Don : Tous « maussquetaires »

MousquetairesCela fait maintenant quelque temps que la théorie de l’ « homo aeconomicus » ne fait plus l’unanimité. L’ »homo aeconomicus », c’est cet individu que nous serions tous, indifférent aux autres, et qui ne cherche qu’à maximiser son avantage propre, son intérêt personnel, son propre bonheur, et uniquement celui-là. C’est lui qui justifie que le seul lien entre les individus est celui qui repose sur le contrat, et qu’il est le fondement du fonctionnement de la société de marché libérale, où l’équilibre économique se fait naturellement par les échanges et la loi de l’offre et de la demande.

Les bases de la critique seront celles de Durkheim, dans son livre « De la division du travail social »(1893), où il montrera que la division du travail ne s’explique pas seulement par des considérations utilitaires, par son efficacité économique, mais tout autant par des considérations morales. Il écrit à propos de cette division du travail que « les services économiques qu’elle peut rendre sont peu de choses à côté de l’effet moral qu’elle produit, et sa véritable fonction est de créer entre deux ou plusieurs personnes un sentiment de solidarité. De quelque manière que ce résultat soit obtenu, c’est elle qui suscite cette société d’amis, et elle les marque de son empreinte ».

C’est Marcel Mauss, notamment dans son « essai sur le don »(1925) qui poursuivra en disant que les êtres humains ne peuvent se laisser réduire au rang de simples « animaux économiques ».

C’est parce qu’ils sont liés par la recherche de l’amitié et de la solidarité que la société ne peut pas se tisser à partir des seuls contrats individuels.

La recherche de Marcel Mauss, dans cet essai, est de se demander comment se déroulaient les échanges dans les sociétés lorsque le marché n’existait pas, et donc d’identifier ce qui subsiste dans la société marchande de ce qui l’a précédé. En analysant notamment les pratiques de l’échange, telles que le potlatch, dans les sociétés primitives, il observe que « l’homme n’a pas toujours été un animal économique ». Dans les sociétés archaïques, les échanges et les relations sociales s’organisent selon la logique d’une triple obligation de donner, recevoir et rendre. Ainsi, on ne peut pas devenir une personne pleinement reconnue sans s’efforcer de prouver sa valeur en effectuant des dons, et inversement on ne peut pas refuser le don qui vous est fait, ni ne pas rendre les dons reçus (mais il faut le faire en rendant plus et plus tard).

Deux auteurs, Alain Caillé et Jean-Edouard Grésy, vont redonner de l’actualité et prolonger la réflexion sur cette « économie du don », dans leur ouvrage « La révolution du don – Le management repensé » (2014) en tirant leçon des écrits des auteurs cités pour dire que nous inscrivons notre existence dans une logique de l’alliance (ou de la défiance), du don et du contre-don, de dettes et de créances.

Pour cela ils complètent la formulation de Mauss, en posant que le don fonctionne selon, non pas trois, mais quatre temps : demander, donner, recevoir et rendre, ajoutant ainsi cet élément de la demande aux trois autres étapes identifiées par Mauss. Et ils vont ainsi appliquer ces concepts à nos méthodes de management, pour les « repenser ». On peut relire tout ça encore aujourd’hui, c’est toujours d’actualité dans notre façon d’organiser l’entreprise et de faire fonctionner les relations humaines en interne, et aussi vis-à-vis de l’externe, clients ou fournisseurs et partenaires. Et même le faire découvrir ou redécouvrir aux managers et dirigeants en panne de fluidité et d’efficience dans leur entreprise.

Si ce sont des facteurs financiers, physiques ou techniques qui déterminent l’efficacité d’une organisation (capacité à obtenir des résultats), l’efficience (capacité à obtenir un maximum de résultat avec un minimum de ressources) relève de l’invisible et de l’impalpable, et dépend donc, selon l’analyse des auteurs, de la bonne circulation des dons effectués selon le rythme de demander, donner, recevoir et rendre. Et on comprend bien qu’une organisation qui fonctionne bien est celle qui est à la fois efficace et efficiente. Et ce qui compte pour l’efficience, c’est justement cet engagement dans l’action collective que les auteurs appellent « l’adonnement », c’est-à-dire le degré de passion et d’intérêt pour la tâche à accomplir.

Ainsi, une organisation efficiente sera celle qui favorise la coopération, en misant sur les relations informelles tissées entre les collaborateurs, où chacun aide l’autre, par des dons et des contre-dons, en dehors de considérations hiérarchiques ou de règles et de contrôles édictées par le haut. Je t’aide spontanément, je te donne de mon temps et de mon attention, et réciproquement. Ce sont ces mécanismes informels qui font fonctionner l’organisation.

Alors imaginons un manager ou dirigeant qui voudrait tout d’un coup apporter ses réformes et sa vision, pour tout réorganiser, changer les règles, délocaliser, relocaliser, regrouper, changer les structures de gouvernance, tout bien formaliser, sans se préoccuper de ces liens de dons et contre-dons informels (on en connaît sûrement de tels individus, non ?). Et bien, le risque sera de déstabiliser l’ensemble, d’isoler, et de casser les liens entre les collaborateurs. Car, bien sûr, on ne peut jamais tout mettre en règles et en procédures. Le travail réel ne ressemble jamais au travail prescrit. Ce sont les adaptations, les connivences et habitudes, le bon sens, des employés et collaborateurs entre eux qui font fonctionner les organisations. Une organisation qui serait réduite à une structure formelle de règles explicites serait vite paralysée. C’est ce que l’on appelle la grève du zèle. Lorsque les policiers contrôleurs appliquent un contrôle strict à la sortie de l’autoroute, pour vérifier les attestations après 18H00 post-couvre-feu, on l’a vu, c’est l’embouteillage sur 400 kms. On parlera de « manque de discernement ».

On comprend bien que ces organisations qui croient en « l’économie du don », qui favorisent le travail en équipe, l’autonomie et le plaisir au travail, et qui privilégient la régulation et l’autorégulation sur la règle, seront plus flexibles et meilleures à vivre.

Mais voilà, on n’enclenche pas  ce cycle «demander, donner, recevoir et rendre » aussi facilement que ça. Et pour que toute l’entreprise y participe, cela commence par le haut (on le sait, « le poisson pourrit par la tête »). Le livre d’Alain Caillé et Jean-Edouard Grésy est un bon manuel pour détecter tout ce qu’il ne faut pas faire, et enclencher une « révolution du don » dans son entreprise ou son équipe.

Ainsi, demander, ce n’est pas exiger, comme le font ces managers qui croient que leurs collaborateurs comme des objets, de outils au service de leurs aspirations, ou un moyen de satisfaire une soif de pouvoir. Dans le don, demander, c’est entrer en relation et en confiance, car toute demande s’expose aussi à un refus.

Donner, dans la conception de Marcel Mauss, c’est entrer en relation, mais ce n’est pas écraser, comme le ferait celui qui est obsédé par une volonté immodérée d’être admiré, et qui donne en humiliant, en voulant dominer, et en refusant même de recevoir, car il cherche à maintenir sa dette pour garder sa proie captive. Mais il est tout aussi néfaste de ne pas savoir donner, comme ce manager qui veut montrer qu’il sait tout faire mieux que les autres et les collaborateurs, et qu’il a plus de choses à faire que tout le monde, car il est le seul à pouvoir sauver le monde. Inversement, le vrai don et un pari de confiance. Il y a don, et façon de donner. Ainsi, dans la relation entre le manager et ses collaborateurs, ce n’est pas toujours le montant de la prime accordée qui est perçue de manière profonde par le collaborateur, mais d’autres attentions et comportements qu’il gardera en mémoire longtemps, alors qu’il oubliera vite ces gratifications purement financières qui donnaient l’impression d’acheter son obligation.

Recevoir n’est pas si facile que ça en a l’air, car recevoir c’est accepter d’être en dette. Ceux qui ont peur d’avoir à rendre vont se montrer réticents à accepter les dons, préférant rester dans des échanges professionnels mesurés. Les petits cadeaux qu’on ramène de vacances pour ses collègues, les attentions personnelles (prendre des nouvelles du collègue, indépendamment de toute transaction liée au travail productif), tout ça est considéré comme inutile. Restons-en au travail, s’il te plaît. C’est comme ça que ce genre de personne va se méfier des gens qui veulent lui rendre service, leur faire des compliments, ou leur faire des cadeaux, de peur de se sentir acheté. Et si cette personne est votre manager, on imagine bien l’ambiance au travail. Inversement, ne pas savoir recevoir est aussi problématique. C’est ce que l’on apprend aux enfants : dire merci. Et pourtant, combien de collaborateurs ont parfois l’impression que leurs managers ne leur apportent pas assez de reconnaissance et de remerciements. Au point, dans certaines entreprises, de venir briser la créativité et l’engagement. Ce sont pourtant ces attentions qui font « circuler le don ». Quand nous débutons dans un métier, nous ne pouvons rendre tout de suite à celui qui nous a appris, qui ne le demande pas, car lui aussi a reçu d’autres mentors. Ces dons que l’on se transmet des uns aux autres font ce qui préserve la culture et l’œuvre commune de l’entreprise.

Rendre, c’est la dernière étape du « cycle du don », mais aussi le début d’un nouveau cycle dans les relations et les échanges. Car rendre, ce n’est pas solder et se sentir quitte, comme dans une négociation. Ceux qui attendent systématiquement une contrepartie à leurs dons entretiennent cette confusion. On pense aussi aux cadeaux qui sont faits aux clients, ou à ceux reçus des fournisseurs. Certaines entreprises décident même de les interdire. Autre situation, ce collaborateur à qui on demande de rester travailler plus tard, et qui l’accepte pour se montrer coopératif, va se voir de nouveau sollicité de nouvelles fois, et pourrait finir avec le sentiment de « se faire avoir ». Tout est affaire de dosage subtil et d’état d’esprit, l’objet étant de savoir « rendre de bon cœur », et donner du sens aux dons et contre-dons. C’est ce qui génère le niveau d’engagement, le degré de passion et d’intérêt au travail des collaborateurs.

On comprend que cette « révolution du don » demande un peu de travail, individuel et collectif. Comme le précisent les auteurs :

«  Le don est donc affaire d’esprit de finesse et non de géométrie. De tact et de doigté. D’incertitude mais aussi de confiance à la fois.

Celui qui aura compris à la fois toute l’incertitude et la puissance du don saura en retirer un bénéfice, et tous ses associés avec lui ».

Bref, le don ; ce n’est pas donné à tout le monde !

Qui est prêt à devenir « maussquetaire » ?


Pourquoi je n'arrive pas à vendre plus ?

FruitsC’est une histoire, un témoignage, que l’on entend souvent.

Vous avez créé un produit, vous pensez qu’il est formidable, il y a déjà quelques clients. C’est le début de l’aventure de start-up.

Mais voilà, pour trouver les clients suivants, on se heurte à « Mais vous êtes trop fragiles, revenez quand vous aurez trois ans d’ancienneté, et plusieurs clients », « je ne peux pas vous acheter votre produit, car je ne veux pas que mon entreprise représente 80% de votre chiffre d’affaires », « j’ai déjà un produit qui fait un peu la même chose, et ça me suffit, le vôtre n’est pas nécessaire pour moi, il est trop bien en fait », « Montrez-moi comment les autres qui me ressemblent l’utilisent, et je vous dirai ; Ah, vous n’avez pas d’exemples dans mon domaine, j’hésite alors, revenez plus tard quand vous l’aurez »…

 Pourtant vous avez fait un business plan du tonnerre ; vous avez estimé le marché mondial à plusieurs milliards d’euros, et en imaginant que vous alliez en prendre 0,5%, vous avez déjà imaginé un chiffre d’affaires de vainqueur. Malheureusement, avec vos trois petits clients, pour le moment, vous n’y êtes pas. Ça bloque.

Ce que vous connaissez à ce moment, c’est ce fameux « chasm » théorisé par Geoffrey A ; Moore dans son ouvrage de référence, «Crossing the chasm », dont j’ai du conseillé la lecture de nombreuses fois à des entrepreneurs comme vous. Il a beau dater de plus de vingt ans, il reste très valable, et utile, aujourd’hui.

J’avais déjà évoqué ICI cette thèse. Car, à partir du moment où la start-up a acquis quelques clients, il lui faut changer complètement de stratégie pour conquérir le gros du marché, ceux qui veulent des références, de l’ancienneté, de l’assurance, et c’est là qu’est le « chasm » ; il y a un saut à faire.

Le principe pour traverser ce chasm, selon Geoffrey A. Moore, c’est d’attaquer une cible la plus précise et nichée possible, ce qu’il appelle le « D-Day », en référence à l’attaque des alliés sur les côtes de Normandie le 6 juin 1944. Le pire serait de courir partout, pour vendre à n'importe qui, en tapant au hasard un maximum de clients ( faire des messages toute la journée sur Linkedin par exemple). Echec assuré, selon Geoffrey A. Moore. 

Et pour réussir ce D-Day, il faut bien choisir le point d’attaque.

Déjà, première recommandation de Geoffrey A. Moore : Oubliez ce calcul de 0,5% du marché qui vous excite. Vous parlez d’un marché qui n’existe pas ou qui est en mouvement, et vous parlez de clients très génériques, que vous ne connaissez pas. Vous n’irez nulle part.

Au contraire, pour définir le point d’attaque et donc votre stratégie de conquête, il ne s’agit pas d’analyser des segments de marché un peu vagues, mais de cibler un profil réel de client potentiel à explorer et démarcher.

Il n’y a pas de démarche complètement standard, et il est conseillé de faire appel à ce que Geoffrey A. Moore appelle « l’intuition informée ».

Et il nous donne les quatre facteurs les plus importants pour traverser le chasm avec le plus de chances.

Facteur 1 : le client cible

Y-a-t-il un acheteur économique unique, identifiable, pour votre offre, que vous pouvez atteindre par le canal de vente que vous prévoyez de mettre en place, et suffisamment solvable pour payer le prix de votre offre, et de tout ce qui va avec ? (ce que Geoffrey A. Moore appelle « the whole product « , c’est-à-dire votre offre et les équipements ou services complémentaires qui vont avec).

Facteur 2 : Une vraie raison d’acheter, et maintenant

Votre offre a été conçue pour répondre à un problème identifié. Est-ce que le problème que va résoudre votre offre a un sens économique suffisant, et urgent, pour ce client-cible ?

Si c’est un client pragmatique qui considère qu’il peut encore vivre un an ou deux, voire plus, avec ce problème, il le fera. Il restera peut-être intéressé par votre offre, en souhaitant même mieux la connaître. Vos vendeurs (ou vous-même si c’est vous le vendeur) vont alors le rencontrer de nombreuses fois, mais ils ne reviendront jamais avec un bon de commande. Ce client-cible vous dira sûrement que votre présentation est formidable et intéressante, il apprendra plein de choses, mais il n'achètera rien.

Facteur 3 : Le produit complet (« The whole product »)

Pouvez-vous apporter, avec l’aide de partenaires et d’alliés, une solution complète pour répondre à la raison profonde du client-cible pour acheter votre offre dans les trois prochains mois, vous permettant d’être complètement dans le marché d’ici la fin du prochain trimestre, et d’occuper une place dominante d’ici douze mois ?

« Crossing the chasm », c’est une course. On a besoin de problèmes de clients que nous pouvons résoudre maintenant, et vite. Si ça traîne trop, il faut changer de cible, et tout revoir.

Facteur 4 : La concurrence

Est-ce que le problème que vous adressez a déjà été traité par une autre entreprise, peut-être même une entreprise qui a, elle, déjà traversé le chasm, et qui occupe donc déjà tout ou partie de la place que vous souhaitez occuper aussi ?

Si c’est vraiment le cas, ce n’est pas un bon signe pour vous ; et si on ne peut pas lutter, il faut mieux sortir et fuir. C'est aussi le 36ème des 36 stratagèmes.

C’est pourquoi, encore une fois, il faut aller vite pour traverser le chasm. Sinon on risque de perdre à tous les coups.

Ou alors il faut faire pivoter l’offre pour reprendre l’avantage avec peut-être même, une nouvelle cible.

Geoffrey A. Moore considère que si la cible choisie obtient une mauvaise note dans un seul de ces facteurs, ce n’est pas la bonne cible. Il conseille de choisir les cibles qui obtiennent un bon score dans tous les quatre facteurs.

Ces quatre facteurs sont indispensables, mais, bien sûr, pas suffisants, pour réussir. Le livre de Geoffrey A. Moore en contient encore plein.

Vous avez une offre, un produit, une idée de start-up, un début de business, quelques clients, mais pas assez, et vous voulez aller plus vite et atteindre les clients mainstream, pour traverser le chasm ?

Relisons les quatre facteurs, encore et encore.

Avec aussi un peu d'intuition. Si c'était les livres de management qui faisaient réussir les entreprises, ça se saurait.


Le pouvoir : le jeu des zones d'incertitude

PouvoirComprendre une organisation, y repérer ce qui ne marche pas, pour un dirigeant, ou apprendre à y manœuvrer pour progresser et y réussir, cela ne consiste pas à observer l’organigramme, les procédures, ou les règles et processus. C’est plutôt aller voir ce qui constitue les « relations de pouvoir » entre les acteurs.

C’est ce que l’on apprend en lisant un livre référent de la sociologie des organisations, « L’acteur et le système », de Michel Crozier et Erhard Friedberg (1977), et qui reste riche d’enseignements.

Ces « relations de pouvoir » sont appelées des « jeux » par les auteurs, et constituent un mécanisme concret grâce auquel les hommes structurent leurs relations de pouvoir et les régularisent.

Dans une organisation, il y a des règles et des structures qui contraignent les acteurs, mais il subsiste toujours ce que Crozier et Friedberg appellent des « zones d’incertitude » où je peux décider moi-même de mon comportement, et ce sont précisément ces « zones d’incertitude » qui déterminent le pouvoir. Car c’est celui qui maîtrise ces « zones d’incertitude » à son avantage qui acquière du pouvoir, voire se rend irremplaçable, et crée une forme de dépendance des autres à son égard. C’est une vision très politique de l’entreprise que nous propose ainsi Crozier et Friedberg. Cela reste d’actualité, car dans toute entreprise on trouve ces terres inconnues que les acteurs cherchent à s’approprier.

Ces zones d’incertitude se situent dans des faces cachées du pouvoir officiel, représenté par l’organigramme et les rôles et responsabilités formels. Elles concernent les informations « non officielles » qui ne passent pas par les canaux traditionnels , ou bien des compétences « implicites » qui ne sont pas formalisées mais que l’on acquière par la pratique de l’entreprise, et non par des formations.

Bin sûr, on va s’approprier ces zones au fur et à mesure que l’on reste dans l’entreprise. Imaginons ce nouvel embauché qui arrive à son nouveau poste dans l’entreprise, même à un poste élevé dans la hiérarchie. Au début, il ne maîtrise pas ces zones, et va être très dépendant de son supérieur hiérarchique, et des dirigeants. Il est substituable, et a donc un faible pouvoir dans l’entreprise, à part le rôle qui lui a été attribué.

Et puis, au fur et à mesure, il va être de moins en moins substituable. Sa compétence et son habitude de l’entreprise et de ses activités va lui permettre d’apporter des réponses à des questions complexes, et, dans certains cas, d’être un des seuls ou le seul à pouvoir les résoudre. C’est alors que les responsables hiérarchiques et les dirigeants ont de plus en plus besoin de lui, et donc son pouvoir grandit. Et ainsi, au fur et à mesure, son pouvoir organisationnel augmente et accroît sa capacité de négociation dans l’organisation. Le « jeu » consiste à identifier et exploiter au maximum les « zones d’incertitudes » pour en faire des opportunités de prise de pouvoir. La stratégie consiste à se préserver un espace de liberté que les autres ne maîtrisent pas, et d’en faire un espace où son comportement est imprévisible. Pour accroître son pouvoir organisationnel et diminuer celui des autres, il s’agit donc d’accroître le degré de prévisibilité de l’environnement, et de l’anticiper (en interne comme en externe), et inversement de se rendre le plus imprévisible et surprenant pour les autres.

Dans des environnements d’entreprise de plus en plus incertains, que l’on connaît aujourd’hui, les zones d’incertitudes, telles que définies par Crozier et Friedberg, ont tendance à se multiplier, rendant de plus en plus autonomes les collaborateurs, et donc le « pouvoir organisationnel » s’en trouve beaucoup plus réparti dans l’organisation.

De quoi activer et renforcer les « jeux de pouvoir » dans des proportions encore plus importantes que celles anticipées par les auteurs.

Le conseil de Michel Crozier et Erhard Friedberg pour progresser dans son entreprise, ou son organisation, et y accéder à des échelons hiérarchiques plus élevés, voire au poste de Direction Générale : Être politique en identifiant les « zones d’incertitudes » pour maîtriser les « jeux de pouvoir » et accroître son « pouvoir organisationnel ».

Qui veut jouer ?


Un besoin d'autres vies

LivrelireCertains imaginent la fin du roman, comme la fin de la littérature.

Et d’autres qui considèrent le roman et la fiction comme une nécessité vitale.

C’est le cas de Michel Houellebecq, dont Le Figaro reproduisait cet été son discours prononcé à l’université Kore d’Enna, en Sicile, le 15 juin, dont il a été fait docteur honoris causa.

Citons Michel Houellebecq :

« La littérature ne contribue nullement à l’augmentation des connaissances, pas davantage au progrès moral humain ; mais elle contribue de manière significative au bien-être humain, et cela d’une manière à laquelle ne peut prétendre aucun autre art ».

C’est fort. Et pourquoi, Michel ? Expliques-nous.

La preuve, c’est que les guillotinés de la Révolution, du moins certains, lisaient et «juste avant d’être saisis par les aides du bourreau pour être traînés à l’échafaud, ont placé le signet à la page exacte où ils en étaient restés — tous les livres, à l’époque, avaient des signets ».

Et donc :

«  Qu’est-ce que ça veut dire, dans ces circonstances, de placer le signet? Ça ne peut vouloir dire qu’une seule chose, c’est qu’au moment où il lisait, le lecteur était tellement plongé dans son livre qu’il avait complètement oublié qu’il serait décapité dans quelques minutes.

Quoi d’autre qu’un bon roman pourrait produire cet effet? Rien ».

Bon, Michel Houellebecq convient que la Révolution et la guillotine ne vont pas revenir tout de suite. Mais en revanche on attend toujours quelque part, y compris dans, justement, ces « salles d’attente » chez les médecins. Et c’est dans cette attente que l’on est comme ces guillotinés ; on lit.

Et voilà la « raison d »être » de la littérature :

«  La raison d’être fondamentale de la littérature romanesque, c’est que l’homme a en général un cerveau beaucoup trop compliqué, beaucoup trop riche pour l’existence qu’il est appelé à mener. La fiction, pour lui, n’est pas seulement un plaisir ; c’est un besoin. Il a besoin d’autres vies, différentes de la sienne, simplement parce que la sienne ne lui suffit pas. Ces autres vies n’ont pas forcément besoin d’être intéressantes ; elles peuvent être parfaitement mornes. Elles peuvent comporter beaucoup d’événements, de grande ampleur ; elles peuvent n’en comporter aucun. Elles n’ont pas forcément besoin d’être exotiques ; elles peuvent se dérouler il y a cinq siècles, dans un continent différent ; elles peuvent se dérouler dans l’immeuble d’à côté. La seule chose importante, c’est qu’elles soient autres ».

Alors, vous avez lu des romans, vous, cet été ? Pour répondre à ce besoin d’autres vies.

Moi, oui.

Tiffany Tavernier (oui, la fille du réalisateur Bertrand Tavernier) , à la fois romancière et scénariste pour le cinéma, nous permet de vivre le destin d’un « ami », ce voisin que l’on croyait connaître, avec qui on se faisait des apéros et des barbecues, et qui est en fait…Bon on va pas spoiler. Mais le roman est construit sur cette découverte, et l’on évoque avec lui tous ces gens que l’on croit connaître et que l’on ne connaît pas, en fait. Le roman, paru l’année dernière, et en Poche cette année, s’appelle simplement « L’ami ».

Le roman, c'est comme la vie, c'est la découverte de "l'autre".

Et puis, les romans de ce qu’on appelle la « rentrée littéraire », qui paraissent dès fin août.

Muriel Barbery nous fait cheminer, dans son roman « Une heure de ferveur », avec Haru Hueno, au Japon, que nous accompagnons sur un temps très long, puisque le roman commence quand il a trente ans, et se termine à sa mort. Nous y vivons cette « expérience du Japon » dont Muriel Barbery a été très marquée, en buvant du saké à toutes les pages, ou presque, en dégustant ces champignons matsutakés, rares et appréciés au Japon, comme la truffe en Europe (je n’en ai jamais goûté), et aussi cette fondue japonaise avec « le réchaud, le nabe en fonte, les tranches de bœuf, les feuilles de chrysanthèmes, les cives, les oignons, les champignons, le tofu et l’œuf battu ». Cette « heure de ferveur » est une citation de Saint-Exupéry, dans « Terre des hommes », qui parle du désert qui « n’offrait qu’une heure de ferveur, et c’est nous qui l’avons vécue ». Muriel Barbery reprend l’image, lors de funérailles (et on assiste à pas mal de funérailles dans ce roman) : «Sache que si j’étais seul, j’appellerai les puissances de la mort et je leur dirai : Je ne vous redoute pas. Mais je ne suis pas seul et si la vie n’offre plus qu’une heure de ferveur, je veux que nous la vivions ensemble ».

On découvre aussi les montagnes et jardins du Japon, à Kyoto.

Et cette histoire de renard, qui revient plusieurs fois, comme un refrain de ce temps long, et que rappelle l’illustration de couverture de ce livre :

«  Vers le milieu de l’époque de Heian, il y eut des aubes de toute beauté. Au fond des cieux se fanaient des brassées de fleurs pourpres. Parfois, de grands oiseaux se prenaient dans ces reflets d’incendie. A la cour impériale, une dame vivait recluse dans ses quartiers, sa noblesse scellait son sort de captive et même le petit jardin attenant à sa chambre lui était interdit. Cependant, pour contempler les aurores, elle s’agenouillait sur le bois de la galerie extérieure et depuis la nouvelle année, chaque matin, un renardeau s’invitait dans le jardin. Bientôt, une pluie drue s’installa jusqu’au printemps et la dame pria son nouvel ami de la rejoindre à l’abri, en surplomb du clos où il n’y avait qu’un érable et quelques camélias d’hiver. Là, ils apprirent à se connaître en silence.

Ensuite, après qu’ils eurent inventé un langage commun, la seule chose qu’ils se dirent fut le nom de leurs morts ».

Ce renard revient plusieurs fois dans le roman, y compris dans les dernières pages ( « le renard est la clé »).

Ce roman est sur la liste des candidats au Prix Goncourt.

Retour en France, en Bretagne, dans le Finistère Nord, avec le roman de Victoria Mas, son deuxième (oui, c’est la fille de Jeanne Mas, en rouge et noir), « Un miracle ». Sœur Anne, religieuse chez les Filles de la Charité (oui , la chapelle rue du Bac à paris, où, en 1830, Catherine Labouré a eu une apparition de la Vierge), reçoit d’une de ses condisciples une prophétie : la Vierge apparaîtra en Bretagne, et elle s’y précipite, à Roscoff et l’Île de Batz, pour y être. Elle y rencontrera cet adolescent, Isaac, qui dira « Je vois ».

Le miracle de l'apparition de la Vierge, comme un moment, selon les mots de Victoria Mas, un moment de "ferveur".

C’est à Béthune que Yannick Haenel emmène ses lecteurs, avec « Le Trésorier-payeur ». La première partie du roman raconte comment l’auteur a eu l’idée de ce roman et de ce personnage. On y voit tous les fils qui vont tisser le roman ; c’est comme si on écrivait le roman avec lui : « Il n’y a rien de plus beau qu’un roman qui s’écrit : le temps qu’on y consacre ressemble à celui de l’amour : aussi intense, aussi radieux, aussi blessant. On ne cesse d’avancer, de reculer, et c’est tout un château de nuances qui se construit avec notre désir : on s’exalte, on se décourage, mais à aucun moment on ne lâche sa vision. Parfois un mur se dresse, on tâtonne le long des pierres et lorsque l’on trouve une brèche, on s’y rue avec un sentiment de liberté inouïe. Les lueurs, alors, s’agrandissent, et c’est toute une mosaïque de petites lumières qui s’assemble peu à peu, jusqu’à former non seulement un soleil, mais aussi une lune, un univers complet, avec ses nuits et ses jours ».

Ce  » Trésorier-Payeur », c’est cet employé de la Banque de France de Béthune, qui a été fermée en 2007, et transformée en un centre d’art contemporain, dans lequel Yannick Haenel a participé à une exposition. Ce qui attire l’attention de Yannick Haenel, c’est cette maison de briques rouges , juste derrière la banque, qui avait justement appartenu à ce « Trésorier-payeur », et qui était reliée à la banque par un souterrain, aujourd’hui bouché. Il n’en faut pas plus pour que cela déclenche la curiosité et fasse « scintiller » un roman.

L’auteur nous dit tout : « Tout le reste de la journée, je ne pensais qu’à ça, au tunnel, aux trous, à l’obsession qui nous fait le creuser. Non seulement, je pensais à cet invraisemblable trou creusé sous la Banque de France, mais déjà moi-même, en y pensant, je ne cessais de creuser. Le tunnel, je m’y voyais, je m’y engouffrais, je le continuais ».

Du vrai « Trésorier-payeur » on ne sait pas grand-chose, si ce n’est que ce personnage n’était pas Trésorier-payeur, mais un simple trésorier de la Banque. Mais ce titre était tellement évocateur que l’auteur le garde : « Je décidai de continuer à l’appeler le Trésorier-payeur, avec cette épithète presque énigmatique, parce que d’une part c’est ainsi qu’on me l’avait présenté, et d’autre part parce qu’il prenait sous cette dénomination figure de personnage. Un simple « trésorier », même si le mot qui le désigne éclate comme un soleil, n’est jamais qu’un employé, alors qu’on peut très bien imaginer, sous l’étrange dénomination de « Trésorier-payeur », des compétences occultes : les rayons du soleil sont ici plus abondants et touchent à l’inconnu ».

Alors l’auteur va imaginer pour nous la vie de ce « Trésorier-payeur » depuis ses années d’étudiant, jusqu’à ses années à la Banque de France de Béthune, ainsi que ses rencontres et amours.

L’imagination de l’auteur en fait une sorte de banquier anarchiste, qui veut dépenser plutôt qu’économiser (dans une lecture originale du mot économie) :

«  Il expliqua que la planète entière était fondée sur l’économie, c’est-à-dire l’épargne ; que chacun ne fait qu’économiser – ses forces et son argent ; qu’on ne cesse d’accumuler, et que l’accumulation est une manière de s’éteindre car la vraie vie réside dans la dépense ».

Yannick Haenel est allé cherché ses références dans l’œuvre de Georges Bataille, « la part maudite », car il se trouve que ce Trésorier-payeur était un homonyme qui s’appelait aussi Georges Bataille. C’est dans ce livre, « la part maudite » (écrit en 1949) que Georges Bataille, dixit Yannick Haenel, « envisage la dépense, voire la ruine, comme la vérité de l’économie et considère que les richesses appartiennent moins à l’épargne qu’au rite qui les consume ». Le roman rejoint l’œuvre du philosophe. Et le héros du roman est justement un étudiant philosophe qui devient banquier.

Lire des romans, comme un besoin d’autres vies, selon Michel Houellebecq, pour voyager autour du monde avec des philosophes, des poètes et même des renards. Lire comme une heure de ferveur. 

De quoi faire la rentrée plein d’idées, d’envies et de ferveur, pour plus d'une heure.


La littérature est-elle d'un autre âge?

LivreLa rentrée littéraire a commencé le 17 août. Ils ne perdent pas de temps. 490 romans attendent leurs lecteurs (dont 90 premiers romans) ! Le tout dans les librairies entre août et octobre.

Mais qui va lire tout ça ?

Il paraît qu’en vieillissant, on ne lit plus de romans et que l’on préfère les essais.

C’est du moins l’intuition de Xavier de La Porte dans un article de l’Obs de juillet dernier : « Pourquoi lit-on moins de romans quand on vieillit ? ».

L’idée, c’est qu’à un moment de la vie, certains lecteurs (Faut pas non plus généraliser) ne trouvent plus dans la fiction de quoi les satisfaire, et ont besoin de « vérité », de faits, d’idées.

L’explication de Xavier de La Porte fait réfléchir : « Si les romans ont une fonction, c’est celle de nous faire expérimenter des formes de vie. Or, si cette fonction est nécessaire tant que nos existences sont encore modelables, elle deviendrait plus contingente quand, l’âge venant, nos vies sont plus établies ».

On passerait donc « de la nécessité à se projeter dans d’autres dans d’autres vies (grâce aux romans) à celle de comprendre le monde où nous vivons (grâce à la non-fiction) ».On aurait ainsi un rapport entre l’expérience acquise avec le temps et la moindre capacité à se projeter dans des vies qui ne sont pas « réelles ».

Mais une autre question surgit : Peut-être que ce désamour pour les romans et la fiction n’est pas lié à l’âge, mais est le signe d’une tendance générale, qui touche toutes les tranches d’âge. Ce serait alors le genre romanesque lui-même qui serait le coupable. Car Xavier de La Porte a aussi recueilli des témoignages de lecteurs de L’Obs. « Les fictions ont été ma principale source de lecture, puis j’ai trouvé que la plupart décrivaient trop la vie familiale, de plus en plus intime, des fictions qui n’en étaient plus, des romans qui n’en sont plus. Une écriture devenue banale ».

Pour certains lecteurs qui témoignent, « les romans actuels français ne sont plus des romans mais des autobiographies racontant mille fois la même chose ».

D’où le constat de libraires que même les jeunes lecteurs s’intéressent plus aux essais critiques, s’intéressant aux questions de société, et, pour le goût pour l’imaginaire, vont aller plutôt visionner des séries que lire des romans.

L’article se termine par une question existentielle d’un lecteur : « La littérature serait-elle d’un autre âge ? ».

De quoi donner des sueurs aux 490 auteurs de la rentrée, non ?

Mais on peut aussi se dire que ceux qui restent et lisent des romans, et que l’on va croiser dans les librairies, sont les plus créatifs et plein d’imaginaire. Un bon endroit pour recruter, finalement.

Rendez-vous à la librairie ? J’y serai.


Poignées cherchent valises

ValiseOn attribue à Jacques Chirac, lorsqu’il était Premier Ministre, cette expression, alors qu’il jurait contre les députés de sa majorité qui critiquaient Simone Weil et son projet de réforme, en les traitant de « cons comme une valise sans poignée ». C’était le temps où les valises avaient des poignées rivetées, avant que l’on développe les valises avec poignée intégrée, avec des roulettes (invention de Delsey, en 1972).

C’est vrai qu’une valise sans poignée, c’est vraiment con.

Mais que dire d’une poignée sans valise alors ?

C’est la métaphore que je découvre dans le livre de Ed Catmull, fondateur de Pixar, " creativity, Inc" qui y révèle les « secrets de l’inspiration » et de ce qui a fait la créativité de l’entreprise et de ses collaborateurs.

C’est quoi cette histoire ?

Ed Catmull utilise cette image à propos des mots et phrases que nous utilisons en en perdant le sens :

«  Imaginez une vieille valise lourde dont les poignées bien usées sont suspendues par quelques fils. La poignée, c’est « faire confiance au processus » ou « l’histoire prime sur tout le reste » ( il s’agit des phrases toutes faites qui circulaient chez Pixar parmi les collaborateurs) : une déclaration concise qui semble, à première vue, représenter tellement plus. La valise représente tout ce qui est entré dans la formation de la phrase : l’expérience, la profonde sagesse, les vérités qui émergent de la lutte. Trop souvent, nous attrapons la poignée et -sans nous en rendre compte- nous partons sans la valise. Qui plus est, nous ne pensons même pas à ce que nous avons laissé derrière. Après tout, la poignée est tellement plus facile à transporter que la valise ».

Cette image est marquante. «  Une fois que vous serez conscient du problème de la valise/poignée vous le verrez partout. Les gens s’approprient des mots et des histoires qui sont souvent simplement des doublures pour une action concrète et un sens ».

On voit où il veut en venir : « Les entreprises nous parlent constamment de leur engagement envers l’excellence, sous-entendant que cela signifie qu’elles ne fabriqueront que des produits haut de gamme. Les mots comme qualité et excellence sont mal appliqués avec une telle détermination qu’ils frisent le vide de sens ».

C’est vrai que les entreprises qui alignent les mots sans trop vérifier ou démontrer qu’elles les méritent vraiment, on en connaît.

Avec la nouvelle vague des « raisons d’être » et des « entreprises à missions », elles veulent toutes être « responsables », « inspirer à chacun l’envie de s’ouvrir au monde pour créer ensemble des lieux de vie uniques, chaleureux et durables » (Maisons du Monde), «  Se mobiliser et innover pour permettre aux fumeurs adultes d’arrêter la cigarette en faisant de meilleurs choix » (Philip Morris) ; ça marche aussi dans la Banque, comme au Crédit du Nord, qui va disparaître dans sa fusion avec le réseau Société Générale, mais qui garde dans sa raison d’être «  une gestion plus autonome dans la commande de chéquiers, s’inscrivant dans une démarche éco-responsable »  (sauver la planète en commandant un chéquier : tout un symbole !); Même la Française des Jeux s’y est mise avec une raison d’être venue de ses origines, en « héritiers de la Loterie Nationale créée pour venir en aide aux blessés de la Première Guerre mondiale, nous perpétuons nos actions sociétales et solidaires, et notre participation au financement de l’intérêt général » ;  Les entreprises de Conseil aussi sont dans le coup, comme celle qui a trouvé comme raison d’être de «  révéler le potentiel des individus et collectifs pour les aider à délivrer ce qu’ils ont à apporter au monde et ainsi contribuer à un progrès responsable », avec comme mission de «mettre le meilleur des technologies au service de l’humain » (l'humain, ça marche toujours) (Colombus Consulting) ; Mais on peut aussi avoir comme raison d’être de «  réaliser la promesse de la technologie alliée à l’ingéniosité humaine » (L'humain encore) (Accenture).

A apprécier aussi la raison d’être et la mission de la Macif, qui s’engage «  à développer l’autonomie et l’engagement de nos salariés pour les rendre acteurs de notre projet collectif » (avec quelques couacs parmi les salariés qui se sentent plutôt surveillés qu’autonomes).

Vous y croyez ? J'en ai vu qui riaient...

Tout le florilège est dans ce site ; il y a de quoi visiter le musée des poignées. Il ne reste plus qu'à y croire. Et à chercher les valises.

Comme le dit Ed Catmull, « Pour garantir la qualité, excellence doit donc être un mot mérité, attribué par les autres à nous, non pas proclamé par nous sur nous-mêmes. Il est de la responsabilité des bons dirigeants de s’assurer que les mots restent attachés aux significations et aux idéaux qu’ils représentent ».

Oui, des poignées, des mots qui clament nos bonnes intentions et nos engagements, on en voit et on en lit dans les raisons d'être et les missions. Reste à vérifier que sous la poignée, il y a la bonne valise.

Merci à Ed Catmull de nous le rappeler.

Poignée cherche valise : à qui le tour ? 


Traîner sa vie ou être rebelle ?

ForêtDans le haut moyen âge, on disait que le proscrit norvégien avait « recours aux forêt », pour signifier qu’il s’y réfugiait et y vivait librement, mais qu’il pouvait être abattu par quiconque le rencontrait. C’est cette figure du « waldgänger » que Ernst Jünger utilise dans son traité traduit par « Traité du rebelle » (le waldgänger est devenu le rebelle).

Ce rebelle dont il est question, c’est celui qui résiste à ce qui semble être la pensée dominante de tous, et qui prend le risque de tenter d’autres chemins. C’est celui qui refuse le confort de rester dans le rang pour oser s’en écarter. Voilà un petit livre, écrit en 1951, qui garde toute son actualité et sa valeur intemporelle pour aujourd’hui. Car il n’est pas nécessaire de vivre dans un régime totalitaire pour sentir l’oppression de se sentir embarqué malgré soi dans une voie, une carrière, une entreprise, une stratégie, un mode de vie, qui ne nous convient pas, comme une impression de « traîner sa vie ». Et pour être ce rebelle, il suffit d’un « frôlement ».Citons Ernst Jünger : « Un homme qui traîne sa vie, sinon dans le désert, du moins dans une zone de végétation chétive, par exemple dans un centre industriel, et qui tout d’un coup perçoit un reflet, un frôlement des puissances infinies de l’être – un tel homme commence à soupçonner qu’il lui manque quelque chose : condition préliminaire à sa quête ».

Et pour cela, « l’intelligence doit commencer par couper les câbles, afin que naisse le mouvement. Le difficile, ce sont les débuts : le champ s’élargit ensuite à l’infini ».

Car il n’est pas facile de se bouger d’un confort matériel, même si on ressent bien qu’il « manque quelque chose ». Mais, pour reprendre Ernst Jünger, « Tout confort se paie. La condition d’animal domestique entraîne celle de bête de boucherie ».

Ce qui empêche, c’est bien sûr la peur, car c’est de cette peur que le temps passé se nourrit. «  Toute crainte, sous quelque forme dérivée qu’elle se manifeste, est au fond crainte de la mort. Si l’homme réussit à gagner sur elle du terrain, sa liberté se fera sentir en tout autre domaine régi par la crainte. Il renversera dès lors les géants, dont l’arme est la terreur ».

Le rebelle doit donc résister face au « système », car « tous les systèmes visent à endiguer le flux métaphysique, à dompter et à dresser l’être selon les normes de la collectivité. Là même où Léviathan ne peut se passer de courage, comme sur les champs de bataille, il s’emploie à donner au combattant l’illusion d’une seconde menace, plus forte que le danger, et qui le maintient à son poste. Dans de tels Etats, on s’en remet finalement à la police ». Oui, le texte de Jünger est aussi un refus individualiste, un peu anarchisant, de l’Etat Léviathan qui veut tout contrôler à notre insu.

Alors, cette forêt à laquelle a recours ce rebelle, c’est le symbole de ce refuge, point de passage vers l’action. «  Ce n’est sans doute nullement par hasard que tout ce qui nous enchaîne au souci temporel se détache de nous avec tant de force, dès que le regard se tourne vers les fleurs, les arbres, et se laisse captiver par leur magie ».

Mais « le même bienfait se cherche en d’autres lieux – des grottes, des labyrinthes, des déserts où demeure le Tentateur. Tout est résidence d’une vie robuste, pour qui en devine les symboles ».

Cet essai est donc aussi une source de réflexion et de courage pour « ceux qui aspirent à fuir les déserts des systèmes rationalistes et matérialistes, mais sont encore captifs de leur dialectique ».Ernst Jünger prévient, «on ne peut donner de recettes ».

C’est à celui qu’il appelle « l’homme libre » de découvrir ses ressources. Car ces rebelles sont, pour Ernst Jünger, une élite minoritaire seule capable d’entraîner les autres, ou pas, comme des éclaireurs, en montrant de nouveaux chemins pour nous faire choisir de respirer l’air pur des forêts.

Etonnamment, ce texte n’est plus édité aujourd’hui en France ; on le trouve seulement d’occasion à des prix de rareté.

Encore un motif de rébellion ?


Ça brûle

Livres-brulesC’est un épisode de l’histoire, et même l’Histoire, que l’on commémore pour ses 150 ans, avec des controverses pour savoir si l’on doit fêter ou oublier cet évènement.

Il s’agit bien sûr de La Commune.

Rappelons les faits, pour ceux qui auraient oublié, ou ceux qui n’en auraient même pas entendu parler (il y en a), malgré l’abondante littérature.

1870, c’est la défaite de la France face à la Prusse. Napoléon III capitule le 2 septembre et est fait prisonnier des Prussiens. Le 4 septembre, une foule de Parisiens envahit le Palais Bourbon (le bâtiment abritant l’Assemblée Nationale)  en criant « La déchéance ! Vive la République ! ». Et c’est Léon Gambetta qui proclame au balcon de l’Hôtel de Ville la République. Un gouvernement de Défense nationale est constitué « pour sauver la patrie en danger ».

Le 28 janvier 1871, un armistice est signé, et la France s’engage à élire une Assemblée pour ratifier la paix. C’est alors que de nombreux Parisiens se sentent « trahis » par les « ruraux ». En février 1871, les élections à l’Assemblée nationale donnent la majorité aux monarchistes, et c’est Adolphe Thiers qui nommé chef du pouvoir exécutif. Les manifestations hostiles au gouvernement vont alors se développer à Paris. Cela marque le début d’un conflit entre les « versaillais » de Thiers et les « insurgés ». Le Comité central créé à Paris organise des élections municipales en mars 1871, où sur 230.000 votants, 190.000 voix vont aux candidats de la Commune, celle-ci étant proclamée depuis le balcon de l’Hôtel de Ville en mars le 28 mars 1871. Ce sera une forme de démocratie directe, en opposition à une formule de représentation représentative.

Vont s’enchaîner les combats de rue, jusqu’à ce que l’on a appelé la « semaine sanglante », du 22 au 28 mai 1871, ce jour où l’insurrection est écrasée et ses membres exécutés en masse. Le nombre de victimes est controversé, entre 6.000 et 30.000.

Et c’est pendant cette semaine que les insurgés vont entreprendre d’incendier Paris, et de faire abattre la colonne Vendôme. Nicolas Chaudin relate ces évènements tristes dans son ouvrage « Le brasier – Le Louvre incendié par la Commune » avec tous les détails.

Parmi les bâtiments du Louvre faisant l’objet de ces incendies et de la violence aveugle figure la Bibliothèque impériale. Ce bâtiment faisant partie de l’ensemble du Louvre contient un fond d’études initialement constitué à l’usage du Conseil d’Etat, en 1798, et successivement enrichi par les souverains successifs. Dès Napoléon Ier, l’habitude a été prise d’y déposer les présents bibliophiliques faits par les chefs d’Etat étrangers. Des dépôts de legs sont venus ajouter de la poésie, de l’histoire, de la géographie, de l’histoire naturelle, ainsi qu’une collection de reliures armoriées de la Renaissance et du Grand Siècle. En tout près de 100.000 volumes, par exemple le manuscrit de « La Botanique » de Jean-Jacques Rousseau, ou cinq planches aquarelle des « Oiseaux d’Amérique » d’Audubon, ou les dessins de Claude Perrault pour le château de Versailles. On accède à cette bibliothèque par ce qui est appelé « l’escalier du Ministre » que Nicolas Chaudin décrit comme « un morceau de bravoure conforme à l’idée un peu bavarde qu’on se fait alors de la Majesté ». C’est cet escalier qui subsiste aujourd’hui. Le reste a disparu.

Comment cela est-il possible ?

Nicolas Chaudin évoque un célèbre poème de Victor Hugo, dans le recueil « L’année terrible » écrit en 1872, juste après ces évènements. Le poème s’appelle « A qui la faute ? » et aide à réfléchir à la réponse :

– Tu viens d’incendier la Bibliothèque ?
– Oui. J’ai mis le feu là.
– Mais c’est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage !
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore.
Quoi ! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d’œuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire,
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes ! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des Jobs, debout sur l’horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l’esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C’est le livre ? Le livre est là sur la hauteur ;
Il luit ; parce qu’il brille et qu’il les illumine,
Il détruit l’échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d’esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L’âme immense qu’ils ont en eux, en toi s’éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu’eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t’enseignent ainsi que l’aube éclaire un cloître
À mesure qu’il plonge en ton cœur plus avant,
Leur chaud rayon t’apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur ; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l’homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C’est à toi, comprends donc, et c’est toi qui l’éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l’erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un nœud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l’ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !

– Je ne sais pas lire.

Dans cette France de la fin du XIXème siècle où de nombreux français sont illettrés ou analphabètes, Victor Hugo porte indirectement l’accusation vers l’Etat qui organise une sorte de mise à l’écart sociale et culturelle de toute une partie de la population qui n’a justement pas accès à ces livres qu’il aime tant. Et aussi valoriser le pouvoir des livres. En fait ce que les incendiaires du Louvre visaient, c'était Le Louvre dans son ensemble et ce qu'il symbolisait (le pouvoir de la Monarchie). La bibliothèque elle-même était plutôt ce qu'on appellerait aujourd'hui un effet collatéral.

On pourrait comparer ces évènements à ceux de l’épisode des gilets jaunes, qui eux aussi, avaient parfois soif d’incendies. Mais cette fois c’est le Fouquet ’s qui en est l’objet. Le Fouquet’s et la bibliothèque des Tuileries peuvent-ils se comparer ? C’est la même valeur symbolique, Et la même utilisation par les médias pour discréditer les « insurgés », ces ploucs incultes. Mais peut-on imaginer que Victor Hugo écrirait aujourd’hui :

– Tu viens d’incendier le Fouquet ‘s ?
– Oui. J’ai mis le feu là.
– Mais c’est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !

Pas sûr que cela aurait le même effet. Chaque époque a les symboles qu’elle mérite.

Mais ce pouvoir de l’Education et des livres, cela reste un sujet pour aujourd’hui. Car pour « lire » il ne suffit pas de déchiffrer les mots et les phrases (pratiquement tout le monde sait le faire aujourd’hui, ou presque, quoique). Mais c’est aussi comprendre, assimiler, savoir interpréter et en tirer leçons et réflexions. Et là, on perd du monde, même parmi les collaborateurs de nos entreprises, ou nos étudiants. Mais quand on n’a pas le plaisir de faire l'effort et de comprendre, en sortant de sa zone de confort, ce sont les fake news, et les idéologies qui prennent le dessus, ou les banalités toutes faites propagées par les réseaux sociaux.

Pourtant, la lecture est aussi un facteur de performance individuelle, et même pour nos entreprises.

Ce matin Tom Peters consacrait sa « Weekly Quote » à la lecture justement.

«  Out-READ the Competition !!! Take notes ! Summarize ! Share with others what you read ! »

On peut encore méditer. Aurait-on ainsi évité l’incendie du Louvre ?

On peut se prendre pour Tom Peters ou Victor Hugo pour essayer d’y croire.

Vivent les livres et surtout la lecture !


Vanité de cadeau

CadeaumacronPour remercier un conférencier intervenant dans un de vos évènements, pour honorer une visite, pour ne pas arriver les mains vides, on apporte un cadeau. Un cadeau que l’on essaye forcément de personnaliser en l’adaptant à la personnalité de celui ou celle qui va le recevoir. Pas toujours facile de choisir et d’offrir.

Alors, quand on est chef d’Etat et que l’on est reçu par le pape en personne, c’est forcément encore plus compliqué.

L’anecdote est rapportée par Corinne Lhaïk dans son ouvrage « Président cambrioleur » (2020). Elle en dit beaucoup sur ces protocoles de cadeaux et aussi sur celui qui offre le cadeau, le président Emmanuel Macron lui-même. Il y a quelque chose de monarchique dans cette anecdote, comme il y en a parfois dans les postures de certains dirigeants d’entreprises. Et elle est savoureuse.

La visite du président au pape est programmée le 26 juin 2018. Pour les cadeaux, c’est l’ambassade de France sur place, dans cette magnifique Villa Bonaparte, qui prépare tout ça. Lors de sa visite François Hollande avait offert un livre sur les cathédrales. Mais à quatre jours de la visite l’ambassadeur reçoit un appel du conseiller diplomatique du président qui lui indique que le président voudrait que l’on offre « Le journal d’un curé de campagne » de Georges Bernanos. Bien sûr, le président ne veut pas offrir le livre de poche du roman, mais une édition originale…en italien.

Et Corinne Lhaïk, bien renseignée nous raconte ces quatre jours intenses pour retrouver cette édition originale du « journal d’un curé de campagne ».

Un vrai thriller.

Le héros, désigné par l’ambassadeur, c’est le conseiller culturel de l’ambassade, Olivier Jacquot.

Première étape : les caves de la villa Bonaparte : Pas de Bernanos.

Il réveille alors un bouquiniste du coin, en toute discrétion, car il ne faut surtout pas dire que le cadeau est destiné au pape. Le bouquiniste révèle que l’édition originale en italien date de 1946 (l’original en français date de 1936). Il n’y a que deux endroits où peut se trouver cette édition : A Pérouse, et en Campanie.

Le lendemain le conseiller prend donc le train (il reste trois jours) pour Pérouse. Il tombe sur la boutique, mais pas de Bernanos.

Il appelle alors l’ambassade, et l’ambassadeur rappelle le conseiller diplomatique du président pour tenter un plan B : Et si on offrait un truc qui s’apparente à l’édition originale. Réponse du conseiller diplomatique, en bon serviteur du président (monarque ?) : « Je crois que tu n’as pas compris ».

Alors, il reste deux jours et notre conseiller se précipite maintenant vers la Campanie, à Mandragone. Le temps de prendre un taxi pour se rendre à l’adresse qui lui a été indiquée. Dans l’une des baraques de chantier d’un vaste dépôt de vieux bouquins et papiers, on retrouve… » Le journal d’un curé de campagne » édition 1946. L’Elysée a débloqué un budget de 1.500€.  Olivier Jacquot est tout heureux de payer. « C’est combien ? ». Il sort un billet de 50€. Mais le vendeur lui dit « Non, c’est 3,50€ ». Il prend alors les 5€ et rend la monnaie.

La visite d’Emmanuel Macron a donc lieu le lendemain.

Il faut vite rentrer à Rome et trouver un relieur chic pour mettre le livre en état.

Le jour J, le livre est récupéré à 9H30, et arrive un quart d’heure plus tard à la préfecture de la maison pontificale.

Mission accomplie.

Finalement voilà un cadeau qui fera impression (sûr ?) sans avoir coûté bien cher, à part tous ces déplacements de notre conseiller dévoué.

C’est quand même cool d’être le Roi président, non ?

On comprend qu’ils soient onze à briguer le job en 2022.

Il reste une inconnue : le pape a-t-il lu le « journal d’un curé de campagne » ?

Et Emmanuel Macron ?

Cela rappelle « L’ecclésiaste » : « Vanité des vanités tout est vanité ! ».

Relisez le "journal d'un curé de campagne" mais aussi lisez Corinne Lhaïk, qui vient de publier une suite à ces portraits d'Emmanuel Macron, " La nuit tombe deux fois".


Les vieux chefs sont-ils devenus ringards ?

Chef3Pas facile d’être chef en ce moment. Pas chef étoilé de restaurant, quoique, mais chef d’entreprise, chef d'équipe, et même chef de famille. C’est Thierry Marx, chef étoilé justement, qui avouait dans Les Echos la semaine dernière que son coach l’avait « secoué » : « Il m’a dit tout de go que j’étais un bon artisan, mais un mauvais manager. Il m’a parlé différemment de cuisine ». Il a ainsi compris que « savoir faire sans savoir faire faire ne sert à rien ». Il a pris des cours de management qui l’ont fait « basculer dans la position de chef ».

Au-delà de la posture de chef, et de la justification de son rôle (on dit de moins en moins chef, on préfère « manager », ou mieux encore, « être en responsabilité » !), ce qui semble en crise, c’est l’autorité elle-même.

C’est l’objet du livre de deux auteurs réunis pour décortiquer le sujet, Patrice Huerre et Philippe Petitfrère, « L’autorité en question – Nouveau monde, nouveaux chefs ». L’un est pédopsychiatre, son terrain de jeu ce sont les problèmes des adolescents, et des parents, avec l’autorité. L’autre est un routier de la direction d’entreprises et consultant en management, son terrain de jeu, c’est l’entreprise à transformer et à rendre plus performante. Leur association pour ce livre est originale, car elle leur permet de comparer le monde des adolescents rebelles à l’autorité à la maison et à l’école, et les difficultés d’être chef dans les entreprises, avec des collaborateurs ayant les mêmes symptômes que les adolescents. Ils y voient même une continuité évidente : c’est parce que les adolescents ont ces problèmes qu’ils ont du mal avec les chefs quand ils arrivent plus tard dans les entreprises.

Mais quels sont ces problèmes alors ?

Le diagnostic , c’est que les mécanismes d’autorité que nous avons connus par le passé, et qui sont encore la références des « vieux », parents comme managers et dirigeants, ne sont plus adaptés à l’époque. Et donc qu’à force de fabriquer des chefs de plus en plus inadaptés aux évolutions très rapides de nos sociétés, ceux qui en dépendent le supportent de moins en moins, dans l’entreprise, dans la société, à la maison.

Ce que constate le psychiatre avec ses adolescents dans son cabinet, c’est que cette génération est entraînée à ce que le chef de famille soit l’enfant : Les désirs de l’enfant sont des ordres. Son bonheur est espéré et attendu. « Où irons-nous en vacances cet été ? A la campagne, à la montagne, ou à la mer ? Dis-nous ce qui te ferait plaisir, mon chéri ». Pareil à table pour le déjeuner : « Dis-moi ce que tu préfères ». Ce qui n’empêche pas les parents de se plaindre que les jeunes ne respectent plus l’autorité et sont tyranniques face à des parents impuissants et débordés.

Forcément quand ces jeunes arrivent à l’école, ils sont tout étonnés que l’on ne les traite pas comme à la maison. Le psychiatre a sa dose de vécu : « Mon prof de maths me harcèle sous prétexte que je ne viens pas à tous ses cours. Mais il me gonfle ! Pour qui il se prend ? C’est quand même pas lui qui va décider de ma vie ! Si ça continue, je vais plus y aller du tout ». Et pour répondre à un professeur qui lui demanderait de se taire durant le cours : « Vous n’avez pas à me donner des ordres ».

Et ça continue dans l’entreprise : « Ah, non je ne peux pas rester à la réunion de ce soir pour préparer le rendez-vous important de demain, car j’ai mon cours de yoga ». La vie personnelle, ça compte, non ? Qui sont ces chefs qui ne le comprennent pas ?

Et puis les auteurs tendent l’oreille sur les ronds-points des gilets jaunes : « Ce n’est pas parce qu’il a été élu qu’il doit pas démissionner : on n’en veut plus. Un point c’est tout. Qu’il dégage ! ».

En bref, le rapport à l’autorité est l’objet d’une contestation générale qui va des enfants aux électeurs, en passant par les salariés.

Et les chefs qui ont de plus en plus de mal à s’affirmer en tant que tels s’autocensurent, se sentant ringardisés Le respect et la discipline, qui ont constitué la contrepartie de l’autorité, ne sont plus à la mode. Certains essayent encore d’opter pour un autoritarisme vite contesté, et qui ne marche plus, quand d’autres baissent les bras et prennent la fuite. Dans l’entreprise, on se rue sur le « participatif », ce que les auteurs appellent « la fausse bonhomie », avec le « tutoiement en veux-tu en voilà » et « les séminaires de cohésion ineptes » qui ne dupent que « ceux qui le veulent bien ».

De plus, il devient difficile de faire preuve d’autorité réelle après de trop longs temps d’évitements des questions et de glissements des limites. De même, des menaces brandies en cas de non-respect de consignes, et qui ne sont pas mises à exécution, invalident la parole de celui qui les énonce. « Si tu recommences, tu seras privé de dessert pendant un an ». Voilà ce qui va permettre de vérifier à l’enfant rebelle que ces propos radicaux n’ont pas plus de valeur qu’une parole en l’air. Et il va donc tester des provocations de plus en plus fortes pour justement tester les limites.

Alors, que faire ?

Lors d’une conférence-débat avec les auteurs à laquelle j’assistais, le public, composé de cadres et managers en milieu de carrière, voire plus, réagissait partiellement en haussant les épaules, en pensant très fort « Il faut mater ces petits cons insolents qui ne veulent pas obéir », les collaborateurs comme les enfants. Aïe !

La réponse des deux auteurs est immédiate : Eh, non. «  Il va falloir que « les vieux » s’adaptent. Qu’ils acceptent de changer ».

Car les adolescents comme les collaborateurs veulent de l’autorité, et en redemandent, mais pas celle que l’on croit. « J’aimerais que mes parents me disent ce que je dois faire, mais ils ne me disent rien ». «  Pfuuu ! Y en a marre de cette boîte ! Mon patron ne sait pas où on va. Si y a une stratégie dans la maison, c’est pas lui qui va le faire savoir ! D’ailleurs, je comptais lui en parler pendant mon entretien annuel, mais il vient de le reporter pour la deuxième fois ! Toutes les idées que je peux avoir, il s’en fout complètement ». » Les réunions de service, maintenant, c’est un monologue du chef entrecoupé d’appels téléphoniques d’en haut ».

Le changement à court terme, il est bien sûr dans les attitudes, adoptées avec une sincérité visible. Rien d’original, on a déjà lu ou entendu cela ailleurs, mais toute la difficulté est de passer de ces lectures à l’action. Savoir écouter, être sincère, faire fonctionner l’intelligence collective, car qui peut encore penser aujourd’hui que le chef tout seul peut avoir les réponses à tout et les inculquer à ses collaborateurs. Pour cela, c’est le rôle des chefs d’organiser dans l’entreprise les circuits remontants, descendants (c’est encore utile parfois), horizontaux, avec un maximum de travail en équipes. Tout ce qui permet de nourrir la prise de décision est bienvenu. Car les collaborateurs veulent aussi comprendre le pourquoi et le sens des décisions.

A plus long terme, les auteurs pensent aussi à l’école, celle qui forme et va former ceux qui dirigeront nos entreprises et la société demain et après-demain. Dans cette vision, l’école n’est plus là pour « seulement » apprendre à compter et à emmagasiner de la connaissance, pour préparer les jeunes générations au monde du travail de la manière la plus utilitaire possible à court terme, en « recrachant » les cours. Il s’agit, pour être adapté au nouveau monde, de penser questionnement plutôt que certitudes, l’imagination autant que la raison, l’humilité plutôt que l’arrogance, l’intelligence émotionnelle au moins autant que rationnelle. Car, bien sûr, les chefs de demain – les bébés d’aujourd’hui – seront directement façonnés par la manière dont ils seront initiés à la relation d’autorité à partir du modèle que leurs parents leur offrent.

Tout un programme ! ça tombe bien, on est en plein dedans. Mais qui prendra la hauteur pour en parler et proposer ?


Univers Meta

MetaverseIl paraît que le terme a été pour la première fois utilisé dans ce roman de science-fiction, on dirait même SF cyberpunk, « Le samouraï virtuel » (« Snow Crash »), de Neal Stephenson, qui date, déjà, de 1992, une éternité.

1992, c’est le début de l’internet, il n’ y a encore que très peu de téléphones mobiles, les SMS viennent d’apparaître, et on ne parle pas trop de réalité virtuelle. Et ce romancier Neal Stephenson imagine le monde du futur, et invente le mot « Metaverse ». C’est un monde virtuel où l’on pénètre avec des lunettes ou via des écrans pour y vivre une réalité alternative, chaque utilisateur étant personnifié par son avatar. Avec le Metaverse, on vit une double vie.

Eh bien, ce Metaverse, nous y sommes en vrai.

Le Metaverse, certains l'écrivent Metavers, c’est un monde fictif virtuel, créé par les nouvelles technologies, qui permet à l’utilisateur de vivre l’expérience de ce monde en réalité virtuelle.

On a déjà connu « Second Life » il y a une dizaine d’années, et ça n’a pas trop marché. Aujourd’hui, c’est différent car les technologies ont beaucoup évolué, et surtout les acteurs et moyens financiers n’ont plus rien à voir. On parle de milliards investis aujourd’hui pour la création de ces metaverse. Et une nouvelle donne s’en mêle, les cryptomonnaies et les NFT, qui permettent d'effectuer des transactions et transferts de propriété dans ce monde virtuel. De quoi s’y perdre.

Mais on aurait tort de croire que ces metaverse sont réservés aux adeptes du e-gaming. Un vrai business est en train de se créer, et dépasse ces communautés de joueurs.

Les premiers qui sentent le bon business, ce sont les marques de luxe, qui ont bien compris que dans ces mondes virtuels, comme dans le monde physique, le placement de produits répondra à ce désir des consommateurs d’exprimer leur personnalité par les produits qu’ils achèteront. Parmi elles, Gucci (Groupe Kering) avait déjà créé des tenues pour des jeux vidéos comme Les Sims ou Pokémon Go. Cette année, dans un partenariat avec Roblox ( jeu vidéo multi-joueurs en ligne), il proposait des accessoires pour les joueurs de 1,20 à 9 dollars. Un sac numérique « Dionysos avec abeille » s’est acheté en mai dernier à un prix ( 4.115 $) supérieur à son prix dans la vie réelle ( 3.400 $). Les échanges sur les places de marché metaverse ne se font pas en dollars mais en cryptomonnaies ( les Robux sur le jeu Roblox, avec la limite que ces Robux ne sont valables que dans le jeu Roblox et le sac que vous avez acheté n’est utilisable que dans le jeu Roblox). Les prix bougent vite. Ce fameux sac à 4.115 $ peut maintenant être trouvé pour 800 $.

Les grandes manœuvres ne font que commencer. On apprenait lundi 6 décembre que la société de l’entrepreneur lyonnais Jean-Charles Capelli, musicien pop-rock amateur qui intervient dans l’immobilier, avait racheté le studio anglais Dubit. C’est un studio spécialiste de création de jeux sur la plateforme Roblox justement. Son idée est d’être le premier artiste lancé dans Roblox, afin de bénéficier du potentiel de fréquentation du metaverse. Car Roblox, c’est 200 millions de joueurs uniques par mois. L’objectif de Dubit, qui a aussi intégré la société Metaventures, c’est d’accompagner les entreprises, de tous secteurs, dans l’exploitation du potentiel marketing et communication des metaverse.

Mais, attention, il ne s’agit pas, comme dans l’ancien monde, d’envoyer des bannières de publicité qui feraient fuir les utilisateurs, mais de trouver de nouvelles idées : des compétitions e-sports avec prize money, des évènements live interactifs musique et mode. Il s’agit aussi d’organiser des jeux comme la Metavers Gaming League, prévue pour Noël, et des Miles ( massive interactive live events), rassemblant plusieurs millions de joueurs sur une à deux semaines, avec fashionweek multi marques, des jeux, des concerts, pour le lancement d’un nouveau produit. Cela semble prometteur, la société Metaventures déclarant aux Echos avoir déjà signé des dizaines de contrats de 500.000 à 3 millions d’euros pour 2022, avec des opérateurs téléphoniques, des marques de vêtements, des maisons de disques, des groupes audiovisuels. 

Le monde de la communication va connaître sa mutation.

Le système se sophistique encore avec l’apparition des NFT (jeton non fongible – Non Fongible Token) : Ce sont des objets virtuels dont l’authenticité et la traçabilité sont garantis par une blockchain. Un NFT garantit ainsi la propriété exclusive d’un actif numérique (une œuvre d’art ou un objet dans un jeu vidéo, comme un t-shirt, une épée, ou un arbre). Ces NFT peuvent être acquis et échangés sur les plateformes metaverse à partir de tokens de blockchain.

En adoptant les principes de décentralisation de la blockchain, les metaverse vont aussi permettre à tous types de créateurs ( graphistes, game designers, scénaristes) de développer leurs activités et de tirer des revenus, en échappant à l'intermédiation des maisons d'édition. Il y a de l'Uberisation dans l'air.

Bien sûr, c’est la vidéo de marc Zuckerberg à destination des investisseurs, annonçant que Facebook allait se renommer Meta, et que 10 milliards de dollars allaient être consacrés au développement du metaverse en 2021 et 2022, qui a attiré l’attention sur cette nouvelle étape de l’internet. Comme le dit Zuckerberg on passe du monde où on regardait internet au monde où l’on va se trouver dans internet. Cet investissement de Facebook, pardon, Meta, correspond à la création de 10.000 emplois, en Europe, pour développer ce metaverse. Il sera en concurrence avec tous les metaverse déjà développés ou à venir, mais l’ambition de Meta est d’en devenir le leader, et de prendre de l’avance sur tout le monde, en développant la réalité augmentée et la réalité virtuelle, ainsi que des lunettes et autres accessoires (gants, etc.) pour qu’on se croie dans le metaverse comme dans la vraie vie, avec notre avatar qui nous ressemble (ou à qui nous donnerons tous les traits dont nous avons envie).

Et la course a déjà bien commencé. Début décembre, en une semaine, plus de 100 millions de dollars ont été dépensés pour acheter des terrains, boutiques et logements virtuels sur des plateformes metaverse (The Sandbox, Decentraland, CryptoVoxels et Somnium Space). L’île de la Barbade a même annoncé son intention d’établir une ambassade dans le metaverse.

Tout cela peut paraître complètement farfelu à certains, mais il vaut la peine de creuser un peu plus pour comprendre le phénomène.

Ces mondes virtuels vont forcément créer des lieux de consommation, et ceux qui les fréquenteront passeront autant de temps en moins dans le monde réel. D’où ce déplacement de valeur qui reportera certains achats du monde réel vers le monde virtuel, avec évidemment des aller-retours : en ayant vu la boutique Nike dans le metaverse et ses présentations, on aura encore plus envie de fréquenter la vraie boutique en ville, ou sur le site marchand (qui sera sûrement aussi dans le metaverse d’ailleurs). C’est un changement des business models et un déplacement de valeur dans l’économie de marché qui se profile.

Et puis, ce n’est pas seulement dans les jeux et les galeries marchandes virtuelles que se déploieront ces technologies. On imagine bien, et Marc Zuckerberg l’évoque dans sa vidéo, ce que cela va aussi transformer dans le monde du travail et des entreprises. Nos Zoom et Teams party vont rapidement paraître bien ringardes, sans parler de nos sessions de brainstorming assis par terre avec nos post-it. Car on comprend bien que l’écart s’est creusé et va continuer à se creuser entre la richesse des univers des jeux vidéo et la pauvreté des outils de réunion à distance professionnels. Avec le metaverse et ses technologies il ne s’agit pas de faire des reproductions en 3D de la vie de bureau normale, avec des « post-it » digitaux (on a déjà des outils qui font ça), mais d’imaginer de nouveaux processus et méthodes d’interactions. Ces technologies metaverse vont nous permettre de gamifier nos processus d’idéation et de management de projets. Une réunion dans le metaverse nous permettra de choisir son avatar en fonction de notre rôle dans le projet, et de prendre de la hauteur en s’envolant au-dessus des cartes de processus ou des arbres des causes. Des technologies sont déjà matures pour nous permettre de reconstituer le sens du toucher dans un univers 3D, de quoi imaginer de nouveaux usages et notamment la formation de gestes techniques manuels.

Les technologies de réalité augmentée, avec des hologrammes affichés dans les espaces physiques, voilà encore de quoi activer nos imaginations pour une nouvelle conception du travail hybride. Le recrutement de nos collaborateurs peut aussi être imaginé autrement, en projetant les candidats dans des exercices et tests de gamification. On pense aussi à l’organisation de réunions de travail ou de brainstorming, en format court, à l’initiative des salariés et des groupes de projets. Le mentoring, le coaching vont peut-être aussi s’y mettre, en inventant, là encore ,de nouvelles approches. Les séminaires de comex et d’équipes vont pouvoir innover eux aussi. Tout va être dans le « Test and Learn ».

Il est temps que se révèlent les Metaverse-Consultants et les Metaverse-Coachs.

Et d’installer dans les entreprises le Directeur du Metaverse, ou le CMO (Chief Metaverse Officer), comme l’appellent déjà certains observateurs visionnaires.

La quatrième révolution industrielle n’est pas finie.