Mobilité pour demain : bonnes et mauvaises idées

HidalgoParmi les transformations de notre société, à l’ère de la quatrième révolution industrielle, et de la montée des préoccupations écologiques, la mobilité est en bonne place.

A juste raison car la mobilité est en tête des secteurs émetteurs de GES (Gaz à effet de serre).

Mais de quoi parle-t-on ?

Pierre Veltz, dans un récent ouvrage (« Bifurcations – Réinventer la société industrielle par l’écologie ?») en fait une bonne synthèse, et bouscule aussi quelques idées reçues.

Ce qui a été le plus développé, c’est ce que l’on appelle les mobilités au quotidien, celles pour se rendre de son domicile à son travail essentiellement. Or, la distance entre le domicile et le lieu de travail n’a pas cessé d’augmenter, pour des causes bien connues (logement trop cher en métropole, qui fait s’installer en première couronne, mais aussi en deuxième couronne, voire encore plus loin, de plus en plus loin). On y a encouragé les installations dans des pavillons individuels, dans des quartiers souvent dépourvus de transports collectifs efficaces et pauvres en services.

Dans ce contexte, les déplacements longs du quotidien, entre 10 et 100 kilomètres, ont augmenté de plus de 50% au cours des dix dernières années, et la part de la voiture y reste ultramajoritaire, pour les trajets domicile – travail, faire les courses dans les hypermarchés, et aller dans la grande ville voisine pour les services que l’on ne trouve plus à proximité.

Et pendant ce temps où est allé l’argent des politiques publiques ? Dans les cœurs d’agglomérations, là où il existait déjà une belle offre de transports publics, en y ajoutant trams et pistes cyclables, ainsi que les services de libre-service de vélos, scooters, trottinettes et autres.

Tous ceux qui habitent les pavillons de banlieue sont devenus les victimes des congestions, des difficultés à revenir en ville, et les mauvais élèves du climat, les pollueurs accros à leur détestable voiture.

On peut en conclure, comme le fait Pierre Veltz, que quelque chose cloche, du point de vue climatique comme du point de vue social.

Face à ce constat, que faire ? Et comment ?

La réponse de Pierre Veltz tient en trois mots : sobriété, efficacité et équité. Tout un programme !

La sobriété, c’est la piste de la réduction de la mobilité carbonée et de l’autosolisme (les grosses voitures avec une seule personne dedans par exemple). Mais pour cela il faut prendre en compte que plus de la moitié des citoyens n’ont pas accès à un transport collectif pour aller au travail. Une piste est aussi de faire de l’automobile un transport collectif, avec les offres de covoiturage (qui sont proposées par des entreprises et start up privées aussi, avec des arrêts fixes, des tarifications spéciales).

L’efficacité, c’est tout ce qui concerne la décarbonation des moteurs de voitures (car la marginalisation de la voiture n’est sûrement pas pour demain, quoi qu’on en dise), c’est-à-dire les voitures électriques (mais on aimerait bien aussi des voitures électriques simples et moins chères). Mais cela ne suffira pas. La voie de la création d’un choc d’offre de transports collectifs fait aussi partie des sujets à explorer, et des investissements à anticiper. On pense aussi aux projets de RER métropolitains dans les grandes agglomérations comme Bordeaux ou Lille (en espérant qu’on arrivera à réduire les délais de mise en œuvre, et la bureaucratie des délais administratifs).

Enfin, l’équité, c’est d’éviter un retour des gilets jaunes inquiétés par des mesures de sobriété un peu trop fortes sur l’automobile. Une première alerte a été déclenchée avec les ZFE (zones à faibles émissions) qui consistent à interdire l’accès au centre-ville des véhicules polluants. Facile quand on habite au centre-ville et que l’on peut circuler à pied et à vélo. Moins marrant pour les habitants de banlieue qui n’ont pas les moyens de remplacer leur vieille voiture ou qui n’ont pas accès à un transport collectif adapté. Peut-être à étudier, le système de péage urbain avec modulation de tarif, qui serait plus équitable (comme à Oslo par exemple).

La bonne nouvelle c’est qu’un tel programme concerne les pouvoirs publics, mais aussi les entreprises, les investissements privés, les starts up et toutes les idées créatives de chacun. 


L’argent mis dans l’intelligence artificielle générative va-t-il finir à la poubelle ?

PoubellebilletsLe calme de l’été et les JO ont peut-être masqué une petite musique qui a surgi : Et si tout le cash investi dans l’intelligence artificielle n’allait pas rapporter, du moins tout de suite, autant de bénéfices qu’espéré ?

Ce qui a déclenché le doute, entre autres, c’est bien sûr la note de Goldman Sachs du 25 juin : « IA générative : trop de dépenses, trop peu de bénéfices ». On en parle ICI, ICI, ICI.

La note donne la parole à des experts qui expliquent leurs doutes, mais aussi à d’autres beaucoup plus optimistes. Mais on a surtout retenu les doutes, forcément, car c’est ce qui le plus nouveau, après l’euphorie que l’on a vue autour de ChatGPT et autres, et l’emballement sur le cours de l’action Nvidia, entreprise américaine qui a pris une place de leader, presque monopolistique, sur le GPU (Graphics Processing Unit) qui est devenu le système nerveux essentiel de la puissance des systèmes d’intelligence artificielle générative.

Alors, quels sont ces doutes ?

Le plus dur, dans cette note de Goldman Sachs, c’est Daron Acemoglu. Il est Institute Professor au MIT, et a fait ses petits calculs : Dans les dix prochaines années, l’accroissement de productivité (aux Etats-Unis) dû à l’intelligence artificielle générative ne dépassera pas 0,5%, ce qui correspondra à une augmentation du PIB d’à peine 1%. Quand on compare à tout l’argent investi dans les infrastructures de l’IA qui se chiffre pour les prochaines années à plus de 1000 milliards de dollars, on pourrait se dire que ça fait beaucoup.

Un autre expert qui s’exprime dans ce rapport, Jim Covello, Directeur du Global Equity Research chez Goldman Sachs, lui aussi très critique, exprime son interrogation : Quel est le problème à 1000 milliards de dollars que va résoudre l’IA ?

Mais d’où sortent les chiffres de Daron Acemoglu ?

Il a pris ses sources dans des études d’autres experts, plutôt les plus pessimistes bien sûr, qui estiment qu’à peu près un quart (23%) des tâches que la technologie peut prendre en charge seront automatisées et bénéficieront de réduction de leur coût dans les dix prochaines années. Considérant donc que les trois quarts restants n’en tireront pas de bénéfices directs, il en déduit donc que seuls 4,6% de l’ensemble des tâches seront impactées par l’intelligence artificielle. Combinant à cela les économies potentielles sur le coût du travail, le mix des études indique que le TFE (Total Factor Productivity) ne dépassera pas 0,66%, amené à 0,5% pour tenir compte de certaines tâches plus complexes à prendre en compte (Pour lire la note de Daron Acemoglu, c’est ICI).

Pour ce professeur expert, on va en rester, à court terme (10 ans quand même) à des améliorations de process ou de morceaux de process existants, mais pas encore à des transformation plus profondes et « transformatrices ». Ceux qui vont en bénéficier sont d’abord les métiers de l’informatique et de la programmation, mais dans le cœur des process de production industrielle ou de services, ça ira beaucoup plus lentement.

Mais, si les technologies évoluent, est-ce qu’on ne va pas avoir des améliorations et des réductions de coûts qui vont s’accélérer ?

Daron Acemoglu a également réponse à tout. Si les progrès consistent à pouvoir traiter encore plus de data, avec des traitements encore plus rapides, permettant par exemple de doubler les capacités de l’IA, que va vraiment apporter ce doublement de capacités ? Est-ce que le fait de savoir encore mieux prédire quel mot vient après un autre (le principe même de l’IA générative) va vraiment améliorer les conversations et la résolution des problèmes des services clients ? On peut d’ailleurs citer les premières expériences pas toujours concluantes sur la vraie efficacité des chatbots de ce style, et rappeler que McDonald’s a décidé, en janvier 2024, d’arrêter le système de commande assisté par IA dans ses drive, après les nombreuses erreurs qu’il avait constatées.

Et puis toutes ces data qui viendront augmenter la capacité des systèmes d’IA, d’où vont-elles venir ? Elles concerneront quoi ? Et sera-t-il si facile que ça de les collecter et de les traiter ? Pour Daron Acemoglu, tout ça n’est pas encore très clair.

Autre fantasme : avec le développement des intelligences artificielles génératives, on va arriver très bientôt à créer des « supe intelligences » capables de rivaliser avec les humains. Là encore les experts sceptiques interrogés dans la note de Goldman Sachs en doutent : la capacité à poser les bonnes questions, apporter des réponses nouvelles, tester les solutions, les adapter aux circonstances, ne correspondent pas encore aux capacités de ces systèmes. On est plutôt dans une aide apportée à l’humain, qui reste cependant encor maître des orientations et choix, même si les systèmes d’IA vont lui apporter effectivement cette aide. C’est plutôt l’humain qui va identifier les problèmes, et l’IA va aider à trouver et tester les solutions, à condition qu’on ait résolu tous les problèmes d’hallucination qui subsistent encore.

Autre préoccupation : finalement, avec l’IA générative, on n’a pas encore trouvé l’application miracle, la « killer App » qui convaincrait tout le monde que l’on a vraiment une avancée « transformatrice ». Pour l’instant on est sur des améliorations et des cas d’usages que certains considèrent encore comme marginaux.

Bon, alors c’est foutu ? Tout l’argent qu’on est en train de mettre dans l’IA est-il en train de partir majoritairement à la poubelle si les progrès n’arrivent pas d’ici dix ans ? Et quid des investisseurs ?

Pas si vite…

Les experts de la note, et même les plus sceptiques, considèrent quand même qu’il faut continuer à investir, et que d’ailleurs, comme tout le monde investit, il serait bien imprudent de ne pas faire pareil, même si les bénéfices ultimes et miraculeux ne sont pas pour tout de suite. Et puis la « killer App » va peut-être arriver, notamment dans tout ce qui concerne le service clients et les outils grand public (voir les investissements des entreprises comme Salesforce et les innovations promises par l’intégration de l’IA dans nos smartphones et moteurs de recherche).

La menace serait plus forte si la conjoncture économique se retournait. Dans ce cas les investissements dans des IA à bénéfices rapides incertains en pâtiraient. Idem si ces fameuses « killer app » tardent trop à venir. Les experts prévoient que l’horizon est de 12 à 18 mois pour voir ces progrès, et que si ça dure plus longtemps, les risques de découragement seront plus forts.

Donc, pas de quoi s’affoler finalement ?

Les débats vont sûrement continuer dans les prochaines semaines et prochains mois.


Les Jeux Olympiques, c'est déjà fini ?

GamesAALe transhumanisme, c’est ce rêve (ou ce cauchemar selon certains) d’augmenter l’homme grâce à la technologie.

Dans sa version la plus « soft », cela consiste à utiliser la technologie comme un moyen pour modifier (au sens améliorer) la nature humaine grâce à la technologie. On y est déjà avec les crèmes qui effacent nos rides, les pilules qui nous font vaincre la fatigue et nous rendent plus productifs. Mais on pense aussi aux puces implantées dans le cerveau ou dans les bras pour mieux réfléchir ou ouvrir les portes.

Mais le transhumanisme c’est aussi, comme le souligne Julien Gobin dans son livre « L’individu, fin de parcours », une « finalité », c’est-à-dire une idéologie qui se donne pour mission de transformer l’Homme et la civilisation. C’est Elon Musk avec son entreprise Neuralink, qui vise à implanter des puces dans les cerveaux pour augmenter les capacités cérébrales. Il a annoncé en janvier 2024 avoir réussi l’implantation d’une puce de la taille d’une pièce de monnaie dans le cerveau d’un macaque qui a réussi a jouer au jeu vidéo « Pong » sans manettes ni clavier.

Un domaine semblait préservé, celui du sport. Oui, les Jeux Olympiques, comme le Tour de France, c’est « non au dopage », du sport, du sport humain, rien que du sport.

Ah bon ? Et pourquoi pas ?

Certains y ont justement pensé. C’est le projet sponsorisé par Peter Thiel, investisseur de la Silicon Valley (eu auteur de « Zero to one », dont j’avais parlé ICI), les « Enhanced Games ». Le projet consiste à lancer des jeux olympiques où les compétiteurs auront droit à toute « amélioration » grâce à la technologie.

Ne rions pas ; le projet est sérieux, et le site fournit tous les renseignements, y compris si l’on a envie de le soutenir financièrement, ou en achetant les t-shirts et polos à leur effigie.

Il a obtenu récemment un surcroît d’intérêt grâce à une conférence de soutien au projet organisée par la chambre des Lords du Parlement britannique.

Le projet prévoit aussi un environnement très strict au niveau médical, prévoyant que les athlètes soient pleinement informés des conséquences des traitements éventuels appliqués, et que leurs aptitudes à les prendre soient vérifiées.

Newsweek rendait compte de cette conférence avec optimisme en mars 2024.

L’association française du Transhumanisme se réjouit de cette initiative dans sa dernière newsletter, en indiquant :

«  Au lieu de continuer à nous cacher derrière l’hypocrisie de la philosophie naturaliste, qui prétend qu’on aligne des athlètes à égalité, ne se départageant que par le mérite de leurs efforts personnels, il est temps de reconnaître que les performances sportives qui font l’admiration des foules sont le résultat de complexes médicaux, techniques, scientifiques … et financiers ».

Est-ce que les Jeux Olympiques sont déjà dépassés ?

Le débat est ouvert entre la science et le sport. 

De quoi mettre un peu de potion magique dans les Jeux Olympiques, et faire participer Astérix  et Obélix.

Voilà une course à suivre, même sans puces dans le cerveau.

 

 


L’intelligence artificielle va-t-elle tuer la littérature ? Ou la faire renaître ?

LittératureFace au développement de l’intelligence artificielle, ceux qui étaient dans des métiers de créativité, comme les artistes, les auteurs, pouvaient penser qu’ils n’étaient pas vraiment concernés.

Et voilà qu’on apprenait que Rie Kudan, auteur japonais récompensé par le prix Akutagawa (l’équivalent de notre prix Goncourt), a révélé avoir utilisé l’intelligence artificielle générative pour écrire « environ 5% de son livre ».

Et elle s’est justifiée en disant que cette aide de l’intelligence artificielle l’avait aidée à « libérer sa créativité ».

Mais face à cette utilisation de l’IA, d’autres prennent peur. Ainsi les scénaristes d’Hollywood s’étaient mis en grève pour protester contre les scénarios produits par l’IA. Ils ont fini par trouver un accord avec les plateformes et les studios pour augmenter leur rémunération tout en autorisant l’usage de l’IA pour les premières ébauches des scénarios, mais en garantissant leurs jobs.

Mais la tendance à produire des écrits et œuvres de fiction par l’IA générative ne semble qu’à ses débuts. Ainsi, Kindle Direct Publishing, la plateforme d’autoédition d’Amazon, reçoit des tas de livres chaque jour générés par l’intelligence artificielle. Pour réagir, Amazon a décidé de limiter à trois titres par jour le nombre de publications d’un même auteur et oblige maintenant les auteurs à préciser si une IA a été utilisée.

Alors les auteurs sont-ils condamnés à disparaître à cause de l’intelligence artificielle ?

Nathan Devers, qui avait écrit un roman sur l’emprise des réseaux sociaux et du metaverse, « Les liens artificiels » en 2022, à 24 ans, avance une autre hypothèse, plus optimiste, dans une interview pour Le Figaro du 15 février :

« Grâce aux défis que ChatGPT nous lance, nous allons être amenés à retrouver plus de singularité dans notre création littéraire. La littérature doit casser les habitudes de pensée, les visions toutes faites, les algorithmes idéologiques. Que l’IA fasse des merveilles renforce sa mission : rechercher l’imprévu. S’émanciper des attendus de l’époque. Si la littérature aspire à rester profondément humaine, elle doit s’émanciper des tutelles, des rouages anonymes que la société veut lui imposer. C’est là l’enjeu pour la littérature des prochaines décennies ».

Comme en d’autres temps et pour d’autres métiers, la littérature est confrontée au progrès de l’automatisation, et c’est en étant capable de se dépasser qu’elle survivra. Nathan Devers évoque la révolution industrielle du XIXème siècle, qui a mécanisé le travail manuel, mais n’a pas fait disparaître l’artisanat. Ou la photographie, qui n’a pas fait disparaître la peinture, mais au contraire a permis de sortir de la reproduction du réel et de faire émerger l’impressionnisme ou le surréalisme.

Alors, grâce aux défis de l’intelligence artificielle, allons-nous voir une nouvelle littérature encore meilleure ?

Rendez-vous dans les librairies !


Vous y croyez à la transition énergétique ?

TransitionPour l’historien des sciences Jean-Baptiste Fressoz, la réponse est évidente, c’est non.

Ah bon ?

C’est la thèse qu’il développe dans son livre qui vient d’être publié « Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie ».

Il est interrogé sur le sujet dans le dernier numéro de L’Obs, dans un dialogue avec Jean-Marc Jancovici. Cela en vaut la peine d’aller voir de plus près leurs analyses. Malheureusement ce n’est pas une lecture très optimiste. Mais elle permet aussi de mieux comprendre, et de participer au débat avec des faits.

Cette histoire de transition énergétique, dont le gouvernement et les médias n’arrêtent pas de nous parler, au point d’en faire une étape obligée dans les déclarations des entreprises et de leurs dirigeants, repose en fait sur une idée, a priori rassurante, que les énergies vont se substituer les unes aux autres, et que les gentilles énergies renouvelables vont donc remplacer les méchantes énergies fossiles.

Or, ce que met en évidence Jean-Baptiste Fressoz, c’est que les sources d’énergie ne se substituent pas les unes aux autres mais plutôt qu’elles s’accumulent et sont en symbiose. Il suffit de constater que l’humanité n’a jamais brûlé autant de charbon, de pétrole et de gaz qu’aujourd’hui (et ces énergies fournissent encore l’essentiel de la consommation), même si les énergies solaire et éolienne se développent à toute vitesse, participant à l’électrification et à la décarbonation de l’économie.

De plus, comme le fait remarque Jean-Marc Jancovici, « Il y a un angle mort : ces panneaux photovoltaïques et ces mâts d’éolienne sont fabriqués dans un monde qui carbure encore aux fossiles. C’est aussi pour cela que ce n’est pas cher ! ».

En bon historien, Jean-Baptiste Fressoz est allé rechercher comment cela s’était passé dans les précédentes révolutions industrielles, et il a constaté un phénomène identique, par exemple dans la révolution industrielle qui est présentée comme une transition du bois au charbon : « Pour extraire le charbon dans les mines, il a en réalité fallu des quantités de bois astronomiques. En Angleterre, en 1900, les étais de mines atteignaient des volumes plus importants que tout le bois de feu brûlé en 1750 », ce qui est pour lui la démonstration que l’arrivée d’une nouvelle source d’énergie tend à accroître l’usage des anciennes, comme pour le pétrole aujourd’hui. Même si, comme le font remarquer les journalistes de L’Obs, on pourrait dire que le passé ne présage pas de l’avenir. Mais il y a de quoi être troublé par ces démonstrations.

Ce que veut montrer Jean-Baptiste Fressoz, c’est l’intrication des énergies entre elles, et qu’on ne peut pas se contenter de les étudier séparément (les spécialistes su charbon étant distincts des spécialistes du bois ou des spécialistes du pétrole). Il faut une vision, comme en beaucoup de choses, que l’on appelle « systémique ».

Alors, forcément, fort de ces constats, on ne peut que déplorer, avec Jean-Baptiste Fressoz, que les renouvelables ne feront qu’à peine ralentir le réchauffement. « Dans les années 1970, l’éolien et le solaire étaient liés à l’écologie et porteurs d’utopie. Maintenant qu’ils sont dans une phase industrielle ascendante, certains de leurs promoteurs les présentent, à tort, comme pouvant régler tous nos problèmes sans que nous ayons à penser la taille de l’économie ni à questionner nos modes de vie ».

Le constat pour l’auteur est sans appel : « Dès qu’on parle transition, on parle technologie, « solutions », innovations, investissements verts… Sans voir qu’une partie importante de l’économie mondiale ne sera pas décarbonnée en 2050 ».

Alors, on fait quoi ?

Dans le dossier de L’Obs, Jean-Marc Jancovici apporte sa réponse : « Le critère qui va devenir central est la quantité de matière. Moins on aura besoin de matières pour avoir le même service, plus on sera résilient », car dans un monde qui se décarbone, l’accès à des ressources lointaines va devenir plus compliqué.

Jean-Baptiste Fressoz partage cet avis dans une autre interview ici : «Les énergies renouvelables sont intéressantes dans l’absolu, mais si c’est pour faire avancer des voitures qui pèsent deux tonnes et empruntent de nouvelles routes reliant des maisons remplies d’objets, ça ne change pas ».

En parallèle, les solutions de recyclage, souvent évoquées, posent aussi problème, comme le souligne Jean-Baptiste Fressoz : « Aujourd’hui, un pneu contient deux fois plus de matériaux différents qu’une voiture entière produite il y a un siècle. C’est la même chose avec le téléphone : Un appareil des années 1920 contenait vingt matériaux tandis qu’un smartphone utilise plus de cinquante métaux différents ».

On comprend que pour Jean-Baptiste Fressoz, comme pour Jean-Marc Jancovici, la seule solution c’est cette fameuse décroissance physique qu’ils considèrent inévitable, pour nous contraindre à réduire l’usage de la voiture individuelle, limiter le nombre de vols en avion, manger moins de viande. Pas très encourageant. Jean-Marc Jancovici a une idée pour « la rendre moins douloureuse » : « Planifier ». Ouais…Ce que certains appelleraient le totalitarisme sans le goulag.

Car derrière ces réflexions, cela va sans dire (mais encore mieux en le disant – Merci Talleyrand), il y a le retour d’une critique du capitalisme, comme l’avoue Jean-Baptiste Fressoz dans la conclusion de son livre : « La transition est l’idéologie du capital au XXIème siècle. Grâce à elle, le mal devient le remède, les industries polluantes, des industries vertes en devenir, et l’innovation notre bouée de sauvetage. Grâce à la transition, le capital se trouve du bon côté de la lutte climatique ».

Mais alors, la croissance verte, l’innovation ?

Pour Jean-Baptiste Fressoz, l’idée que grâce à l’innovation on pourra décarboner sans douleur est trompeuse. Les technologies qui concernent le captage et le stockage du carbone ? « Balbutiantes ». L’avion à hydrogène ? Celui « que même Boeing a laissé tomber tant c’est techniquement une chimère ». Il n’aime pas trop non plus ce fonds de « France 2030 » doté de 53 milliards d’euros qui veut développer les « innovations de rupture ». Il préfèrerait des techniques bon marché qui peuvent se démocratiser, se globaliser, comme les panneaux solaires par exemple.

Il y a aussi la géo-ingénierie solaire, cette idée que l’on pourrait injecter du soufre dans la stratosphère pour réfléchir une partie du rayonnement solaire, permettant de refroidir la Terre sans baisser la concentration en gaz à effet de serre de l’atmosphère. Là l’auteur a un doute : « Si nous ne parvenons pas à baisser nos émissions, il est probable que cette « solution » sera tôt ou tard mise sur la table ». Mais il ajoute quand même « malgré tous ses dangers et ses incertitudes ».

En attendant le pétrole se porte bien, comme le souligne Jean-Marc Jancovici : « Il y a encore assez de combustibles fossiles pour transformer la planète en étuve ». Car le drame, c’est que le mur climatique arrive bien plus tôt que celui des ressources.

Aujourd’hui, il fait froid.

Profitons-en.


Mais non, la quatrième révolution ne va pas vous guillotiner, Madame !

PeurAAAvec l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies dites exponentielles, on est maintenant dans ce que l’on appelle la quatrième révolution industrielle.

Lors d’un échange récent avec une dirigeante d’un grand groupe de services, celle-ci, à qui j’évoque cette « 4ème révolution », me rétorque : « 4ème révolution ! Cela fait peur. Vous voulez nous guillotiner ? ».

Oui, en 2023, la quatrième révolution n’est pas encore complètement familière, même à nos dirigeants, et fait même peur à certains. D’où l’intérêt, plus que jamais, de fréquenter les Think Tank qui créent les occasions et les rencontres, comme « 4ème Révolution », pour ne pas perdre pied.

On dira que cette année 2023 aura été l’année de l’intelligence artificielle. Ce concept est pourtant né il y a pas mal d’années, dans les années 50. Mais il est devenu très présent en 2023 avec l’essor de l’IA générative et ChatGPT, mis en ligne le 30 novembre 2022. Depuis, une compétition s’est engagée entre les entreprises installées et les start-up pour développer et créer les usages autour de ces technologies. Même les plus jeunes s’y mettent, et lancent leurs entreprises de formation et de mentoring en IA dès 16 ou 17 ans, tout contents d’inonder LinkedIn de leurs posts et découvertes.

Dans le supplément « Sciences et médecine » du Monde du 27 décembre, David Larousserie consacre un article pour rappeler tout ce qui s’est passé dans ce domaine en 2023 grâce à l’intelligence artificielle, comme par exemple l’identification de malformations cardiaques précoces sur un fœtus. C’est aussi en mai 2023 que Google et sa filiale DeepMind ont annoncé que les réponses de leur logiciel MedPalM-2 à des questions médicales étaient jugées meilleures, par des humains, que celles de vrais médecins. De quoi faire réfléchir sur le rôle des médecins et leur collaboration avec l’IA demain.

C’est encore DeepMind qui, en novembre, présentait un simulateur de la météo à dix jours plus rapide que les supercalculateurs actuels, et avec plus de précisions que le High Resolution Forecast (HRES), le système de simulation météorologique de référence de  l’industrie.

On constate aussi en 2023 combien la recherche en sciences et médecine a en partie échappé à la communauté scientifique pour se jouer dans les entreprises privées et les start-up. David Larousserie cite ce chiffre de 40% des exposés dans les conférences qui sont issus de laboratoires privés (le double de ce qu’ils étaient en 2012). De quoi faire réfléchir le monde académique sur son avenir, et le besoin de collaboration avec les entreprises privées.

Ce qui fait peur à certains, et qui enthousiasme d’autres, avec cette IA générative et ChatGPT, c’est qu’on ne comprend pas comment il fonctionne réellement. Il est construit pour apprendre à prédire le prochain mot d’une phrase, à partir d’une quantité gigantesque de textes qu’on lui présente. Mais alors comment fait-il pour induire les règles de l’arithmétique, du codage informatique, et à tout problème qu’on lui présente en langage courant ?Hugues Bersini, directeur du Laboratoire d’intelligence artificielle de l’Université libre de Bruxelles et membre de l’Académie royale de Belgique, y consacre une tribune dans ce même numéro du Monde (27/12) et le dit clairement : « Il devient inapproprié, même inconvenant, de s’obstiner à dire, comme on le lit trop souvent, que ChatGPT est incapable de raisonnement. Reconnaissons-le, il comprend et raisonne mais, malheureusement, d’où la naissance du malaise, d’une manière qui nous est, à nous, devenue parfaitement incompréhensible. Comment un prédicteur statistique du mot qui suit dans une phrase peut-il se retrouver à résoudre des problèmes logiques, mathématiques et informatiques d’une telle complexité ? ».

Ce qui permet cette « magie », c’est bien sûr la puissance de calcul à laquelle on a aujourd’hui accès.

Hugues Bersini : « Quelque chose de magique se produit dans ces milliards de paramètres, ces centaines de couches neuronales qui s’adaptent d’eux-mêmes pour composer ces gigantesques modèles de langage ».

Forcément cette magie attire les jeunes générations qui y voient, pleins d’optimisme, une façon de participer à la plus grande révolution de l’histoire de l’humanité, à un tournant dans l’histoire de l’humanité. Ce sont le genre de remarques que font les jeunes de San Francisco qui font l’objet de l’article de Corine Lesnes, dans ce même numéro du Monde.

Il s’agit d’un nouveau quartier de San Francisco, baptisé du surnom de « Cerebral Valley », où sont venus s’installer de nouveaux « techies » de l’IA, successeurs de ceux de la Silicon Valley. Et, alors que les géants de la Silicon Valley continuent à dégraisser, les start-up de l’IA recrutent. Terminé la bulle « dot.com », on est maintenant dans l’effervescence « dot.ai ».

Dans cette nouvelle ère, coder, qui était l’apanage des seigneurs de la tech il y a encore dix ans, est devenu sans importance. Avec les LLM (Large langage model), grands modèles de langage, « le concept entier de programmation d’ordinateurs va, à terme, être remplacé » souligne une des « techies » en question, Gloria Felicia (28 ans), créatrice d’entreprises de cette nouvelle génération. Elle a notamment fondé la start-up Menubites.ai, qui propose aux petits restaurants des photos embellies par l’IA pour leur permettre d’afficher les plats sur leur site internet sans passer par des photographes professionnels.

Elle est enthousiaste : « Pour la première fois, nous sommes confrontés au fait que les ordinateurs, sous une forme ou une autre, deviennent plus intelligents que la plupart des humains ».

Toute cette jeunesse évoquée dans l’article manifeste cette confiance dans l’avenir radieux et harmonieux promis aux humains. L’un d’eux prédit : « Les citoyens auront leur propre IA qui travaillera et gagnera de l’argent pour eux. Ils ne seront plus des consommateurs, mais des producteurs ».

Un autre : « Nous sommes face à quelque chose qui est plus grand que nous. C’est juste le début ».

Que cet optimisme puisse se propager et essaimer en 2024. On en aura besoin.

Mais non, la quatrième révolution ne va pas vous guillotiner, Madame !


Rencontre avec une combattante

GuerriereOn se souvient encore, au moment de la bataille de Veolia pour réaliser une OPA sur Suez, des déclarations de son PDG, Antoine Frérot, annonçant aux journalistes, en novembre 2020, que son objectif était de « construire un grand champion français de la transition écologique, et cela passe par un mariage plein et entier entre Suez et Veolia ».

Mais voilà, la Commission de la Concurrence est passée par là, et Suez n’a pas pu être absorbé complètement, mais seulement à hauteur de 30% de ses activités, et ce qu’on a appelé « le nouveau Suez » est reparti au combat avec une nouvelle PDG, Sabrina Soussan.

C’est cette combattante, nommée en février 2022, que je recevais mercredi pour une conférence avec PMP au collège des Bernardins. Une vraie rencontre. Soussan4

Elle est revenue en France après vingt ans dans des postes de management à l’international, notamment chez Siemens, en Allemagne et en Australie. Elle n’a pu éviter de faire part de son étonnement, venant d’entreprises à culture plus anglo-saxonne, face aux mœurs françaises : on lui a demandé quelle école elle avait faite, tout était fait en français dans les instances de direction, les Directeurs des pays étaient pour la plupart des français en expatriation qui y passaient trois ans.

Elle n’a pas perdu de temps pour changer tout ça, nommant des Directeurs locaux dans les pays, et renouvelant le Comité Direction (les précédents étant pour la plupart partis chez Veolia ou partis de l’entreprise) : une petite équipe de huit personnes, dont deux femmes, et plusieurs bi-nationaux (comme elle), ou ayant eu une carrière à l’International.

Car Suez, avec ses neuf milliards de chiffre d’affaires, et 40.000 collaborateurs (dont 80% de non-cadres, opérationnels et ouvriers sur le terrain dans des métiers de proximité parfois difficiles de ripeurs – qui ramassent les poubelles – ou de tris de déchets par exemple) est une entreprise internationale, présente dans quarante pays, comme la Chine ou l’Australie. Maintenant, les Comités de Direction s’y font en anglais.

Ce Nouveau Suez, c’est aussi celui qui a quitté la Bourse, pour être maintenant détenue par des investisseurs ( le fond français Meridiam, le fond américain GIP et la Caisse des Dépôts) qui soutiennent une politique de moyen et long terme dans les investissements, et qui se sont engagés pour rester actionnaires, pendant 25 ans pour Meridiam, 10 ans pour GIP et la CDC. Ceci se manifeste, nous dit Sabrina Soussan, dans les discussions au Conseil d’Administration pour challenger les projets. Un projet rentable qui ne serait pas en ligne avec la politique d’investissement long terme a peu de chances de passer facilement. Plus compliqué pour les projets qui seraient conformes à cette stratégie long terme mais non rentables : peu de chances qu’ils soient présentés.

Mais l’actionnariat ce sont aussi les salariés : Sabrina Soussan nous a rappelé que le plan d’actionnariat salarié, qui oblige à bloquer le cash pendant cinq ans, a été souscrit par 3% des salariés, avec l’objectif, lui aussi ambitieux, de le passer à 10% d’ici cinq ans.

Autre combat de cette combattante, que nous avons abordé, la diversité et l’inclusion. Soussan5

Sabrina Soussan croit en la diversité, qui, pour elle, ne se résume pas à la diversité hommes – femmes, mais concerne la diversité de pensée, d’environnement et d’intelligence. C’est aussi cette diversité qui est le vecteur de l’innovation, qui joue un rôle important, par les technologies, dans le développement des métiers de Suez dans l’eau et les déchets, comme tout ce qui permet la détection et la prévention des fuites, ou encore le dessalement de l’eau de mer, réinjectée dans la consommation d’eau dans des zones géographiques qui manquent d’eau.

Pour les femmes parmi les managers, qui représentent 34%, elle veut les passer à 40%.

Elle est particulièrement attentive au TOP 250, qu’elle a trouvé à son arrivée avec 90% de français. Elle veut y injecter la diversité de culture et d’international qui lui tiennent à cœur.

Même chose pour les plans de succession, où elle réclame au moins un candidat « diverse » à chaque fois.

En complément de la politique de diversité, l’inclusion est aussi un domaine en développement, et qui l’était déjà avant son arrivée, mais qu’elle encourage. On ne sait pas forcément que Suez dispose d’une Fondation pour fournir l’accès à l’eau et aux services essentiels dans les pays en développement. Et que l’entreprise a créé une ONG, Aquassistance,  qui comprend des salariés et retraités de SUEZ, pour apporter bénévolement des compétences et du matériel aux populations vulnérables (eau, assainissement, gestion des déchets) dans les pays en développement, mais aussi en France, auprès des squats et bidonvilles.

Cette innovation sociale, c’est aussi le ferment d’une fierté de travailler pour Suez, y compris pour les collaborateurs ouvriers de terrain, qui sont aussi moins connectés, et pour lesquels elle a relancé un journal d’entreprise en format papier.

Oui, on sentait bien que le Suez de Sabrina Soussan, dont elle nous a fait un bel éloge, plein d’optimisme, avait envie d’être ce « Nouveau Suez » et que la conquête, ou reconquête, et l’ambition de voir loin, et d’agir, poussées par l’innovation et l’innovation sociale, ne faisaient que commencer. Les visions d’Antoine Frérot, qui a quitté Veolia depuis, sont bien oubliées.

Et la concurrence sur les marchés reprend ses droits.

Que le meilleur gagne, et bon vent à Sabrina Soussan.

Crédit photos : Serge Loyauté Peduzzi


Véhicules autonomes : un futur assombri par des cônes de chantier ?

SAFE-STREET-REBEL-CONESQuand on se prête à un exercice de prospective pour anticiper ce que pourrait être notre environnement contextuel à horizon dix ans, pour la société et nos entreprises, on n’échappe pas à une vision futuriste du développement des technologies, avec partout de l’intelligence artificielle, des robots, et bien sûr, des véhicules autonomes. Pour certains c’est un futur très désirable, source de progrès et d’innovations. Pour d’autres, les rebelles, en révolte contre la technologie, c’est une tendance à combattre.

On a déjà connu ça au XIXème siècle avec la révolte des Canuts, ouvriers tisseurs de soie, à Lyon, en 1831, qui ont cassé les machines à tisser en signe de protestation.  Ce sont quand même les machines qui ont gagné la bataille.

Mais ce style de révolte n’a pas disparu.

Prenez les voitures autonomes. Elles commencent à circuler, notamment en Chine qui est le premier pays à autoriser la circulation de voitures autonomes dans certaines de ses villes. Et la circulation de robots taxis sans conducteur est déjà une réalité à Pékin.

Mais à San Francisco, une parade a été trouvée par les rebelles pour empêcher les robots taxis de la compagnie Waymo et de Cruise de circuler.

Cela consiste à placer un cône de chantier sur leur toit, en signe de protestation contre la circulation de tels véhicules en ville.

Les rebelles agissent la nuit, en plaçant ces cônes sur les toits. Résultat : le véhicule allume ses feux de détresse et s’arrête en pleine voie. Et il faut l’intervention d’un technicien pour les faire redémarrer.

Pour le collectif Safe Street Rebel, pro-piéton et pro-vélo, il s’agit en fait de s’opposer à tout type de voitures, qui que soit le conducteur, autonome ou pas. Mais cette contestation des véhicules autonomes grandit. Ils sont aussi accusés par le chef des pompiers de San Francisco d’empêcher la circulation des véhicules d’urgence et des bus.

Et les rebelles ont encouragé les habitants à les suivre dans ces actions de blocage des véhicules et à faire de même, grâce à des tutoriels diffusés sur les réseaux sociaux.

La contestation porte aussi sur la revendication d’un « droit à la ville », afin de bloquer l’empiètement des entreprises sur la ville.

En Europe, la pénétration des voitures autonomes est encore en retard. La législation européenne n’autorise que les véhicules de niveau 3 (sur 5), c’est-à-dire avec un humain derrière le volant quand même : il n’a pas besoin de tenir le volant, mais seulement en cas d’absence de piétons sur la voie, et s’il circule à moins de 60 km/h.

Alors, l’horizon de ce niveau 5 de l’autonomie des véhicules n’est-il pas en train de reculer, voire de disparaître ?

Déjà, au niveau technique, les constructeurs eux-mêmes ont des doutes :

C’est Luca de Meo, Directeur Général de Renault, qui déclarait déjà en octobre dernier : « Le véhicule autonome de niveau 5, je pense que c’est une utopie. […] On travaille sur la voiture autonome mais je n’ai vraiment pas envie d’être le premier constructeur à en mettre une sur le marché… ».

Si maintenant ce sont les rebelles aux cônes de chantier qui s’y mettent, on devient moins optimistes.

Voilà de quoi construire des scénarios prospectifs différenciés.

La quatrième révolution industrielle n'est pas encore complètement écrite. A nous de l'imaginer et d'en être acteurs.


Tout, tout de suite

TempscourtPour pratiquer la prospective, et l’analyse des signaux faibles permettant d’anticiper les scénarios du futur, l’entreprise et ses dirigeants doivent se défaire d’une habitude qui s’est parfois bien ancrée dans nos comportements, et que l’on pourrait appeler l’accrochage au présent. Comme le formulent Patrice Huerre et Philippe Petitfrère, dans leur livre sur « L’autorité en question » (dont j’ai déjà parlé ICI)dans les quelques pages qu’ils consacrent au sujet, « Les capacités d’anticipation dont nous disposons ont fondu comme les glaces de la banquise » (quel rapport avec l’autorité ? Comme le premier vers de la fable de La Fontaine du loup et de l’agneau, « Nous l’allons le montrer tout à l’heure »).

Avec l’accélération des changements, le progrès exponentiel des nouvelles technologies, notre appréhension du futur prend un coup de flou. Nous vivons de plus en plus dans le mode du présent, qui constitue le refuge idéal pour ceux que l’avenir inquiète. A tout problème qui surgit, il faut apporter des solutions, et vite. Pas de méthodologie inutile trop lente, allons droit au but, au pas de course, et sans temps mort.

Car nous sommes passés dans « l’ère du tout, tout de suite », avec « un rapport au temps adolescent »,toujours selon les deux auteurs : « Une ivresse fulgurante, l’excitation face aux écrans, la satisfaction immédiate d’un désir réduisent la grammaire des conjugaisons au temps présent. Le futur, c’est ce soir ou demain, au plus tard. Quant au passé, il ne présenterait aucun intérêt pour éclairer les enjeux du jour. Le monde a tellement changé ».

Dans ce monde, l’impatience est devenue la règle. On veut tout, tout de suite, comme l'enfant qui veut qu'on achète le jouet ou les bonbons tout de suite.

Et on va faire la même chose avec les infos. Au lieu de perdre du temps à prendre le recul, pour les analyser avec un regard critique, on va absorber en continu les « flashs d’infos » sur les chaînes d’informations faites pour ça, et les fils des réseaux sociaux que l’on peut scroller à l’infini, qui sont faits pour rendre addictifs. Avec cette habitude, on voit tout sur un même plan, comme sur un écran plat. Tout est au même niveau ; on peut passer de la guerre en Ukraine, au fait divers de voisinage : « L’importance relative de chaque sujet est écrasée, aplatie et réduite à un temps uniforme ».

On veut trouver les infos sur Google ou Chat GPT, sans perdre de temps.

C’est pourquoi la prospective et l’exploration des scénarios du futur sont nécessaires, comme une hygiène, une pause pour réfléchir sur le temps long, et nécessitent précisément d’aller à l’encontre de ces comportements naturels de notre époque moderne. Elles consistent à aller chercher les tendances de fond, signalées par des signaux faibles, qui nous permettront d’anticiper les scénarios plausibles, au-delà des faits divers et des bruits ambiants qui empêchent de réfléchir. Ce qu’il nous faut combattre, c’est une forme de peur du futur, qui vient freiner l’audace et la créativité, et qui peut se manifester par un repli stratégique, une fuite en avant, ou une panique en cas d’évènements imprévus.

Mais alors, quel rapport avec l’autorité ? On y vient.

Quand on a tout mis sur le même plan, et que l’on est paralysé par le présent et le « tout, tout de suite », que l’on a perdu de vue les tendances fondamentales, l’autorité, celle des dirigeants en premier lieu, en prend un coup. Si tout nous paraît flou, et que le futur fait peur, qu’est ce qui fait autorité ? Qui fait autorité ? A qui et à quoi se fier ? A qui se référer ? Qui prend le recul et le temps de l’analyse ?

En se focalisant sur les solutions du court terme, en privilégiant les choix agréables qui font consensus, en évitant de sortir des idées reçues, en évitant les débats et les conflits, l’autorité du chef s’émousse. Au point de faire émerger parmi les collaborateurs la demande de retour d’un chef tout puissant et guide suprême, qui apporte une vision inspirante ; ou bien, à l’inverse, l’idée que sans les chefs, qui ne comprennent rien, tout irait mieux.

C’est pourquoi lever le nez du terrain au jour le jour, réfléchir et tendre le regard vers l’horizon lointain et le temps long, pour décrypter les signaux avant-coureurs de l’environnement du futur, détecter nos angles morts, oser les ruptures, sortir des consensus mous, et partager cet exercice régulier, comme une pause salutaire, et prendre le temps de réfléchir, sans précipitation, est aussi un moyen de préserver l’autorité des dirigeants, et de maintenir le cap de nos entreprises.

Une façon de passer d’un rapport au temps adolescent à un rapport adulte.


Discernement technologique et Low Tech : Et si c'était vrai ?

LowTechL’entreprise aujourd’hui qui veut parler de sa stratégie, aux clients, au collaborateurs, aux actionnaires, aux médias, elle ne peut plus oublier les sujets de climat.

C’est particulièrement visible en ce moment dans les assemblées générales, comme le raconte Le Figaro de ce mercredi 26 avril : «Cette année, le principal cheval de bataille des actionnaires, petits porteurs et fonds, est le « Say on Climate », c’est-à-dire toutes les résolutions concernant le climat ».

Ces résolutions, en France, ne sont que consultatives, mais envoient quand même un signal fort et très observé.

Le Figaro, dans le même article, rappelle que selon un sondage de Scalens, la question du climat est devenue la première préoccupation des actionnaires individuels (20%).

Forcément, il y a encore des couacs. Ainsi, TotalEnergies a ainsi décidé, l’année dernière, d’écarter de son AG de mai 2022, l’examen d’une résolution climatique externe déposée par onze actionnaires, qui lui demandaient d’atteindre les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique fixés par l'Accord de Paris. Leur résolution visait à inscrire dans ses statuts une obligation de consulter annuellement ses actionnaires sur le plan climat, en fixant ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et ses moyens pour y parvenir. Patrick Pouyanné avait répondu que c’était au Conseil d’Administration de fixer ces objectifs, et non à l’AG.

Cette coalition d’actionnaires entend renouveler cette demande pour l’AG de 2023.

Pour les plus vertueux, les initiatives se multiplient, comme celle de Getlink qui a entrepris de publier un nouvel indicateur, sa « marge décarbonnée », en soustrayant une « facture carbone » théorique à sa marge opérationnelle.

Mais on a aussi des initiatives plus étonnantes, comme celle de Danone qui vient de confirmer un partenariat avec la marque de luxe Balmain pour lancer une collection « capsule » de vêtements à partir de bouteilles plastiques recyclées, et une collection de bouteilles d’eau (série limitée !) estampillées Balmain. De quoi susciter un gros buzz et beaucoup d’émoi écologique.

Si l’on veut faire un peu de prospective pour anticiper l’évolution plausible de l’environnement de nos entreprises le sujet de la technologie n’est pas très éloigné de celui du climat.

On peut en effet imaginer que les solutions se trouvent dans ce que l’on appelle le « solutionnisme technologique », expression surtout utilisée par ses détracteurs.

 Il s’agit de l’idée selon laquelle l’innovation technologique sera capable de résoudre les problèmes écologiques. C’est une idée répandue qui a aussi inspiré le plan France 2030, qui prévoit de dépenser 30 milliards d’euros d’argent public sur dix technologies clé, en vue de faire face à nos « besoins croissants ». C’est faire l’hypothèse que nos besoins vont croître et que ce sont ces solutions technologiques qui sont la réponse. : mini centrales nucléaires, électrolyseurs géants, solutions numériques, et bien sûr l’intelligence artificielle.

Mais un autre scénario est développé, et souhaité, par les tenants des « Low Tech » : partant du constat que nos ressources sont menacées, et sans nier les avantages de la technologie, ils prônent plutôt ce que Philippe Bihouix appelle dans son livre référence « L’âge des Low Tech » (mis à jour en 2021 dans une version en Poche), le « discernement technologique ». Le Low Tech, c’est de s’orienter vers plus de frugalité et de préservation des ressources naturelles.

A ceux qui penseraient que cette tendance « Low Tech » va nous faire reculer en innovation, Franck Aggeri, professeur à Mines Paris PSL, et auteur de « L’innovation, mais pour quoi faire » et co-auteur de « L’économie circulaire », répond dans une interview parue dans L'Obs cette semaine. Le titre : « Innover, mais différemment ».Pour lui, innover différemment, c’est adopter une démarche générale de simplification, et développer la circularité, c’est-à-dire le bouclage des flux de matières, de produits, et d’énergie, afin de réduire la pression sur les ressources et l’environnement. Comme il l’indique dans cet entretien, « Le problème n’est pas tant que les ressources vont disparaître, mais que plus on les exploite plus elles sont coûteuses à extraire, de moins en moins riches et de plus en plus polluantes ».

Alors, cette économie des ressources et le quotidien des comportements « Low Tech », dans un scénario de basses technologies, on commence à connaître, et, bien qu’il y ait toujours des râleurs et des résistances, on s’y est presque habitués, crise de l’énergie et de l’Ukraine aidant : suppression des sacs plastiques, des couverts en plastique chez Mac Do et partout, suppression de l’impression des tickets de caisse (là ça râle encore, et la mesure a été repoussée), suppression des prospectus papiers des promos de la grande distribution, extinction de l’éclairage des boutiques la nuit. Certains élus ont aussi proposé d’interdire les jets privés, mais là ça coince trop.

Pourtant, avec Philippe Bihouix, on n’en est qu’au début, et son livre nous fait vivre la vie quotidienne au temps des basses technologies, à une intensité beaucoup plus forte. Accrochez-vous !

Tout y passe.

Si l’on prend les services, il y voit une occasion de les « démachiniser » en posant la question : Pourquoi remplacer les humains par des machines partout ? Et ne pourrions-nous pas « revoir à la baisse la quantité de technologie et de machines que nous utilisons, comme ces bornes utilisées par les serveurs dans les restaurants qui permettent de gagner quelques points de productivité sur la main d’œuvre et d’éviter toute erreur de facturation » ? ( certains vont crier au retour des luddites en lisant de telles propositions).Et que dire de ces machines pour acheter et imprimer nos billets de trains SNCF, machines et écrans bourrés d’électronique, donc de métaux rares , branchés en permanence, machines qui aggravent le déficit commercial, car l’essentiel du contenu de ces machines est fabriqué à l’étranger, et leur énergie achetée à l’extérieur. Et puis ces machines sont aussi à l’origine de ce que Philipe Bihouix appelle le « néo-prolétariat », « chargé des tournées en camionnette pour approvisionner les distributeurs de café et de confiseries dans les stations de métro, changer les bonbonnes d’eau dans les entreprises, assurer la maintenance de toutes ces machines compliquées, fragiles et capricieuses-car sans maintenance tout cela tombe rapidement en panne ».

Le Low Tech, c’est aussi réduire les besoins à la source. Et nous sommes dans un pays où les stocks en place sont énormes dans des domaines aussi variés que les outils, le matériel de bricolage, les livres, les jouets. Quelques évidences relevées par Philippe Bihouix : « Il se vend chaque année des milliers d’exemplaires du Petit Prince, de L’écume des jours, ou des Misérables, alors que le nombre déjà imprimé et disponible doit largement permettre à chacun de les découvrir ou de s’y replonger à l’envi, sans créer des listes d’attente dans les bibliothèques municipales ». Autre chiffre : On a fabriqué plus de 6 milliards de figurines Playmobil depuis leur création en 1974, soit trois ou quatre par enfant, et sans doute bien peu ont atterri dans les pays pauvres.

C’est aussi prendre conscience des arbitrages peut-être nécessaires sur la consommation des ressources rares ? Prenez l’hélium, qui est nécessaire en grande quantité pour les appareils IRM, qui peuvent sauver des vies. Or, l’hélium est un gaz non renouvelable, car « il s’échappe de l’atmosphère, étant trop léger pour être retenu par la gravité terrestre, et il est donc récupéré dans certains gisements de gaz naturel, où il s’est accumulé à travers les âges géologiques par la radioactivité naturelle de l’uranium et du thorium ». Et Philippe Bihouix de poser la question (en anticipant notre réponse) : Est-il raisonnable d’utiliser l’hélium aussi dans des ballons Mickey pour les fêtes d’anniversaire ?

L’auteur s’attaque même à l’amour. Il cite Cecil Rhodes, fondateur de la compagnie De Beers, encore aujourd’hui dominante sur le marché du diamant, qui disait que l’avenir de son empire était assuré « tant que les hommes et les femmes tomberont amoureux ». Et il se prend à imaginer un avenir différent : « Renoncer à l’or et aux pierres précieuses au profit du collier de coquillages, ou à tout le moins faire avec l’énorme stock existant. N’offrir que des bouquets de fleurs des champs lorsqu’elles poussent, au printemps et en été, et abandonner ces affreuses fleurs coupées qui arrivent d’Equateur ou du Kenya par avions entiers ». Et pourquoi ne pas s’attaquer aussi à la consommation ostentatoire, du maquillage à la voiture de sport, sur laquelle se base désormais, en grande partie, la compétition sexuelle. Car, rappelons-nous, « En chantant sous le balcon, en s’accompagnant de sa guitare, Roméo avait bien su séduire Juliette avec une activité totalement neutre en carbone ».

On peut y croire, ou pas, mais pour l’entreprise aujourd’hui qui imagine les scénarios pour demain , et les impacts possibles, ces tendances Low Tech, dont les proportions sont encore incertaines, méritent d’être interrogées.

Et Philippe Bihouix est une bonne référence pour nous prévenir, car il est certain que «La prise de conscience et l’envie d’agir concrètement progressent, et que le « monde d’avant » se craquèle un peu partout ».

Ce sont les syndicats, mais aussi les employés et les candidats qui interpellent les dirigeants d’entreprises, et aussi les actionnaires, y compris dans les AG. Ce sont ces élèves des grandes écoles qui exigent de l’entreprise des engagements « écolos ». Ce sont les clients qui bousculent les fournisseurs et les marques. Ce sont les citoyens qui demandent aux gouvernants et aux candidats aux élections, de moins en moins poliment, de prendre en compte les enjeux environnementaux, de façon de plus en plus sérieuse.

Pour l’entreprise, il ne s’agit plus de se contenter de parler d’efficacité technologique, mais de parler de réduction à la source, dans la sobriété. Cela concerne les comportements, les nouveaux usages, et les choix d’organisation, politiques, règlementaires, ainsi que les évolutions culturelles et morales de nos environnements.

Alors, il est sûrement nécessaire de s’y préparer.

Qui est prêt ?