Envergure

EnvergureAvec le télétravail, on a pris l’habitude de voir ses collègues, et les chefs, un peu moins souvent, du moins en réel (on dit « en présentiel »), parce que, par contre, les « visio » les « Teams » et les « Zoom », on s’y est tous mis.

Et il y a un secteur qui va bien en profiter, paraît-il.

Ah bon, lequel ?

C’est Frédéric Bedin, satisfait, qui le déclare dans Le Figaro du 9 août :

«  La pérennisation du télétravail dans les entreprises entraîne une hausse des réunions professionnelles d’envergure en présentiel ».

Satisfait, car il est justement cofondateur et président d’un groupe de relations publiques et d’évènementiel.

Et cette envie de se retrouver en vrai, et de faire des évènements, « des réunions d’envergure », c’est général. Toujours dans cet article du Figaro, on apprend que « le marché a retrouvé son niveau d’avant la pandémie », dixit Renaud Hamaide, co-président de l’Union des métiers de l’évènement (Unimev).

Pour faire cette « envergure », il faut voir grand. Finis les réunions ou les petits stands dans un salon. Maintenant on doit imaginer des « expériences » qui claquent.

C’est comme cela que le défilé de Louis Vuitton sur le pont Neuf privatisé à Paris a marqué les esprits (et aussi suscité des commentaires plus critiques de la part des élus de gauche de la majorité de la Ville de Paris, qui contestent ce qu’ils appellent « une privatisation de l’espace public »).

Et la fête d’envergure, ce n’est pas seulement pour la marque et les clients. Il y a aussi les employés (on dit « les collaborateurs » pour montrer qu’ils sont vraiment associés à l’entreprise). Et rien n’est trop grand et beau pour les charmer et les fidéliser.

C’est L’Oréal qui a visé grand en offrant à 8.500 collaborateurs une « Summer Party », avec music-hall, dance et show d’Aya Nakamura. Le tout bien relayé sur Tik Tok.

Car il ne suffit plus de bien distraire les employés, il faut le faire savoir et le montrer ; et les réseaux sociaux sont là nos bons amis pour nous y aider. Avec les photos et les vidéos des collaborateurs qui rigolent et chantent en chœur.

On peut aussi essayer de faire la fête dans le Metaverse. C’est ce qu’a tenté la Commission Européenne, en organisant une fête fin 2022 pour présenter son programme d’investissement Global Gateway, qui vise à multiplier les infrastructures dans les pays en développement (un programme de 300 milliards d’euros quand même). Elle a mis les moyens en argent public, en y consacrant 400.000 euros. L’objectif de cette fête, qui durait 24 heures dans le metaverse, avec DJ virtuel, était de sensibiliser le public des 18-35 ans aux sujets politiques européens.  

Petit problème : elle n’a attiré sur la plateforme que…6 participants !

L’envergure, ça ne marche pas à tous les coups.


Expériences : du nouveau

LuxeQuand on veut faire un peu de prospective sur la consommation, on peut observer ce qui se passe dans l’univers du luxe.

Une étude récente de Bain nous indique que les très jeunes consommateurs de la génération Z, et ceux de la génération Y, ont fait leurs premiers achats de luxe entre 18 et 20 ans, et que ceux de la génération Alpha (nés après 2010) devraient s’y mettre encore plus tôt, vers l’âge de 15 ans.

Les groupes de luxe ont bien compris que ce sont ces jeunes générations qui vont tirer le secteur du luxe, et faire les tendances. D’où cette compétition pour les séduire, à laquelle Magali Moulinet consacre un article dans le numéro de L’Obs de cette semaine.

Et ce qui a profondément transformé le luxe, c’est le digital. Ce mélange de digital et de jeunes générations oblige à repenser totalement les expériences clients, de quoi inspirer d’autres secteurs et dirigeants qui ne voient pas forcément venir ces transformations.

Et c’est précisément le digital qui a permis au luxe de se renforcer pendant la crise Covid.

Et ce qui est en train de transformer le luxe et le digital, c’est bien sûr le Web 3 (metaverse, NFT, blockchain), tout ce que certains continuent à prendre pour des trucs inutiles de gamins geeks, alors que le luxe n’est qu’un précurseur de ce que vont connaître tous les secteurs.

Et ce qui compte pour les marques, c’est de capter l’attention du public, dans un monde où c’est de plus en plus difficile, tous le observateurs le constatent, tant notre attention est constamment sollicitée, et pour cela la réponse est de pouvoir faire partie de la vie quotidienne des clients. L’ambition est d’être une extension de l’identité des clients pour mieux capturer leur attention.

Magali Moulinet cite dans son article des exemples d’initiatives, comme des grandes messes populaires organisées par les marques. Le but est de créer des expériences ludiques et immersives pour impressionner les jeunes générations le plus tôt possible et les rendre moins intimidés face au luxe. Ce ne sont pas des expériences qui reproduisent les achats comme dans un magasin ou un site de e-commerce, mais des choses complètement nouvelles, grâce aux possibilités du web 3 (et donc il y faut un peu plus d’imagination et de créativité).

Ainsi le couturier français Jacquemus s’est installé en mars dernier aux galeries Lafayette Haussmann en exposant à l’entrée un grille-pain géant et son toast animé, et aussi un sac Bambino géant dans lequel on peut se glisser pour acheter les modèles de la marque.

L’idée est aussi de créer des expériences que les jeunes peuvent relayer sur Tik Tok et les réseaux sociaux. Ainsi, juste avant l’ouverture de la boutique éphémère Jacquemus avenue Montaigne, à l’occasion de la Fashion Week, la marque a envoyé une petite boîte renfermant un seul pop-corn à certains influenceurs, avec justement pour but de surprendre et d’avoir un relais sur les réseaux sociaux, et aussi d’attirer les jeunes dans le magasin pour venir chercher les friandises qui leur seraient offertes. C’est gratuit, pas besoin d’acheter. Ces expériences qui se diffusent via Tik Tok apportent plus de notoriété que le coût d’acquisition d’une publicité traditionnelle.


Toutes les marques s’y mettent, comme Chanel qui avait organisé une exposition immersive au Grand Palais éphémère fin 2022, en affichant l’ambition de « rendre l’ordinaire extraordinaire ».

L’objectif de ces expériences est aussi de détacher les jeunes de leurs écrans pour acheter des NFT, et de les attirer dans les lieux et magasins pour s’y amuser avec des histoires et des mises en scène dont ils pourront parler.

Et cela n’empêche pas de proposer aussi des NFT, comme le font de plus en plus de marques, toujours avec l’idée d’attirer les acheteurs et influenceurs dans des communautés privilégiées. Créer et vendre des NFT, pour une marque, c'est aussi une manière de donner aux clients l'envie d'en posséder et donc de fidéliser encore plus la relation avec les clients. C'est aussi pour le client la manière de faire partie d'une communauté exclusive.

On comprend, grâce à cet exemple, combien l’expérience des clients nécessite d’agir sur plusieurs dimensions, et de créer les évènements qui donneront ce sentiment d’appartenance communautaire, avec relais sur les réseaux sociaux. C'est une boucle de rétroaction permanente.

De quoi revoir pour 2023 les stratégies et investissements, en arbitrant par rapport aux moyens classiques comme la publicité, les mails, ou les actions dites de « fidélisation ». Les nouveaux consommateurs, surtout les plus jeunes, nécessitent un peu plus de créativité et d’imagination.

Certains pourront d'ailleurs aussi y trouver des inspirations pour fidéliser les collaborateurs, par des expériences au bureau ou en virtuel, car la marque employeur a, elle aussi, besoin d'imagination.


Créativité démocratique avec les nouveaux co-pilotes

CreativiteIl n’y a encore pas si longtemps, quand on parlait de l’intelligence artificielle, on la disait bête, ne faisant que s’appuyer sur ce qui existe déjà, et des volumes énormes de données, pour faire des prévisions ou extrapolations. Et l'on ajoutait que , pour ce qui concerne la créativité, le nouveau, l’innovation, l’homme reprenait la main, et rien n’équivaut l’humain pour créer une œuvre originale.

Mais, cela, c’était avant.

Car une nouvelle forme d’intelligence artificielle, l’IA dite générative, de la famille des modèles de langage (LLM), comme Chat GPT, est venu bousculer ces croyances.

C'est toujours à partir de masses de données et de textes, mais les résultats nous dépassent. On a vu arriver sur Amazon des éditions de livres entièrement fabriquées par l’intelligence artificielle. Idem avec la musique. On vient de voir que le nouveau titre « Heart on my sleeves » de Drake et The Weeknd, deux chanteurs canadiens, a eu 15 millions de vues sur Tik Tok en deux jours, alors que ce titre n’a rien à voir avec ces chanteurs, leurs voix ayant été générées par une intelligence artificielle, et le titre créé par un internaute mystère qui se fait appeler Ghostwriter. Car l’IA peut maintenant générer les paroles, la musique, et la voix, et inventer les titres qui vont marcher. On attend le moment où les Top Ten des classements contiendront plus de titres fabriqués par l’IA que par des artistes réels. De quoi s’inquiéter pour l’avenir de l’industrie du disque et des droits d’auteurs.

C’est pourquoi, parmi les cinq tendances « Life Trends » 2023 des experts de Fjord, entreprise rachetée par Accenture, figurent en bonne place les nouvelles expressions de la créativité par les technologies.

Car tout le monde peut utiliser ces outils pour créer, la technologie permettant de démocratiser ce que l’on peut appeler la créativité assistée par la technologie. La technologie devient un co-pilote de la créativité individuelle.

Cela peut faire peur aux créatifs, mais le rapport de Fjord / Accenture fait à juste titre la comparaison avec l’arrivée de la photographie qui avait fait craindre la mort de la peinture, et qui avait au contraire été l’occasion de donner naissance à de nouveaux mouvements artistiques, comme l’impressionnisme et le surréalisme, et permis aussi à la photographie de se développer dans de nombreuses tendances artistiques. Idem pour la vidéo. On pourra dire que comparaison n’est pas raison, et que l’on ne peut pas savoir comment tout cela va évoluer aujourd’hui avec l’IA.

Ce qui est disruptif, c’est que ces outils d’IA sont maintenant dans les mains des individus, un peu comme lorsque les ordinateurs sont devenus des PC dans les mains des particuliers. Et l’on va donc voir émerger de nombreux projets et initiatives par ces individus et jeunes entrepreneurs, en compétition avec les initiatives, souvent plus lentes à sortir, des entreprises et institutions.

Ainsi, un anonyme, sous le nom de « Significant Gravitas » vient de sortir « Auto-GPT », disponible gratuitement (à condition d’avoir un abonnement à GPT-4) qui permet d’automatiser le travail de l’IA : vous donnez une instruction, toute simple – et un programme basé sur GPT-4 vous produit toute une liste de contenus et productions diverses et variées exactement comme vous le souhaitez, sans que vous n’ayez à rien faire d’autre qu’attendre le résultat.

Concrètement, avec Chat GPT vous envoyez une question ou une instruction, puis recevez une réponse, et vous pouvez alors continuer avec une demande ou instruction complémentaire. Si vous utilisez Auto GPT, c'est le système lui-même, sans votre intervention qui rédige et envoie les instructions complémentaires. Cela est particulièrement pratique pour coder (et rendre soucieux les développeurs). C'est ce que l'on appelle les "IA autonomes". 

Auto-GPT vient d'être rebaptisée "ChaosGPT" et un internaute l'a déjà utilisé pour bâtir un plan pour "détruire l'humanité" qu'il présente et commente sur You Tube !

On pourra faire du positif, comme du moins positif, avec ces outils de créativité augmentée.

Alors, imaginez un manager dont les collaborateurs auront de telles possibilités en mains. On voit déjà les entreprises qui interdisent l’usage de Chat GPT par les employés (car il existe aussi un risque de fuite de données en utilisant de tels outils , les informations que nous échangeons avec Chat GPT sont gardées par Open AI, et on ne maîtrise pas complètement ce qu’elles deviennent). On voit aussi se constituer des groupes de travail pour imaginer comment introduire et sécuriser ces outils dans les process mêmes de l’entreprise. Beaucoup parlent de « productivité », pas encore tous de « créativité », alors que c’est probablement l’enjeu principal. Parler de productivité seulement face à l’IA, c’est déjà avoir du retard dans l’intégration de ses possibilités. Et on peut penser que les entrepreneurs et vos employés petits malins seront souvent plus agiles que les structures d'entreprises.

Car l’enjeu pour les entreprises va bien être de trouver les moyens de se distinguer face à la profusion de contenus créatifs de qualité. Ce qui va faire la différence, c’est leur capacité à utiliser ces nouveaux outils pour justement améliorer leur vitesse d’exécution opérationnelle et surtout leur capacité d’innovation.

Les clients eux-mêmes vont faire partie du jeu, et vont être moins fidèles si l’entreprise ne se bouge pas assez vite. Et cela vaut pour les entreprises Tech. Regardez l’application BeReal, créée par deux jeunes français de l’Ecole 42 en 2019. Il s’agissait d’un nouveau réseau social, présenté comme « authentique » pour partager des photos en temps réel. Les deux créateurs ont levé 30 millions de dollars en série A, et encore 60 millions en série B en octobre 2022. Et le réseau a atteint 15 millions d’utilisateurs quotidiens à l’été 2022. (L’étude de Fjord Trends les citent comme un succès formidable et le signe d’une tendance à la création de nouvelles communautés). Mais voilà que depuis cette fréquentation est en chute libre. La désaffection tient au manque de nouvelles fonctionnalités importantes, les premières ayant été copiées par les concurrents (Instagram a même proposé une option « à la BeReal »). Les jeunes utilisateurs sont passés à autre chose, et le nombre d’utilisateurs actifs est passé à 6 millions en mars 2023.

Oui, quand la créativité se démocratise, et est accessible à tous grâce au co-pilotage de l’IA et des technologies, il est possible de démonter les situations acquises, de se faire de la place, d’inventer du nouveau n’importe où.

Comme on dit au casino :

Faites vos jeux !

Précision : C'est bien moi l'auteur de ce post, et non Chat GPT !


Génération Alpha : quoi de neuf ?

ALPHASLe marketing aime bien segmenter les clients.

J’ai souvenir d’un dirigeant me demandant de l’aider à trouver des idées de produits et services pour capturer plus de revenus des personnes âgées et retraitées d’aujourd’hui, dont le pouvoir d’achat n’a jamais été aussi grand, et qu’il faut capturer avant leur décès. Et avant que n’arrive la génération de retraités qui auront moins de revenus.

Mais aujourd’hui une nouvelle catégorie, à l’autre bout du spectre, attire les convoitises : la génération de ceux qu’un chercheur australien, Mark McCrindle, a appelé « la génération Alpha ». C’est celle qui vient après les Z. Ce sont tous ceux nés après 2010, qui sont encore à l’école, mais qui augmentent chaque jour. Mark McCrindle ayant calculé que 2,5 millions d’alphas viennent au monde chaque semaine. Ils vont très bientôt dépasser en nombre les « Baby-Boomers » (ceux nés entre 1946 et 1964, ceux qui passionnaient mon dirigeant) et connaîtrons pour la plupart le 22ème siècle.

Ce sont encore des bébés ou ados qui nous ressemblent, mais qui promettent d’être aussi très différents des générations précédentes.

Il y a encore peu d’études sur cette génération, et celle de Mark McCrindle sert donc de référence aux articles que l’on peut lire sur le sujet.

Et qu’est-ce qu’elle a de spécial cette génération qui aura 20 ans en 2030 alors ?

Ils seront exposés dès leur plus jeune âge aux écrans, d’où leur nom de « génération de verre », ou aussi « screenagers » (2010, c’est aussi l’année de l’arrivée de l’Ipad, qu’ils vont connaître dès leur naissance). .

Et grâce à ces écrans, ils auront accès à un nombre de connaissances inégalé, et auront donc une relation différente au savoir, plus utilitaire et opportuniste. Pour la plupart, ils étudieront plus longtemps et entreront dans la vie active plus tard que leurs prédécesseurs (Générations Z et Y, leurs parents). Et leur apprentissage scolaire impliquera plus de technologies. McCrindle y voit une génération la mieux instruite que jamais (certains parents et professeurs en doutent peut-être encore néanmoins quand ils observent leurs enfants et élèves…). Mais, ayant le sentiment d’avoir accès à de nombreuses sources d’informations gratuites, cette génération va se caractériser par une moindre acceptation de l’autorité « arbitraire » du professeur. Ce qui promet dans leur rapport à la hiérarchie et aux managers plus tard. Le professeur, comme le manager, doit être vu comme un « coach » qui révèle les potentiels des élèves et employés.

Mark McCrindle a identifié quatre caractéristiques fondamentales de cette génération, qui font déjà cogiter les directeurs du marketing :

1. Ils vont grandir dans le monde digital et y être créateurs

Tout le monde connaît les outils digitaux, mais être né avec c’est nouveau. Et cette génération ne va pas seulement consommer les outils et réseaux sociaux, mais va être aussi la génération des créateurs de contenus ; le Metaverse est déjà là pour les créateurs de jeux, et autres expériences. Et ils s’y mettent de plus en plus jeunes. Ils vont aussi agir en collectifs, et avoir une influence directe sur les marques, comme on le voit déjà avec le monde de ceux qu’on appelle « les influenceurs » (Gen Z), qui vont être encore plus nombreux avec la Gen Alpha.

Pour le marketing, s’adresser à cette génération passera forcément par le digital, la technologie, et la cocréation de services et produits.

2. Une génération marquée par les années Covid

Les années 2020 et 2021 de Covid auront été pour cette génération les années de l’éducation à la maison et des Zooms avec les grands-parents. McCrindle fait l’hypothèse que pour beaucoup, ces expériences marqueront leur enfance et seront considérées dans les prochaines décennies comme le souvenir de leurs première années de formation.

3. Une génération globale connectée et influencée

C’est la génération qui se développera dans une culture globale de jeux, de streaming, de réseaux sociaux (Tik Tok, les mangas, WeChat, etc).

4. La génération des grands-parents

C’est peut-être la caractéristique la plus surprenante de l’analyse.

Contrairement à leurs parents, qui ont connu l'essor économique et l'insouciance de l'endettement, cette génération se forme dans une ère de volatilité économique et d'inabordabilité croissante du logement.

Pour ces Alphas, l'épargne est une vertu, la sécurité de l'emploi est importante et l'accent est à nouveau mis sur la destination financière, et non plus seulement sur le voyage. Le travail acharné est de retour, la résilience est à l'ordre du jour et les produits d’occasion redeviennent cool. À certains égards, les consommateurs ressemblent à leurs grands-parents, mais avec des crypto-monnaies. McCrindle identifie aussi des comportements plus casaniers dans cette génération.

Pour le marketing, cette génération ne dépensera pas n’importe comment. Les offres vont devoir s’adapter.

Car cette génération Alpha aura aussi de nouvelles valeurs, qui prolongent celles des Z que l’on connaît :

  • Tolérance à la diversité et aux pluralités d’opinions ;
  • Forte sensibilité écologique, au point de ne pas supporter de voir jeter un chewing gum par terre ;
  • Neutralité de genre : Les distinctions de genres sont d’un autre temps. Bleu et rose, collants ou vernis à ongle vont aussi bien aux filles qu’aux garçons. Encore une tendance que les experts du marketing vont surveiller.
  • La consommation est un marqueur identitaire très important pour eux. Aux États-Unis, la majorité des enfants font leur premier achat sur Internet dès l’âge de 9 ans. Les plateformes, les places de marchés, et les metaverse d’échange d’actifs (NFT) en cryptos ont de l’avenir.

Alors ; la génération Alpha, elle a encore à voir avec les précédentes un peu, mais elle nous promet des surprises ; ne nous fions pas à ces visages qui nous rappellent quelqu’un, non ?


Pourquoi je n'arrive pas à vendre plus ?

FruitsC’est une histoire, un témoignage, que l’on entend souvent.

Vous avez créé un produit, vous pensez qu’il est formidable, il y a déjà quelques clients. C’est le début de l’aventure de start-up.

Mais voilà, pour trouver les clients suivants, on se heurte à « Mais vous êtes trop fragiles, revenez quand vous aurez trois ans d’ancienneté, et plusieurs clients », « je ne peux pas vous acheter votre produit, car je ne veux pas que mon entreprise représente 80% de votre chiffre d’affaires », « j’ai déjà un produit qui fait un peu la même chose, et ça me suffit, le vôtre n’est pas nécessaire pour moi, il est trop bien en fait », « Montrez-moi comment les autres qui me ressemblent l’utilisent, et je vous dirai ; Ah, vous n’avez pas d’exemples dans mon domaine, j’hésite alors, revenez plus tard quand vous l’aurez »…

 Pourtant vous avez fait un business plan du tonnerre ; vous avez estimé le marché mondial à plusieurs milliards d’euros, et en imaginant que vous alliez en prendre 0,5%, vous avez déjà imaginé un chiffre d’affaires de vainqueur. Malheureusement, avec vos trois petits clients, pour le moment, vous n’y êtes pas. Ça bloque.

Ce que vous connaissez à ce moment, c’est ce fameux « chasm » théorisé par Geoffrey A ; Moore dans son ouvrage de référence, «Crossing the chasm », dont j’ai du conseillé la lecture de nombreuses fois à des entrepreneurs comme vous. Il a beau dater de plus de vingt ans, il reste très valable, et utile, aujourd’hui.

J’avais déjà évoqué ICI cette thèse. Car, à partir du moment où la start-up a acquis quelques clients, il lui faut changer complètement de stratégie pour conquérir le gros du marché, ceux qui veulent des références, de l’ancienneté, de l’assurance, et c’est là qu’est le « chasm » ; il y a un saut à faire.

Le principe pour traverser ce chasm, selon Geoffrey A. Moore, c’est d’attaquer une cible la plus précise et nichée possible, ce qu’il appelle le « D-Day », en référence à l’attaque des alliés sur les côtes de Normandie le 6 juin 1944. Le pire serait de courir partout, pour vendre à n'importe qui, en tapant au hasard un maximum de clients ( faire des messages toute la journée sur Linkedin par exemple). Echec assuré, selon Geoffrey A. Moore. 

Et pour réussir ce D-Day, il faut bien choisir le point d’attaque.

Déjà, première recommandation de Geoffrey A. Moore : Oubliez ce calcul de 0,5% du marché qui vous excite. Vous parlez d’un marché qui n’existe pas ou qui est en mouvement, et vous parlez de clients très génériques, que vous ne connaissez pas. Vous n’irez nulle part.

Au contraire, pour définir le point d’attaque et donc votre stratégie de conquête, il ne s’agit pas d’analyser des segments de marché un peu vagues, mais de cibler un profil réel de client potentiel à explorer et démarcher.

Il n’y a pas de démarche complètement standard, et il est conseillé de faire appel à ce que Geoffrey A. Moore appelle « l’intuition informée ».

Et il nous donne les quatre facteurs les plus importants pour traverser le chasm avec le plus de chances.

Facteur 1 : le client cible

Y-a-t-il un acheteur économique unique, identifiable, pour votre offre, que vous pouvez atteindre par le canal de vente que vous prévoyez de mettre en place, et suffisamment solvable pour payer le prix de votre offre, et de tout ce qui va avec ? (ce que Geoffrey A. Moore appelle « the whole product « , c’est-à-dire votre offre et les équipements ou services complémentaires qui vont avec).

Facteur 2 : Une vraie raison d’acheter, et maintenant

Votre offre a été conçue pour répondre à un problème identifié. Est-ce que le problème que va résoudre votre offre a un sens économique suffisant, et urgent, pour ce client-cible ?

Si c’est un client pragmatique qui considère qu’il peut encore vivre un an ou deux, voire plus, avec ce problème, il le fera. Il restera peut-être intéressé par votre offre, en souhaitant même mieux la connaître. Vos vendeurs (ou vous-même si c’est vous le vendeur) vont alors le rencontrer de nombreuses fois, mais ils ne reviendront jamais avec un bon de commande. Ce client-cible vous dira sûrement que votre présentation est formidable et intéressante, il apprendra plein de choses, mais il n'achètera rien.

Facteur 3 : Le produit complet (« The whole product »)

Pouvez-vous apporter, avec l’aide de partenaires et d’alliés, une solution complète pour répondre à la raison profonde du client-cible pour acheter votre offre dans les trois prochains mois, vous permettant d’être complètement dans le marché d’ici la fin du prochain trimestre, et d’occuper une place dominante d’ici douze mois ?

« Crossing the chasm », c’est une course. On a besoin de problèmes de clients que nous pouvons résoudre maintenant, et vite. Si ça traîne trop, il faut changer de cible, et tout revoir.

Facteur 4 : La concurrence

Est-ce que le problème que vous adressez a déjà été traité par une autre entreprise, peut-être même une entreprise qui a, elle, déjà traversé le chasm, et qui occupe donc déjà tout ou partie de la place que vous souhaitez occuper aussi ?

Si c’est vraiment le cas, ce n’est pas un bon signe pour vous ; et si on ne peut pas lutter, il faut mieux sortir et fuir. C'est aussi le 36ème des 36 stratagèmes.

C’est pourquoi, encore une fois, il faut aller vite pour traverser le chasm. Sinon on risque de perdre à tous les coups.

Ou alors il faut faire pivoter l’offre pour reprendre l’avantage avec peut-être même, une nouvelle cible.

Geoffrey A. Moore considère que si la cible choisie obtient une mauvaise note dans un seul de ces facteurs, ce n’est pas la bonne cible. Il conseille de choisir les cibles qui obtiennent un bon score dans tous les quatre facteurs.

Ces quatre facteurs sont indispensables, mais, bien sûr, pas suffisants, pour réussir. Le livre de Geoffrey A. Moore en contient encore plein.

Vous avez une offre, un produit, une idée de start-up, un début de business, quelques clients, mais pas assez, et vous voulez aller plus vite et atteindre les clients mainstream, pour traverser le chasm ?

Relisons les quatre facteurs, encore et encore.

Avec aussi un peu d'intuition. Si c'était les livres de management qui faisaient réussir les entreprises, ça se saurait.


Quand un vicomte ne rencontre pas un autre vicomte...

Chevalier«  Quand un vicomte rencontre un autre vicomte… » ; On connaît la chanson de Maurice Chevalier : « Qu’est-ce qu’ils s’racontent ? Des histoires de vicomtes ».

Alors si on ne veut pas s’enfermer dans nos histoires de vicomtes, toujours les mêmes, il est bon de mélanger et de diversifier un peu plus nos cercles de discussions et nos rencontres.

C’est exactement l’idée d’une grande entreprise qui m’a invité à participer à un « groupe de réflexion » autour du thème de l’expérience et de la relation client. Nous étions une dizaine, une coach, un chercheur, des experts Innovation de grands groupes, un start-uper de la blockchain, un expert en I.A, un « Chief Scientific Officer », un analyste d’un institut de recherche Marketing, une « Head of B2C&CX », tous d’entreprises différentes, des femmes et des hommes, peut-être pas assez de jeunes.

Le succès est aussi dû aux qualités de l’animateur, bienveillant, ne donnant pas trop de règles, pour laisser les échanges s’improviser et les idées circuler entre les participants, assis sur des fauteuils confortables, en cercle, sans table ni bureaux.

Ce fut un bon moment.

Et de quoi avons-nous parlé, alors ?

L’analyste Marketing ouvre le bal avec le résultat d’une enquête qui montre que, quand on interroge les Directeurs Marketing sur leurs « top priorités » pour 2022 pour leur Département Marketing, ils répondent, en premier ( 34% des réponses) que c’est le focus sur la marque Employeur et l’expérience collaborateur. C’est l’expérience collaborateur qui fait l’expérience client ; on l’a déjà entendu avec ce que l’on a appelé la « symétrie des attentions », ce n’est pas nouveau, mais que les Départements Marketing client en fassent une priorité, voilà du grain à moudre.

Ça part un peu dans tous les sens, avec cette histoire d’expérience collaborateurs ; on parle de l’importance de l’attitude des collaborateurs dans un Groupe hôtelier, et de la difficulté d’avoir prise quand ce sont des collaborateurs des franchisés ; il faut trouver les bons leviers pour être influents sans diriger. On va évoquer le « besoin de sens » des jeunes ; Mais « le sens, ça ne veut rien dire ! » nous dit la coach. Ouch ! Et ça repart. La balle circule.

Heureusement, l’animateur est là pour réorienter et relancer les questions.

Forcément, on parle de technologies.

Le metaverse, on y est ou on n’y est pas encore. Les avis sont partagés (dans l’enquête Marketing déjà citée, « créer une stratégie pour le metaverse » vient en avant-dernier pour les Top 10 priorités).

La Blockchain, c’est une vraie révolution, cette capacité à rendre unique un actif numérique, c’est permettre d’apporter plus de confiance aux utilisateurs, en créant des infrastructures de confiance, pour stocker son identité numérique, et le reste, dans son smartphone. Fini les porte-monnaie en cuir dans nos poches (on fait le test : qui a encore un porte-monnaie en cuir dans sa poche ?).

Oui, mais la blockchain c’est aussi la consommation d’énergie pour une transaction de bitcoin qui équivaut à 1 million de transactions VISA. Ouch ! On est reparti dans la discussion.

De la technologie, on passe aux données. C’est le cœur de l’innovation client ? La loi RGPD a eu une vertu éducative pour nous rendre compte de la valeur de la donnée, et de l’enjeu de s’approprier la manière dont elle est utilisée. Pour le moment, les données sont exploitées par les opérateurs sans qu’on sache toujours très bien comment. L’un des participants nous l’a dit « Je hais Facebook, et n’y suis pas ! ».

Aujourd’hui, en termes de consommation d’énergie et d’usage des données, on n’est pas confortable (un participant nous dit « on est dans la m… »). Y-a-t-il de quoi s’inquiéter ? Oh, que non ! ; c’est dans ces moments où ça ne va pas que les innovations de rupture surgissent et relancent le jeu. A nous d’innover et d’être dans le jeu (ça me rappelle le livre de Simon Sinek, «  the infinite game »).

Mais pour innover, comment faut-il faire ? Sûrement pas en restant enfermés dans les bureaucraties des grands groupes ; mais en créant des structures libres, comme des start-up à l’intérieur des grandes entreprises, avec une structure « hyper flat », qui apprennent à échouer et à changer de projet quand ce n’est pas le bon (dans la Silicon Valley, 95% des projets échouent, donc ce chiffre de 5% de réussites est à garder en tête).

Et puis, pour garder les bons collaborateurs, on en revient au management, surtout le « management de proximité », qui fait la différence et nourrit le collaborateur qui se pose aussi des questions : Est-ce que cette entreprise, ce travail, contribue à quelque chose qui me motive dans la société ? Et est-ce que l’on m’écoute, est-ce que je compte dans cette entreprise ?

Au bout de trois heures de discussions, on arrête.

Une belle expérience, on a appris plein de choses, on a découvert de nouvelles idées et de nouvelles personnes. On repart avec une envie d’innover et de faire partie du jeu, chacun selon sa place.

Pourquoi les entreprises ne font-elles pas ça plus souvent ?

On se retrouve dans un mois ; Hâte d’y être.

Sans vicomtes, ni marquises...

 


Huit milliards de vendeurs qui nous aiment

VendeursDans le roman « Control », de PW. Singer et August Cole, l’un des protagonistes commercialise des données très chères qu’il a obtenu gratuitement, comme il le dit :

« Nous en savons plus sur les Américains que leur propre gouvernement. Des capteurs dans Ieurs Viz Glass (des lunettes connectées). Des capteurs dans leurs médicaments contre les brûlures d’estomac. Des implants dans leurs maisons. Des implants dans leurs reins. Des puces dans leurs chats. Des puces dans leurs puces. Le tout analysant ces données au sein d’un réseau en expansion constante et rendant compte de tout et n’importe quoi sur le cloud. Nous pouvons alors recouper et exploiter ces informations quasi infinies jusqu’à acquérir une connaissance que les gens n’imaginent pas dans leurs rêves les plus fous. Dans leurs rêves les plus dérangeants, même, des révélations sur leur profil psychologique, leur personnalité, à tel point que l’algorithme en sait davantage sur eux qu’ils n’en savent eux-mêmes. Et si nous facturons aux entreprises les fruits de cette récolte, les gens nous donnent tout cela gratuitement. Non seulement ce qu’ils font et pensent, mais les moyens de changer ce qu’ils font et pensent. Ils nous donnent le contrôle de leur vie, sans réserve, en échange d’un libre accès à des services et à des biens que nous leur faisons payer au prix fort… ».

Roman de science-fiction ?  

Oui, et non, car ces technologies et ce qu’elles permettent, ainsi que les comportements des consommateurs, cela existe déjà aujourd’hui ; le meilleur exemple est la prolifération de ces « assistants personnels » tels Alexa (Amazon) ou Google Assistant. Les analystes prévisionnistes de Juniper Research prévoient que ces assistants seront 8 milliards d’ici 2023, soit plus nombreux que la population sur Terre !

Cette prévision n'est peut-être pas totalement réaliste. Un expert que j'ai consulté m'a indiqué que l'équipement est de 35 millions aux Etats-Unis aujourd'hui, et devrait être à 200 millions en 2023.

Indépendamment du chiffre, l’étude prévoit que le développement de ces assistants personnels affectera négativement le marché des applications mobiles, car les interactions que nous avons avec les applications mobiles seront remplacées par des conversations avec les assistants vocaux, et feront donc diminuer notre temps d’écran.

Et certains y voient déjà, et le roman de PW Singer et August Cole met bien le doigt dessus, une forme de conflit d’intérêt.

En effet, est-ce que cet assistant vocal est là pour nous assister dans notre vie quotidienne, ou bien pour nous pousser à acheter, avec des méthodes très persuasives, grâce aux données collectées et achetées par les vendeurs. Hello, il fait froid aujourd’hui, que dirais-tu de t’acheter un joli pull à col roulé ; veux tu que je t’en propose quelques-uns ? Le même que tu as regardé hier sur le site de cette marque. Ou le même que Bruno le Maire dans ce tweet que tu as « liké ».

Pour l’instant, les assistants personnels sont encore utilisés pour des tâches très simples (une étude a révélé que 20% des utilisateurs faisaient usage de leur assistant vocal pour faire bouillir un œuf); mais on les utilise aussi pour consulter la météo ou écouter de la musique.

Les usages vont se multiplier avec leur développement, pour se distraire et pour acheter, un voyage, un service, une voiture. 8 milliards d’assistants personnels, ce seraient en fait 8 milliards (ou peut-être moins) de vendeurs qui vous harcèlent sans que vous vous en rendiez compte.

Alors, pour répondre à ces conflits d’intérêts, les prévisionnistes imaginent plusieurs scénarios.

On peut imaginer une auto-régulation par les entreprises comme Amazon ou Google qui décident de séparer les activités d’assistant vocal de e-commerce, en créant des filiales séparées pour ces deux activités. Ou bien au contraire la prolifération des vendeurs( ayant acheté les données des assistants vocaux) pour pousser de plus en plus d’offres de produits et services dans ces 8 milliards d’appareils à des consommateurs sous influence, sans qu’ils s’en aperçoivent.

On peut aussi croire que les régulateurs et les gouvernements vont agir. Mais la question demeure : Quand et comment ? Les premières régulations concernent la protection des enfants, avec les systèmes de contrôle parental sur certains services et streaming. Mais pour le reste, il va falloir encore inventer, et peut-être même que les consommateurs ne voudront pas être ainsi contrôlés, trop contents de pouvoir se voir proposer des tas de trucs utiles ou inutiles dont ils seront convaincus d’avoir vraiment besoin, grâce à la gentille Alexia.

Les auteurs du roman disent avoir écrit cette fiction pour nous aider à réfléchir et à affronter les enjeux de ces nouvelles technologies dans ce qu’ils appellent « la vraie vie ».

Mais peut-être demanderons-nous aussi à Alexa ou Google Assistant ce que nous devons en penser et quoi faire.


D Day

DDAYLes idées ne manquent pas, ni les apprentis entrepreneurs, pour inventer les services et produits Techs qui devraient résoudre des problèmes et même changer le monde, le monde des plateformes. Mais, on le sait, les investisseurs aussi, certains vont marcher, et d’autres vont disparaître à peine nés, faute de clients en nombre suffisant, alors même que techniquement le produit ou le service était peut-être top.

L’histoire commence souvent bien. Le produit est développé et amélioré. On décroche les premiers clients, ceux qu’on appelle les « early adopters ». Ils adorent le produit. Ce sont les mêmes qui achètent toujours ce qu’il y a de nouveau, ils aiment essayer et être en avance sur les autres.

Le problème avec ces clients, c’est qu’ils ne sont pas nombreux. La masse, ce sont plutôt les clients qui n’achètent que s’ils sont convaincus que le produit, le service, ou l’entreprise qui le propose, tient la route, et pour ça, ils regardent combien vous en avez déjà vendu. Si le nombre n’est pas suffisant, ils ne veulent pas prendre le risque et préfèrent attendre. «  Revenez me voir quand vous serez bien implanté sur le marché ».

Oui, mais le problème, c’est qu’avec ma poignée de « early adopters » sur mon carnet de commandes, je n’intéresse pas cette majorité et ils ne veulent pas de moi. Et donc je n’arrive justement pas à m’implanter sur le marché. Je suis devant un « chasm ».

C’est ce dilemme que Goeffrey A.Moore a détecté et pour lequel il a développé un modèle pour s’en sortir dans son ouvrage célèbre « Crossing the chasm ». C’est dans cet ouvrage, qui date des années 90, qu’il donne les clés pour réussir à traverser ce « chasm » et passer des « early adopters » à la majorité des clients, il les appelle les « pragmatiques », qui feront notre succès. Il reste complètement d’actualité et j’en recommande la lecture à tous les entrepreneurs et consultants qui se trouvent confrontés à ce dilemme.

Et pour comprendre son modèle, il utilise une analogie qui résume toute la démarche. Cette analogie c’est celle du « D-Day », le jour du débarquement, le 6 juin 1944.

Quelle est cette analogie ?

On peut décrire la situation comme un but à long terme qui est de prendre le contrôle d’un marché de masse (L’Europe par les armées d’Eisenhower), qui est actuellement dominé par un autre compétiteur (les armées de l’Axe et de Hitler). L’objectif est de rassembler une armée d’invasion (les Alliés). Notre but immédiat, pour entrer sur ce marché, est de partir d’une base « early market » (l’Angleterre) et d’attaquer un segment stratégique (les plages de Normandie). Entre notre base et notre point d’attaque il y a un «chasm » (la Manche). Nous allons traverser ce « chasm » aussi vite que nous le pourrons, avec une force d’invasion concentrée directement et exclusivement sur le point d’attaque (D-Day). Une fois que nous avons conquis et forcé l’adversaire en dehors de ce point d’attaque (sécurisé la tête de pont), alors nous pourrons nous déplacer pour conquérir de nouveaux segments de marché (les régions de France), jusqu’à ce que nous dominions tout le marché (la libération de l’Europe).

Pour traverser le « chasm », Geoffrey A. Moore nous conseille de suivre exactement la même stratégie.

Tout le secret de la réussite c’est bien sûr de bien choisir le point d’attaque, le segment de clients qui sera notre tête de pont, nos plages de Normandie. Et non de tenter de vendre notre service ou produit à tout le monde et n’importe qui, c’est-à-dire à tous les pragmatiques qui vous rejetteront.

C’est donc en se concentrant sur une niche ciblée, et en mettant tous les moyens dont il dispose (c’est-à-dire une surabondance de moyens au regard de la taille de la niche) que l’entrepreneur va pouvoir faire la traversée. Et il sera ainsi armé, une fois la traversée faite, pour se déployer sur les autres marchés.

Car, avec des moyens réduits, pour gagner un marché, il faut viser et se concentrer sur un segment le plus réduit possible (tout en étant quand même une base solide suffisante pour la suite).

Alors, comment choisir le bon point d’attaque ?

En premier lieu, il ne s’agit pas de chercher un marché mais un client. Ça change tout. Les marchés sont toujours une notion impersonnelle ou abstraite. Alors qu’identifier un client, un vrai, rend l’exercice plus probant.

Les techniques à utiliser pour le trouver, ce client et ses semblables, tournent autour des mêmes questions :

  • Qui est-il ? Quel est le client utilisateur ? Quel est le client qui achète ? Quel est le client technicien qui conseille l’acheteur ?
  • Un jour dans la vie du client, avant d’acheter le produit…
  • Un jour dans la vie du client, une fois acheté le produit…

Et pour encore préciser ce point d’attaque, on se pose aussi quelques questions comme :

  • Quelle est la vraie raison qui le fera acheter ? 
  • De quels autres produits ou services a-t-il besoin, en plus du nôtre, pour avoir satisfaction complète ? C'est ce qui permet de créer le réseau de partenaires pour proposer le "produit complet".
  • Où pourrait-il trouver une autre solution pour résoudre son problème ? Et comment traiter cette compétition ? 

C'est en testant ainsi les clients, les groupes de clients, les segments, que peut être identifié le scénario le plus en ligne avec notre produit ou service, et donc le meilleur point d'attaque. Pour cela, interroger et observer nos amis, nos associés, des clients, des partenaires. Oui, c'est ce que l'on appelle aujourd'hui le "design thinking" , du moins en esprit(même si Geoffrey A. Moore n'employait pas ce mot).

Le secret, c'est d'être le plus "focus" possible.

Le point d’attaque est trouvé ?

Alors, prêt pour le débarquement, et lire et relire Geoffrey A. Moore.

C’est le jour le plus long.


Les histoires d’amour qui finissent...en algorithmes, en général

ReligieuseMieux connaître les clients, mieux les gérer, mieux les convaincre, c’est une vieille histoire. On appelle ça le Marketing, ou la Relation Client.

Celui qui s’y connaissait, qui excellait dans cet art, c’était historiquement le vendeur, le bon vendeur qui connait les besoins du client avant que celui-ci les exprime, grâce à son sens psychologique, son sens du commerce, et à son baratin convaincant. Et ce bon vendeur gardait bien secret tous les petits trucs du client, les petits détails personnels qui montrent qu’on le connait bien et qu’on se rappelle de lui. Cela marche encore avec la pâtissière et le boucher du quartier. Cela ressemble à une histoire d’amour. Pour les autres on est passé à autre chose : c’est l’ordinateur qui fait le boulot. Et là, ça change.

Dans les années 80, une éternité, ce fut la grande époque des bases clients, des statistiques, de la segmentation des clients. Et les années 90, tous les consultants un peu anciens s’en souviennent, furent les années des systèmes CRM. Les Rolls Royce de la relation clients s’appelaient Vantive, ou Siebel, deux entreprises qui ont totalement disparues aujourd’hui. Avec ces systèmes, la masse des clients devenaient un sujet d’analyses inépuisable et créait de nouveaux métiers comme celui de gestionnaire de la base clients, ou de data miner. Et pour mieux gérer tout ça, les cabinets de consultants multipliaient les missions de « Relation clients », devenu « capital client » pour faire encore plus riche, et installer tous ces outils merveilleux.

Et tout a de nouveau changé dans les années 2000 avec un nouvel ami, internet, et ses cousins favoris, les réseaux sociaux. Là, on n’est carrément plus dans la gentille pâtissière qui connait les péchés mignons des clients, et leurs penchants pour les religieuses au chocolat. On passe à une forme plus agressive, le mot est faible. Les analystes, se sentant des âmes de prévisionnistes, vont alors se ruer sur des données inédites : le nombre de clics, le surf d’un site à l’autre, le nombre de pages consultées, l’achat en ligne, les cookies, l’adresse email, et les images, vidéos, et textes postés sur les réseaux sociaux. Et voilà de nouveaux métiers, outils  et expertises qui apparaissent alors : l’emailing dans nos boîtes mail, le « retargeting » pour suivre et solliciter un prospect que l’on va traquer sur tous les sites qu’il va consulter (à force de voir l’aspirateur sans sac partout, il va peut-être finir par l’acheter, le bougre), mais aussi le « Web Analytics », pour suivre la performance d’une opération digitale, le « Real Time Bidding », pour proposer en temps réel les publicités adaptées à chaque internaute par un système de vente aux enchères. Avec les smartphones et l’internet mobile, la coupe est pleine, avec plein de données supplémentaires pour les experts du e-marketing (bienvenu au club !).

Doucement, mais sûrement, nous voilà entrés dans une nouvelle phase, on est en plein dedans : les mégadonnées (le Big Data pour les fanas des mots en anglais). Car il faut maintenant réfléchir à la meilleure manière de recueillir, stocker et analyser ces masses de données hétérogènes et non structurées, avec des images, des vidéos et des textes. D’où les nouveaux dispositifs de Big Data qui se sont développés, les orfèvres étant bien sûr Google et Facebook. L’excellence, c’est d’être capable de traiter les plus gros volumes possibles, mais aussi très vite. D’où les architectures complexes pour stocker les données sur le Cloud. Et le fin du fin est alors l’introduction d’algorithmes et d’Intelligence Artificielle, pour faire faire à la machine toutes les prévisions et traquer encore mieux, sans intervention humaine (ce n’est plus de l’amour, c’est de la rage). On appelle ça le marketing de l’attractivité. C’est le cas des services de vidéos par abonnement, où l’algorithme détermine les titres à proposer pour lesquels l’abonné sera le plus appétant. Et ce marketing de l’attractivité va aussi permettre de proposer des offres personnalisées à chacun. De quoi donner un gros coup de vieux aux CRM d’hier. Tout est à revoir. Les propositions vont se faire en push (tu as aimé le film A, tu devrais aimer le film B), mais aussi en pull, en réagissant à une action du client sur le site internet. Caractéristique de la tendance : la baisse du prix, et la disparition de pas mal de métiers et experts du marketing d’hier. L’Intelligence Artificielle a fait naître l’ultra-personnalisation de la relation client.

Les rois de la publicité s’en sont déjà aperçus et bougent à toute vitesse dans ce que Le Monde appelait hier « le troisième âge de la publicité » : Publicis a annoncé cette semaine l’acquisition du spécialiste américain de l’analyse des données de comportement des consommateurs, Epsilon, pour 4 milliards de dollars. Le XXème siècle était celui des réclames, des affiches, des spots radios et télés, avec des agences de plus en plus grosses et puissantes, concevant des campagnes mondiales ; Publicis en était un des rois. Cela a failli continuer pour lui avec l’acquisition envisagée de son principal concurrent américain, Omnicom, en 2013. Heureusement que ça a raté, car tout s’est retourné depuis, et c’est avec Epsilon que le meilleur mariage se fait (encore une histoire d’amour). Il ne s’agit plus de faire de la publicité sur le web, mais de changer complètement de modèle. On ne vend plus la même voiture à la masse, mais chaque voiture à un individu. Les Google et Facebook parlent directement aux clients en fonction de leurs comportements, et les champions de l’algorithme, comme Accenture, fournissent les traitements en amont. Publicis va avoir à trouver sa place dans ce nouveau jeu.

Et pour remplacer le petit sourire de ma pâtissière qui connaît mes péchés mignons, maintenant on a « Bibi ».

Vous ne connaissez pas « Bibi » ?

C’est le nouveau programme de fidélité de Franprix, dont parlait Les Echos lundi. On y accède par l’application smartphone de l’enseigne. « Bibi » connaît tout de nos goûts et de nos envies grâce à l’historique de nos achats mais aussi des données que nous laissons sur le web avec les cookies. Avec tout ça, Franprix envoie à chacun des offres personnalisées et des « pop up » qui s’affichent dans l’application. Si vous regardez des poussettes, Bibi vous envoie des produits pour bébé. Et si  vous n’êtes pas intéressé, l’Intelligence Artificielle va vite corriger, et Bibi ne recommencera plus. Avec Bibi, la fidélisation va loin : le simple fait d’aller dans un magasin ou un site donne droit à des points de fidélité, même si vous n’achetez rien. Il nous propose aussi des réductions et des offres ailleurs que dans les magasins Franprix, comme des places de cinéma par exemple. Franprix a même prévu d’utiliser bientôt Bibi comme moyen de paiement.

Oui, même la fidélité n’est plus ce qu’elle était. Les Echos citaient, dans le même numéro de Lundi, la création par Casino de RelevanC : cette filiale agglomère les données des 4,5 millions de porteurs de cartes de toutes les entités du Groupe ( Casino, Monoprix, Franprix, Cdiscount, Sarenza, etc.), et vend les analyses aux industriels. Elle propose ainsi un dispositif promotionnel clé en mains aux marques. La start up UntieNots, créée en 2016 par deux analystes, organise, elle, des « challenges fidélité » : ses algorithmes analysent les achats du porteur de carte, et, selon ses habitudes et goûts, va lui proposer des « deals » liés à une marque ou une gamme de produits. Le client choisit parmi ces « deals » ce qui l’intéresse. Si en un mois ou deux il achète des produits de série proposée, son compte est crédité d’un nombre d’euros en proportion. Les enseignes déterminent elles-mêmes la taille de l’enveloppe de remises, et mettent les marques à contribution. C’est le « troisième âge des politiques de fidélité », comme le titre Philippe Bertrand dans Les Echos.

Avec le troisième âge des Data, de la publicité, et de la fidélité, les histoires d’amour de ma pâtissière ont fini en algorithmes.

A moins de retourner rue du Croissant ...

 


Mais que font les animaux en peluches au Starbucks ?

PeluchesVous en avez entendu parlé : Tout le monde veut être "Customer Centrix"...

Mais ça n'a pas l'air si simple.

C'est pour ça que j'en parle ce mois-ci dans ma chronique sur "Envie d'Entreprendre".

J'y ai mis un coiffeur, un marchand de glaces, et des animaux en peluches.

Mais il y a aussi une tondeuse à gazon,

Et même Jules César.

Un vrai film...

Envie d'y comprendre quelque chose? Avec du customer centrix dedans...

C'est ICI que ça se passe !!!

Et restez connectés avec l'entreprise connectée (ça parle de ça aussi).