamment les effectifs, sont rabotés.
Et puis, il ne suffit pas de toucher aux dépenses, le service client doit, plus que jamais, être irréprochable : Le board de l'orchestre de Philadelphie rappelle ainsi que " Aucun philanthrope ou donateur n'aura d'intérêt pour l'orchestre si le niveau et la qualité musicale baissent".
Autre point à surveiller : le chef d'orchestre : " Se contenter d'être un excellent directeur musical ne suffit pas, il faut aussi assumer les fonctions de personnage public". C'est ainsi que les orchestres organisent des tombolas dont le prix pour l'heureux gagnant est une soirée privée avec le maestro. Et celui-ci est aussi sollicité pour se montrer dans diverses " communities".
Ces principes de management simples ( le service client, la maîtrise des coûts, le marketing), on n'est pas habitué à les retrouver quand on évoque les orchestres et leurs chefs.
Changement de décor, justement, si l'on revient en France. Roberto Alagna nous racontait lundi, dans le Figaro, qu'il était " déprimé" par une histoire qui l'a bouleversé : alors qu'il était en répétitions pour le "Faust" de Gounod, programmé à l'Opéra Bastille à partir de cette semaine, il s'est accroché avec le chef d'orchestre, Alain Lombard, qui a finalement décidé de quitter le poste, et est remplacé in extremis par Alain Altinoglu.
Que s'est-il donc passé ?
Apparemment le chef alain Lombard n'a pas apprécié les retards de la star Alagna lors des répétitions.
Ce qui est sidérant, c'est de lire les explications qu'il donne :
" Le premier retard était dû à un accident sur la route ( je précise que le maestro a exigé des répétitions le matin, que je vis en banlieue, ce qui m'impose une heure et demie de route à l'heure de pointe et donc de me lever à 7 heures du matin). "
" Le deuxième retard était de sept minutes, ce qui serait passé inaperçu si la répétition avait commencé par l'air de Siebel comme prévu...mais Alain Lombard, croyant que je n'allais pas arriver, a renvoyé tout le monde en pause."
Le rapprochement des deux récits est éloquent : d'un côté des orchestres qui traquent l'excellence; de l'autre la drôle de complainte de la star qui doit se lever à sept heures du matin ( un drame que personne ne connait), et qui se donne le droit de se faire attendre par toute une entreprise...
Bon, Roberto, on ne t'en voudra pas trop; j'irai quand même te voir à Bastille; mais sois à l'heure, s'il te plait; ne laisse pas Marguerite toute seule...Et sois parfait.
Mercredi Rolando Villazon saluait avec effusion les spectateurs de "Werther" à l'Opéra Bastille, pour la dernière représentation à laquelle il participait.
Il exprimait enfin sa joie, après avoir gémi et s'être lamenté pendant plus de deux heures et demi sur scène.
J'y étais.
Werther, on connaît, c'est celui qui est jeune et en souffrances, d'aprés l'oeuvre de Goethe.
L'opéra de Massenet nous fait vivre ces souffrances, propices aux mélodies mélancoliques et à l'échange de larmes.
Car on pleure beaucoup dans cet opéra.
Werther est tombé amoureux de Charlotte dès qu'il l'a vue. Celle-ci, aînée de huit enfants du bailli, veuf, est le modèle de la grande soeur sympa et trés belle. Mais le hic, c'est qu'elle a promis à sa maman à sa mort d'épouser Albert, et donc pas de chance pour Werther.
Et c'est là que les souffrances de Werther commencent, et que nous allons y gagner des airs pleins de lamentations et de pleurs.
Il va s'éloigner, lui envoyer plein de lettres, et puis il revient, et les duos de pleurs recommencent.
Notamment un très chaud où ça finit par une étreinte; Charlotte ne veux pas avouer son amour, Werther en pleure de plus belle.
Joli duo ici (pas de la version de l'opéra Bastille, avec Susan Graham, fantastique, à la diction impeccable, alors que Rolando a un accent sud américain) dans une version de l'opéra de Nice de 2006.
Werther "Ah, ce premier baiser, mon rêve et mon envie ! Bonheur tant espéré qu'aujourd'hui j'entrevois! Il brûle sur ma lèvre encor innassouvie ce baiser.., ce baiser demandé pour la première fois."
Charlotte : " Ah, ma raison s'égare..."
Werther : " Tu m'aimes ! Tu m'aimes ! Tu m'aimes !"
La pression monte...
Charlotte : " Défendez moi Seigneur ! Défendez moi contre moi-même ! Défendez moi Seigneur, contre lui,...Défendez moi.."
Werther : " Viens ! Je t'aime ! Il n'est plus de remord...Car l'amour seul est vrai, c'est le mot, le mot divin !; Je t'aime ! Je t'aime ! Je t'aime !"
Pour finir, après l'étreinte, Charlotte, affolée : Ah ! Moi ! moi ! Dans ses bras !"
Merveilleux moment de cet opéra. (J'ai mieux aimé la mise en scène de l'Opéra Bastille, de Jürgen Rose produite par le Bayerische Staatsoper de Münich, toute de violence et de passion dans le jeu des chanteurs, mais Rolando est ici égal à lui-même, dans une mise en scène qui fait plus classique).
Et puis Charlotte s'enfuie; et Werther va se tuer, Charlotte accourant à son chevet pour le voir mourir sous ses yeux en lui criant, enfin, "Je t'aime"...
Et l'on pleure tous, devant ce merveilleux jeu d'émotions et de passions.
Dans le programme on trouve un texte tiré d'un livre de Anne Vincent-Buffault sur le "langage des larmes".
Elle rappelle combien ce langage des larmes, très à la mode au XVIIIème siècle, transmet les émotions au plus fort dans les romans de cette époque.
"A une époque où la présence du corps dans les romans est trés discrète, cette abondance sécrétoire, avec tout ce qu'elle a de convenu, permet de rendre charnelle la sensibilité des personnages, de donner au sentiment un aspect physique, qui palie au langage qui se dérobe, au plus fort d'une émotion qui ne se conçoit qu'à l'aide de ses manifestations extérieures".
L'auteur parle de "rhétorique des larmes", y voyant une forme spécifique de langage.
C'est vrai que "Werther" est bien un tel exercice de "rhétorique des larmes", et la sensibilité charnelle de Charlotte et de son amoureux déçu nous est transmise au plus intime, le chant et la musique venant ajouter à notre émotion.
Les larmes qu'échangent deux personnes, c'est une fusion qui remplace l'indécence, mais en disent plus sur l'intime. Elles nous plongent dans le coeur des protagonistes, elles sont l'expression du corps.
Pleurer c'est se mettre à nu.
C'est oser tout montrer, tout dire sans dire.
C'est vrai que dans le monde moderne, celui de nos entreprises, les larmes, on n'en voit pas trop souvent. Il il faut se montrer fort, ne rien dire sur soi.
Alors, quand les larmes surgissent dans ce genre d'enceinte, on se sent voyeur, incapable de réagir, car les émotions des autres et de soi-même, on ne sait comment en parler.
Elles matérialisent une économie de l'échange caractérisée par la profusion : on verse des "larmes de joie", on exprime ses émotions, ses peines, on dit sans parler, on crie en silence, on se sent obligé de répondre à un message de larmes :
" Il semblerait qu'on ne puisse laisser quelqu'un pleurer sans agir, c'est à dire sans se rapprocher de lui et tenir compte de ses larmes", comme le dit Anne Vincent-Buffault à propos des romans. Et les larmes dans la vie ressemblent souvent à un roman.
Les larmes quand elles expriment de belles émotions comme celles de Werther et Charlotte, elles nous communiquent tant.
Cet opéra de Massenet nous donne ainsi l'inspiration pour comprendre et sentir ce langage des larmes.,
Le langage des larmes, cet échange de fluides, permet de communiquer et de recevoir à des niveaux différents, plus subtils, car les mots que remplacent les larmes, bien que non exprimés, paraissent encore plus forts.
Nota : On peut encore voir cet opéra à Bastille les 22, 24 et 26 mars, dans la version pour baryton, avec Ludovic Tézier, qui faisait Albert mercredi dernier.
Deux amants justes mariés s’éloignent et des palmiers se lèvent de terre devant eux, au fur et à mesure qu’ils disparaissent dans les dunes. Le chœur les accompagne. Deux portraits descendent du ciel, et nous applaudissons.
Ces deux portraits qui sont descendus devant nous ce soir là, ce sont ceux de Rossini et de Beaumarchais, depuis longtemps disparus, et qui reçoivent encore la chaleur du public. Comme un grand Merci de nous avoir permis ce plaisir intact face à une œuvre qui enchante les publics depuis …1816 pour Rossini, et 1775 pour Beaumarchais. Ils ne sont jamais connus, ayant vécus à des époques différentes, mais tous deux reçoivent nos hommages.
C’était la reprise de la mise en scène de Coline Serreau du « Barbier de Séville », que l’on n’avait pas vu à l’Opéra de Paris depuis 2002, et qui date de 1816, Rossini avait 24 ans quand il l’a écrit...
Elle revient au répertoire de Bastille pour une dizaine de représentations.
Elle était là, Coline, sur scène, ce soir, pour recevoir les ovations du public, en complément de celles réservées à Rossini et Beaumarchais, et bien sûr aux interprètes. Elle avait le sourire du bonheur.
L’opéra a démarré depuis trois heures, on n’a pas vu le temps passer.
Le Barbier, c’est une intrigue connue, et des airs attendus ; la calomnie par Basilio (ce soir incarné par Samuel Ramey, basse de référence), « Una voce poco fa » par Rosine (Maria Bayo), maintenue enfermée derrière les grilles de la forteresse par son tuteur Bartolo (mais qui en fait sauter la porte grillagée lors de cet air, comme un symbole de ce qui la pousse vers l’amour de Lindoro,un peu comme dans une vidéo de Madonna ; avec détermination et affirmation de sa volonté), et puis Figaro, le barbier….de qualité, de qualité.
Et cette scène magnifique où les protagonistes n’en finissent plus de se dire au revoir, enchaînant l’un après l’autre des « buena serra » interminables..Harmonie des voix, de la musique, et du jeu théâtral..
La mise en scène est joyeuse, presque un spectacle de guignol, les personnages caricatures d’eux-mêmes, tout ce que l’on attend d’un opéra bouffe.
Le comte Almaviva, amoureux de Rosine qui le prend pour Lindore, et qui ne révèlera son identité qu’à la fin du deuxième acte, juste avant le mariage, était ce soir représenté par un jeune ténor mexicain, pour la toute première fois à l’Opéra de Paris, Javier Camarena, (retenons ce nom),petit de taille mais tout en expression, autant dans la voix que dans le jeu, parfaitement adapté. De quoi être jaloux de Rosine…
A noter aussi l’air, au deuxième acte, de la servante Berta, interprétée par Jeannette Fischer, se lamentant sur cette « maison de fous », et qui ressemble à une techtonik façon XVIIIème siècle étonnante…
Enfin Coline Serreau donne du personnage de Figaro, le barbier, interprété par le baryton roumain George Petean, d'une aisance fabuleuse dans le rôle, une vision particulière.
Figaro, c’est, nous dit elle dans ses « notes de mise en scène » reproduites dans le programme :
«l’avènement de l’ère des services. Il ne produit rien de tangible, arrangeur et marchand, il vend tout ce qui veut bien s’acheter ».
Dès son entrée en scène, avec cet air si connu, on est fixé : il est habillé comme un genre de clown, l’œil coquin, un parasol multicolore sur la tête, et tire une petite carriole de forain emplie de colifichets divers, des téléphones portables, des bijoux fantaisie, des accessoires pour les cheveux. Et il a un carnet de commandes très rempli pour satisfaire tous ses clients.
En échange de promesse d’or, il va devenir pour le comte Almaviva, son client favori, une sorte de consultant : il imagine les scénarios et les ruses pour lui permettre de rencontrer Rosine, maintenue enfermée par le tuteur Docteur Bartolo.
Et l’on ne peut que se réjouir devant ce duo avec Almaviva (le charmant petit mexicain Camarena) où Figaro vante la capacité de l’or à produire des idées géniales, la musique accompagnant cette vivacité : « A l’idée de ce métal, prodigieux tout puissant, mon esprit commence, à devenir un volcan ». On assiste à ce jaillissement des inventions et des idées, grâce au pouvoir de suggestion de la musique : « Che invenzione prelibata ! ».
En fait ce consultant si vite inspiré d’idées géniales par l’or qui lui est promis, il n’a finalement pas d’idées si géniales que ça, et ses idées se cassent la figure. Il se fait prendre à chaque fois. Ayant eu l’idée d’introduire le comte avec un billet de logement de l’armée chez le Docteur en simulant l’ivresse, celui-ci risque de se faire sortir par un bulletin d’exemption non prévu. Au deuxième acte, idem, il se prend les pieds dans son plan. Heureusement que le Comte s’en sort, car ce n’est pas son consultant Figaro qui assure le plan. Mais on n’en veut pas au consultant, tant il inspire la sympathie.
Citons encore les notes de Coline Serreau :
« Le comique de Figaro, c’est ce formidable appétit d’arriver qui s’évertue à trouver des solutions relativement foireuses…Son grand air est plein de la joie d’un homme dont on apprécie les services, mais aussi plein de son angoisse, « uno alla volta per carita », il croule sous le travail… ».
Oui, ce consultant qui court comme un fou pour trouver les idées, et qui s’emmêle les pieds dans l’exécution, dont
« la personne qu’il décrit dans son air, c’est autant celui qu’il aimerait devenir que celui est en vérité ».
Et c’est vrai qu’il court tout le temps ce Figaro, avec cette façon de faire semblant d’avoir arrangé toutes les situations, mais souvent dépassé. Cela nous le rend sympathique et très humain…
Pour bien apprécier cette mise en scène jubilatoire, il vaut mieux emmener son âme d’enfant , et ses oreilles innocentes pour se remplir de ces airs et de cette musique si entraînants, comme si on les découvrait pour la première fois.
Et sans oublier de garder une pensée pour la condition du consultant Figaro affairé, « l’avènement de l’ère des services », qui, bien qu’ayant quitté le monde de Rossini et de Beaumarchais, est encore, aujourd’hui, parfois pris, et dépassé, dans les intrigues des Bartolo, Rosine et Almaviva de notre temps.