Don : Tous « maussquetaires »

MousquetairesCela fait maintenant quelque temps que la théorie de l’ « homo aeconomicus » ne fait plus l’unanimité. L’ »homo aeconomicus », c’est cet individu que nous serions tous, indifférent aux autres, et qui ne cherche qu’à maximiser son avantage propre, son intérêt personnel, son propre bonheur, et uniquement celui-là. C’est lui qui justifie que le seul lien entre les individus est celui qui repose sur le contrat, et qu’il est le fondement du fonctionnement de la société de marché libérale, où l’équilibre économique se fait naturellement par les échanges et la loi de l’offre et de la demande.

Les bases de la critique seront celles de Durkheim, dans son livre « De la division du travail social »(1893), où il montrera que la division du travail ne s’explique pas seulement par des considérations utilitaires, par son efficacité économique, mais tout autant par des considérations morales. Il écrit à propos de cette division du travail que « les services économiques qu’elle peut rendre sont peu de choses à côté de l’effet moral qu’elle produit, et sa véritable fonction est de créer entre deux ou plusieurs personnes un sentiment de solidarité. De quelque manière que ce résultat soit obtenu, c’est elle qui suscite cette société d’amis, et elle les marque de son empreinte ».

C’est Marcel Mauss, notamment dans son « essai sur le don »(1925) qui poursuivra en disant que les êtres humains ne peuvent se laisser réduire au rang de simples « animaux économiques ».

C’est parce qu’ils sont liés par la recherche de l’amitié et de la solidarité que la société ne peut pas se tisser à partir des seuls contrats individuels.

La recherche de Marcel Mauss, dans cet essai, est de se demander comment se déroulaient les échanges dans les sociétés lorsque le marché n’existait pas, et donc d’identifier ce qui subsiste dans la société marchande de ce qui l’a précédé. En analysant notamment les pratiques de l’échange, telles que le potlatch, dans les sociétés primitives, il observe que « l’homme n’a pas toujours été un animal économique ». Dans les sociétés archaïques, les échanges et les relations sociales s’organisent selon la logique d’une triple obligation de donner, recevoir et rendre. Ainsi, on ne peut pas devenir une personne pleinement reconnue sans s’efforcer de prouver sa valeur en effectuant des dons, et inversement on ne peut pas refuser le don qui vous est fait, ni ne pas rendre les dons reçus (mais il faut le faire en rendant plus et plus tard).

Deux auteurs, Alain Caillé et Jean-Edouard Grésy, vont redonner de l’actualité et prolonger la réflexion sur cette « économie du don », dans leur ouvrage « La révolution du don – Le management repensé » (2014) en tirant leçon des écrits des auteurs cités pour dire que nous inscrivons notre existence dans une logique de l’alliance (ou de la défiance), du don et du contre-don, de dettes et de créances.

Pour cela ils complètent la formulation de Mauss, en posant que le don fonctionne selon, non pas trois, mais quatre temps : demander, donner, recevoir et rendre, ajoutant ainsi cet élément de la demande aux trois autres étapes identifiées par Mauss. Et ils vont ainsi appliquer ces concepts à nos méthodes de management, pour les « repenser ». On peut relire tout ça encore aujourd’hui, c’est toujours d’actualité dans notre façon d’organiser l’entreprise et de faire fonctionner les relations humaines en interne, et aussi vis-à-vis de l’externe, clients ou fournisseurs et partenaires. Et même le faire découvrir ou redécouvrir aux managers et dirigeants en panne de fluidité et d’efficience dans leur entreprise.

Si ce sont des facteurs financiers, physiques ou techniques qui déterminent l’efficacité d’une organisation (capacité à obtenir des résultats), l’efficience (capacité à obtenir un maximum de résultat avec un minimum de ressources) relève de l’invisible et de l’impalpable, et dépend donc, selon l’analyse des auteurs, de la bonne circulation des dons effectués selon le rythme de demander, donner, recevoir et rendre. Et on comprend bien qu’une organisation qui fonctionne bien est celle qui est à la fois efficace et efficiente. Et ce qui compte pour l’efficience, c’est justement cet engagement dans l’action collective que les auteurs appellent « l’adonnement », c’est-à-dire le degré de passion et d’intérêt pour la tâche à accomplir.

Ainsi, une organisation efficiente sera celle qui favorise la coopération, en misant sur les relations informelles tissées entre les collaborateurs, où chacun aide l’autre, par des dons et des contre-dons, en dehors de considérations hiérarchiques ou de règles et de contrôles édictées par le haut. Je t’aide spontanément, je te donne de mon temps et de mon attention, et réciproquement. Ce sont ces mécanismes informels qui font fonctionner l’organisation.

Alors imaginons un manager ou dirigeant qui voudrait tout d’un coup apporter ses réformes et sa vision, pour tout réorganiser, changer les règles, délocaliser, relocaliser, regrouper, changer les structures de gouvernance, tout bien formaliser, sans se préoccuper de ces liens de dons et contre-dons informels (on en connaît sûrement de tels individus, non ?). Et bien, le risque sera de déstabiliser l’ensemble, d’isoler, et de casser les liens entre les collaborateurs. Car, bien sûr, on ne peut jamais tout mettre en règles et en procédures. Le travail réel ne ressemble jamais au travail prescrit. Ce sont les adaptations, les connivences et habitudes, le bon sens, des employés et collaborateurs entre eux qui font fonctionner les organisations. Une organisation qui serait réduite à une structure formelle de règles explicites serait vite paralysée. C’est ce que l’on appelle la grève du zèle. Lorsque les policiers contrôleurs appliquent un contrôle strict à la sortie de l’autoroute, pour vérifier les attestations après 18H00 post-couvre-feu, on l’a vu, c’est l’embouteillage sur 400 kms. On parlera de « manque de discernement ».

On comprend bien que ces organisations qui croient en « l’économie du don », qui favorisent le travail en équipe, l’autonomie et le plaisir au travail, et qui privilégient la régulation et l’autorégulation sur la règle, seront plus flexibles et meilleures à vivre.

Mais voilà, on n’enclenche pas  ce cycle «demander, donner, recevoir et rendre » aussi facilement que ça. Et pour que toute l’entreprise y participe, cela commence par le haut (on le sait, « le poisson pourrit par la tête »). Le livre d’Alain Caillé et Jean-Edouard Grésy est un bon manuel pour détecter tout ce qu’il ne faut pas faire, et enclencher une « révolution du don » dans son entreprise ou son équipe.

Ainsi, demander, ce n’est pas exiger, comme le font ces managers qui croient que leurs collaborateurs comme des objets, de outils au service de leurs aspirations, ou un moyen de satisfaire une soif de pouvoir. Dans le don, demander, c’est entrer en relation et en confiance, car toute demande s’expose aussi à un refus.

Donner, dans la conception de Marcel Mauss, c’est entrer en relation, mais ce n’est pas écraser, comme le ferait celui qui est obsédé par une volonté immodérée d’être admiré, et qui donne en humiliant, en voulant dominer, et en refusant même de recevoir, car il cherche à maintenir sa dette pour garder sa proie captive. Mais il est tout aussi néfaste de ne pas savoir donner, comme ce manager qui veut montrer qu’il sait tout faire mieux que les autres et les collaborateurs, et qu’il a plus de choses à faire que tout le monde, car il est le seul à pouvoir sauver le monde. Inversement, le vrai don et un pari de confiance. Il y a don, et façon de donner. Ainsi, dans la relation entre le manager et ses collaborateurs, ce n’est pas toujours le montant de la prime accordée qui est perçue de manière profonde par le collaborateur, mais d’autres attentions et comportements qu’il gardera en mémoire longtemps, alors qu’il oubliera vite ces gratifications purement financières qui donnaient l’impression d’acheter son obligation.

Recevoir n’est pas si facile que ça en a l’air, car recevoir c’est accepter d’être en dette. Ceux qui ont peur d’avoir à rendre vont se montrer réticents à accepter les dons, préférant rester dans des échanges professionnels mesurés. Les petits cadeaux qu’on ramène de vacances pour ses collègues, les attentions personnelles (prendre des nouvelles du collègue, indépendamment de toute transaction liée au travail productif), tout ça est considéré comme inutile. Restons-en au travail, s’il te plaît. C’est comme ça que ce genre de personne va se méfier des gens qui veulent lui rendre service, leur faire des compliments, ou leur faire des cadeaux, de peur de se sentir acheté. Et si cette personne est votre manager, on imagine bien l’ambiance au travail. Inversement, ne pas savoir recevoir est aussi problématique. C’est ce que l’on apprend aux enfants : dire merci. Et pourtant, combien de collaborateurs ont parfois l’impression que leurs managers ne leur apportent pas assez de reconnaissance et de remerciements. Au point, dans certaines entreprises, de venir briser la créativité et l’engagement. Ce sont pourtant ces attentions qui font « circuler le don ». Quand nous débutons dans un métier, nous ne pouvons rendre tout de suite à celui qui nous a appris, qui ne le demande pas, car lui aussi a reçu d’autres mentors. Ces dons que l’on se transmet des uns aux autres font ce qui préserve la culture et l’œuvre commune de l’entreprise.

Rendre, c’est la dernière étape du « cycle du don », mais aussi le début d’un nouveau cycle dans les relations et les échanges. Car rendre, ce n’est pas solder et se sentir quitte, comme dans une négociation. Ceux qui attendent systématiquement une contrepartie à leurs dons entretiennent cette confusion. On pense aussi aux cadeaux qui sont faits aux clients, ou à ceux reçus des fournisseurs. Certaines entreprises décident même de les interdire. Autre situation, ce collaborateur à qui on demande de rester travailler plus tard, et qui l’accepte pour se montrer coopératif, va se voir de nouveau sollicité de nouvelles fois, et pourrait finir avec le sentiment de « se faire avoir ». Tout est affaire de dosage subtil et d’état d’esprit, l’objet étant de savoir « rendre de bon cœur », et donner du sens aux dons et contre-dons. C’est ce qui génère le niveau d’engagement, le degré de passion et d’intérêt au travail des collaborateurs.

On comprend que cette « révolution du don » demande un peu de travail, individuel et collectif. Comme le précisent les auteurs :

«  Le don est donc affaire d’esprit de finesse et non de géométrie. De tact et de doigté. D’incertitude mais aussi de confiance à la fois.

Celui qui aura compris à la fois toute l’incertitude et la puissance du don saura en retirer un bénéfice, et tous ses associés avec lui ».

Bref, le don ; ce n’est pas donné à tout le monde !

Qui est prêt à devenir « maussquetaire » ?


Rencontre avec une combattante

GuerriereOn se souvient encore, au moment de la bataille de Veolia pour réaliser une OPA sur Suez, des déclarations de son PDG, Antoine Frérot, annonçant aux journalistes, en novembre 2020, que son objectif était de « construire un grand champion français de la transition écologique, et cela passe par un mariage plein et entier entre Suez et Veolia ».

Mais voilà, la Commission de la Concurrence est passée par là, et Suez n’a pas pu être absorbé complètement, mais seulement à hauteur de 30% de ses activités, et ce qu’on a appelé « le nouveau Suez » est reparti au combat avec une nouvelle PDG, Sabrina Soussan.

C’est cette combattante, nommée en février 2022, que je recevais mercredi pour une conférence avec PMP au collège des Bernardins. Une vraie rencontre. Soussan4

Elle est revenue en France après vingt ans dans des postes de management à l’international, notamment chez Siemens, en Allemagne et en Australie. Elle n’a pu éviter de faire part de son étonnement, venant d’entreprises à culture plus anglo-saxonne, face aux mœurs françaises : on lui a demandé quelle école elle avait faite, tout était fait en français dans les instances de direction, les Directeurs des pays étaient pour la plupart des français en expatriation qui y passaient trois ans.

Elle n’a pas perdu de temps pour changer tout ça, nommant des Directeurs locaux dans les pays, et renouvelant le Comité Direction (les précédents étant pour la plupart partis chez Veolia ou partis de l’entreprise) : une petite équipe de huit personnes, dont deux femmes, et plusieurs bi-nationaux (comme elle), ou ayant eu une carrière à l’International.

Car Suez, avec ses neuf milliards de chiffre d’affaires, et 40.000 collaborateurs (dont 80% de non-cadres, opérationnels et ouvriers sur le terrain dans des métiers de proximité parfois difficiles de ripeurs – qui ramassent les poubelles – ou de tris de déchets par exemple) est une entreprise internationale, présente dans quarante pays, comme la Chine ou l’Australie. Maintenant, les Comités de Direction s’y font en anglais.

Ce Nouveau Suez, c’est aussi celui qui a quitté la Bourse, pour être maintenant détenue par des investisseurs ( le fond français Meridiam, le fond américain GIP et la Caisse des Dépôts) qui soutiennent une politique de moyen et long terme dans les investissements, et qui se sont engagés pour rester actionnaires, pendant 25 ans pour Meridiam, 10 ans pour GIP et la CDC. Ceci se manifeste, nous dit Sabrina Soussan, dans les discussions au Conseil d’Administration pour challenger les projets. Un projet rentable qui ne serait pas en ligne avec la politique d’investissement long terme a peu de chances de passer facilement. Plus compliqué pour les projets qui seraient conformes à cette stratégie long terme mais non rentables : peu de chances qu’ils soient présentés.

Mais l’actionnariat ce sont aussi les salariés : Sabrina Soussan nous a rappelé que le plan d’actionnariat salarié, qui oblige à bloquer le cash pendant cinq ans, a été souscrit par 3% des salariés, avec l’objectif, lui aussi ambitieux, de le passer à 10% d’ici cinq ans.

Autre combat de cette combattante, que nous avons abordé, la diversité et l’inclusion. Soussan5

Sabrina Soussan croit en la diversité, qui, pour elle, ne se résume pas à la diversité hommes – femmes, mais concerne la diversité de pensée, d’environnement et d’intelligence. C’est aussi cette diversité qui est le vecteur de l’innovation, qui joue un rôle important, par les technologies, dans le développement des métiers de Suez dans l’eau et les déchets, comme tout ce qui permet la détection et la prévention des fuites, ou encore le dessalement de l’eau de mer, réinjectée dans la consommation d’eau dans des zones géographiques qui manquent d’eau.

Pour les femmes parmi les managers, qui représentent 34%, elle veut les passer à 40%.

Elle est particulièrement attentive au TOP 250, qu’elle a trouvé à son arrivée avec 90% de français. Elle veut y injecter la diversité de culture et d’international qui lui tiennent à cœur.

Même chose pour les plans de succession, où elle réclame au moins un candidat « diverse » à chaque fois.

En complément de la politique de diversité, l’inclusion est aussi un domaine en développement, et qui l’était déjà avant son arrivée, mais qu’elle encourage. On ne sait pas forcément que Suez dispose d’une Fondation pour fournir l’accès à l’eau et aux services essentiels dans les pays en développement. Et que l’entreprise a créé une ONG, Aquassistance,  qui comprend des salariés et retraités de SUEZ, pour apporter bénévolement des compétences et du matériel aux populations vulnérables (eau, assainissement, gestion des déchets) dans les pays en développement, mais aussi en France, auprès des squats et bidonvilles.

Cette innovation sociale, c’est aussi le ferment d’une fierté de travailler pour Suez, y compris pour les collaborateurs ouvriers de terrain, qui sont aussi moins connectés, et pour lesquels elle a relancé un journal d’entreprise en format papier.

Oui, on sentait bien que le Suez de Sabrina Soussan, dont elle nous a fait un bel éloge, plein d’optimisme, avait envie d’être ce « Nouveau Suez » et que la conquête, ou reconquête, et l’ambition de voir loin, et d’agir, poussées par l’innovation et l’innovation sociale, ne faisaient que commencer. Les visions d’Antoine Frérot, qui a quitté Veolia depuis, sont bien oubliées.

Et la concurrence sur les marchés reprend ses droits.

Que le meilleur gagne, et bon vent à Sabrina Soussan.

Crédit photos : Serge Loyauté Peduzzi


Envergure

EnvergureAvec le télétravail, on a pris l’habitude de voir ses collègues, et les chefs, un peu moins souvent, du moins en réel (on dit « en présentiel »), parce que, par contre, les « visio » les « Teams » et les « Zoom », on s’y est tous mis.

Et il y a un secteur qui va bien en profiter, paraît-il.

Ah bon, lequel ?

C’est Frédéric Bedin, satisfait, qui le déclare dans Le Figaro du 9 août :

«  La pérennisation du télétravail dans les entreprises entraîne une hausse des réunions professionnelles d’envergure en présentiel ».

Satisfait, car il est justement cofondateur et président d’un groupe de relations publiques et d’évènementiel.

Et cette envie de se retrouver en vrai, et de faire des évènements, « des réunions d’envergure », c’est général. Toujours dans cet article du Figaro, on apprend que « le marché a retrouvé son niveau d’avant la pandémie », dixit Renaud Hamaide, co-président de l’Union des métiers de l’évènement (Unimev).

Pour faire cette « envergure », il faut voir grand. Finis les réunions ou les petits stands dans un salon. Maintenant on doit imaginer des « expériences » qui claquent.

C’est comme cela que le défilé de Louis Vuitton sur le pont Neuf privatisé à Paris a marqué les esprits (et aussi suscité des commentaires plus critiques de la part des élus de gauche de la majorité de la Ville de Paris, qui contestent ce qu’ils appellent « une privatisation de l’espace public »).

Et la fête d’envergure, ce n’est pas seulement pour la marque et les clients. Il y a aussi les employés (on dit « les collaborateurs » pour montrer qu’ils sont vraiment associés à l’entreprise). Et rien n’est trop grand et beau pour les charmer et les fidéliser.

C’est L’Oréal qui a visé grand en offrant à 8.500 collaborateurs une « Summer Party », avec music-hall, dance et show d’Aya Nakamura. Le tout bien relayé sur Tik Tok.

Car il ne suffit plus de bien distraire les employés, il faut le faire savoir et le montrer ; et les réseaux sociaux sont là nos bons amis pour nous y aider. Avec les photos et les vidéos des collaborateurs qui rigolent et chantent en chœur.

On peut aussi essayer de faire la fête dans le Metaverse. C’est ce qu’a tenté la Commission Européenne, en organisant une fête fin 2022 pour présenter son programme d’investissement Global Gateway, qui vise à multiplier les infrastructures dans les pays en développement (un programme de 300 milliards d’euros quand même). Elle a mis les moyens en argent public, en y consacrant 400.000 euros. L’objectif de cette fête, qui durait 24 heures dans le metaverse, avec DJ virtuel, était de sensibiliser le public des 18-35 ans aux sujets politiques européens.  

Petit problème : elle n’a attiré sur la plateforme que…6 participants !

L’envergure, ça ne marche pas à tous les coups.


Qui peut s’occuper le mieux des emplois difficiles et mal payés : le Ministre ou le dirigeant d’entreprise ?

RecruteL’actualité a mis en évidence récemment, en France, mais aussi dans d’autres pays d’Europe ou aux Etats-Unis, la difficulté à recruter dans des métiers que l’on a qualifié de « métiers en tension », en gros des emplois mal payés, et aux conditions de travail difficiles. Les personnels de restaurants, mais aussi les agents d’entretien, les conducteurs de véhicules, les ouvriers de manutention. On imagine que ces métiers ont du mal à recruter parce qu’ils sont justement difficiles et mal payés, comme d’autres métiers du même genre.

C’est aussi le cas de ces métiers dits « de la deuxième ligne », ceux qui sont restés en poste pendant le Covid, ajoutant à leurs conditions de travail les risques de contamination, c’est-à-dire souvent les mêmes, les métiers de caissiers, manutentionnaires, agents du bâtiment, agents du nettoyage et de la propreté, de l’aide à domicile, de la sécurité, et aussi vendeurs de produits alimentaires, bouchers, charcutiers, boulangers (un rapport de la DARES, organisme d’études du Ministère du Travail, en recense 17).Deuxième ligne, en référence à la « Première ligne » qui concerne les métiers de la santé. Ces métiers concernent en France 4,6 millions de salariés dans le secteur privé.

Le rapport de la DARES met bien en évidence, statistiques à l’appui, que ces métiers « de la deuxième ligne » souffrent d’un déficit global de qualité de l’emploi et du travail : « En moyenne, ces travailleurs sont deux fois plus souvent en contrats courts que l’ensemble des salariés du privé, perçoivent des salaires inférieurs de 30% environ, ont de faibles durées de travail hebdomadaires (sauf les conducteurs), connaissent plus souvent le chômage et ont peu d’opportunités de carrières ». Ce sont aussi ces métiers qui « travaillent dans des conditions difficiles, sont exposés plus fréquemment à des risques professionnels et ont deux fois plus de risques d’accident ».

Comme le dit François Ruffin, Député LFI de la Somme, dans son livre « Je vous écris du front de la Somme », qui cite ce rapport : «Dans notre société, les plus utiles sont les plus maltraités » et « Pour de médiocres salaires, ils mettent en danger leur santé ».

Et il relève aussi une conclusion du rapport, qui explique que ce qui fait tenir ces salariés, c’est qu’ils possèdent « un fort sentiment d’utilité de leur travail ».

Ce rapport est une étape de diagnostic de la qualité des emplois concernés, la DARES prévoyant ensuite de publier des recommandations pour la mise en place de mesures de revalorisation. Le rapport imagine déjà, dans sa conclusion, des leviers de revalorisation sur les niveaux de rémunération, la réduction des temps partiels, ou la prévisibilité des horaires.

Et de mettre en perspective que « l’amélioration de la qualité de ces emplois permettrait d’augmenter leur attractivité (réduisant les difficultés de recrutement fréquentes pour ces métiers), de réduire l’absentéisme (résultant de conditions de travail difficiles), d’augmenter la productivité et la qualité du service pour les clients ».

On comprend que le Ministère du Travail, et François Ruffin qui reprend les conclusions du rapport, cherchent des solutions étatiques, où c’est le Ministre et la loi qui viendraient imposer, règlementer, taxer, comme ils savent faire.

Mais des réponses et initiatives peuvent venir aussi des entreprises et dirigeants eux-mêmes, les réponses ne pouvant être identiques d’un métier à l’autre, ni d’une entreprise à l’autre.

C’est le sujet d’articles dans le dernier numéro de la Harvard Business Review. On est aux Etats-Unis, mais le problème analysé, et les métiers concernés, sont les mêmes.

Zeynep Ton, professeur au MIT, déroule ce qu’il appelle « The obstacles to creating good jobs. And how courageous leaders are overcoming them ».

Dans un contexte où l’opinion générale est que les emplois mal payés, avec des horaires imprévisibles, et peu d’opportunités d’avancement, sont considérés comme un mal nécessaire dans les métiers de la distribution et des. services à faible marge, l’article raconte comment certaines entreprises aux Etats-Unis ou en Espagne (ces « courageous leaders ») ont montré que l’on pouvait contredire cette croyance par des initiatives originales.

L’idée est de remplacer le système des « bad jobs » par un système de « good jobs », considérant que ceux qui restent dans le système des « bad jobs » nécessaires finiront par ne plus pouvoir attirer ou garder les employés dont ils ont besoin, et risquent de fermer dans le pire des cas.

Ces entreprises qui investissent dans la valeur et le service clients, et en même temps dans la productivité des employés, agissent sur deux leviers :

  • Un investissement important dans les employés, sous forme de salaires supérieurs à ceux du marché, des avantages matériels meilleurs, des horaires plus prévisibles, et des emplois à plein temps autant que possible (exactement les sujets du rapport de la DARES),
  • Un modèle opérationnel qui aide les employés à être plus productifs et à servir de manière plus efficace les clients.

Comment s’y prennent-elles ?

Quatre pistes d’action :

  1. Challenger la proposition de valeur et SIMPLIFIER les opérations pour éliminer toutes les activités sans valeur, et permettre aux employés de mieux servir les clients (c’est le bon vieux Lean Management appliqué aux services, qui se développe de plus en plus, mais n’est pas encore adopté par tous).
  2. Trouver le bon équilibre entre la standardisation des process quand cela est nécessaire et, à l’inverse, faire confiance aux employés pour se responsabiliser (« empowerment ») dans l’aide aux clients, l’amélioration du travail, et la gestion des flux.
  3. Mettre en place des formations de pair à pair entre les employés, pour diffuser les bonnes pratiques dans les tâches au contact du client et en back office. C’est sur le terrain que ces pratiques se diffusent et non dans les notes de procédures qui tombent du haut.
  4. Doter chaque unité de travail d'un personnel suffisant pour faire face à des hausses inattendues et consacrer du temps au développement des employés et à l'amélioration du travail.

Ce système semble apporter de nombreux avantages aux entreprises qui l’adoptent : augmentation de la satisfaction et de la fidélisation des clients, meilleure productivité, moins d’absentéisme et de turnover, autant de facteurs de coûts qui sont réduits.

Mais alors, si c’est si génial, pourquoi les autres entreprises (les plus nombreuses) n’adoptent-elles pas ce système ?

Zeynep Ton a identifié quatre fausses croyances qui empêchent les entreprises d’adopter ce genre de système.

  1. Notre Business Model ne nous permet pas d’investir dans ce type d’emplois : On est prêts à investir dans des tas de formations pour les managers, mais, en ce qui concerne les emplois du bas de l’échelle, l’important c’est de réduire leur coût au maximum. Au contraire, les auteurs pensent qu'investir dans ces emplois, et en se permettant des salaires qui peuvent être plus élevés que ceux du marché, l'entreprise va en tirer des bénéfices directs sur la qualité du service client et la réduction du turnover et de son coût.
  1. On ne peut pas faire confiance à cette catégorie d’employés, qu’il faut au contraire bien contrôler, pour éviter les erreurs, l’absentéisme, etc. Ce qui amène à construire des systèmes où la croyance de base est que les employés font tout de travers si on ne les surveille pas.
  1. Nos analyses financières ont démontré que ce type d’investissement n’est pas rentable. C’est sûrement en oubliant tous les bénéfices indirects que cela génèrerait. Ne pas augmenter les salaires, ça donne quoi en satisfaction client ? En augmentation du turnover ? Peut-être des coûts bien supérieurs aux augmentations de salaires.
  1. Mettre en place de tels systèmes, c’est trop risqué : Mais peut-être que le status quo est encore plus risqué, si l’on prend en compte les démotivations et les difficultés croissantes à recruter.

C’est en cassant ces croyances que l’auteur encourage les entreprises à se lancer dans son approche « Good jobs ».

Un autre article du même numéro de HBR de ce mois : « The high cost of neglecting low-wage workers », par Joseph Fuller et Manjari Raman, tous deux professeurs à Harvard, permet d’approfondir le type d’actions que mènent les entreprises vertueuses pour mieux gérer les employés « Low wage », c’est-à-dire, dans leur enquête, ceux qui gagnent moins de 40.000 dollars par an. On compte large donc.

L’enquête a été conduite à partir d’entretiens de dirigeants et employés d’entreprises américaines, ainsi que via une analyse statistique de la mobilité des employés.

Le rapport complet est disponible ICI.

Les auteurs en ont retenu des exemples de bonnes pratiques pour mieux prendre en compte ces « Low-wage workers ». On retrouve des conclusions similaires à celles de Zynep Ton.

Ils citent quatre actions que pourraient mettre en œuvre les entreprises qui veulent mieux s’occuper de leurs salariés de terrain :

  1. Investir dans la formation

Considérant tous les coûts de recherche de candidats et d’employés, de recrutement, de formation initiale au poste, de moindre qualité du travail pour un nouvel embauché, ainsi que le coût d’encadrement de ces éléments, le turnover finit par coûter cher. Une politique de formation pour retenir les employés est donc souvent un bon investissement.

L’article cite l’exemple de l’entreprise Disney, qui a mis en place en 2018 son programme « Disney Aspire », proposé à tous les employés journaliers ayant effectué au moins 90 jours chez Disney. Ils peuvent alors suivre des cours diplômants, payés 100% par Disney. Ces cours sont par exemple ceux d’universités d’agriculture, ou culinaires. Depuis le lancement, 3.500 employés ont été diplômés, et Disney a pu proposer des promotions internes à plus de 2.800 d’entre eux. Et cela attire aussi les nouveaux employés, un quart d’entre eux déclarant qu’ils ont choisi Disney parce qu’il y avait ce programme.

  1. Faciliter une meilleure communication top-down

Il s’agit là d’être le plus clair possible sur les parcours et carrières accessibles aux employés, et non à les laisser dans le même poste sans perspectives pendant de nombreuses années, voire toute leur carrière à la même caisse du même supermarché.

L’article cite l’entreprise Chipotle qui annonce que plus de 80% de ses leaders viennent du bas de l’échelle par promotion interne, et qui met en avant sur son site l’investissement dans la carrière des employés.

  1. Comprendre les barrières rencontrées par les employés

Il s’agit là de toutes les difficultés personnelles que rencontrent ce type d’employés pour se nourrir, se loger, gérer leur budget familial.

Ce sont donc tous les services que peut mettre en place l’entreprise, comme des avantages complémentaires, pour permettre aux employés de mieux vivre.

  1. Collaborer avec d’autre entreprises

Il n’est pas toujours possible de promouvoir tous les employés au sein de la même organisation. Mais certaines entreprises proposent des parcours aussi en dehors de l’entreprise.

C’est le cas d’Amazon qui a lancé «Career Choice » qui est devenu un programme national. L’idée est de proposer aux employés l’opportunité d’acquérir des compétences et des diplômes leur permettant soit d’être promus au sein d’Amazon, soit de se préparer à des emplois dans d’autres entreprises et secteurs.

Les petites entreprises peuvent faire la même chose, par exemple en créant un consortium de plusieurs entreprises qui mettent en place des formations en communs et des programmes de mobilité inter-entreprises, chaque entreprise finançant le dispositif par une cotisation de membre.

Alors, qui peut finalement le mieux s’occuper des employés dans ces jobs mal payés, aux conditions de travail souvent difficiles, et que l’on a du mal à recruter ? Le Ministre, avec les lois, les taxes, les interdictions et obligations ? Ou l’entrepreneur dirigeant créatif et courageux qui mise sur la confiance et veut transformer les « bad jobs » en « good jobs » ?

Finalement, ce que proposent les auteurs de HBR, c'est que les dirigeants et leaders d'entreprise mettent en oeuvre les systèmes de "good jobs" eux-mêmes, avant que le Ministre ou François Ruffin viennent l'imposer par la contrainte.

Que les leaders courageux lèvent le doigt.


Montesquieu et le management

MontesquieuSi l’on interroge la meilleure façon pour les hommes de vivre ensemble, la référence politique et philosophique reste celle de Montesquieu, qui publie en 1748 son traité de théorie politique, fruit, dit-il, de vingt ans de travail, « L’esprit des lois ». Pas sûr qu’on le lise beaucoup aujourd’hui, même s’il est disponible gratuitement sur internet.

Le titre dit tout : il n’existe pas de façon universelle de vivre ensemble, mais des lois et des modes de vie ensemble qui dépendent des circonstances, et des « climats » de chaque pays. L’ouvrage de Montesquieu est donc une analyse de cet « esprit » des lois, en donnant un aperçu le plus complet possible de la façon qu’ont les êtres humains de s’organiser et de légiférer à travers le monde, tant dans la Rome antique qu’en Chine impériale, ou en Occident.

Cette vision s’oppose à celle d’un universalisme reposant sur un gouvernement mondial, tel que soutenu par exemple par Jacques Attali, considérant que les sujets de protection de la planète imposent cette forme de gouvernement qui s’imposerait à tous les terriens.

L’approche de Montesquieu a été considérée comme très moderne car s’opposant, déjà à l’époque, à des visions universalistes prônant le meilleur gouvernement pour tous, comme celle de Condorcet (d’une génération postérieure à Montesquieu, puisque né en 1743), qui après avoir lu et admiré Montesquieu, a fini par en être le critique.

Car l’approche de Montesquieu, c’est de considérer, de façon neutre, que la loi que se donne un Etat, un collectif humain, correspond à un mode d’inscription des sociétés humaines dans la diversité de leurs milieux vitaux. C’est la liberté humaine qui fait le type de loi et d’organisation, et non la volonté d’un être supérieur (Le Roi, par exemple). Comme il le dit dès le premier chapitre : « Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses, et dans ce sens, tous les êtres ont leurs lois ».Mais « Il y a donc une raison primitive ; et les lois sont les rapports qui se trouvent entre elle et les différents êtres, et les rapports de ces divers êtres entre eux ».

Et les lois qui gouvernent les hommes sont au-delà des lois « naturelles » ou « lois invariables » : « L’homme, comme être physique, est, ainsi que les autres corps, gouverné par des lois invariables ; comme être intelligent, il viole sans cesse les lois que Dieu a établies, et change celles qu’il établit lui-même. Il faut qu’il se conduise, et cependant il est un être borné ; il est sujet à l’ignorance et à l’erreur, comme toutes les intelligences finies ;les faibles connaissances qu’il a, il les perd encore. Comme créature sensible, il devient sujet à mille passions. Un tel être pouvait à tous les instants oublier son Créateur : Dieu l’a rappelé à lui par les lois de la religion ; un tel être pouvait à tous les instants s’oublier lui-même : les philosophes l’ont averti par les lois de la morale ; fait pour vivre dans la société, il y pouvait oublier les autres : les législateurs l’ont rendu à ses devoirs par les lois politiques et civiles ».

Pour en venir aux modes de gouvernements qu’étudie Montesquieu, il en propose trois, le gouvernement républicain, le gouvernement monarchique et le gouvernement despotique.

Le républicain, c’est celui où le peuple « a la souveraine puissance », le monarchique, celui où c’est un seul qui gouverne, mais « par des lois fixes et établies », alors que le despotique, c’est celui où un seul gouverne, aussi, mais « sans loi et sans règle, entraîne tout par sa volonté et par ses caprices ».

Et chacun des trois régimes s’appuie sur des principes différents, que sont la vertu, l’honneur et la force.

Le républicain s’appuie sur la vertu : le peuple, ayant des vertus, peut se gouverner lui-même. On pourrait appeler ça aussi le gouvernement par la confiance.

Le monarchique s’appuie sur l’honneur, les lois fixes assurant sa sécurité, et, dit Montesquieu, « sa vanité ».

Le despotique s’appuie sur la crainte, avec un peuple qui doit être gouverné, non par les lois, mais par la force la plus terrible.

Peut-être cette lecture de Montesquieu peut-elle aussi nous inspirer pour analyser les modes de gouvernance des dirigeants et managers de nos entreprises ? Oui, bien sûr, cela n’est pas la même chose, et la comparaison a ses limites.

Mais ne voit-on pas dans les styles de management des dirigeants des attitudes, des modèles mentaux, qui ressemblent parfois à la typologie de Montesquieu.

Un management de la confiance, pour ceux qui aiment déléguer, décentraliser, libérer l’entreprise.

Un management de l’honneur, de la règle éthique, de la bonne conduite, qui va alors prendre les couleurs d’un régime monarchique, avec ses élites qui savent se tenir et faire respecter les bonnes règles de conduite, et les autres qu’il faut éduquer. Et c'est ce qui va orchestrer l'attribution des grades, les promotions, comme des titres de noblesse.

U management de la crainte, de la peur des sanctions, de la terreur, qui va alors caractériser les dirigeants et managers despotiques et autoritaires.

Montesquieu guide de management ?

Pourquoi pas…


Des chiffres qui parlent, ou qui rendent fous ?

ChiffresAALes dirigeants, directeurs de la Communication, les analystes, les consultants, bref, tout le monde, le savent : le chiffres parlent et ne peuvent être contestés. Si vous voulez faire sérieux et informés, rien de tels que de balancer des chiffres.

C’est pourquoi on en arrive à se sentir « dominés » par les chiffres, qui prennent le pouvoir sur les opinions et les avis de chacun.

Et c’est l’objet d’un livre salutaire de Valérie Charolles, philosophe des chiffres (sic) : « Se libérer de la domination des chiffres ».De quoi relativiser cette croyance de l’objectivité absolue des chiffres. Et l’auteur redonne grâce à un métier des chiffres très en vogue aujourd’hui : celui de faire parler les chiffres.

Car les chiffres ne sont rien sans celui qui a ce talent de « faire parler les chiffres ». On connait tous le truc pour les entreprises, comme pour les ministres : Quand il s’agit de parler à l’extérieur, on va aller chercher les chiffres qui donnent l’image la plus positive possible de la réalité décrite. Et, pour parler à l’intérieur, par exemple demander un effort démultiplié de productivité, ou de résultat, on va insister sur les chiffres qui décrivent les problèmes et viennent justifier les projets à soutenir. Trouver le bon chiffre à produire relève de l’art, et les nouveaux artistes des chiffres ont acquis un nouveau nom grâce aux nouvelles technologies : Ce sont maintenant des « data scientists » qui viennent remplacer les directions de la statistique ou des études que l’on connaissait dans le monde d’avant.

Et tout le monde connait les astuces pour bien présenter les chiffres dans le sens qui nous arrange : choisir la donnée de base, ajuster la période de référence, bricoler l’échelle et le type de présentation. Et le tour est joué.

C’est la même chose avec les sondages. Et le pire pour faire dire n’importe quoi aux chiffres, ce sont les pourcentages.

Par exemple, annoncer « une croissance de notre résultat de 70% » ne dira pas grand-chose si l’année précédente a été catastrophique, et peut-être que cette entreprise ne va pas beaucoup mieux que celle qui annonce une progression de 5%, mais par rapport à une année précédente qui était, elle aussi, plutôt bonne.

Exemple d’effet trompeur de présentation, que relève l’auteur, celui du taux de chômage des jeunes. Selon la dernière parution de l’Insee, le taux de chômage des jeunes au deuxième trimestre 2022 est de 17,8% en France. Mais cela ne veut pas dire que près d’un jeune sur cinq est au chômage, car ce taux de chômage des 15-24 ans correspond à la population des jeunes au chômage, mais non par rapport à l’ensemble des jeunes, mais seulement aux jeunes actifs. Et ne comprend donc pas les jeunes scolarisés, qui poursuivent leurs études. Or ces jeunes scolarisés représentent en France plus des deux tiers des jeunes de 15-24 ans. La proportion des jeunes au chômage est donc trois fois moindre que le chiffre annoncé, et longuement débattu par les politiques et penseurs. Et ces jeunes ne sont pas les pires, les chômeurs de la catégorie 25-49 ans étant deux fois et demie plus nombreux que les 15-24 ans.

Un effet encore plus pervers de ce mode de présentation est que, lorsque la part des études longues va augmenter (une bonne chose a priori pour suivre le niveau d’exigence des compétences), cela fera augmenter le chômage des jeunes (du fait de la baisse du nombre des jeunes actifs). Et inversement, un gouvernement qui choisirait de proposer des petits boulots et stages à ces jeunes hors des études longues obtiendrait des effets positifs immédiats sur ce taux de chômage.

Autre sujet qui alimente les débats sur les chiffres, le chiffre du taux de croissance du PIB.

Car ce chiffre est devenu l’indicateur universel privilégié de la santé économique d’un pays.

Et l’on a tendance à le comparer à ceux connus lors de cette période que l’on appelé « les trente glorieuses », c’est-à-dire les années entre 1945 et 1973, où les taux de croissance annuels moyens dans l’OCDE étaient de 4%, et même autour de 5% pour la France, au point que la Commission Attali sur les freins à la croissance, nommée par Nicolas Sarkozy en 2007, avait conclu que la France devait justement viser une croissance de 5% par an (au lieu des 2% de l’époque) pour ne pas décrocher du reste du monde. En 2022, il était de 2,6% en moyenne annuelle.

Voilà encore un malentendu, source d’erreurs de jugement, que s’ingénie à démontrer Valérie Charolles dans son livre.

Car l’idée que, sans croissance, la sphère économique ne produirait rien, est profondément ancrée, et associée à la peur d’un déclassement au niveau mondial.

D’abord, la comparaison avec ces fameuses « trente glorieuses » est effectivement trompeuse. Cette période qui succède à la deuxième guerre mondiale est aussi celle d’un effort massif de reconstruction, forcément activateur de croissance, et aussi la période de l’arrivée de plus en plus massive des femmes dans l’économie marchande. Au début du XXème siècle, les femmes représentaient un tiers de la population active en France, surtout dans des métiers d’agricultrices, d’employés de maisons et d’ouvrières. Tout commence à changer après la guerre : fini le temps où le salaire des femmes subissait un abattement légal (oui, vous avez bien lu) par rapport à celui des hommes jusqu’en 1946, et fini aussi où il était interdit aux femmes d’exercer une profession sans le consentement de leur mari jusqu’en…1965 (oui, vous avez bien lu). Et donc les « trente glorieuses » c’est aussi le temps où le travail des femmes va entrer massivement dans le calcul du PIB et de la croissance.

Autre élément qui vient booster le PIB, la population des agriculteurs indépendants (ceux qui consommaient leurs propre production, qui échappait au calcul du PIB), va aussi diminuer.

On comprend combien tout est différent aujourd’hui et que l’on ne peut pas complètement comparer cette période « glorieuse » avec celle d’aujourd’hui.

On connait même des mouvements inverses aujourd’hui, avec la tendance à limiter la consommation pour une part de plus en plus importante de la population, à privilégier les circuits courts, les circulations douces, les achats d’occasion, toutes ces habitudes qui vont plutôt vers une diminution du PIB, sans pour autant, d’ailleurs, que le niveau de vie des personnes en question soit considéré comme trop affecté.

Et pourtant, l’obsession de cette croissance reste une idée fixe de nombre de décideurs et de politiques.

Et là encore les comparaisons entre pays sont trompeuses. Valérie Charolles fait remarquer qu’avoir 5% de PIB supplémentaire quand on a déjà un PIB important est forcément beaucoup plus avantageux que 5% de plus quand on part de très bas. On n’arrête pas de comparer nos pays européens à la Chine, en oubliant que, entre 2005 et 2007 (les années du rapport Attali) les 2% de croissance moyenne de la France correspondaient à une augmentation de son PIB de 650 dollars par habitant, alors que les 11% en Chine ne correspondaient qu’à un PIB supplémentaire de 150 dollars.

Onze ans plus tard, c’est toujours pareil. La Chine a progressé, mais ses 6,6% de croissance représentent 645 dollars par habitant, pendant que la France, avec ses 1,7%, a créé une richesse nouvelle de 705 dollars par habitant ; sans parler d’un pays comme l’Ethiopie, avec ses 6,8% d’augmentation du PIB, qui ne représente que 50 dollars par habitant.

En fait, comme le souligne Valérie Charolles, la présentation de ces taux de croissance en pourcentage ne nous permet pas de percevoir que cela correspond à un accroissement continu des inégalités au niveau mondial.

Et les incantations sur la croissance sont aussi à observer avec prudence, car, finalement, dire que le taux de croissance de la France doit être de 5% par an, c’est dire que la richesse du pays doit doubler en quinze ans, et tripler en vingt-deux ans. Alors que la France connaît aujourd’hui un niveau de vie parmi les plus élevés du monde, certains se demandent légitimement à quoi nous servirait un PIB trois fois plus important en l’espace d’une génération. Et cela attise aussi les contestations de ceux, nombreux aussi, qui veulent participer à la préservation des ressources. Si on limitait la croissance à 1% par an, chiffre que nos instances dirigeantes jugeraient sûrement déplorable, il ne faudrait malgré tout que soixante-dix ans pour que la richesse double (soit « moins d’une vie » comme le remarque Valérie Charolles).

Oui, pour comprendre et parler de croissance, il faut sûrement aller un peu plus loin que la lecture des taux de croissance. Là encore, le chiffre parle, mais ne dit pas toujours toute la vérité.

Et pourtant, nous sommes malgré nous dans une période où le chiffre et les faits ont pris la place des « mots et des choses ».

Mais le chiffre n’est jamais neutre non plus quand il s’agit de décrire des comportements humains car les humains vont justement réagir par rapport aux données et à la présentation des chiffres qu’on leur propose, et adaptent forcément leurs comportements en fonction.

Que dire de cette habitude que nous avons prise de fixer les objectifs quantifiés, et mesurables, pour « piloter la performance ». Surtout quand ils viennent du haut, on sait tous que fixer de tels objectifs n’équivaut pas forcément à se donner la capacité à les atteindre. Et parfois cette manie du chiffre peut faire du mal. Face à la tension due à l’obsession de la réalisation des objectifs, on parle depuis les années 2000 de cette nouvelle (pas si nouvelle) maladie de « burn-out ». Le burn-out  correspond à une acceptation volontaire des objectifs par un employé qui n’arrive pas à faire face aux objectifs fixés et s’effondre physiquement à cause de cette impossibilité à faire face, sans toujours même s’en rendre compte. Ce sont ces employés qui se donnent à fond, mais n’y arrivent pas.

Car la logique de ce type d’indicateurs, si l’on n’est pas assez prudent dans leur fixation, c’est aussi l’idée que la performance doit être constamment répliquée, et même continûment améliorée. Or l’auteur, philosophe pleine de bon sens, nous le dit : « Aucun système vivant ne peut fonctionner en étant toujours au maximum de ses capacités. Il y va de sa survie ; la stabilité du tout repose sur l’absence de maximisation de toutes ses composantes au même instant ».

Peut-être que l’obsession des chiffres pourrait bien nous rendre dingues. Et qu’y mettre un peu de hauteur et d’humain est encore nécessaire, en faisant attention aux biais de comportement qu’ils peuvent provoquer. Voilà ce que Chat GPT ne pourra pas faire à notre place…Pour le moment.


Allo les déviants

DeviantsJe participais cette semaine à un groupe de travail qui recherchait des solutions pour améliorer des pratiques de gestion des ressources humaines.

Dans de telles démarches, on peut bien sûr aller chercher les bonnes pratiques dans les expériences personnelles ou observées par les uns et les autres. Le benchmarking est devenu une pratique courante dans les entreprises.

Mais l’on peut aussi appliquer une approche de « positive deviance ».

C’est quoi ça ?

Cette approche de la « positive deviance » a été popularisée par Monique et Jerry Sternin, qui l’ont expérimentée dans des missions pour des ONG, et qui est maintenant développée dans les entreprises.

Ces « déviants positifs » sont des personnes qui vivent et travaillent dans exactement les mêmes conditions que les autres, avec des caractéristiques similaires, mais qui pourtant obtiennent des résultats et des performances hors normes. On peut appliquer ça pour observer les meilleurs commerciaux, les personnes qui ont progressé le plus vite dans la hiérarchie, les individus qui ont le talent de créer une excellente coopération dans les équipes où ils travaillent, ou tout autre phénomène.

La démarche a été déployée et rôdée par Jerry et Monique Sternin lors de missions pour les ONG, par exemple dans la lutte contre la malnutrition au Vietnam, puis dans des entreprises. Ces aventures sont racontées dans leur livre « The power of positive deviance – How unlikely innovators solve the world’s toughest problems » (HBR Press).

Chacune de ces histoires permet de comprendre et de transposer ce qui fait le succès de la démarche.

Ils ont ainsi passé six ans au Vietnam. A l’origine, en 1990, l’ONG « Save the Children (SC) » avait reçu une invitation du gouvernement du Vietnam pour créer un programme qui permettrait aux villages pauvres de résoudre le problème récurrent de la malnutrition infantile. C’est comme ça que Jerry et Monique se sont trouvés embarqués dans l’affaire.

Il y avait déjà eu des programmes qui avaient tenté d’apporter des solutions à la malnutrition : programmes d’experts par le haut qui avaient apporté de la nourriture de l’extérieur. Une fois le programme terminé, les villageois n’avaient plus accès à de telles nourritures, et les bienfaits disparaissaient.

Leçon numéro 1 : l’approche par le haut n’est pas pérenne. Comme le dit Jerry: « They came, they fed, they left », et rien n’a changé.

La stratégie de Jerry et Monique Sternin consista à permettre aux villageois de résoudre leurs problèmes eux-mêmes. Mais comment faire dans les dizaines de milliers de villages du territoire ?

La première étape est d’identifier les « déviants », en l’occurrence les enfants bien nourris dans des familles pauvres, dans une zone « test » : ils choisissent un endroit pas trop loin de la capitale ; comme ça si ça marche, ils pourront y amener les témoins du gouvernement officiel pour les convaincre.

Leçon 2 : la zone test pour repérer les « déviants » est choisie pour avoir le meilleur impact pour démontrer la démarche aux tenants du pouvoir.

Arrivés au village Jerry et Monique vont aller chercher les volontaires pour lancer l’analyse : peser les enfants pour repérer les mieux nourris. Et découvrir les pratiques par les interviews et surtout les observations. Il ne s’agit pas seulement de chercher les « quoi », mais surtout les « comment ». C’est ainsi qu’ils découvrent, entre autres comportements « déviants »,  que dans ces familles pauvres où les enfants sont bien nourris le père ou la mère ajoutaient à la nourriture des crabes et des feuilles qu’ils trouvaient dans les rizières. Bien que disponibles pour tous, ces nourritures étaient considérées comme inappropriées, et donc non consommées par la plupart des familles. D’autres comportements ont aussi été observés en matière d’hygiène (par exemple laver les mains des enfants fréquemment).

Leçon 3 : observer les pratiques des « déviants » ; pas seulement le « quoi », mais aussi le « comment ».

Ensuite, comment faire ? La découverte de Jerry et Monique, c’est qu’il ne sert à rien d’aller expliquer aux autres les « bonnes pratiques », mais qu’il faut organiser directement la transmission des comportements des « déviants » vers les autres, par des rencontres, des confrontations, des moments de réunions et de partages. Jerry et Monique ne sont que les facilitateurs. La magie se propage d’elle-même entre les villageois eux-mêmes. Ils organisent ainsi des sessions de deux semaines entre des « déviants » et d’autres villageois. Au début on pèse les enfants ; et on les repèse au bout des deux semaines, pour pouvoir démontrer les résultats. Et les résultats sont mis sur des graphiques qui sont affichés dans les villages, pour informer le plus grand nombre.

Leçon 4 : pour disséminer les pratiques, ce sont les « déviants » eux-mêmes qui vont les propager et les faire connaître. On mesure les résultats, et on communique dessus en permanence.

Comment s’assurer ensuite que ces pratiques continueront à être appliquées une fois les villageois retournés chez eux, après ces sessions particulières bien encadrées ? Plutôt que de chercher par eux-mêmes des programmes d’enseignement déconnectés, Monique et Jerry l’ont demandé directement aux familles qui avaient mis en œuvre les nouvelles pratiques apprises des « déviants » : « Nous avons tous appris les bonnes pratiques qui permettent d’avoir des enfants mieux nourris malgré la pauvreté. Mais nous ignorons ce qu’il faut faire pour aider le maximum de gens à les adopter naturellement. Que devrions-nous faire ? ». Et ainsi chaque village s’est mis à bâtir « son » programme. Par exemple des sessions où les familles amenaient leurs enfants pour les peser, et recevaient des compléments de nourriture si les résultats des pratiques étaient là (des enfants qui pesaient plus). Un des leviers les plus forts du changement de comportements est la possibilité de voir les résultats. Dans tous les villages un système de mesure s’est mis en place progressivement. Les « tableaux de bord » étaient ainsi consolidés village après village. Chacun trouvait à son rythme les actions et pratiques à lancer.

Leçon 5 : Il est plus facile d’agir soi-même en appliquant et adaptant une nouvelle manière de penser, que de penser soi-même pour appliquer en action des pratiques standard et déterminées. Ce sont les « déviants » eux-mêmes qui diffusent les manières de penser. Les actions sont déterminées par chaque communauté. La communication sur les résultats est bien organisée ; la diffusion se fait par « contamination » de pair à pair.

Résultat du programme : en six mois 245 enfants (plus de 40% des participants au programme) ont été complètement réhabilités, et 20% sont passés du stade « sévère malnutrition » à « malnutrition modérée ».

Envie de changer les pratiques de l’intérieur et faire se propager les bons réflexes et pratiques ? Appelons les déviants et lançons-nous. Si ça marche pour la malnutrition pourquoi pas pour nous aussi ?


Aller sur le terrain

TerrainQuand on arrive tout en haut de l’entreprise, on a une préoccupation : comment faire pour ne pas s’isoler dans sa tour, entouré de courtisans qui veulent tous se mettre en avant en nous envoyant des notes en tous genres pour se faire bien voir, et ainsi perdre le contact avec la vraie vie opérationnelle et les préoccupations des employés de l’entreprise.

Alors les dirigeants cherchent les trucs pour garder ce contact. Les plus technos pensent aux datas, compiler et analyser des tas de données sur ce qui se passe dans l’entreprise, à coups de sondages et de baromètres sur la « température sociale », ainsi que les outils de surveillance divers qui ne disent pas leur nom. Mais cela ne dit pas tout.

Et certains dirigeants cherchent autre chose de plus physique.

Alors, on va parler « d’aller sur le terrain » ; cette expression fait fureur dans le vocabulaire des patrons dans le coup. C’est la marque d’une attention pour les employés, que l’on adore « écouter ».

Et là, les idées foisonnent. On a eu le temps des « Comex de jeunes » avec qui l’on fait des dîners de temps en temps, et à qui on soumet des projets à étudier (pas des trucs importants, mais des trucs de jeunes qui parlent de sauver la planète ou d’améliorer le bien-être des employés ; et les syndicats, qui aimeraient avoir le monopole du « dialogue » détestent tous ces trucs).

On peut aussi faire des visites, programmées ou impromptues, dans les arcanes de l’entreprise, y compris dans les régions loin du siège, et les ateliers de production, ou faire le client mystère dans les magasins du groupe de Distribution (genre patron presque incognito). Et après, grâce à ces observations, on peut envoyer dans les dents du Comex, lundi matin, tout ce qui déconne dans l’entreprise et que le patron, lui qui se bouge, a pu voir de ses yeux et entendre de ses oreilles. Effet garanti d’une super ambiance lundi matin au comex. Oui, la manie d’ »aller sur le terrain » peut aussi avoir ses côtés pervers.

Mais « aller sur le terrain » cela peut aussi devenir un mode de management ; on appelait ça dans les années 90 « managing by wandering around – MBWA », en français le management baladeur. Et ça marche encore. Cela est aussi l’occasion, non seulement de s’informer sur le fonctionnement concret de l’entreprise, mais aussi de motiver le personnel. Cela peut prendre la forme d’une réunion debout, impromptue, pour discuter de ce sur quoi travaillent en ce moment même les employés, et recueillir des infos pour améliorer le fonctionnement.

Un auteur américain, Kenneth H. Blanchard, avait popularisé ces pratiques dans son ouvrage célèbre, « The One Minute Manager », dans les années 80, et plusieurs rééditions complétées depuis, incitant par exemple à surprendre les employés qui font des bonnes choses sur un projet, et à les en remercier.

Le MBWA, c’est aussi la pratique des « small talks », consistant à échanger avec les employés sur autre chose que leur travail, leur famille, leur passe-temps, leurs préoccupations. Et découvrir que ces employés sont aussi des personnes humaines que l’on ne connaissait pas. Aujourd’hui, l’entreprise responsable est aussi celle qui est responsable de bien plus que le travail accompli par ses salariés dans ses murs, mais aussi du bien-être et de l’équilibre de vie de ceux-ci. Certains aiment bien ça, d’autres sont gênés par ce qu’ils peuvent prendre comme une intrusion inappropriée de l’entreprise dans leur vie privée. Les risques d’en faire trop existent aussi. Et l’on a aussi les dirigeants et entreprises qui en font tellement (les soirées « clown », les pots interminables, les sorties au bowling, les employés sont monopolisés par tous ces « off » à tel point qu’ils ne font plus rien de leur vie privée ; et si on n’y va pas, on risque d’être mal vus, le comble).

Dans cette obsession de garder le contact avec les employés, tout est question de mesure et surtout d’authenticité forcément, plutôt que de se forcer à faire « comme si » sans y croire. Et pour que cela soit efficace, ça doit marcher dans les deux sens : le dirigeant qui informe et fait descendre et circuler les informations et messages, et le dirigeant qui écoute et se remet en question.

Un exemple concret est fourni ce mois ci dans le Figaro avec l’interview de la PDG de Suez, Sabrina Soussan.

Elle est arrivée à son poste il y a un an, au moment où une partie de Suez est partie dans le groupe Veolia, après son OPA. L’enjeu de redonner confiance aux équipes « restantes » était donc important.

Et elle le dit elle-même dans l’interview du Figaro : « être au contact du terrain était primordial ».

Et donc, on fait quoi ?

Se rendre sur tous les sites du Groupe (même plus petit, il en reste pas mal) ; elle en a fait une centaine dans huit pays. Le but ? «  emmagasiner un maximum d’informations pour nourrir la vision stratégique du «nouveau Suez». Oui, le dirigeant sur le terrain est un magasin qui remplit son stock d’informations.

Mais il faut aussi faire redescendre l’information. Quel est le secret de Sabrina Soussan ? « Tous les trois mois, j’organise une webcast: deux heures pendant lesquelles nous abordons tous les sujets, avec une séquence de questions des salariés ». Et voilà pour la communication et le dialogue à grande échelle en webcast.

Mais, il y aussi des moments plus intimes, en petits groupes : « J’invite aussi à déjeuner une fois par mois entre dix et quinze personnes, aux profils variés, pour des échanges informels ».

Autre mot du vocabulaire de dirigeant, « cascader ». Est-ce acrobatique ? Non, cela parle plutôt des managers intermédiaires, courrois de transmission clé de l’entreprise : « Je passe aussi régulièrement du temps avec les 200 managers du groupe: je leur demande de «cascader» l’information pour que personne ne soit tenu à l’écart ».

Mais le « terrain », c’est aussi tous les jours, et Sabrina Soussan en parle aussi : «  je suis beaucoup sur le terrain pour écouter et expliquer cette feuille de route, qui n’est pas figée et qui se vit au quotidien ».

Ecouter et expliquer seraient les maîtres-mots d’un bon contact terrain ?

Vous avez remarqué, vous aussi, que les femmes dirigeantes nous donnent souvent de belles leçons de management ? Comme cette autre rencontre ICI, pour me parler de bêtises et de droit à l’erreur.


Un chat sur les genoux est-il un danger pour le management ?

ChatsurgenouxAAOn a pu avoir tendance à voir dans les villes une juxtaposition d’espaces à usages différents : les espaces commerciaux, les espaces de loisirs, les espaces de logement. Et pour passer d’un espace à l’autre, on se déplace, on prend les transports publics, ou sa voiture, ou son vélo.

Cela date de la charte d’Athènes, en 1933, établie lors d’un Congrès International d’Architecture Moderne, sous l’égide de Le Corbusier. Elle préconisait cette attribution d’une fonction unique à chaque espace ( quartier résidentiel, d’affaires, commercial, etc). C’est sur ce concept que se sont bâties les « villes archipel », où les possibilités de rencontres sont réduites.

Aujourd’hui, cette vision est dépassée, et l’on parle de « chronotopie » et de « chrono-urbanisme ».

De quoi s’agit-il ?

Il s’agit de voir la ville non seulement en fonction de l’espace, mais aussi du temps. Et ainsi ne plus représenter la ville comme une carte fixe, mais comme quelque chose qui se transforme au fil du temps. C’est ce qu’on appelle « la ville malléable ». Celle où le même espace peut avoir plusieurs fonctions selon le temps : un espace où les gens circulent en journée, et qui se transforme en parking la nuit ; l’utilisation des espaces du bâtiment de l’école (préau, cour, salles) par un public extérieur pour des réunions d’entreprises, le restaurant d’entreprise qui se transforme en brasserie ouverte le soir ou le week-end, le bureau qui accueille des étudiants pour y travailler. C’est un peu Airbnb partout et pour tout.

Les espaces publics s’y mettent après les pratiques privées.

Nombreux particuliers ont déjà franchi un pas de plus de cette tendance, avec la nouvelle pratique de transformer leur salon en lieu de réunions pour des entreprises. Le Monde consacrait un dossier à cette pratique dans son numéro du 19 février, présentant ces particuliers qui louent leur loft ou une partie de leur appartement à la journée pour 1000 ou 1500 euros la réunion d’une équipe.

Et forcément des plateformes se sont créées sur le créneau, comme OfficeRiders, qui appellent les salariés qui font des réunions d’entreprises dans ces lieux privés des « riders ».  

Intéressant, dans ce dossier de voir ce qui motive les entreprises à organiser des réunions dans de tels lieux privés plutôt que dans leurs espaces de bureaux.

Comme le dit le fondateur de OfficeRiders, Florian Delifer, « Il y a principalement deux types d’entreprises qui font appel à nous. Les jeunes start-up qui n’ont jamais eu de bureau, et les entreprises qui ont laissé tomber leurs locaux au moment du Covid. Les unes comme les autres ont besoin de réunir leurs salariés une à deux fois par semaine, et apprécient de le faire chez des particuliers ».

Les particuliers hôtes affinent l’offre, parfois par hasard, comme Cécile : « Un jour, j’ai oublié le chat en haut. Ça a beaucoup plu aux clients, ils n’arrêtaient pas de le caresser. Maintenant, je le laisse se balader pendant les réunions, ils adorent ! ».

Les dirigeant qui louent ces espaces privés voient aussi un avantage managérial : Les salariés seraient plus détendus et productifs en appartement que dans les bureaux de l’entreprise.

Une dirigeante de start-up qui pratique ce type de location témoigne : « On veut que nos équipes se sentent bien, et pour ça on a décidé de leur offrir de travailler dans des espaces de qualité. Le côté neutre de l’appartement permet aussi d’être plus efficace ; on oublie ses tracas de bureau, les tensions avec telle ou telle personne. C’est comme si on repartait de zéro ».

Mais certains peuvent aussi y voir une perversion, comme la sociologue de service interrogée dans ce dossier, Aurélie Jeantet, qui y voit une « comédie du travail » : « On installe les salariés dans un décor, comme des figurants dans un film. Ils se retrouvent dans un cadre irréel, qui n’est ni chez eux ni un lieu de travail défini. Dans un bureau où on se rend quotidiennement, on se crée des repères, on est dans un cadre qui raconte une histoire. En allant travailler chez des gens qu’on ne connaît pas, en changeant d’endroit en permanence, le travail devient déréalisé ».

Et elle en déduit qu’il y a là une stratégie de management perverse pour les entreprises : «  Le management actuel tend à formater les salariés pour en faire des individus sans ancrage, sans passé, qu’on peut déplacer à sa guise. Toutes les études sur le « flex office «  (le fait de ne pas avoir de bureau fixe dans l’entreprise) ont montré que l’instabilité nuisait au bien-être au travail. Elle empêche aussi la construction d’une vraie culture d’entreprise, l’établissement de solidarités. Même si la routine peut paraître ennuyeuse, elle aide aussi à travailler et à créer des liens avec les autres ».

Et ces salariés que l’on installe ainsi dans des décors agréables, recevant ainsi un « cadeau » qu’ils n’ont pas demandés, ne sont-ils pas alors insidieusement redevables ? « Dans un superbe loft avec vue sur tout Paris, il serait déplacé d’être de mauvaise humeur ou de manifester son mécontentement, comme on pourrait le faire au bureau ». Ces décors artificiels seraient alors une façon de normaliser les émotions et comportements. C’est le management du « comme si » : « On fait comme si tout allait bien, comme si on était une bande de copains qui se faisait une bouffe ». On est obligé d’avoir « le smile ».

Pour cette sociologue, ces pratiques sont une façon de changer les salariés de décor pour que rien ne change, pour contourner les véritables enjeux. « En travaillant dans un salon ou une péniche, on fait comme si on était dans un jeu, ce qui est faux. Enfoncé dans un canapé, avec un chat sur ses genoux, on est moins susceptible de créer des problèmes avec sa hiérarchie ».

Est-ce que cette chronotopie, avec un chat sur les genoux dans un canapé, est une façon de mieux travailler en oubliant les tracas de bureau, ou une façon insidieuse d’endormir les salariés pour les rendre plus dociles ?

Encore un sujet de management à explorer ; avec un chat sur les genoux ?


Réussir, et après?

SuccesDans l’entreprise, surtout les grandes, mais aussi les autres, la réussite consiste à gravir les échelons, à être nommé à des postes de plus en plus élevés dans la hiérarchie, toujours pyramidale, de l’entreprise. Certains salariés passent leur vie à ce jeu, jusqu’à atteindre les sommets, et à se demander ensuite ce qu’ils vont faire de leur vie.

Mais cette « réussite » acquise échelon par échelon, c’est aussi le meilleur moyen d’ancrer des croyances qui peuvent, justement, empêcher d’aller plus loin. C’est le sujet du livre, et la spécialité de la pratique professionnelle de Marshall Goldsmith, expert coach en leaders qui ont réussi, pour les aider à aller plus loin, ce qu’il appelle « de la réussite à l’excellence ». Et il permet de comprendre pourquoi certains n’arriveront jamais à se sortir de cette « réussite » sans capacité à aller au-delà. Parce qu'il le dit dans le titre le l'édition originale en anglais : " What got you here won't get you there".

Ces croyances sont au nombre de quatre, et il est facile de les observer tous les jours dans les comportements autour de nous, ou en nous-mêmes, si nous sommes concernés par cette griserie de la réussite.

Première croyance : J’ai réussi

Comment ne pas croire que la réussite n’est due qu’à l’habileté et au talent de celui qui a réussi. D’où leur croyance intime qu’il possède les talents et habiletés qui en font un gagnant qui va continuer à gagner. Cela se remarque facilement dans les histoires qu’il aime bien raconter : celles de ses réussites, des contrats qu’il a gagnés, de grandes réalisations. Même lorsqu’il nous parle des réussites collectives d’une équipe, il garde cette conviction que sa contribution était quand même plus significative que ne pourraient le laisser entendre les faits.

Cette croyance n’est pas si négative ; elle peut nous donner envie de prendre des risques, d’entreprendre. Mais elle peut aussi être un obstacle lorsqu’elle conduit certains à se comparer systématiquement aux autres en, comme le dit Marshall Goldsmith, « faisant pencher la balance en leur faveur ».

Deuxième croyance : Je peux réussir

C’est la conséquence logique de la croyance précédente.

« C’est une autre façon de dire : Je suis certain que je peux réussir ».

C’est la manie des gens qui ont connu le succès de croire qu’ils ont en eux la capacité de toujours réussir, que grâce à leurs talents ou leurs ressources intellectuelles, ils peuvent toujours faire basculer une situation en leur faveur. Leur croyance, c’est que le succès est un « gain » résultant de leur habileté, même lorsque ce n’est pas le cas, et qu’il y a toujours un lien entre ce qu’ils ont accompli et la position qu’ils occupent, même si rien ne démontre ce lien.

L’erreur dans ce type de croyance c’est «Je réussis. J’adopte tel comportement. Donc je réussis à cause de ce comportement ! ». Alors que c’est peut-être l’inverse : ils réussissent parfois en dépit de ce comportement. Pas facile, alors, de les faire changer de comportement.

Troisième croyance : Je réussirai

« C’est une façon de dire : J’ai la motivation qu’il faut pour réussir ».

« Si j’ai réussi fait référence au passé, et je peux réussir au présent, alors je réussirai fait référence à l’avenir ».

C’est cet optimisme inébranlable qui persuade que le succès est un dû à celui qui a réussi.

Mais le revers de la médaille, c’est de mettre la pression sur ses collaborateurs, en leur faisant faire des promesses, ou fixer des objectifs, que même les plus dévoués n’arriveront pas à tenir. Cette attitude systématique peut même aller jusqu’à un surmenage des effectifs, et une équipe qui s’affaiblit, obtenant de moins en moins de résultats.

Quatrième croyance : Je choisis de réussir

C’est la croyance qui fait croire aux gens qui réussissent que ce qu’ils font résulte d’un choix personnel.

Le risque, ici, est ce qu’on appelle la « dissonance cognitive » et que Marshall Goldsmith décrit ainsi :

«  C’est l’écart entre ce que nous croyons dans notre esprit et ce que nous vivons ou voyons dans la réalité. Plus nous voulons croire que quelque chose est vrai, moins il est probable que nous acceptions de croire que le contraire est vrai, même lorsque tout prouve que nous avons tort ».

On comprend, à lire Marshall Goldsmith, que ces quatre croyances cumulées peuvent faire de nous une personne moyennement, voire pas du tout, appréciée de ses collaborateurs et de son entourage.

Et comme ces croyances sont bien ancrées, il est très difficile d’en faire changer. D’où cette grande difficulté de passer de la réussite à l’excellence, c’est-à-dire de devenir un leader entraînant pour les autres, capable de développer l’intelligence collective et la puissance des équipes.

Marshall Goldsmith a recensé les vingt habitudes, les mauvaises habitudes, qui sont celles des gens qui ont réussi, et qui les empêchent d’aller plus loin. Toutes ces habitudes ne sont pas réunies dans une même personne, et certaines sont moins néfastes que les autres, tout est question de dosage. Mais toutes concernent des problèmes interpersonnels qui peuvent être agaçants en milieu professionnel, et peuvent ruiner notre réputation. Ce sont tous ces problèmes qui, malgré la « réussite », empêchent d’être admirés et aimés, et peuvent décourager les autres. Ce sont les habitudes qui rendent bien solitaires ces personnes qui ont réussi, et se retrouvent entourés de collaborateurs et relations qui ne les supportent pas.

Toutes ces habitudes tournent autour de l’information et de l’émotion.

L’information : celle que l’on garde pour soi, ou le genre de remarques pour doucher les propositions des autres, comme « ça ne marchera pas », « je le savais déjà », commencer ses phrases systématiquement par « Non », « Mais » ou « Cependant », vouloir toujours en rajouter (« c’est une bonne idée, mais ce serait mieux si tu… »). Toutes ces habitudes qui, nous croyant plus intelligent que tout le monde, nous font toujours en rajouter et répondre, pour étaler notre intelligence. Nous pouvons croire que cela permet d’éduquer les autres, de les inspirer, alors que cela provoque au contraire les frustrations et le découragement.

L’émotion : ce sont ces habitudes qui nous font mettre en colère un peu trop souvent, qui nous font omettre d’exprimer notre reconnaissance ou de dire simplement « Merci », qui nous font revendiquer des honneurs que nous ne méritons pas vraiment, qui nous font refuser d’exprimer des regrets.

Les conseils de Marshall Goldsmith pour se sortir de ces habitudes ont l’air simples : Il suffit, avant de s’exprimer, et lorsque nous partageons de l’information ou de l’émotion, de nous demander si elle est appropriée et si elle est bien dosée.

A tous ceux qui ont réussi, et qui traînent ces mauvaises habitudes, parfois même sans s’en rendre compte, qui les empêchent d’aller plus loin, l’auteur adresse un message d’espoir :

« Vous êtes ici.

Vous pouvez choisir votre destination.

Le voyage commence maintenant. »


Coups de gueule

FEUAALa colère n’a pas bonne réputation. Il en est une nouvelle victime, mise en évidence par Le Figaro de lundi 9/01 sous la plume de François-Xavier Bourmaud.

Lui, c’est bien sûr Emmanuel Macron, qui, dans la salle des fêtes de l’Elysée, à l’occasion d’une réception avec les boulangers pour la galette, a eu un petit moment de colère (pas vraiment une grosse colère quand même) en proférant : « Moi, j’en ai ras le bol des numéros verts dans tous les sens ». Une colère plus dans les mots que dans le ton de la voix qui est resté raisonnable.

Mais c’est l’occasion pour François-Xavier Bourmaud de rappeler que, en ce moment, Emmanuel Macron se met souvent en colère en Conseil des Ministres, le journaliste appelle ça « la stratégie de la colère ». Il cite anonymement un membre du gouvernement qui parle de « Conseil des ministres format « coup de gueule ».

Pour François-Xavier Bourmaud, c’est une manière de dire qu’il y a peut-être des ratés dans l’action du gouvernement, mais qu’il n’en est pas le coupable. Les coupables, ce sont ces ministres. Il cite une anecdote : Lors du Conseil des ministres de rentrée, Emmanuel Macron pousse un nouveau « coup de gueule » : « Mettez-vous du côté des gens ! Arrêtez de raisonner en moyennes ». Mais voilà que Bruno Le Maire déclare deux jours plus tard, en rendant compte des discussions avec les fournisseurs d’énergie, « Ils ont accepté de garantir à toutes les TPE qu’elles ne paieront pas plus de 280 euros le MWh en moyenne en 2023 ». Aïe ! Comme le remarque perfidement le journaliste, « Il n’avait pas dû bien écouter le chef de l’Etat », pour en conclure que, « le problème avec les coups de gueule, c’est qu’à force de se répéter, on finit par ne plus les entendre ».

Pourtant, on dit aussi qu’il y a des colères saines, et qu’il vaut mieux un bon « coup de gueule » que de garder sa rancœur pour soi sans la manifester, ou, pire, d'éviter tout débat pour fuir le conflit.

François-Xavier Bourmaud a quand même trouvé un conseiller du Président satisfait (ou un peu lèche-bottes) : «S’il y a parfois des coups de gueule, le président agit surtout en chef d’équipe ».

Et même un ministre (toujours en off) : « Il a raison de s’énerver. Cela montre qu’il n’est pas déconnecté, qu’il n’a pas la tête à autre chose que de réussir son mandat ».

L’experte qui intervient souvent sur le sujet, c’est Sophie Galabru, qui est l’auteur de « Le visage de nos colères ». Elle est encore interrogée ICI et ICI.

Pour elle, « refouler sa colère au profit de la docilité et du silence mène à une violence bien plus grande, parfois jusqu’au burn-out ».

Dans un monde du business où « le management est devenu une injonction à la joie », cette défense de la colère et des coups de gueule tranche un peu. Car, en général, la colère est plutôt accusée d’être négative et dangereuse, et même de parasiter l’énergie et la cohésion d’un groupe managé par la colère. Et ce serait plutôt la joie qui favoriserait la créativité et la productivité. Alors que Sophie Galabru considère que la colère nourrit aussi la créativité et l’énergie. La violence n’est pas dans la colère, mais dans une tentative qui voudrait essayer « d’étouffer le débat, de retirer à l’autre la chance de s’exprimer ».

Pour l’auteur, il y a des bonnes et des mauvaises colères. La mauvaise, c’est celle qui bascule dans l’agressivité. La bonne, c’est celle qui favorise la pluralité des points de vue, l’écoute de l’autre, et le conflit d’idées saines.

Avec la réforme des retraites et tous ceux qui n’ont pas l’air d’en vouloir, on va pouvoir tester, probablement, l’expression des coups de gueule et des colères « saines », ou pas.

Cette histoire de colère saine, cela rappelle aussi cette sortie lors d’un débat :