Traîner sa vie ou être rebelle ?

ForêtDans le haut moyen âge, on disait que le proscrit norvégien avait « recours aux forêt », pour signifier qu’il s’y réfugiait et y vivait librement, mais qu’il pouvait être abattu par quiconque le rencontrait. C’est cette figure du « waldgänger » que Ernst Jünger utilise dans son traité traduit par « Traité du rebelle » (le waldgänger est devenu le rebelle).

Ce rebelle dont il est question, c’est celui qui résiste à ce qui semble être la pensée dominante de tous, et qui prend le risque de tenter d’autres chemins. C’est celui qui refuse le confort de rester dans le rang pour oser s’en écarter. Voilà un petit livre, écrit en 1951, qui garde toute son actualité et sa valeur intemporelle pour aujourd’hui. Car il n’est pas nécessaire de vivre dans un régime totalitaire pour sentir l’oppression de se sentir embarqué malgré soi dans une voie, une carrière, une entreprise, une stratégie, un mode de vie, qui ne nous convient pas, comme une impression de « traîner sa vie ». Et pour être ce rebelle, il suffit d’un « frôlement ».Citons Ernst Jünger : « Un homme qui traîne sa vie, sinon dans le désert, du moins dans une zone de végétation chétive, par exemple dans un centre industriel, et qui tout d’un coup perçoit un reflet, un frôlement des puissances infinies de l’être – un tel homme commence à soupçonner qu’il lui manque quelque chose : condition préliminaire à sa quête ».

Et pour cela, « l’intelligence doit commencer par couper les câbles, afin que naisse le mouvement. Le difficile, ce sont les débuts : le champ s’élargit ensuite à l’infini ».

Car il n’est pas facile de se bouger d’un confort matériel, même si on ressent bien qu’il « manque quelque chose ». Mais, pour reprendre Ernst Jünger, « Tout confort se paie. La condition d’animal domestique entraîne celle de bête de boucherie ».

Ce qui empêche, c’est bien sûr la peur, car c’est de cette peur que le temps passé se nourrit. «  Toute crainte, sous quelque forme dérivée qu’elle se manifeste, est au fond crainte de la mort. Si l’homme réussit à gagner sur elle du terrain, sa liberté se fera sentir en tout autre domaine régi par la crainte. Il renversera dès lors les géants, dont l’arme est la terreur ».

Le rebelle doit donc résister face au « système », car « tous les systèmes visent à endiguer le flux métaphysique, à dompter et à dresser l’être selon les normes de la collectivité. Là même où Léviathan ne peut se passer de courage, comme sur les champs de bataille, il s’emploie à donner au combattant l’illusion d’une seconde menace, plus forte que le danger, et qui le maintient à son poste. Dans de tels Etats, on s’en remet finalement à la police ». Oui, le texte de Jünger est aussi un refus individualiste, un peu anarchisant, de l’Etat Léviathan qui veut tout contrôler à notre insu.

Alors, cette forêt à laquelle a recours ce rebelle, c’est le symbole de ce refuge, point de passage vers l’action. «  Ce n’est sans doute nullement par hasard que tout ce qui nous enchaîne au souci temporel se détache de nous avec tant de force, dès que le regard se tourne vers les fleurs, les arbres, et se laisse captiver par leur magie ».

Mais « le même bienfait se cherche en d’autres lieux – des grottes, des labyrinthes, des déserts où demeure le Tentateur. Tout est résidence d’une vie robuste, pour qui en devine les symboles ».

Cet essai est donc aussi une source de réflexion et de courage pour « ceux qui aspirent à fuir les déserts des systèmes rationalistes et matérialistes, mais sont encore captifs de leur dialectique ».Ernst Jünger prévient, «on ne peut donner de recettes ».

C’est à celui qu’il appelle « l’homme libre » de découvrir ses ressources. Car ces rebelles sont, pour Ernst Jünger, une élite minoritaire seule capable d’entraîner les autres, ou pas, comme des éclaireurs, en montrant de nouveaux chemins pour nous faire choisir de respirer l’air pur des forêts.

Etonnamment, ce texte n’est plus édité aujourd’hui en France ; on le trouve seulement d’occasion à des prix de rareté.

Encore un motif de rébellion ?


Ouvrir ou fermer la fenêtre ?

OVERTONC’est une théorie dont on reparle beaucoup en ce moment et qui fait l’objet d’articles et d’analyses à propos de la campagne électorale en France.

L’occasion pour beaucoup de la découvrir.

Il s’agit de la théorie dite « la fenêtre d’Overton », aussi appelée la fenêtre du discours.

Le nom vient d’un lobbyiste libéral américain, Joseph Overton qui a introduit cette notion dans les années 1990. Elle désigne la gamme d’idées (c’est ça la fenêtre) que le public peut accepter à un moment donné. La viabilité politique d’une idée dépend ainsi du fait qu’elle se situe dans cette fenêtre qui comprend donc une gamme de politiques et d’idées qu’un politicien peut proposer et débattre sans être considéré comme trop extrême, pour gagner ou conserver une fonction publique (merci Wikipedia).

Ainsi existe-t-il une échelle de l’acceptation des idées publiques : On passe d’une extrême où les idées sont inconcevables ou inacceptables, puis radicales, acceptables, sensées, populaires, et enfin admises politiquement (comme une évidence partagée).

Cette théorie stipule que la fenêtre en question change de taille et peut se déplacer. Une idée, après avoir été considérée comme inacceptable, peut progressivement devenir une idée politiquement acceptable. Et le jeu des politiques qui soutiennent des idées en dehors de la fenêtre est alors de chercher à persuader l’opinion pour élargir la fenêtre ; inversement ceux qui soutiennent les idées à l’intérieur de la fenêtre veulent convaincre l’opinion que toutes les idées en dehors de la fenêtre sont inacceptables, pour éviter de les y faire rentrer.

Cette théorie est devenue familière des professionnels de la communication, et s’est étendue à d’autres domaines de la vie en société, à l’entreprise notamment. Une des techniques reconnue pour agrandir la fenêtre de l’acceptabilité consiste à faire la promotion d’idées très éloignées, jugées donc comme radicales ou inacceptables, avec l’intention réelle de rendre acceptables, par comparaison, des idées moins éloignées, mais considérées comme marginales et en dehors de la fenêtre.

Les exemples d’évolution des idées par rapport à cette fenêtre sont légion. On peut citer l’euthanasie, considérée comme inacceptable après la seconde guerre mondiale, qui est petit à petit devenue une idée, non plus radicale, mais acceptable par certains, même si elle n’est pas complètement entrée dans la catégorie évidence partagée. Ce phénomène de petits pas qui font pénétrer les idées se constate aujourd’hui sur des sujets d’actualité comme la GPA, et demain sur le Revenu Universel ou la libéralisation du cannabis. On a vu aussi, à l’occasion de la crise Covid, l’idée du contrôle de la population entrer dans la fenêtre avec le pass sanitaire. L’utilisation de technologies de surveillance de la population a, à cette occasion, entrebâillé la fenêtre d’Overton. On pourrait analyser de manière plus générale, le mouvement vers la fenêtre des nouvelles technologies, qui, au début, font lever les peurs de ceux qui les considèrent comme inacceptables.

Ce phénomène touche en ce moment la campagne électorale en France, comme l’analyse Raphaël LLorca, expert de la Fondation Jean-Jaurès, dans L’Opinion du 15/02. Pour lui, c’est toute la campagne qui fonctionne comme une gigantesque fenêtre d’Overton. C’est le cas de ce qualificatif de « grand remplacement », apparu en 2010 dans un ouvrage de Renaud Camus, et longtemps marginal dans le discours politique, qui est soudainement apparu dans les expressions de plusieurs acteurs du débat public à l’occasion de cette campagne. Même chose pour la résurgence de débats qu’on avait cru enfouis depuis toujours (la culpabilité de Dreyfus, la responsabilité de Pétain). Raphaël LLorca a observé avec étonnement les débats sur BFM traitant de « Les juifs ont-ils trop de pouvoir ? » ou, sur TPMP, « Faut-il réautoriser la peine de mort ? », faisant remarquer qu’il sera toujours plus long de refermer la fenêtre d’Overton que de l’ouvrir.

Mais on peut aussi regarder cette fenêtre avec envie, comme Olivier Babeau, Président de l’Institut Sapiens, qui y voit, dans une tribune parue dans Le Figaro en 2019 (qui ne traitait pas des phénomènes dont parle Raphaël LLorca néanmoins), la nécessité d’élargie la fenêtre d’Overton pour favoriser la richesse et la qualité des débats publics. Pour lui, « la richesse et la qualité des débats exigent que la fenêtre du dicible soit la plus large possible, et non comme semblent le suggérer certains censeurs, qu’elle se rétrécisse toujours plus ».

Il y a peut-être à distinguer les bonnes et les mauvaises fenêtres. Mais qui va en décider ? Si celui qui décide a pour objectif de nous empêcher de penser, on n’est plus très loin d’Orwell et de sa novlangue.

Et puis, la fenêtre d’Overton, on peut aussi voir que chacun de nous a la sienne. Se braquer envers les nouveautés ou les idées qui nous dérangent, voilà qui contribue à fermer notre fenêtre, à perdre le contact avec le monde, et à assécher sa capacité à créer et à innover, dans nos affaires et dans notre vie. Inversement, nourrir et développer des relations avec des gens différents de nous, lire des auteurs et des journaux qui pensent autrement, entre générations, voilà de quoi nous permettre d’ouvrir notre fenêtre d’Overton, et c’est en cultivant ces différences que nous élargissons cette fenêtre, au lieu de constamment la décaler pour fuir ceux qui ne pensent pas comme nous.

On ouvre la fenêtre ?


Capitalisme Woke

MagazineLe phénomène est parti des universités américaines et s’amplifie. On l’appelle la « woke culture ». Cela évoque la nouvelle génération d’étudiants qui se veulent « éveillés » et « conscientisés » (« woke ») pour condamner la prédominance des mâles blancs occidentaux. Considérant la souffrance des victimes de cette suprématie, il s’agit pour eux d’abolir celle-ci.

Le mouvement a déjà traversé l’Atlantique et se répand maintenant en Europe et en France. Au nom de l’identitarisme anti-blanc, du féminisme anti-homme et du sextrémisme anti-genre, il s’agit de dénoncer et de réécrire l’histoire (« cancel culture »). Il y aurait une urgence morale à se soulever contre les « injustices »qui sont produites et perpétuées par les structures, normes et valeurs de nos sociétés.

Nos sociétés occidentales sont vues comme intrinsèquement injustes, articulées sur des relations et des hiérarchies de pouvoir objectives et subjectives qui existent au profit d’une « identité blanche ».  

Pour corriger la multitude de ces injustices fabriquées par l’arbitraire des hiérarchies de pouvoir l’objectif est une transformation radicale de la société sur les plans politique, social et économique.

Cette génération, après l’Université, arrive ou va arriver dans le monde de nos entreprises et du pouvoir politique. Elle va aussi représenter une part des consommateurs. Une nouvelle question se pose donc au monde de l’entreprise : comment répondre à cette prise de conscience aigüe des injustices sociales par ces jeunes employés qui veulent s’engager et agir pour le changement, et aux menaces de boycott d’une nouvelle génération de consommateurs « éveillés » ?

Alors que dans les universités le mouvement se fondait sur une forme d’anti-libéralisme et d’anticapitalisme il se transforme dans une woke culture, tout en gardant le capitalisme.

Julie Coffman, Chief Diversity Officer de l’entreprise de conseil Bain&Company (oui, il y a des Chief Diversity Officers maintenant dans les entreprises !) déclarait dans un article de The Economist en septembre : « Je voudrais arriver à un point où nous penserons que la diversité sera aussi importante que la rentabilité, parce qu’elle est liée à de nombreux facteurs qui vont créer de la valeur ». Les consultants en ont déjà fait un « business case » : McKinsey a déjà publié plusieurs rapports pour démontrer que les entreprises avec plus de diversité de genre et ethnique ont plus de chance d’avoir une meilleure performance financière.

Le label « Woke » est devenu une marque de différentiation. Les entreprises qui affichent un tel label lancent des programmes de « Corporate Social Responsability » et créent des Directions de « Corporate Social Justice ». Les formations axées sur les biais implicites, l’équité et la diversité se multiplient. On parle maintenant de « Woke Capitalism ».

Les plus actives sont les entreprises de Big Tech, qui soignent ainsi leur image de justice sociale, qui alimente aussi leurs intérêts commerciaux, à la fois pour recruter et pour se faire bien voir des consommateurs.

Car cette génération woke de jeunes millenials et de Gen Z (ceux nés entre 1997 et 2010) s’engage aujourd’hui dans une forme de guerre collective contre les boomers et les Gen X qui sont aujourd’hui aux commandes des organisations, comme l’a vécu Antonio Garcia Martinez, licencié par Apple en mai 2021 après que 2000 employés aient fait circulé une pétition contre son recrutement, en citant des passages de son autobiographie, datant de cinq ans, et qu’ils trouvaient trop sexistes. 

Pas si simple de résister à la vague. Brian Armstrong, le PDG de Coinbase (un des leaders des plateformes de trading de cryptomonnaies), s’est fait remarqué en publiant sur son blog une déclaration à contre-courant de ce mouvement :

«  Il est devenu courant pour les entreprises de la Silicon Valley de s'engager dans une grande variété d'activités sociales, même celles qui n'ont aucun lien avec les activités de l'entreprise, et il y a certainement des employés qui souhaitent vraiment que l'entreprise pour laquelle ils travaillent s'engage dans cette voie. Alors pourquoi avons-nous décidé d'adopter une approche différente ?

La raison est que, même si je pense que ces efforts sont bien intentionnés, ils ont le potentiel de détruire beaucoup de valeur dans la plupart des entreprises, à la fois en étant une distraction et en créant une division interne. Nous avons vu ce que les conflits internes dans des entreprises comme Google et Facebook peuvent faire à la productivité, et il y a beaucoup de petites entreprises qui ont eu leurs propres défis à relever. Je pense que la plupart des employés ne veulent pas travailler dans ces environnements de division. Ils veulent travailler dans une équipe gagnante qui est unie et qui progresse vers une mission importante. Ils veulent être respectés au travail, bénéficier d'un environnement accueillant où ils peuvent apporter leur contribution et avoir des possibilités de développement. Ils veulent que le lieu de travail soit un refuge contre la division qui est de plus en plus présente dans le monde ».

En conséquence il a interdit ce qu’il a appelé « l’activisme politique » dans l’entreprise, et invité ceux à qui cela ne conviendrait pas à quitter l’entreprise. Il a reçu de nombreux messages de CEO qui n’osaient pas faire la même chose, et aussi de nombreuses critiques.

Néanmoins, certains pensent que ce genre de position devrait rester exceptionnelle, comme un vœu pieux, et que, au contraire, la politique et l'activisme politique anti-discrimination va s’injecter dans la vie quotidienne de l’entreprise de manière de plus en plus fréquente.

Alors, les entreprises doivent-elles s’ouvrir et s’éveiller à ce « capitalisme woke » ou résister ?

Voilà un choix, si l’on peut encore choisir, pour alimenter nos réflexions pour 2022.


Le retour de la momie

BenthamCette momie a un message plus que jamais d'actualité en ce moment.

Mais qui est cette momie?

C'est celle de Jérémy Bentham, philosophe libéral anglais du XVIIIème siècle. Il a été momifié, conformément à sa volonté, en 1850, et est exposé à l'University College à Londres.

En 1791, il est l'auteur d'un projet soumis aux députés de l'Assemblée nationale française, fraîchement élue.

De quoi parle ce projet?

De surveillance, de liberté, de prison.

Et alors ?

La réponse s'appelle un panoptique.

Pour en savoir plus, c'est ICI, dans ma chronique du mois sur "Envie d'entreprendre".

Suivez la momie.


La preuve par dix

DixLe changement d'année, et le début d'une nouvelle décennie, c'est l'occasion pour certains de faire le bilan des dix années passées, et de se projeter dans les dix années à venir. On va faire les "Ambitions 2030" dans les entreprises visionnaires.

Mais on peut aussi considérer que nous sommes dans un état permanent d'incertitude qui nous oblige à apprendre à vivre et à manager différemment.

Ginevra Bompiani, écrivaine et éditrice italienne, porte son regard dans Le Monde du 29 décembre pour rappeler combien les phénomènes exceptionnels se sont multipliés au cours des dix dernières années. 

2010, c'est le tremblement de terre en Haïti, avec plus de 200.000 morts; et d'autres tremblements de terre, et tsunamis se sont multipliés (dont en 2018 en Indonésie avec plus de 2000 morts). L'auteure cite aussi les tornades et les cyclones. Autres phénomènes d'exception connus au cours de ces dix ans : les attaques terroristes, et ce pilote allemand, en 2015, qui lance son avion contre une montagne  et se tue avec 150 passagers. Autre phénomène d'exception qui touche directement l'Italie, le pays de l'auteure, les afflux de migrants qui, cherchant à rejoindre l'Italie, font naufrage (tel ce bateau au large de Lampedusa en 2013, sur lequel plus de 300 personnes trouvent la mort dans un incendie). Pour compléter le tableau, on se souviendra aussi des exterminations permanentes, comme celle des Rohingas ou des kurdes, et des effets des guerres en Afrique et au Moyen-Orient. 

Nous ne pouvons pas prévoir tous ces phénomènes, mais nous nous persuadons que nous en connaîtrons encore dans les dix ans à venir, et peut-être même de plus en plus. Comme si nous apprenions à vivre dans "un état d'exception", comme un état d'urgence permanent. Et qui conduit à vivre, selon les mots de Ginevra Bompiani, dans un "état d'âme d'exception", qui a une influence sur notre humeur, qui devient " apeurée, méfiante, crédule, rageuse, angoissée, mal assurée. Nous avons peur de tout, nous nous méfions de tout, nous nous laissons duper à propos de tout". D'où le besoin fort, adressé aux politiques partout dans le monde : l'exigence de sécurité. Alors que, bien sûr, personne n'est capable de garantir la sécurité, pas même, rappelle l'auteure, "la mère qui berce son enfant". En complément de ce besoin de sécurité, un autre besoin fort : le changement. Mais une forme particulière de changement, qui correspond, " comme pour ces voyageurs sur un pont branlant, à la volonté de ne plus être sur le pont branlant sans avoir à le traverser". C'est un changement qui n'est pas tourné vers le futur, mais vers le passé, pour recommencer à être bercé et protégé des étrangers menaçants ou des dommages du temps. Pas facile, dans ces conditions, d'accueillir le changement, le vrai, celui qui attend à la porte de notre monde, avec bienveillance.

Un autre phénomène de peur, caractéristique de notre décennie, est mis en évidence par Olivier Babeau, Président du Think Tank "Sapiens", dans un article du Figaro du 30 décembre. C'est cette préoccupation environnementale qui prend aujourd'hui la forme d'un souci constant de minimiser "l'empreinte" de l'humain. Alors que dans l'Histoire, l'homme, depuis l'Antiquité, a cherché à marquer de son empreinte le monde, en bâtissant des cathédrales et des pyramides, aujourd'hui c'est l'inverse qu'il est bon de louer. Le nouveau culte est celui de la nature, culte que Olivier Babeau qualifie de naïf, car, comme il le fait remarquer, " il ignore que tant de choses dans notre environnement ont déjà été façonnées par des milliers d'années d'efforts humains: les paysages, les fruits (qui n'existaient pas à l'état naturel sous leur forme actuelle), les animaux (les chiens sont des loups sélectionnés)...Le culte de Mère nature veut aussi ignorer tout ce que notre bien-être actuel doit à des milliers d'années d'effort pour contrecarrer la nature et s'abstraire de ses nécessités". 

S'il est vrai que notre Terre a été complètement façonnée et transformée par l'homme (Laurent Testot, dans son livre "cataclysmes", en fait un impressionnant récit sur trois millions d'années), aujourd'hui, le nouveau grand projet, dénoncé par Olivier Babeau, c'est de faire disparaître la marque de l'homme sur la nature. comme il note avec un peu d'ironie, " "L'homme serait une sorte de virus sur terre, et toute trace humaine une forme une forme de dépravation de la nature. Même les traces de pas sur la neige d'une montagne sont ainsi vécues comme une forme d'agression". 

Conclusion naturelle de cette attitude, l'homme du XXIème siècle ne souhaiterait plus alors être conquérant de rien. Au point que "Un bon citoyen, à la limite, est un citoyen mort qui n'encombre plus l'atmosphère avec sa respiration". 

Cela peut nous poser question sur l'avenir de notre civilisation : " que peut-il advenir d'une civilisation qui ne voit aucun objectif  plus digne que de s'abolir ? Quelle force peut-il rester à une société qui rêve de s'éteindre en silence ? ". Cette attitude est plutôt celle de l'Occident, alors que d'autres pays, plus à l'Est, "décidés à marquer la terre de leur sceau se feront un plaisir de nous aider à réaliser notre souhait". 

Bon, pour tromper ces prédictions funestes, ne pas sombrer dans la peur de traverser le pont branlant, tournés vers le passé, ni dans le rêve de s'éteindre en silence, dont nous préviennent ces auteurs, il va nous falloir développer et propager un esprit d'entrepreneur, de rêve de possible, de confiance en l'homme et en son avenir, afin de faire émerger en 2020 et dans la décennie à venir, des projets ambitieux et des réalisations optimistes.

A chacun de tirer les bonnes cartes pour faire la preuve par dix.

A nous de jouer.

Bonne année 2020, et bonne décennie. 


Gestion calculante de l'Etat et raison d'être de l'entreprise libérale

Raison-etreLe gouvernement moderne de la sphère publique tend il  à se régler sur le modèle de l'entreprise ? C'est ce que pense relever Myriam Revault d'Allonnes, philosophe, dans ses écrits, et encore dans une interview du Monde du 17 décembre. 

Elle y fait remarquer que la politique relève de plus en plus de ce qu'elle appelle "une gestion calculante", "venant en lieu et place d'une réflexion à long terme sur les fins ultimes de la société dans laquelle nous voulons vivre". Dans cette vision "calculante", la politique doit être soumise aux mêmes critères que ceux que l'on attribue habituellement à l'entreprise. Dans cette approche, certains en arrivent à croire qu'il n'existe plus de politique idéologique, mais une "bonne gestion", ne souffrant aucune critique, puisque c'est "la bonne gestion", rationnelle. C'est une vision "utilitariste du social"

Pourtant, elle encourage, reprenant une métaphore de Hannah Arendt, à se mettre dans "la brèche du temps", et ainsi à trouver un monde "hors de ses gonds", la force de l'imaginaire étant notre meilleur allié pour imaginer le monde de demain.

Paradoxalement, alors que l'Etat et les politiques s'emmêlent, selon Myriam Revault d'Allonnes, dans la "gestion calculante", correspondant à une conception qu'elle croit être, à tort, la "rationalité néolibérale", en manque d'imaginaire pour explorer le possible, c'est vers l'entreprise libérale d'aujourd'hui, justement, que l'on trouve les réflexions les plus nouvelles pour s'en sortir. Pour cela le rapport de Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, sur "l'entreprise, objet d'intérêt collectif" a remis en avant le concept de "Raison d'être" que beaucoup d'entreprises s'approprient aujourd'hui. Le rapport commence par une citation d'Henry Ford, qui date pourtant des années 30, et terriblement actuelle : " L'entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra. Mais si l'on tente de faire fonctionner une entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n'aura plus de raison d'être". 

Cette "raison d'être", c'est la mission dont se dote l'entreprise vis-à-vis des parties prenantes ou de l'environnement. 

Comme le souligne le rapport Notat-Senard, " L'action légitime de l'entreprise ne se réduit alors pas uniquement au respect du cadre légal. C'est également la recherche d'un intérêt collectif à son échelle, à la recherche d'un arbitrage entre les personnes et groupes y prenant part, à la limitation éventuelle de son profit pour ne pas contredire sa raison d'être, pour réaliser une création de valeur plus durable et qui ne se fasse pas aux dépens du patrimoine naturel par exemple".

Cette notion de raison d'être n'est pas nouvelle et correspond à un élément essentiel du management stratégique de nombreuses entreprises, y compris dans le monde anglo-saxon qui parle de "purpose".

Les auteurs soulignent aussi que c'est à l'entreprise de définir sa "raison d'être" : " A la manière d'une devise pour un Etat, la raison d'être pour une entreprise est une indication, qui mérite d'être explicitée, sans pour autant que des effets juridiques précis y soient attachés". Avec l'espoir que la pratique, de plus en plus courante dans nos entreprises, amène une plus grande exigence dans la formulation de ces raisons d'être.

Dans leur rapport, les auteurs proposent même que l'on modifie le code de commerce dans son article L225-35 pour confier aux conseils d'administration la formulation officielle d'une raison d'être visant à éclairer l'intérêt propre de la société et de l'entreprise ainsi que la prise en considération de ses enjeux sociaux et environnementaux. L'article deviendrait alors : "Le conseil d'administration détermine les orientations de l'activité de la société en référence à la raison d'être de l'entreprise, et veille à leur mise en oeuvre, conformément à l'article 1833 du Code Civil,...". (les ajouts sont les mots soulignés).

Et ils ont proposé de compléter l'article 1833 du Code civil : " Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés. La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité".  Cette recommandation a été suivie dans la loi PACTE du gouvernement, en remplaçant néanmoins la formulation "intérêt propre" par "intérêt social". 

Pour aller plus loin dans l'engagement sociétal, le rapport et la loi proposent un nouveau statut d' "entreprise à mission" qui inscrit alors dans les statuts de la société une raison d'être formelle. Mais sans obligation de créer une telle structure.

Cela a déjà été approprié par plusieurs entreprises, dont le Groupe Yves Rocher, qui se donne pour mission de "reconnecter les gens à la nature", ou Danone qui se donne la mission d' " apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre".

Voilà de quoi nous projeter dans l'année 2020 et les suivantes avec optimisme.

Et en souhaitant à l'Etat de passer de la "gestion calculante" à la vision "hors des gonds"


Robespierre n'aime pas les abeilles

AbeilleQuand il s’agit de parler d’intérêt général, nombreux sont ceux qui considèrent que celui qui en est le seul garant en dernier ressort ne peut être que l’Etat. A l’inverse, la société civile, le lieu de l’entreprise privée et du commerce, c’est plutôt celui des intérêts privés. L’entreprise et les entrepreneurs ne sauraient être de confiance dans cette vision.

Dans cette conception, la meilleure loi est donc celle qui vient du haut vers le bas, de l’universel vers le particulier, de l’Etat vers les individus.

Et un des textes les plus représentatifs de cette belle vision est celui du discours de Robespierre prononcé le 5 février 1794 devant la Convention (18 pluviôse an II), et qui est partiellement reproduit par Luc Ferry dans son dernier livre, co-écrit avec Nicolas Bouzou, « Sagesse et folie du monde qui vient ». Ce discours vante ainsi le gouvernement de la vertu, et de son corollaire, la terreur :

«  Nous voulons substituer dans notre pays la morale à l’égoïsme, la probité à l’honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l’empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l’insolence, la grandeur d’âme à la vanité, l’amour de la gloire à l’amour de l’argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l’intrigue, le génie au bel esprit, la vérité à l’éclat, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l’homme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c’est-à-dire toutes les vertus et tous les miracles de la république à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie… ».

Et pour exercer cette noble ambition, la suite du discours nous en fournit les bases :

« Il faut étouffer les ennemis intérieurs et extérieurs de la république ou périr avec elle. Or, dans cette situation la première maxime de votre vie politique doit être qu’on conduit le peuple par la raison et les ennemis du peuple par la terreur. Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur, la vertu sans laquelle la terreur est funeste, la terreur sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n’est pas autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible. Elle est donc une émanation de la vertu. Elle est moins un principe particulier qu’une conséquence du principe général de la démocratie appliqué aux plus pressants besoins de la patrie…La lenteur des jugements équivaut à l’impunité, l’incertitude de la peine encourage tous les coupables ».

Les tenants de cette vision ont bien sûr abandonné le volet « politique de la terreur », mais l’ont remplacé par la dénonciation de l’immoralité du « rentabilisme » inhérent à l’individualisme libéral, et en appellent toujours à la vertu, au retour de l’intérêt général contre les intérêts privés. Leur conviction reste, comme celle de Robespierre, que le bien commun ne peut pas être engendré par le jeu des intérêts privés.

Reste-t-il de quoi défendre le libéralisme ?

Une source célèbre, citée aussi par Luc Ferry dans le même opus, est la fameuse « fable des abeilles » de Bernard Mandeville, penseur néerlandais, en 1714.

Dans cette ruche décrite par Mandeville, les abeilles s’activent en poursuivant leurs intérêts personnels de la façon la plus égoïste qui soit. Mais, malgré ces égoïsmes, et même parfois la corruption, la ruche est d’une prospérité sans égale. Chacun en bénéficie, y compris les plus pauvres. Mandeville décrit ainsi les activités de chacun. Ainsi les avocats et juristes, qui sont occupés à entretenir des animosités pour s’enrichir. Idem des médecins qui « préfèrent la réputation à la science et les richesses au rétablissement de leurs malades ». En clair, ces abeilles ont tous les vices (ce sont les "fripons" dont parle Mandeville). Mais justement : « Chaque ordre était ainsi rempli de vices, mais la Nation même jouissait d’une heureuse prospérité…Les vices des particuliers contribuaient à la félicité publique…Le luxe fastueux occupait des millions de pauvres. La vanité, cette passion détestée, donnait de l’occupation à un plus grand nombre encore ».

Mais voilà qu’une abeille plus vicieuse encore invoque l’aide de Jupiter pour lui demander d’accorder la probité à la ruche. Jupiter leur accorde ainsi, d’un seul coup d’un seul, la vertu morale la plus parfaite. Et les abeilles deviennent alors, comme dit Luc Ferry, « des espèces de mère Teresa ». Et, comme on peut s’y attendre, la ruche va bien sûr en mourir. Les premières victimes sont les juristes : la morale régnant partout, il n’y a plus de procès. Même chose avec les prisons qui se vident, et les gardiens qui disparaissent. Mais aussi les guichetiers, les serruriers. La vanité disparue, fini le luxe, finis les drapiers, les domestiques, les peintres, les sculpteurs. Plus de prêtres pour confesser les fidèles. On l’a compris, c’est la fin. (Pire que les ravages supposés de l’Intelligence artificielle et des robots aujourd’hui).

Et donc, la conclusion de Mandeville :

« Quittez donc vos plaintes, mortels insensés ! En vain, vous cherchez à associer la grandeur d’une nation avec la probité…Il faut que la fraude, le luxe et la vanité subsistent si nous voulons en retirer les doux fruits…Le vice est aussi nécessaire dans un Etat florissant que la faim l’est pour nous obliger à manger. Il est impossible que la vertu seule rende jamais une nation célèbre et glorieuse ».


Pour le libéral adepte de Mandeville, la loi n’est pas celle qui va de haut en bas, mais celle qui consacre les réalités de la société civile (donc du bas vers le haut). A titre d’exemple, Luc Ferry cite la loi Veil sur l’avortement, qui a consisté précisément à mettre en accord le droit avec l’évolution des femmes. La bonne loi est ainsi celle qui vient de la société civile, l’Etat étant comme le notaire qui l’enregistre et la consacre.

Cette opposition entre la vision par le haut de l’intérêt général, par ces représentants de l’Etat qui se prennent pour Robespierre, et celle des abeilles libérales de la ruche, dont les intérêts et vices privés font prospérer la communauté et enrichir la société, elle sévit encore aujourd’hui, on le voit bien. Et on la retrouve même dans la conception, et surtout l'exécution, de la stratégie et du développement de nos entreprises. Faut-il s'y prendre par le haut, ou par la co-construction ?(sûrement un peu les deux finalement). 

Et les débats sur l’intérêt général, à l’heure des discussions sur la définition du progrès et l'environnement, s’y alimentent à ces mêmes sources, même sans le savoir.

Alors, êtes-vous plutôt Robespierre ou Mandeville ?


Le sujet et la personne dans un monde libre : un défi d’aujourd’hui

Statue-liberteC’est un des piliers du monde libre, celui qui protège la liberté. C’est la personne.

Car la personne n’est pas une notion naturelle, mais elle est construite, culturellement et juridiquement, pour constituer une fiction. Dans les sociétés non libres, les dictatures, la personne disparaît derrière les règles collectives (le collectivisme).

Le Monde, dans un article du 6 juillet  de Simon Leplâtre, relatait le développement de la reconnaissance faciale en Chine pour payer dans les supermarchés, et divers commerces. Carrefour estime que d’ici deux à trois ans 20% des paiements en général se feront avec cette technologie. Le fait que les données personnelles des personnes vont ainsi être collectées facilement ne semble déranger personne. Un professeur de l’Université de Pékin (qui préfère rester anonyme, bien sûr) donne l’explication : « La Chine est toujours collectiviste : les droits des individus appartiennent au collectif, c’est-à-dire au gouvernement, qui s’occupe de tout. Donc, les chinois n’accordent pas autant d’importance que les Occidentaux au respect de leur vie privée. Ils comptent effectivement sur le gouvernement, qui a adopté sa première loi de protection des données personnelles en 2017, pour les protéger : si leurs données personnelles fuitent, ils s’en prendront au gouvernement ». De toute façon, le débat sur le sujet n’est pas autorisé en Chine.

C’est pourquoi la personne est un pilier du monde libre. Et c’est ce monde libre que veut défendre Mathieu Laine dans son dernier livre, « Il faut sauver le monde libre ». Car pour lui, ce monde libre, ses valeurs, sont menacés aujourd’hui, notamment par la montée des « populismes ». Et, à cette occasion, il évoque cette formidable invention moderne de la personne.

C’est Michel Foucault qui est l’auteur de référence sur l’analyse de cette invention. Et, avant la personne, on a parlé du sujet. C’est à l’Antiquité grecque que l’on doit l’invention du sujet. Michel Foucault, cité par Mathieu Laine, analyse le sujet moderne à travers le dialogue de Socrate et Platon de l’Alcibiade. Ce dialogue se construit autour du « Connais-toi toi-même », provenant de l’Oracle de Delphes. Il faut s’examiner soi-même avant de pouvoir poser une question à la Pythie. D’où ce lien entre connaissance de soi et exercice du pouvoir qu’examine Michel Foucault. Et le centre de l’individu, c’est l’âme. L’individu n’est pas simplement son corps ou son visage, mais son âme, qui dépasse l’individu singulier pour révéler ce qu’il y a de divin en l’homme.

Puis, c’est la Renaissance, du XIVème au XVIème siècle, qui apporte un nouveau tournant majeur à cette émergence de l’individu : alors que l’homme du Moyen Âge ne se connaissait que comme race, peuple, corporation, famille, et donc sous une forme collective, c’est à la Renaissance qu’il s’émancipe des liens traditionnels (famille, clan, communauté). C’est maintenant l’homme qui devient la mesure de toutes choses.

Cela continue avec le XVIIIème siècle et les Lumières (Jean-Jacques Rousseau met le « moi » au centre de son œuvre. Puis le Romantisme du XIXème siècle, avec la révolution culturelle qui exalte la singularité.

Mais la personne, c’est plus que le sujet. Mathieu Laine nous rappelle que la personne humaine « est une construction juridique extrêmement inventive et salutaire pour statuer, règlementer et protéger le sujet ».

Elle est un pilier du monde libre car il permet de mettre la personne, toutes les personnes, quelle que soit leur condition, à l’abri des agresseurs et lui permet ainsi de s’épanouir librement.

Les personnes ont ainsi des droits, et sont ainsi des « sujets de droits », dotées de la personnalité juridique. Le droit est une pure fiction, dont le principal intérêt est justement de protéger le faible : Alors que le fort a pour lui sa force, le faible n’a que le droit pour se protéger. C’est pourquoi le monde libre fait émerger les forts, par le jeu concurrentiel du marché, mais protège aussi mieux les faibles.

Après, il y a débat pour savoir comment préserver la personne, y compris contre elle-même, sans attenter à la liberté individuelle.

Ce qui permet de s’y retrouver, ce sont les notions de consentement et de volonté.

Le consentement, c’est la manifestation de la pleine propriété de soi, dont je consens ou non à en faire ce que je veux. Oui, mais voilà, ai-je le droit de vendre mon corps ? De porter l’enfant d’un autre ? De décider de ma propre fin ? De me mettre en esclavage ? On voit bien les discussions, encore en vigueur aujourd’hui. Les libéraux les plus radicaux vont répondre oui à toutes ces questions ; d’autres y mettront des nuances. Et puis le consentement ne correspond pas forcément à ma volonté : je consens à prêter mon corps pour porter l’enfant d’un autre, mais c’est pour avoir une rémunération, et non ma réelle volonté propre. C’est pourquoi la loi vient limiter la patrimonialité de soi. Ainsi, en France, le Conseil d’Etat a traité en 1975 le cas du port obligatoire de la ceinture de sécurité. Deux citoyens avaient posé un recours au Conseil d’Etat arguant de leur droit de ne pas mettre la ceinture de sécurité. Le Conseil d’Etat a rejeté la demande, arguant que « la police générale n’a pas pour seul objet de protéger les tiers, elle peut aussi avoir pour but de protéger celui qui en est l’objet ».

Autre question d’actualité à l’ère du digital : nos données. En sommes-nous propriétaires ? Certains proposent que les plateformes du web nous rémunèrent pour l’utilisation de nos données. Mais d’autres font remarquer que nous n’avons pas à être rémunérés puisque nous postons librement nos messages et photos sur les réseaux sociaux.

Face à ces questions et à ces choix, des économistes et philosophes, tels que Amartya Sen, en appellent à former des adultes libres, émancipés, conscients et raisonnables, ayant ainsi la « capabilité » de la personne apte à choisir, à exercer pleinement sa liberté en réconciliant, notamment consentement et volonté.

Plutôt que de laisser notre liberté à un Etat et des foctionnaires qui décideront tout à notre place, croire en la liberté du monde libre, c’est œuvrer pour développer et étendre cette « capabilité", par l’éducation, la résistance à l’esclavage et à l’asservissement, la transmission de valeurs et l’exemplarité.

Tout un programme qui consiste à croire en l’homme et en la personne.


Innovation : Où est l'accélérateur ?

AvionPour les optimistes du futur, qui croient que les découvertes technologiques résoudront tout ce que nous croyons être des problèmes aujourd'hui, les temps à venir seront ceux de l'abondance, et cela a déjà commencé avec la quatrième révolution industrielle.

Mais voilà, avec tous les problèmes du monde d'aujourd'hui, ces nouvelles technologies et ces progrès seront-ils là à temps pour nourrir, éduquer, maintenir en bonne santé, les 9 milliards d'êtres humains que nous aurons bientôt sur la planète ? Que se passera-t-il si nous atteignons le "Peak oil", ou le "Peak water", ou "Peak" n'importe quoi, avant que la technologie du futur ait trouvé autre chose? C'est bien à une course contre le temps que nous sommes confrontés. La lutte de l'abondance contre la rareté. Le pire étant la peur de la pénurie.

Alors, comment faire pour être à l'heure avec l'innovation ? Voilà une question qui est aussi pour chaque entreprise, et chaque entrepreneur, aujourd'hui et demain.

Peter H. Diamandis, dans son livre " Abundance, the future is better than you think", aborde le sujet aussi. 

Il nous livre les quatre moteurs de l'innovation qui permettent d'accélérer. On les connaît tous intuitivement, mais il est intéressant de les parcourir pour vérifier que nous sommes bien sur la bonne vitesse, ou pour structurer  un programme d'accélération de l'innovation. 

Le premier moteur, mais aussi parfois le plus faible dans certaines organisations, c'est la curiosité. C'est ce désir de trouver du nouveau, d'ouvrir les boîtes noires , l'envie de voir ce qu'il y a après le prochain virage. C'est le moteur des chercheurs et des scientifiques. Mais c'est aussi ce qui manque aux organisations où ceux qui sont convaincus que "on a toujours fait comme ça", ou que " attendons de voir ce que les autres vont faire", sont un peu trop aux commandes. 

C'est pourquoi le deuxième moteur est aussi plus puissant que la curiosité. Ce deuxième moteur pour accélérer, c'est la peur. C'est la peur extraordinaire qui fait prendre des risques extraordinaires. C'est la peur des russes et de leur avance dans l'exploration de l'espace, avec Gagarine et Spoutnik, dans les années 50, qui a conduit aux programmes Mercury puis Appolo par les Etats-Unis, sous l'impulsion de J.F Kennedy. Pas toujours facile de donner ce sentiment d'urgence, qui conduit à "brûler les vaisseaux" pour avancer sans pouvoir faire marche arrière. C'est aussi la peur de rater quelque chose qui pousse à aller vers le futur. 

Le troisième moteur complète les deux premiers, et est celui du désir de création de richesse. C'est celui des investisseurs, des business angels, des Venture Capital (VCs). Ce sont ceux-là qui vont investir dans dix idées excitantes, dans l'espoir qu'une seule de ces idées va déboucher sur une vraie création de richesse, et un retour sur investissement, alors que les neuf autres pourront être des échecs. 

Le dernier moteur, celui qui vient aussi alimenter les trois précédents, et qui fournit la part indispensable pour certains, c'est le désir de sens. C'est cette envie que les activités auxquelles nous allons consacrer de notre temps aient une signification pour nous. C'est ce besoin de faire quelque chose qui contribue à changer le monde, à faire la différence, et non à suivre le troupeau sans savoir où l'on va et pourquoi. C'est cet ingrédient que les dirigeants et les entreprises recherchent, et oublient parfois, qui peut anéantir toutes les démarches qui ne suscitent pas suffisamment de motivation parmi les collaborateurs et les partenaires. Pour trouver le vent favorable, il faut aussi savoir le provoquer.

Pour illustrer ces quatre moteurs, Peter Diamandis raconte l'histoire de Raymond Orteig, qui a réussi à cumuler les quatre. 

Ce personnage n'est pas très connu, mais est celui qui est à l'origine d'une avancée décisive dans l"histoire de l'aviation. Sans être lui-même un aviateur. 

Il a grandi en France, et suivi son oncle en émigrant aux Etats-Unis à l'âge de douze ans, au début du XXème siècle. Il occupe alors des petits boulots dans des hôtels, jusqu'à devenir directeur d'hôtel. Il achète ensuite l'hôtel en question avec ses économies, puis un autre hôtel à côté. C'est ainsi qu'il rencontrera, après la première guerre mondiale, les pilotes de l'armée de l'Air qui séjournent dans ses hôtels, et se passionnera pour leurs récits de combats aériens. Sa passion pour l'aviation était née. C'est à cette époque que deux pilotes anglais, John Alcock et Arthur Witten Brown, réalisent, en 1919, le premier vol sans escale entre Terre-Neuve et l'Irlande. Et cela lui donne une idée. Dans une lettre du 22 mai 1919, il propose au Président de l'Aero Club d'Amérique à New York, Alan Hawley, d'offrir, comme stimulant aux courageux aviateurs, un prix de 25.000 dollars à l'aviateur qui traversera l'Atlantique dans un vol sans escale de Paris à New York. Le prix est proposé sur une période de cinq ans. La distance représentait alors le double du record de vol sans escale réalisé auparavant. Et rien ne se passa pendant ces cinq premières années. Il renouvelle donc la proposition pour cinq années supplémentaires. 

Et arrive alors, en 1927, Lindberg. Parmi tous ceux qui se sont lancés dans la compétition d'Orteig, Lindberg était considéré comme le moins expérimenté. Aucun constructeur d'avions ne voulait lui fournir d'appareil, craignant que sa mort donnerait une mauvaise réputation à l'entreprise. Les médias l'appelaient "le fou volant". Le 20 mai 1927, soit huit ans après que Raymond Orteig ai lancé son challenge original, Lindberg partait de New York, et atterrissait sans escale au Bourget, après un vol de trente-trois heures et trente minutes, à bord du "Spirit of Saint-Louis".

Ce fut le début d'une période de changement majeur dans l'aviation. Le Prix Orteig attira l'attention du monde entier. En 18 mois, le nombre de passagers payants aux Etats-Unis passe de 6.000 à 180.000, le nombre de pilotes triple, le nombre d'avions quadruple. Le challenge de Raymond Orteig peut être ainsi considéré comme le point de départ de l'industrie aérienne d'aujourd'hui. 

On voit ainsi que Lindberg n'est pas un aviateur qui s"est réveillé un matin et a décidé de traverser l'Atlantique. Son exploit est directement motivé par l'envie de gagner le Prix de Raymond Orteig. Preuve de ce pouvoir de la compétition. Pour le Prix Orteig, on estime que neuf équipes ont tenté le pari, dépensant 400.000 dollars en cumulé pour gagner les 25.000 dollars. Soit un effet de levier de seize fois. Et Orteig ne versa aucun dollar à tous ceux qui ont perdu le challenge.

Cela fait réfléchir aux moyens dépensés par l'Etat pour la Recherche. Là on paye tout, même et surtout les perdants, et les gagnants ne sont pas forcément récompensés beaucoup plus. On pense ainsi aux montants alloués par l'Etat à la recherche contre le sida. C'est un budget, aux Etats-Unis, tel que rapporté par Peter Diamandis, de 20 milliards de dollars par an. Soit plus de 100 milliards sur une période de cinq ans. Si nous reprenons le ratio du Prix Orteig, et que l'on imagine un challenge de 1 milliard de dollars pour l'équipe qui trouvera le vaccin, donné directement par le gouvernement au gagnant, peut-être que cela ferait naître des vocations parmi les étudiants, et esprits brillants,  pour rejoindre ceux qui veulent  s'attaquer au problème. 

C'est d'ailleurs dans cet esprit que Peter Diamandis a créé une fondation, X PRIZE, pour proposer des prix à des projets d'innovation qui changent le monde, sans appel d'argent public.

Voila une approche libérale pour susciter les Raymond Orteig et Charles Lindberg d'aujourd'hui. Reste à les découvrir pour accélérer les innovations qui nous permettront d'entrer dans l'ère de l'abondance. 


Cornucopiens contre malthusiens

AlguesOn nous a dit que l'on était foutus. La Terre va disparaître, la population, trop nombreuse sur Terre, va tout détériorer. Les ressources vont manquer. La crise climatique a commencé. Tous les médias nous en parlent. Malthus, avait raison. 

On ne trouvera plus à manger. 

Vite, la décroissance !

Et puis, contre les malthusiens, il y a ceux qui croient à la l'abondance, au génie humain, et que les innovations technologiques et les capacités créatives des humains vont leur permettre de subvenir éternellement à leurs besoins matériels, et même mieux.

Cela vient du latin cornu copiae.

Ce sont les cornucopiens. Et les adeptes de la singularité technologique. 

C'est le sujet de ma chronique dans "Envie d'Entreprendre" de ce mois-ci.

C'est ICI. 

De quoi nourrir 9 milliards de terriens.