Le télétravail va-t-il tuer l'innovation et créer une épidémie de solitude ?

TeletravailCe n’est pas la première fois que j’entends un dirigeant se plaindre que le télétravail est un frein à l’innovation, empêchant les frottements et échanges salutaires entre collaborateurs présents physiquement ensemble.

Car ces dirigeants sont convaincus que ce sont des espaces physiques où l’on peut se rassembler qui font jaillir l’innovation. On crée même des lieux et espaces dédiés à des exercices d’idéation. C’est toujours étonnant de visiter de tels lieux, qui ressemblent souvent à du mobilier d’école maternelle, très coloré et avec des récipients de toutes sortes garnis de bonbons, chocolats et sucreries (pour sucrer le cerveau ?).

Bien sûr, il en reste qui considèrent que ces arguments n’ont pas de valeur, et que l’on peut très bien être innovant avec des réunions en visio ; Ce qui compte, c’est « l’intelligence collective » et « l’esprit d’innovation », et le lieu n’a rien à voir avec ça.

Néanmoins, le télétravail semble avoir moins la côte parmi les dirigeants aujourd’hui.

Le Figaro y consacrait un dossier cette semaine en recueillant les témoignages et pas de n’importe qui.

On comprend que ce qui fait « revenir en arrière » (c’est le titre du dossier) les patrons, c’est la crainte que le télétravail ait un impact plutôt négatif sur la productivité. En général les accords de télétravail ont été signés avec les organisations syndicales pour une durée limitée, en général trois ans, pendant le Covid. Donc, en 2024, on y est, et nombreux sont ceux qui n’ont pas envie de continuer. Publicis, cité par Le Figaro, exige maintenant de ses salariés trois jours par semaine au bureau, avec une présence obligatoire les lundis, et n’autorise plus le télétravail deux jours consécutifs (comme ça, on chasse ceux qui assimilent télétravail et week-end prolongé à la campagne).

Aux Etats-Unis, le retour en arrière est parfois encore plus brutal. Amazon a carrément annoncé à « la majorité de ses 300.000 employés » leur retour à plein temps au bureau à partir de janvier 2025. Justification du PDG : « C’est une nécessité pour que les employés soient plus aptes à inventer, à collaborer et à être suffisamment connectés les uns aux autres ».

On a compris, l’argument de l’innovation est la façon soft de chasser les fainéants qui ne bossent pas assez en télétravail.

D’autres y vont plus doucement comme L’Oréal, qui a limité à deux vendredis par mois la possibilité de télétravailler. Ou alors, sans exiger, on attire les employés les vendredis en proposant un brunch gratuit (Sanofi). D’autres, carrément, multiplient les offres au bureau de services de conciergerie, de fitness, de garderie pour animaux de compagnie. En gros, être au bureau comme chez soi.

Et puis, certains hésitent encore car cette histoire de télétravail a aussi permis de réduire les coûts d’immobilier, comme chez Stellantis. Alors revenir au plein temps au bureau, ça coûterait peut-être un peu trop cher.

Ce débat sur le télétravail est aussi un dilemme entre les jeunes et les seniors, et encore un sujet de clivage intergénérationnel. Un dirigeant d’une entreprise de jeux vidéo, cité par Le Figaro, rapporte que ses jeunes employés diplômés pendant le covid, « n’ont jamais connu autre chose que le télétravail à 100% », et aiment bien ça, alors que les plus séniors « nous disent en avoir assez d’être isolés de leurs collègues ». Bon, tout le monde ne travaille pas non plus en télétravail à 100% pour développer des jeux vidéo.

Mais quand même, selon une étude de l’APEC, « plus de la moitié des moins de 35 ans assurent qu’ils chercheraient à changer d’entreprise s’ils devaient revenir à 100% en présentiel ».

Mais cette habitude du télétravail pour les jeunes peut aussi avoir ses revers. Un dossier du Monde du 9 octobre nous alarme sur ce qu’il appelle une « épidémie de solitude » chez les jeunes de 18 à 24 ans. Selon une étude de l’IFOP, 62% des jeunes de 18-24 ans se sentent régulièrement seuls. Même chose dans une étude de janvier 2024 de la Fondation Jean Jaurès, révélant que 71% des 18-24 ans se sentent seuls. Et 63% des jeunes qui se sentent seuls déclarent en souffrir (dans l’enquête IFOP). Les sociologues auront vite fait d’accuser les réseaux sociaux, comme des alliés mais aussi des ennemis de la création de liens. L’une d’elles, cité par Le Monde indique que « avec tous ces codes de sociabilité intense qui sont rattachés à la jeunesse, on est vite stigmatisé, à ces âges, quand on est aperçu seul. Cela pousse les jeunes concernés à se mettre encore plus en retrait du monde ».

Finalement, l’entreprise, ses bureaux, ses machines à café, ses espaces où l’on peut se rencontrer « en vrai », est peut-être aussi, pour ses jeunes, et les autres, cet antidote salutaire à « l’épidémie de solitude ».


Montrer notre travail

PapiersOn connaît ces dirigeants et managers qui pensent que moins on en dit aux employés sur l’entreprise et les affaires, mieux c’est. Il suffit de leur raconter de belles histoires en ayant l’air important, faisant sentir que l’on sait, mais sans trop en dire. C’est le syndrome du magicien d’Oz dont j’ai déjà parlé ICI, et qui sévit encore aujourd’hui dans certaines entreprises.

Et puis, il y a ceux qui sont convaincus de la vertu de la transparence.

C’est le cas de Seth Godin, auteur prolifique de nombreux livres dits de « management », toujours bien présentés et illustrés, avec des titres qui claquent (en bon spécialiste de Marketing).

Le dernier traduit ne faillit pas à sa réputation : « Qu’est-il arrivé au management ? Un nouveau manifeste pour les équipes ».

En 144 petits textes l’auteur nous délivre ses conseils pour mettre en œuvre ce qu’il appelle les « compétences réelles », c’est-à-dire les real skills, terme qu’il préfère à soft skills, qui pourrait laisser entendre que ce sont des compétences accessoires, alors qu’elles lui semblent essentielles dans le monde des entreprises aujourd’hui (et ne pourront pas tout de suite être remplacées par l’intelligence artificielle).

Et justement, au numéro 87, on trouve cette recommandation : « Montrer notre travail ».

Avec cette anecdote sur les fondateurs de Hewlett-Packard (que j’avais déjà évoqués ICI) :

« Pendant les deux décennies mythiques au cours desquelles Hewlett-Packard est passé de deux hommes dans un garage à un grand leader technologique, le protocole standard était le suivant : laissez votre travail et vos carnets ouverts sur votre bureau lorsque vous partez le soir ».

 Montrer son travail, ce n’est pas forcément laisser ses carnets ouverts sur le bureau (remplacés aujourd’hui par nos ordinateurs), c’est aussi expliquer comment se prennent les décisions, pourquoi on a fait tel ou tel choix, et pas un autre. C’est rendre visible nos intentions, nos méthodes, nos critères objectifs d’évaluation et de mesure (et non d’en rester pour les promotions ou les choix d’investissements, par exemple, à la « tête du client », ou au secret de délibérations anonymes). Ce qui compte, ce n'est pas notre opinion, mais la façon, le comment nous travaillons.

Comme l’indique Seth Godin, cette habitude de transparence est aussi une façon d’offrir notre travail à l’amélioration : grâce aux retours des collaborateurs et de nos pairs, nous recevons des conseils et suggestions d’amélioration qui vont aider à être encore meilleurs, et à soigner notre réputation.

Un chiffre cité par l’auteur pour nous en convaincre, si nécessaire : Lorsqu’on demande aux gens, où qu’ils soient dans le monde, « En quoi cette organisation pourrait-elle être différente ? », plus de 90% des personnes interrogées suggèrent des améliorations.

Une formule le résume bien : « Si vous construisez quelque chose, pourquoi ne pas saisir l’occasion de l’améliorer ? »

Bien différent de ces « Monsieur Je sais tout » qui donnent des leçons à tout le monde ,en n’écoutant personne, et qui sapent le moral ou attirent l’agressivité de tous, même sans s’en apercevoir, ne comprenant même pas pourquoi tant de gens leur en veulent alors qu’ils sont convaincus de détenir la vérité et le savoir d’un magicien d’Oz. C’est souvent au contraire le signe d’une faiblesse que l’on cache en faisant l’important. Enfermés dans une conviction qu'ils se sont forgé de leur excellence, ils ne songent plus qu'à faire la leçon, cette obsession se trahissant à leur voix ou à leur attitude.

Lire Seth Godin et ses 144 conseils ne suffira peut-être pas à convaincre les plus irréductibles, mais cela ne peut pas faire de mal d’essayer.

En montrant notre travail, nous l’améliorons. « Non pas en partageant notre opinion, ni en exerçant notre statut au sein de la hiérarchie, mais en proposant des moyens de perfectionner objectivement le travail existant. C’est ainsi que les chaînes d’amélioration progressives se mettent en place et perdurent ».

Au travail !


Envergure

EnvergureAvec le télétravail, on a pris l’habitude de voir ses collègues, et les chefs, un peu moins souvent, du moins en réel (on dit « en présentiel »), parce que, par contre, les « visio » les « Teams » et les « Zoom », on s’y est tous mis.

Et il y a un secteur qui va bien en profiter, paraît-il.

Ah bon, lequel ?

C’est Frédéric Bedin, satisfait, qui le déclare dans Le Figaro du 9 août :

«  La pérennisation du télétravail dans les entreprises entraîne une hausse des réunions professionnelles d’envergure en présentiel ».

Satisfait, car il est justement cofondateur et président d’un groupe de relations publiques et d’évènementiel.

Et cette envie de se retrouver en vrai, et de faire des évènements, « des réunions d’envergure », c’est général. Toujours dans cet article du Figaro, on apprend que « le marché a retrouvé son niveau d’avant la pandémie », dixit Renaud Hamaide, co-président de l’Union des métiers de l’évènement (Unimev).

Pour faire cette « envergure », il faut voir grand. Finis les réunions ou les petits stands dans un salon. Maintenant on doit imaginer des « expériences » qui claquent.

C’est comme cela que le défilé de Louis Vuitton sur le pont Neuf privatisé à Paris a marqué les esprits (et aussi suscité des commentaires plus critiques de la part des élus de gauche de la majorité de la Ville de Paris, qui contestent ce qu’ils appellent « une privatisation de l’espace public »).

Et la fête d’envergure, ce n’est pas seulement pour la marque et les clients. Il y a aussi les employés (on dit « les collaborateurs » pour montrer qu’ils sont vraiment associés à l’entreprise). Et rien n’est trop grand et beau pour les charmer et les fidéliser.

C’est L’Oréal qui a visé grand en offrant à 8.500 collaborateurs une « Summer Party », avec music-hall, dance et show d’Aya Nakamura. Le tout bien relayé sur Tik Tok.

Car il ne suffit plus de bien distraire les employés, il faut le faire savoir et le montrer ; et les réseaux sociaux sont là nos bons amis pour nous y aider. Avec les photos et les vidéos des collaborateurs qui rigolent et chantent en chœur.

On peut aussi essayer de faire la fête dans le Metaverse. C’est ce qu’a tenté la Commission Européenne, en organisant une fête fin 2022 pour présenter son programme d’investissement Global Gateway, qui vise à multiplier les infrastructures dans les pays en développement (un programme de 300 milliards d’euros quand même). Elle a mis les moyens en argent public, en y consacrant 400.000 euros. L’objectif de cette fête, qui durait 24 heures dans le metaverse, avec DJ virtuel, était de sensibiliser le public des 18-35 ans aux sujets politiques européens.  

Petit problème : elle n’a attiré sur la plateforme que…6 participants !

L’envergure, ça ne marche pas à tous les coups.


Qui peut s’occuper le mieux des emplois difficiles et mal payés : le Ministre ou le dirigeant d’entreprise ?

RecruteL’actualité a mis en évidence récemment, en France, mais aussi dans d’autres pays d’Europe ou aux Etats-Unis, la difficulté à recruter dans des métiers que l’on a qualifié de « métiers en tension », en gros des emplois mal payés, et aux conditions de travail difficiles. Les personnels de restaurants, mais aussi les agents d’entretien, les conducteurs de véhicules, les ouvriers de manutention. On imagine que ces métiers ont du mal à recruter parce qu’ils sont justement difficiles et mal payés, comme d’autres métiers du même genre.

C’est aussi le cas de ces métiers dits « de la deuxième ligne », ceux qui sont restés en poste pendant le Covid, ajoutant à leurs conditions de travail les risques de contamination, c’est-à-dire souvent les mêmes, les métiers de caissiers, manutentionnaires, agents du bâtiment, agents du nettoyage et de la propreté, de l’aide à domicile, de la sécurité, et aussi vendeurs de produits alimentaires, bouchers, charcutiers, boulangers (un rapport de la DARES, organisme d’études du Ministère du Travail, en recense 17).Deuxième ligne, en référence à la « Première ligne » qui concerne les métiers de la santé. Ces métiers concernent en France 4,6 millions de salariés dans le secteur privé.

Le rapport de la DARES met bien en évidence, statistiques à l’appui, que ces métiers « de la deuxième ligne » souffrent d’un déficit global de qualité de l’emploi et du travail : « En moyenne, ces travailleurs sont deux fois plus souvent en contrats courts que l’ensemble des salariés du privé, perçoivent des salaires inférieurs de 30% environ, ont de faibles durées de travail hebdomadaires (sauf les conducteurs), connaissent plus souvent le chômage et ont peu d’opportunités de carrières ». Ce sont aussi ces métiers qui « travaillent dans des conditions difficiles, sont exposés plus fréquemment à des risques professionnels et ont deux fois plus de risques d’accident ».

Comme le dit François Ruffin, Député LFI de la Somme, dans son livre « Je vous écris du front de la Somme », qui cite ce rapport : «Dans notre société, les plus utiles sont les plus maltraités » et « Pour de médiocres salaires, ils mettent en danger leur santé ».

Et il relève aussi une conclusion du rapport, qui explique que ce qui fait tenir ces salariés, c’est qu’ils possèdent « un fort sentiment d’utilité de leur travail ».

Ce rapport est une étape de diagnostic de la qualité des emplois concernés, la DARES prévoyant ensuite de publier des recommandations pour la mise en place de mesures de revalorisation. Le rapport imagine déjà, dans sa conclusion, des leviers de revalorisation sur les niveaux de rémunération, la réduction des temps partiels, ou la prévisibilité des horaires.

Et de mettre en perspective que « l’amélioration de la qualité de ces emplois permettrait d’augmenter leur attractivité (réduisant les difficultés de recrutement fréquentes pour ces métiers), de réduire l’absentéisme (résultant de conditions de travail difficiles), d’augmenter la productivité et la qualité du service pour les clients ».

On comprend que le Ministère du Travail, et François Ruffin qui reprend les conclusions du rapport, cherchent des solutions étatiques, où c’est le Ministre et la loi qui viendraient imposer, règlementer, taxer, comme ils savent faire.

Mais des réponses et initiatives peuvent venir aussi des entreprises et dirigeants eux-mêmes, les réponses ne pouvant être identiques d’un métier à l’autre, ni d’une entreprise à l’autre.

C’est le sujet d’articles dans le dernier numéro de la Harvard Business Review. On est aux Etats-Unis, mais le problème analysé, et les métiers concernés, sont les mêmes.

Zeynep Ton, professeur au MIT, déroule ce qu’il appelle « The obstacles to creating good jobs. And how courageous leaders are overcoming them ».

Dans un contexte où l’opinion générale est que les emplois mal payés, avec des horaires imprévisibles, et peu d’opportunités d’avancement, sont considérés comme un mal nécessaire dans les métiers de la distribution et des. services à faible marge, l’article raconte comment certaines entreprises aux Etats-Unis ou en Espagne (ces « courageous leaders ») ont montré que l’on pouvait contredire cette croyance par des initiatives originales.

L’idée est de remplacer le système des « bad jobs » par un système de « good jobs », considérant que ceux qui restent dans le système des « bad jobs » nécessaires finiront par ne plus pouvoir attirer ou garder les employés dont ils ont besoin, et risquent de fermer dans le pire des cas.

Ces entreprises qui investissent dans la valeur et le service clients, et en même temps dans la productivité des employés, agissent sur deux leviers :

  • Un investissement important dans les employés, sous forme de salaires supérieurs à ceux du marché, des avantages matériels meilleurs, des horaires plus prévisibles, et des emplois à plein temps autant que possible (exactement les sujets du rapport de la DARES),
  • Un modèle opérationnel qui aide les employés à être plus productifs et à servir de manière plus efficace les clients.

Comment s’y prennent-elles ?

Quatre pistes d’action :

  1. Challenger la proposition de valeur et SIMPLIFIER les opérations pour éliminer toutes les activités sans valeur, et permettre aux employés de mieux servir les clients (c’est le bon vieux Lean Management appliqué aux services, qui se développe de plus en plus, mais n’est pas encore adopté par tous).
  2. Trouver le bon équilibre entre la standardisation des process quand cela est nécessaire et, à l’inverse, faire confiance aux employés pour se responsabiliser (« empowerment ») dans l’aide aux clients, l’amélioration du travail, et la gestion des flux.
  3. Mettre en place des formations de pair à pair entre les employés, pour diffuser les bonnes pratiques dans les tâches au contact du client et en back office. C’est sur le terrain que ces pratiques se diffusent et non dans les notes de procédures qui tombent du haut.
  4. Doter chaque unité de travail d'un personnel suffisant pour faire face à des hausses inattendues et consacrer du temps au développement des employés et à l'amélioration du travail.

Ce système semble apporter de nombreux avantages aux entreprises qui l’adoptent : augmentation de la satisfaction et de la fidélisation des clients, meilleure productivité, moins d’absentéisme et de turnover, autant de facteurs de coûts qui sont réduits.

Mais alors, si c’est si génial, pourquoi les autres entreprises (les plus nombreuses) n’adoptent-elles pas ce système ?

Zeynep Ton a identifié quatre fausses croyances qui empêchent les entreprises d’adopter ce genre de système.

  1. Notre Business Model ne nous permet pas d’investir dans ce type d’emplois : On est prêts à investir dans des tas de formations pour les managers, mais, en ce qui concerne les emplois du bas de l’échelle, l’important c’est de réduire leur coût au maximum. Au contraire, les auteurs pensent qu'investir dans ces emplois, et en se permettant des salaires qui peuvent être plus élevés que ceux du marché, l'entreprise va en tirer des bénéfices directs sur la qualité du service client et la réduction du turnover et de son coût.
  1. On ne peut pas faire confiance à cette catégorie d’employés, qu’il faut au contraire bien contrôler, pour éviter les erreurs, l’absentéisme, etc. Ce qui amène à construire des systèmes où la croyance de base est que les employés font tout de travers si on ne les surveille pas.
  1. Nos analyses financières ont démontré que ce type d’investissement n’est pas rentable. C’est sûrement en oubliant tous les bénéfices indirects que cela génèrerait. Ne pas augmenter les salaires, ça donne quoi en satisfaction client ? En augmentation du turnover ? Peut-être des coûts bien supérieurs aux augmentations de salaires.
  1. Mettre en place de tels systèmes, c’est trop risqué : Mais peut-être que le status quo est encore plus risqué, si l’on prend en compte les démotivations et les difficultés croissantes à recruter.

C’est en cassant ces croyances que l’auteur encourage les entreprises à se lancer dans son approche « Good jobs ».

Un autre article du même numéro de HBR de ce mois : « The high cost of neglecting low-wage workers », par Joseph Fuller et Manjari Raman, tous deux professeurs à Harvard, permet d’approfondir le type d’actions que mènent les entreprises vertueuses pour mieux gérer les employés « Low wage », c’est-à-dire, dans leur enquête, ceux qui gagnent moins de 40.000 dollars par an. On compte large donc.

L’enquête a été conduite à partir d’entretiens de dirigeants et employés d’entreprises américaines, ainsi que via une analyse statistique de la mobilité des employés.

Le rapport complet est disponible ICI.

Les auteurs en ont retenu des exemples de bonnes pratiques pour mieux prendre en compte ces « Low-wage workers ». On retrouve des conclusions similaires à celles de Zynep Ton.

Ils citent quatre actions que pourraient mettre en œuvre les entreprises qui veulent mieux s’occuper de leurs salariés de terrain :

  1. Investir dans la formation

Considérant tous les coûts de recherche de candidats et d’employés, de recrutement, de formation initiale au poste, de moindre qualité du travail pour un nouvel embauché, ainsi que le coût d’encadrement de ces éléments, le turnover finit par coûter cher. Une politique de formation pour retenir les employés est donc souvent un bon investissement.

L’article cite l’exemple de l’entreprise Disney, qui a mis en place en 2018 son programme « Disney Aspire », proposé à tous les employés journaliers ayant effectué au moins 90 jours chez Disney. Ils peuvent alors suivre des cours diplômants, payés 100% par Disney. Ces cours sont par exemple ceux d’universités d’agriculture, ou culinaires. Depuis le lancement, 3.500 employés ont été diplômés, et Disney a pu proposer des promotions internes à plus de 2.800 d’entre eux. Et cela attire aussi les nouveaux employés, un quart d’entre eux déclarant qu’ils ont choisi Disney parce qu’il y avait ce programme.

  1. Faciliter une meilleure communication top-down

Il s’agit là d’être le plus clair possible sur les parcours et carrières accessibles aux employés, et non à les laisser dans le même poste sans perspectives pendant de nombreuses années, voire toute leur carrière à la même caisse du même supermarché.

L’article cite l’entreprise Chipotle qui annonce que plus de 80% de ses leaders viennent du bas de l’échelle par promotion interne, et qui met en avant sur son site l’investissement dans la carrière des employés.

  1. Comprendre les barrières rencontrées par les employés

Il s’agit là de toutes les difficultés personnelles que rencontrent ce type d’employés pour se nourrir, se loger, gérer leur budget familial.

Ce sont donc tous les services que peut mettre en place l’entreprise, comme des avantages complémentaires, pour permettre aux employés de mieux vivre.

  1. Collaborer avec d’autre entreprises

Il n’est pas toujours possible de promouvoir tous les employés au sein de la même organisation. Mais certaines entreprises proposent des parcours aussi en dehors de l’entreprise.

C’est le cas d’Amazon qui a lancé «Career Choice » qui est devenu un programme national. L’idée est de proposer aux employés l’opportunité d’acquérir des compétences et des diplômes leur permettant soit d’être promus au sein d’Amazon, soit de se préparer à des emplois dans d’autres entreprises et secteurs.

Les petites entreprises peuvent faire la même chose, par exemple en créant un consortium de plusieurs entreprises qui mettent en place des formations en communs et des programmes de mobilité inter-entreprises, chaque entreprise finançant le dispositif par une cotisation de membre.

Alors, qui peut finalement le mieux s’occuper des employés dans ces jobs mal payés, aux conditions de travail souvent difficiles, et que l’on a du mal à recruter ? Le Ministre, avec les lois, les taxes, les interdictions et obligations ? Ou l’entrepreneur dirigeant créatif et courageux qui mise sur la confiance et veut transformer les « bad jobs » en « good jobs » ?

Finalement, ce que proposent les auteurs de HBR, c'est que les dirigeants et leaders d'entreprise mettent en oeuvre les systèmes de "good jobs" eux-mêmes, avant que le Ministre ou François Ruffin viennent l'imposer par la contrainte.

Que les leaders courageux lèvent le doigt.


Des chiffres qui parlent, ou qui rendent fous ?

ChiffresAALes dirigeants, directeurs de la Communication, les analystes, les consultants, bref, tout le monde, le savent : le chiffres parlent et ne peuvent être contestés. Si vous voulez faire sérieux et informés, rien de tels que de balancer des chiffres.

C’est pourquoi on en arrive à se sentir « dominés » par les chiffres, qui prennent le pouvoir sur les opinions et les avis de chacun.

Et c’est l’objet d’un livre salutaire de Valérie Charolles, philosophe des chiffres (sic) : « Se libérer de la domination des chiffres ».De quoi relativiser cette croyance de l’objectivité absolue des chiffres. Et l’auteur redonne grâce à un métier des chiffres très en vogue aujourd’hui : celui de faire parler les chiffres.

Car les chiffres ne sont rien sans celui qui a ce talent de « faire parler les chiffres ». On connait tous le truc pour les entreprises, comme pour les ministres : Quand il s’agit de parler à l’extérieur, on va aller chercher les chiffres qui donnent l’image la plus positive possible de la réalité décrite. Et, pour parler à l’intérieur, par exemple demander un effort démultiplié de productivité, ou de résultat, on va insister sur les chiffres qui décrivent les problèmes et viennent justifier les projets à soutenir. Trouver le bon chiffre à produire relève de l’art, et les nouveaux artistes des chiffres ont acquis un nouveau nom grâce aux nouvelles technologies : Ce sont maintenant des « data scientists » qui viennent remplacer les directions de la statistique ou des études que l’on connaissait dans le monde d’avant.

Et tout le monde connait les astuces pour bien présenter les chiffres dans le sens qui nous arrange : choisir la donnée de base, ajuster la période de référence, bricoler l’échelle et le type de présentation. Et le tour est joué.

C’est la même chose avec les sondages. Et le pire pour faire dire n’importe quoi aux chiffres, ce sont les pourcentages.

Par exemple, annoncer « une croissance de notre résultat de 70% » ne dira pas grand-chose si l’année précédente a été catastrophique, et peut-être que cette entreprise ne va pas beaucoup mieux que celle qui annonce une progression de 5%, mais par rapport à une année précédente qui était, elle aussi, plutôt bonne.

Exemple d’effet trompeur de présentation, que relève l’auteur, celui du taux de chômage des jeunes. Selon la dernière parution de l’Insee, le taux de chômage des jeunes au deuxième trimestre 2022 est de 17,8% en France. Mais cela ne veut pas dire que près d’un jeune sur cinq est au chômage, car ce taux de chômage des 15-24 ans correspond à la population des jeunes au chômage, mais non par rapport à l’ensemble des jeunes, mais seulement aux jeunes actifs. Et ne comprend donc pas les jeunes scolarisés, qui poursuivent leurs études. Or ces jeunes scolarisés représentent en France plus des deux tiers des jeunes de 15-24 ans. La proportion des jeunes au chômage est donc trois fois moindre que le chiffre annoncé, et longuement débattu par les politiques et penseurs. Et ces jeunes ne sont pas les pires, les chômeurs de la catégorie 25-49 ans étant deux fois et demie plus nombreux que les 15-24 ans.

Un effet encore plus pervers de ce mode de présentation est que, lorsque la part des études longues va augmenter (une bonne chose a priori pour suivre le niveau d’exigence des compétences), cela fera augmenter le chômage des jeunes (du fait de la baisse du nombre des jeunes actifs). Et inversement, un gouvernement qui choisirait de proposer des petits boulots et stages à ces jeunes hors des études longues obtiendrait des effets positifs immédiats sur ce taux de chômage.

Autre sujet qui alimente les débats sur les chiffres, le chiffre du taux de croissance du PIB.

Car ce chiffre est devenu l’indicateur universel privilégié de la santé économique d’un pays.

Et l’on a tendance à le comparer à ceux connus lors de cette période que l’on appelé « les trente glorieuses », c’est-à-dire les années entre 1945 et 1973, où les taux de croissance annuels moyens dans l’OCDE étaient de 4%, et même autour de 5% pour la France, au point que la Commission Attali sur les freins à la croissance, nommée par Nicolas Sarkozy en 2007, avait conclu que la France devait justement viser une croissance de 5% par an (au lieu des 2% de l’époque) pour ne pas décrocher du reste du monde. En 2022, il était de 2,6% en moyenne annuelle.

Voilà encore un malentendu, source d’erreurs de jugement, que s’ingénie à démontrer Valérie Charolles dans son livre.

Car l’idée que, sans croissance, la sphère économique ne produirait rien, est profondément ancrée, et associée à la peur d’un déclassement au niveau mondial.

D’abord, la comparaison avec ces fameuses « trente glorieuses » est effectivement trompeuse. Cette période qui succède à la deuxième guerre mondiale est aussi celle d’un effort massif de reconstruction, forcément activateur de croissance, et aussi la période de l’arrivée de plus en plus massive des femmes dans l’économie marchande. Au début du XXème siècle, les femmes représentaient un tiers de la population active en France, surtout dans des métiers d’agricultrices, d’employés de maisons et d’ouvrières. Tout commence à changer après la guerre : fini le temps où le salaire des femmes subissait un abattement légal (oui, vous avez bien lu) par rapport à celui des hommes jusqu’en 1946, et fini aussi où il était interdit aux femmes d’exercer une profession sans le consentement de leur mari jusqu’en…1965 (oui, vous avez bien lu). Et donc les « trente glorieuses » c’est aussi le temps où le travail des femmes va entrer massivement dans le calcul du PIB et de la croissance.

Autre élément qui vient booster le PIB, la population des agriculteurs indépendants (ceux qui consommaient leurs propre production, qui échappait au calcul du PIB), va aussi diminuer.

On comprend combien tout est différent aujourd’hui et que l’on ne peut pas complètement comparer cette période « glorieuse » avec celle d’aujourd’hui.

On connait même des mouvements inverses aujourd’hui, avec la tendance à limiter la consommation pour une part de plus en plus importante de la population, à privilégier les circuits courts, les circulations douces, les achats d’occasion, toutes ces habitudes qui vont plutôt vers une diminution du PIB, sans pour autant, d’ailleurs, que le niveau de vie des personnes en question soit considéré comme trop affecté.

Et pourtant, l’obsession de cette croissance reste une idée fixe de nombre de décideurs et de politiques.

Et là encore les comparaisons entre pays sont trompeuses. Valérie Charolles fait remarquer qu’avoir 5% de PIB supplémentaire quand on a déjà un PIB important est forcément beaucoup plus avantageux que 5% de plus quand on part de très bas. On n’arrête pas de comparer nos pays européens à la Chine, en oubliant que, entre 2005 et 2007 (les années du rapport Attali) les 2% de croissance moyenne de la France correspondaient à une augmentation de son PIB de 650 dollars par habitant, alors que les 11% en Chine ne correspondaient qu’à un PIB supplémentaire de 150 dollars.

Onze ans plus tard, c’est toujours pareil. La Chine a progressé, mais ses 6,6% de croissance représentent 645 dollars par habitant, pendant que la France, avec ses 1,7%, a créé une richesse nouvelle de 705 dollars par habitant ; sans parler d’un pays comme l’Ethiopie, avec ses 6,8% d’augmentation du PIB, qui ne représente que 50 dollars par habitant.

En fait, comme le souligne Valérie Charolles, la présentation de ces taux de croissance en pourcentage ne nous permet pas de percevoir que cela correspond à un accroissement continu des inégalités au niveau mondial.

Et les incantations sur la croissance sont aussi à observer avec prudence, car, finalement, dire que le taux de croissance de la France doit être de 5% par an, c’est dire que la richesse du pays doit doubler en quinze ans, et tripler en vingt-deux ans. Alors que la France connaît aujourd’hui un niveau de vie parmi les plus élevés du monde, certains se demandent légitimement à quoi nous servirait un PIB trois fois plus important en l’espace d’une génération. Et cela attise aussi les contestations de ceux, nombreux aussi, qui veulent participer à la préservation des ressources. Si on limitait la croissance à 1% par an, chiffre que nos instances dirigeantes jugeraient sûrement déplorable, il ne faudrait malgré tout que soixante-dix ans pour que la richesse double (soit « moins d’une vie » comme le remarque Valérie Charolles).

Oui, pour comprendre et parler de croissance, il faut sûrement aller un peu plus loin que la lecture des taux de croissance. Là encore, le chiffre parle, mais ne dit pas toujours toute la vérité.

Et pourtant, nous sommes malgré nous dans une période où le chiffre et les faits ont pris la place des « mots et des choses ».

Mais le chiffre n’est jamais neutre non plus quand il s’agit de décrire des comportements humains car les humains vont justement réagir par rapport aux données et à la présentation des chiffres qu’on leur propose, et adaptent forcément leurs comportements en fonction.

Que dire de cette habitude que nous avons prise de fixer les objectifs quantifiés, et mesurables, pour « piloter la performance ». Surtout quand ils viennent du haut, on sait tous que fixer de tels objectifs n’équivaut pas forcément à se donner la capacité à les atteindre. Et parfois cette manie du chiffre peut faire du mal. Face à la tension due à l’obsession de la réalisation des objectifs, on parle depuis les années 2000 de cette nouvelle (pas si nouvelle) maladie de « burn-out ». Le burn-out  correspond à une acceptation volontaire des objectifs par un employé qui n’arrive pas à faire face aux objectifs fixés et s’effondre physiquement à cause de cette impossibilité à faire face, sans toujours même s’en rendre compte. Ce sont ces employés qui se donnent à fond, mais n’y arrivent pas.

Car la logique de ce type d’indicateurs, si l’on n’est pas assez prudent dans leur fixation, c’est aussi l’idée que la performance doit être constamment répliquée, et même continûment améliorée. Or l’auteur, philosophe pleine de bon sens, nous le dit : « Aucun système vivant ne peut fonctionner en étant toujours au maximum de ses capacités. Il y va de sa survie ; la stabilité du tout repose sur l’absence de maximisation de toutes ses composantes au même instant ».

Peut-être que l’obsession des chiffres pourrait bien nous rendre dingues. Et qu’y mettre un peu de hauteur et d’humain est encore nécessaire, en faisant attention aux biais de comportement qu’ils peuvent provoquer. Voilà ce que Chat GPT ne pourra pas faire à notre place…Pour le moment.


Aller sur le terrain

TerrainQuand on arrive tout en haut de l’entreprise, on a une préoccupation : comment faire pour ne pas s’isoler dans sa tour, entouré de courtisans qui veulent tous se mettre en avant en nous envoyant des notes en tous genres pour se faire bien voir, et ainsi perdre le contact avec la vraie vie opérationnelle et les préoccupations des employés de l’entreprise.

Alors les dirigeants cherchent les trucs pour garder ce contact. Les plus technos pensent aux datas, compiler et analyser des tas de données sur ce qui se passe dans l’entreprise, à coups de sondages et de baromètres sur la « température sociale », ainsi que les outils de surveillance divers qui ne disent pas leur nom. Mais cela ne dit pas tout.

Et certains dirigeants cherchent autre chose de plus physique.

Alors, on va parler « d’aller sur le terrain » ; cette expression fait fureur dans le vocabulaire des patrons dans le coup. C’est la marque d’une attention pour les employés, que l’on adore « écouter ».

Et là, les idées foisonnent. On a eu le temps des « Comex de jeunes » avec qui l’on fait des dîners de temps en temps, et à qui on soumet des projets à étudier (pas des trucs importants, mais des trucs de jeunes qui parlent de sauver la planète ou d’améliorer le bien-être des employés ; et les syndicats, qui aimeraient avoir le monopole du « dialogue » détestent tous ces trucs).

On peut aussi faire des visites, programmées ou impromptues, dans les arcanes de l’entreprise, y compris dans les régions loin du siège, et les ateliers de production, ou faire le client mystère dans les magasins du groupe de Distribution (genre patron presque incognito). Et après, grâce à ces observations, on peut envoyer dans les dents du Comex, lundi matin, tout ce qui déconne dans l’entreprise et que le patron, lui qui se bouge, a pu voir de ses yeux et entendre de ses oreilles. Effet garanti d’une super ambiance lundi matin au comex. Oui, la manie d’ »aller sur le terrain » peut aussi avoir ses côtés pervers.

Mais « aller sur le terrain » cela peut aussi devenir un mode de management ; on appelait ça dans les années 90 « managing by wandering around – MBWA », en français le management baladeur. Et ça marche encore. Cela est aussi l’occasion, non seulement de s’informer sur le fonctionnement concret de l’entreprise, mais aussi de motiver le personnel. Cela peut prendre la forme d’une réunion debout, impromptue, pour discuter de ce sur quoi travaillent en ce moment même les employés, et recueillir des infos pour améliorer le fonctionnement.

Un auteur américain, Kenneth H. Blanchard, avait popularisé ces pratiques dans son ouvrage célèbre, « The One Minute Manager », dans les années 80, et plusieurs rééditions complétées depuis, incitant par exemple à surprendre les employés qui font des bonnes choses sur un projet, et à les en remercier.

Le MBWA, c’est aussi la pratique des « small talks », consistant à échanger avec les employés sur autre chose que leur travail, leur famille, leur passe-temps, leurs préoccupations. Et découvrir que ces employés sont aussi des personnes humaines que l’on ne connaissait pas. Aujourd’hui, l’entreprise responsable est aussi celle qui est responsable de bien plus que le travail accompli par ses salariés dans ses murs, mais aussi du bien-être et de l’équilibre de vie de ceux-ci. Certains aiment bien ça, d’autres sont gênés par ce qu’ils peuvent prendre comme une intrusion inappropriée de l’entreprise dans leur vie privée. Les risques d’en faire trop existent aussi. Et l’on a aussi les dirigeants et entreprises qui en font tellement (les soirées « clown », les pots interminables, les sorties au bowling, les employés sont monopolisés par tous ces « off » à tel point qu’ils ne font plus rien de leur vie privée ; et si on n’y va pas, on risque d’être mal vus, le comble).

Dans cette obsession de garder le contact avec les employés, tout est question de mesure et surtout d’authenticité forcément, plutôt que de se forcer à faire « comme si » sans y croire. Et pour que cela soit efficace, ça doit marcher dans les deux sens : le dirigeant qui informe et fait descendre et circuler les informations et messages, et le dirigeant qui écoute et se remet en question.

Un exemple concret est fourni ce mois ci dans le Figaro avec l’interview de la PDG de Suez, Sabrina Soussan.

Elle est arrivée à son poste il y a un an, au moment où une partie de Suez est partie dans le groupe Veolia, après son OPA. L’enjeu de redonner confiance aux équipes « restantes » était donc important.

Et elle le dit elle-même dans l’interview du Figaro : « être au contact du terrain était primordial ».

Et donc, on fait quoi ?

Se rendre sur tous les sites du Groupe (même plus petit, il en reste pas mal) ; elle en a fait une centaine dans huit pays. Le but ? «  emmagasiner un maximum d’informations pour nourrir la vision stratégique du «nouveau Suez». Oui, le dirigeant sur le terrain est un magasin qui remplit son stock d’informations.

Mais il faut aussi faire redescendre l’information. Quel est le secret de Sabrina Soussan ? « Tous les trois mois, j’organise une webcast: deux heures pendant lesquelles nous abordons tous les sujets, avec une séquence de questions des salariés ». Et voilà pour la communication et le dialogue à grande échelle en webcast.

Mais, il y aussi des moments plus intimes, en petits groupes : « J’invite aussi à déjeuner une fois par mois entre dix et quinze personnes, aux profils variés, pour des échanges informels ».

Autre mot du vocabulaire de dirigeant, « cascader ». Est-ce acrobatique ? Non, cela parle plutôt des managers intermédiaires, courrois de transmission clé de l’entreprise : « Je passe aussi régulièrement du temps avec les 200 managers du groupe: je leur demande de «cascader» l’information pour que personne ne soit tenu à l’écart ».

Mais le « terrain », c’est aussi tous les jours, et Sabrina Soussan en parle aussi : «  je suis beaucoup sur le terrain pour écouter et expliquer cette feuille de route, qui n’est pas figée et qui se vit au quotidien ».

Ecouter et expliquer seraient les maîtres-mots d’un bon contact terrain ?

Vous avez remarqué, vous aussi, que les femmes dirigeantes nous donnent souvent de belles leçons de management ? Comme cette autre rencontre ICI, pour me parler de bêtises et de droit à l’erreur.


Un chat sur les genoux est-il un danger pour le management ?

ChatsurgenouxAAOn a pu avoir tendance à voir dans les villes une juxtaposition d’espaces à usages différents : les espaces commerciaux, les espaces de loisirs, les espaces de logement. Et pour passer d’un espace à l’autre, on se déplace, on prend les transports publics, ou sa voiture, ou son vélo.

Cela date de la charte d’Athènes, en 1933, établie lors d’un Congrès International d’Architecture Moderne, sous l’égide de Le Corbusier. Elle préconisait cette attribution d’une fonction unique à chaque espace ( quartier résidentiel, d’affaires, commercial, etc). C’est sur ce concept que se sont bâties les « villes archipel », où les possibilités de rencontres sont réduites.

Aujourd’hui, cette vision est dépassée, et l’on parle de « chronotopie » et de « chrono-urbanisme ».

De quoi s’agit-il ?

Il s’agit de voir la ville non seulement en fonction de l’espace, mais aussi du temps. Et ainsi ne plus représenter la ville comme une carte fixe, mais comme quelque chose qui se transforme au fil du temps. C’est ce qu’on appelle « la ville malléable ». Celle où le même espace peut avoir plusieurs fonctions selon le temps : un espace où les gens circulent en journée, et qui se transforme en parking la nuit ; l’utilisation des espaces du bâtiment de l’école (préau, cour, salles) par un public extérieur pour des réunions d’entreprises, le restaurant d’entreprise qui se transforme en brasserie ouverte le soir ou le week-end, le bureau qui accueille des étudiants pour y travailler. C’est un peu Airbnb partout et pour tout.

Les espaces publics s’y mettent après les pratiques privées.

Nombreux particuliers ont déjà franchi un pas de plus de cette tendance, avec la nouvelle pratique de transformer leur salon en lieu de réunions pour des entreprises. Le Monde consacrait un dossier à cette pratique dans son numéro du 19 février, présentant ces particuliers qui louent leur loft ou une partie de leur appartement à la journée pour 1000 ou 1500 euros la réunion d’une équipe.

Et forcément des plateformes se sont créées sur le créneau, comme OfficeRiders, qui appellent les salariés qui font des réunions d’entreprises dans ces lieux privés des « riders ».  

Intéressant, dans ce dossier de voir ce qui motive les entreprises à organiser des réunions dans de tels lieux privés plutôt que dans leurs espaces de bureaux.

Comme le dit le fondateur de OfficeRiders, Florian Delifer, « Il y a principalement deux types d’entreprises qui font appel à nous. Les jeunes start-up qui n’ont jamais eu de bureau, et les entreprises qui ont laissé tomber leurs locaux au moment du Covid. Les unes comme les autres ont besoin de réunir leurs salariés une à deux fois par semaine, et apprécient de le faire chez des particuliers ».

Les particuliers hôtes affinent l’offre, parfois par hasard, comme Cécile : « Un jour, j’ai oublié le chat en haut. Ça a beaucoup plu aux clients, ils n’arrêtaient pas de le caresser. Maintenant, je le laisse se balader pendant les réunions, ils adorent ! ».

Les dirigeant qui louent ces espaces privés voient aussi un avantage managérial : Les salariés seraient plus détendus et productifs en appartement que dans les bureaux de l’entreprise.

Une dirigeante de start-up qui pratique ce type de location témoigne : « On veut que nos équipes se sentent bien, et pour ça on a décidé de leur offrir de travailler dans des espaces de qualité. Le côté neutre de l’appartement permet aussi d’être plus efficace ; on oublie ses tracas de bureau, les tensions avec telle ou telle personne. C’est comme si on repartait de zéro ».

Mais certains peuvent aussi y voir une perversion, comme la sociologue de service interrogée dans ce dossier, Aurélie Jeantet, qui y voit une « comédie du travail » : « On installe les salariés dans un décor, comme des figurants dans un film. Ils se retrouvent dans un cadre irréel, qui n’est ni chez eux ni un lieu de travail défini. Dans un bureau où on se rend quotidiennement, on se crée des repères, on est dans un cadre qui raconte une histoire. En allant travailler chez des gens qu’on ne connaît pas, en changeant d’endroit en permanence, le travail devient déréalisé ».

Et elle en déduit qu’il y a là une stratégie de management perverse pour les entreprises : «  Le management actuel tend à formater les salariés pour en faire des individus sans ancrage, sans passé, qu’on peut déplacer à sa guise. Toutes les études sur le « flex office «  (le fait de ne pas avoir de bureau fixe dans l’entreprise) ont montré que l’instabilité nuisait au bien-être au travail. Elle empêche aussi la construction d’une vraie culture d’entreprise, l’établissement de solidarités. Même si la routine peut paraître ennuyeuse, elle aide aussi à travailler et à créer des liens avec les autres ».

Et ces salariés que l’on installe ainsi dans des décors agréables, recevant ainsi un « cadeau » qu’ils n’ont pas demandés, ne sont-ils pas alors insidieusement redevables ? « Dans un superbe loft avec vue sur tout Paris, il serait déplacé d’être de mauvaise humeur ou de manifester son mécontentement, comme on pourrait le faire au bureau ». Ces décors artificiels seraient alors une façon de normaliser les émotions et comportements. C’est le management du « comme si » : « On fait comme si tout allait bien, comme si on était une bande de copains qui se faisait une bouffe ». On est obligé d’avoir « le smile ».

Pour cette sociologue, ces pratiques sont une façon de changer les salariés de décor pour que rien ne change, pour contourner les véritables enjeux. « En travaillant dans un salon ou une péniche, on fait comme si on était dans un jeu, ce qui est faux. Enfoncé dans un canapé, avec un chat sur ses genoux, on est moins susceptible de créer des problèmes avec sa hiérarchie ».

Est-ce que cette chronotopie, avec un chat sur les genoux dans un canapé, est une façon de mieux travailler en oubliant les tracas de bureau, ou une façon insidieuse d’endormir les salariés pour les rendre plus dociles ?

Encore un sujet de management à explorer ; avec un chat sur les genoux ?


Réussir, et après?

SuccesDans l’entreprise, surtout les grandes, mais aussi les autres, la réussite consiste à gravir les échelons, à être nommé à des postes de plus en plus élevés dans la hiérarchie, toujours pyramidale, de l’entreprise. Certains salariés passent leur vie à ce jeu, jusqu’à atteindre les sommets, et à se demander ensuite ce qu’ils vont faire de leur vie.

Mais cette « réussite » acquise échelon par échelon, c’est aussi le meilleur moyen d’ancrer des croyances qui peuvent, justement, empêcher d’aller plus loin. C’est le sujet du livre, et la spécialité de la pratique professionnelle de Marshall Goldsmith, expert coach en leaders qui ont réussi, pour les aider à aller plus loin, ce qu’il appelle « de la réussite à l’excellence ». Et il permet de comprendre pourquoi certains n’arriveront jamais à se sortir de cette « réussite » sans capacité à aller au-delà. Parce qu'il le dit dans le titre le l'édition originale en anglais : " What got you here won't get you there".

Ces croyances sont au nombre de quatre, et il est facile de les observer tous les jours dans les comportements autour de nous, ou en nous-mêmes, si nous sommes concernés par cette griserie de la réussite.

Première croyance : J’ai réussi

Comment ne pas croire que la réussite n’est due qu’à l’habileté et au talent de celui qui a réussi. D’où leur croyance intime qu’il possède les talents et habiletés qui en font un gagnant qui va continuer à gagner. Cela se remarque facilement dans les histoires qu’il aime bien raconter : celles de ses réussites, des contrats qu’il a gagnés, de grandes réalisations. Même lorsqu’il nous parle des réussites collectives d’une équipe, il garde cette conviction que sa contribution était quand même plus significative que ne pourraient le laisser entendre les faits.

Cette croyance n’est pas si négative ; elle peut nous donner envie de prendre des risques, d’entreprendre. Mais elle peut aussi être un obstacle lorsqu’elle conduit certains à se comparer systématiquement aux autres en, comme le dit Marshall Goldsmith, « faisant pencher la balance en leur faveur ».

Deuxième croyance : Je peux réussir

C’est la conséquence logique de la croyance précédente.

« C’est une autre façon de dire : Je suis certain que je peux réussir ».

C’est la manie des gens qui ont connu le succès de croire qu’ils ont en eux la capacité de toujours réussir, que grâce à leurs talents ou leurs ressources intellectuelles, ils peuvent toujours faire basculer une situation en leur faveur. Leur croyance, c’est que le succès est un « gain » résultant de leur habileté, même lorsque ce n’est pas le cas, et qu’il y a toujours un lien entre ce qu’ils ont accompli et la position qu’ils occupent, même si rien ne démontre ce lien.

L’erreur dans ce type de croyance c’est «Je réussis. J’adopte tel comportement. Donc je réussis à cause de ce comportement ! ». Alors que c’est peut-être l’inverse : ils réussissent parfois en dépit de ce comportement. Pas facile, alors, de les faire changer de comportement.

Troisième croyance : Je réussirai

« C’est une façon de dire : J’ai la motivation qu’il faut pour réussir ».

« Si j’ai réussi fait référence au passé, et je peux réussir au présent, alors je réussirai fait référence à l’avenir ».

C’est cet optimisme inébranlable qui persuade que le succès est un dû à celui qui a réussi.

Mais le revers de la médaille, c’est de mettre la pression sur ses collaborateurs, en leur faisant faire des promesses, ou fixer des objectifs, que même les plus dévoués n’arriveront pas à tenir. Cette attitude systématique peut même aller jusqu’à un surmenage des effectifs, et une équipe qui s’affaiblit, obtenant de moins en moins de résultats.

Quatrième croyance : Je choisis de réussir

C’est la croyance qui fait croire aux gens qui réussissent que ce qu’ils font résulte d’un choix personnel.

Le risque, ici, est ce qu’on appelle la « dissonance cognitive » et que Marshall Goldsmith décrit ainsi :

«  C’est l’écart entre ce que nous croyons dans notre esprit et ce que nous vivons ou voyons dans la réalité. Plus nous voulons croire que quelque chose est vrai, moins il est probable que nous acceptions de croire que le contraire est vrai, même lorsque tout prouve que nous avons tort ».

On comprend, à lire Marshall Goldsmith, que ces quatre croyances cumulées peuvent faire de nous une personne moyennement, voire pas du tout, appréciée de ses collaborateurs et de son entourage.

Et comme ces croyances sont bien ancrées, il est très difficile d’en faire changer. D’où cette grande difficulté de passer de la réussite à l’excellence, c’est-à-dire de devenir un leader entraînant pour les autres, capable de développer l’intelligence collective et la puissance des équipes.

Marshall Goldsmith a recensé les vingt habitudes, les mauvaises habitudes, qui sont celles des gens qui ont réussi, et qui les empêchent d’aller plus loin. Toutes ces habitudes ne sont pas réunies dans une même personne, et certaines sont moins néfastes que les autres, tout est question de dosage. Mais toutes concernent des problèmes interpersonnels qui peuvent être agaçants en milieu professionnel, et peuvent ruiner notre réputation. Ce sont tous ces problèmes qui, malgré la « réussite », empêchent d’être admirés et aimés, et peuvent décourager les autres. Ce sont les habitudes qui rendent bien solitaires ces personnes qui ont réussi, et se retrouvent entourés de collaborateurs et relations qui ne les supportent pas.

Toutes ces habitudes tournent autour de l’information et de l’émotion.

L’information : celle que l’on garde pour soi, ou le genre de remarques pour doucher les propositions des autres, comme « ça ne marchera pas », « je le savais déjà », commencer ses phrases systématiquement par « Non », « Mais » ou « Cependant », vouloir toujours en rajouter (« c’est une bonne idée, mais ce serait mieux si tu… »). Toutes ces habitudes qui, nous croyant plus intelligent que tout le monde, nous font toujours en rajouter et répondre, pour étaler notre intelligence. Nous pouvons croire que cela permet d’éduquer les autres, de les inspirer, alors que cela provoque au contraire les frustrations et le découragement.

L’émotion : ce sont ces habitudes qui nous font mettre en colère un peu trop souvent, qui nous font omettre d’exprimer notre reconnaissance ou de dire simplement « Merci », qui nous font revendiquer des honneurs que nous ne méritons pas vraiment, qui nous font refuser d’exprimer des regrets.

Les conseils de Marshall Goldsmith pour se sortir de ces habitudes ont l’air simples : Il suffit, avant de s’exprimer, et lorsque nous partageons de l’information ou de l’émotion, de nous demander si elle est appropriée et si elle est bien dosée.

A tous ceux qui ont réussi, et qui traînent ces mauvaises habitudes, parfois même sans s’en rendre compte, qui les empêchent d’aller plus loin, l’auteur adresse un message d’espoir :

« Vous êtes ici.

Vous pouvez choisir votre destination.

Le voyage commence maintenant. »


Panne de travail

PanneOn dit qu’ils ont toujours tort. Et pourtant, ils sont, paraît-il, de plus en plus nombreux, et on s’intéresse beaucoup à eux.

Ce sont les absents. Ceux qui sont en panne de travail, non pas des chômeurs, mais ceux qui volontairement ou pour une autre raison, ne veulent plus ou ne peuvent plus travailler momentanément, voire définitivement.

Oui, l’absentéisme est en progression, si l’on s’en réfère aux nombreux baromètres et études sur le sujet, produits par des entreprises d’assurances qui en profitent pour caser leurs offres de « bien-être au travail ». C’est le cas du baromètre de WTW (ex Gras Savoye), qui a calculé que le taux d’absentéisme en France a progressé de 37% de 2017 à2021, et même de 54% chez les jeunes. Il y a la même chose chez AG2R, avec des chiffres différents (car toutes ces études sont faites à partir d’échantillons et de questionnaires), mais qui dégagent des tendances et chiffres similaires.

Ces compagnies d’assurance proposent des diagnostics et des offres type « rémunération globale », ou des programmes d’avantages sociaux ( « Benefits ») pour les salariés.

Mais, vu le marché, des start-up et des solutions technologiques sont également apparues, pour anticiper et prévenir l’absentéisme et tenter de guérir le « mal être » dans l’entreprise. Car on considère souvent que les employés absents sont des malades, des vrais en arrêt maladie, mais aussi tous ceux qui sont en risque de santé mentale (burn-out, épuisement). Oui, ce sont souvent les entrepreneurs qui proposent les idées les plus innovantes, plutôt que les compagnies d’assurance institutionnelles. Certains sont aussi eux-mêmes des assureurs nouvelle génération Tech (comme Alan).

Deux sortes de technologies :

  • Celles qui permettent à l’employé d’auto-évaluer lui-même les risques le concernant personnellement, et l’aident à prendre les bonnes décisions et actions,
  • Celles qui recueillent des données, soit saisies directement par les employés, soit en analysant des données existantes (mails, postures), et permettent de piloter la « santé » de l’entreprise et de ses communautés, et ainsi de décider d’actions collectives.

L’objectif premier de plusieurs des applications proposées est de renforcer ce que l’on appelle « l’engagement » des employés, pour qu’ils restent en bonne santé et heureux dans l’entreprise, pour qu’ils ne s’absentent pas, voire, pire, qu’ils quittent l’entreprise.

Ainsi de Axel, racheté en mai 2022 par LumApps pour devenir « LumApps Journey » qui met en place des parcours collaborateurs personnalisés dans leurs contextes de travail. Ceci permet (peut-être) d’éviter les démissions de nouvelles recrues qui n’arrivent pas à s’intégrer correctement dans l’entreprise, et d’aider à s’y sentir bien.

Zest, dans le même registre, propose « des équipes plus engagées pour (beaucoup) plus de performance ». L’outil permet de réaliser des « enquêtes RH » et propose un « engageomètre » ( !). L’application permet aussi aux employés de déclarer leur « humeur » en ligne.

Comeet utilise l’intelligence artificielle pour connecter les profils selon leurs affinités pour leur permettre des déjeuners, des afterwork, des activités sportives ou culturelles (on imagine plus…mais le logiciel ne parle pas de cette possibilité de drague au bureau).

Bloomin, autre produit du marché, veut « instaurer une culture du feed-back » dans l’entreprise, pour améliorer les relations internes en mettant en place des enquêtes internes.

Un autre axe est celui du soin pour aider les collaborateurs qui vont mal ou vraiment mal, avant même d’être absents, mais qui n’en sont pas loin. On appelle ça la « PsyTech ». C’est l’objet de la plateforme "CHANCE" qui permet à chacun de mener sa propre introspection; ici c'est le salarié qui paye, pas l'entreprise (on peut tester en accès libre pendant trois heures). C'est aussi l'objectif annoncé de moka.care, créée en 2019, et qui a fait une levée de fonds de 15 millions d’euros en mai dernier.

Moka.care une plateforme qui aide les entreprises à favoriser le bien-être de leurs salariés en organisant des séances chez les praticiens (psychologues, coachs) en toute confidentialité, ou des formations thématiques.

Teale est une autre application du même type, fondée par deux jeunes diplômés de l’ESSEC, qui permet à l’employé de « cartographier sa santé mentale » et d’accéder à des contenus pour en prendre soin (podcasts, vidéos).

Autre axe d’application : pour être heureux et performant au travail, un point important est d’avoir de bons collègues et une équipe où l’on se sent bien. D’où les applications qui vous aident à diagnostiquer les profils qui s’entendent le mieux dans l’équipe, et qui sont complémentaires pour permettre la meilleure performance. Elles vont aussi aider, grâce à l’IA, à former des équipes qui fonctionnent efficacement, et à recruter des profils les plus complémentaires aux équipes qu’ils s’apprêtent à rejoindre, afin de recruter, non pas le profil le plus compétent dans l’absolu, mais celui qui permettra de rendre l’équipe meilleure.

C’est le cas de TeamScope, Wisnio ou Goshaba, grâce aux sciences cognitives et à la gamification. Ceci permet d’avoir une approche prédictive sur les comportements et le fonctionnement de l’équipe, plus pertinente que la seule utilisation du C.V. C’est aussi une aide pour concevoir les meilleurs parcours de mobilité des collaborateurs.

Avec ces outils et ces applications de PsyTech, voilà que l’on construit une sorte de « DRH augmenté », comme un docteur Frankenstein d’un nouveau genre.

Mais malgré tous ces outils, il reste des irréductibles, comme ceux qui témoignent dans le dossier du Figaro magazine du week end dernier, qui, eux, « ne veulent plus travailler », comme Victor Lora, 34 ans, en couverture du magazine avec chemise chic et baskets Red Laver de chez Adidas, à plat ventre dans l’herbe, avec son livre à la main, « La retraite à 40 ans, c’est possible ». Il fait partie des français qui estiment ne plus trouver dans leur travail le sens et l’intérêt qu’ils espéraient, la possibilité d’avoir un impact sur la société. C’est comme ça que Victor, qui était directeur de la stratégie dans une start-up, a fait une croix sur le salariat. Il a pu profiter des économies qu’il avait réalisées en suivant les conseils du mouvement « FIRE», mouvement américain ( Financial Independence, Retire Early). Ce mouvement, dont les membres s’appellent aussi « les frugalistes », consiste à vivre de façon frugale, c’est-à-dire à supprimer toutes dépenses jugées non essentielles afin d’épargner de façon drastique pendant plusieurs années, permettant d’amasser suffisamment de fonds pour les placer sur des supports rapportant un revenu régulier, permettant de vivre des placements le reste de sa vie (« la retraite à 40 ans »). Ces frugalistes se retrouvent régulièrement pour échanger leurs tuyaux dans des « Drink Fire ».

D’autres adeptes du « travailler moins » se retrouvent dans la communauté des « Paumé.e.s » de Makesense, qui rassemble 21.000 membres qui se déclarent « en quête de sens ». Ce sont, d’après leur site, « Ceux qui en ont marre de leur job dans une tour à la moquette grise. Celles qui ont envie de mettre du vert partout dans leur vie. Ceux qui veulent s’engager ou s’épanouir à côté de leur boulot mais qui ne savent pas par où commencer ». Le Figaro magazine recueille le témoignage de Justine, 30 ans, qui s’est investie dans cette communauté des « Paumé.e.s » car elle a « vite compris que le monde de l’entreprise n’était pas en phase avec mes idéaux sociaux, sociétaux et écologiques. Je ne crois pas à l’avenir du monde capitaliste qui précipite par ses excès la ruine de la planète ». Elle n'est pas comme Victor, à économiser pour vivre sans travailler. Non, elle, c'est juste ne pas travailler comme les autres qu'elle recherche.

Justine a déjà utilisé son temps libre pour écrire un livre (« surmonter le XXIème siècle avec des potes, des bières et des idées ») avec deux auteurs membres, eux, du « Collectif Travailler Moins » (CTM), qui a aussi son site, et prône « le détravail, dont l’objectif est de décentrer la place qu’occupe le travail dans nos vies et nos identités. C’est bien sûr sa forme dominante, l’emploi, que nous ciblons ». Dans une pétition, ce collectif propose trois mesures qu’il estime « urgentes » : le droit au temps partiel, la création d’un fonds de désinvestissement public (pour accompagner avec de l’argent public les individus au détravail), et la création d’un « revenu de base ».

Pour Justine et Victor, il semble que la PsyTech ne pourra plus grand-chose…quoique. Pour eux, la panne de travail, c'est carrément le moteur qui a lâché. Même si certains essayent encore de les raisonner, comme ce polytechnicien scientifique, Vincent Le Biez dans Le Figaro du 28 juin, qui tentait de répondre à ces jeunes diplômés de Polytechnique qui avaient déclaré refusé "le système" : " Tout subordonner à un hypothétique changement de "système", mal défini, c'est prendre le risque de ne rien faire de très utile pour la société pendant sa vie". Et il termine sa tribune par " Camarades ingénieurs, la société a besoin de vous et elle attend vos solutions, pas vos états d'âme". 

Pour les autres, qui n'ont parfois qu'une ou plusieurs roues de crevées, mais un moteur intact, ou  qui voudraient songer à s’absenter, ou à rejoindre Justine et Victor pour mettre du vert dans leurs vies, les docteurs Frankenstein des RH et de la Tech sont là pour les retenir ou les regonfler.

Restent les potes, les bières et les idées pour surmonter le XXIème siècle. C’est tentant quand il fait chaud, non ?

Et puis, les vacances arrivent; Les absents vont être plus nombreux. Les vacances, c'est une bonne PsyTech sans la Tech aussi pour regonfler les pneus de certains. 


Télétravail : Surveilles-moi si tu peux

SurveillanceMaintenant que la période des confinements et de l’obligation du télétravail est terminée, que devient-il le télétravail ?

En 2020, on cherchait des idées et astuces pour vivre avec le télétravail forcé, comme j’en parlais ICI.

En 2021, une fois l’obligation levée, on se demandait qui allait revenir au bureau, une fois de bonnes habitudes prises en télétravail ; voir ICI.

Le sujet n’est pas épuisé. Le Monde publiait en avril dernier un dossier de Catherine Quignon sur un nouveau problème : les logiciels qui se sont perfectionnés pour permettre de mieux surveiller les employés en télétravail.

L’auteur cite nommément la Macif, qui surveille à distance ses téléconseillers. Citation de Sybille : « On se prend un chat ou un mail dès que l’on dépasse trois ou quatre minutes d’attente entre deux appels. Parfois, il y a tellement de fenêtres qui s’ouvrent pour nous demander « tu fais quoi ? »  qu’on n’arrive même plus à voir l’écran. J’ai une collègue qui s’est vu reprocher le fait de s’être loguée à 8H02 au lieu de huit heures ».

Selon une étude citée dans l’article, 63% des entreprises françaises prévoient ou ont déjà adopté des outils visant à renforcer leur supervision sur les employés en télétravail. Exemple de ce type d’outils, un logiciel qui permet de prendre des captures d’écran avec la webcam pour s’assurer que le collaborateur est bien devant son écran, ou aussi analyser les déplacements de la souris. Le logiciel Hubstaff permet de géolocaliser les déplacements des salariés et de prendre une capture d’écran toutes les dix minutes. CleverControl est un autre outil qui permet d’enregistrer les frappes sur les claviers.

Face à ce marché des logiciels de surveillance, un contre-marché s’est forcément créé, celui des logiciels antisurveillance. Ils permettent de faire bouger le curseur ou de figer l’écran, ce qui permet de faire croire qu’on est connecté, alors qu’on fait le ménage.

Autre astuce, plus artisanale : attacher la souris de son ordinateur à un ventilateur pour faire croire qu’on est très occupé. On trouve aussi des logiciels qui permettent de simuler à l’écran des déplacements de souris, les « mouse giggler », disponibles pour moins de 10€ sur Amazon.

De quoi ouvrir un nouveau marché pour les logiciels de surveillance anti-« mouse gigglers ».

Il restera toujours la technique manuelle des petits malins, qui n’a pas attendu le télétravail pour trouver ses adeptes, où le salarié cherche à se faire bien voir en envoyant des mails, en faisant du reporting, en se montrant le plus possible en visio, afin de démontrer qu’on est bien impliqué dans le travail.