C'est fini, Adam Smith et le libre-échange ?

LibreechangeMario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature 2010, est décédé le 13 avril. La presse en fait la nécrologie et l’éloge. On peut aussi relire (ou lire) ses œuvres, et notamment ‘L’appel de la tribu », dont la traduction française est parue en 2021.

C’est ce que j’ai fait.

Ce livre, comme une autobiographie spirituelle, est un parcours personnel dans les œuvres d’auteurs de la liberté, nourri de réflexions philosophiques et politiques, que Matthieu Laine, dans une tribune parue dans Les Echos, avait qualifié d’ « Olympe libéral ».

Le titre, l’appel de la tribu, fait référence à ce que l’auteur appelle aussi « l’esprit tribal », cette tentation de croire au magma collectiviste, à cette tribu, dont le retour a été incarné par le communisme, qui absorbe l’individu « redevenu partie d’une masse soumise aux ordres du leader, sorte de grand manitou religieux à la parole sacrée, irréfutable comme un axiome, qui ressuscitait les pires formes de la démagogie et le chauvinisme ».

Le premier auteur évoqué dans cet Olympe est Adam Smith. Pas vraiment l’auteur fétiche de Trump en ce moment, puisqu’on le connaît comme l’auteur de « La richesse des nations », ode au marché libre comme moteur du progrès. Le titre complet est d’ailleurs « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations ». Plus facile à lire avec Mario Vargas Llosa, puisque ce livre fait quand même plus de 1000 pages, abordant des thèmes les plus divers, que Mario Vargas Llosa voit comme « un monument à la culture de son temps, témoignage sur ce que signifiait dans le dernier tiers du XVIIIème siècle, la connaissance en matière de politique, d’économie, de philosophie et d’histoire ».

Il est paru pour la première fois en mars 1776, et a fait l’objet de plusieurs rééditions complétées et remaniées.

La découverte avec ce livre devenu célèbre à travers les siècles, c’est que ce ne sont pas l’altruisme et la charité qui sont le moteur du progrès, mais plutôt l’égoïsme. On connaît cette citation sans avoir ouvert le livre (voire certains ne connaissent que ça) :

« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, mais de leur avantage ».

Ce qui caractérise la thèse d’Adam Smith, c’est la liberté : liberté de commercer, d’intervenir sur le marché comme producteur et comme consommateur, à égalité de condition face à la loi, liberté de signer des contrats, d’exporter et d’importer, de s’associer et de créer des entreprises.

Le marché a incontestablement cette froideur, qui récompense le succès et châtie l’échec.

Mais, comme le souligne Mario Vargas Llosa, « Adam Smith n’était pas cet être cérébral et déshumanisé à travers qui ses ennemis attaquent le libéralisme. Au contraire, il était sensible à l’horreur de la pauvreté et croyait à l’égalité des chances, même s’il n’employa jamais cette expression. C’est pourquoi il affirmait que, pour contrecarrer l’état d’ignorance et de stupidité que les tâches répétitives pouvaient engendrer chez les travailleurs, l’éducation était indispensable et devait être financée, pour ceux qui ne pouvaient en assumer le coût, par l’Etat ou la société civile. Il favorisait aussi la compétition dans l’éducation et défendait une éducation publique à côté de l’éducation privée ».

Il ne connaissait pas encore l’intelligence artificielle et ChatGPT…

Sa critique porte aussi sur l’interventionnisme d’Etat, et sur les « gaspillages et dépenses inutiles causés par les rois et les ministres, appauvrissant ainsi l’ensemble de la société ». Il serait encore plus étonné aujourd'hui, peut-être.

Et inversement il fait l’éloge d’une société où l’Etat est réduit et fonctionnel, car il laisse les citoyens travailler et la richesse croître au bénéfice de la société tout entière.

Louange aussi de l’entrepreneur, relevé par Mario Vargas Llosa : « L’entrepreneur doit toujours donner l’exemple à ceux qu’il emploie », et citant Adam Smith : « Si le maître est économe et rangé, il y a beaucoup à parier que l’ouvrier le sera aussi ; mais s’il est sans ordre et sans conduite, le compagnon habitué à modeler son ouvrage sur le dessin que lui prescrit son maître, modèlera aussi son genre de vie sur l’exemple que celui-ci lui met sous les yeux ».

On comprend toute l’admiration que Mario Vargas Llosa voue à Adam Smith, même si les idées exprimées datent forcément un peu, mais ces idées ont influencé à son époque tout l’Occident.

« Nombre de ces idées, nées au XVIIIème siècle, renvoient à une réalité sociale qui a énormément changé si on la compare à la nôtre. Mais il n’est pas extravagant de dire que ces changements sont dus en grande partie aux découvertes et aux idées exposées pour la première fois dans ce livre capital ».

Mais alors, aujourd’hui, où en est-on ? Car la liberté du commerce, avec les batailles de droits de douane de Trump, elle paraît loin, non ?

Est-on passé à un nouveau capitalisme ?

Justement, Eugénie Bastié fait aujourd’hui (17 avril) dans Le Figaro une recension de l’ouvrage d’Arnaud Orain, « Le monde confisqué. Essai sur le capitalisme de la finitude (XVIème-XXIème siècle).

C’est quoi ce capitalisme de la finitude ?

Lisons Eugénie Bastié et Arnaud Orain : « Le libre-échange cède la place à une conception autarcique de l’économie et à une course à l’accaparement des richesses, le dogme de la concurrence au retour des monopoles privés devenus des compagnies-Etats, le capitalisme financier au capitalisme marchand ».

Le slogan du capitalisme de la finitude, c’est « Il n’y en aura pas pour tout le monde ».

« Contrairement à l’utopie libérale d’un enrichissement mutuel par le libre-échange et le doux commerce, le capitalisme de la finitude postule que l’économie est un jeu à somme nulle, que le monde est fini ou finissant et qu’il faut s’accaparer le plus vite possible de ce qui peut l’être ».

Paradoxalement, selon l’auteur, ce seraient les mouvements écologistes, ceux qui ont mis en avant depuis les années 70 la finitude des ressources, qui auraient précipité cette « course à la saisie », en généralisant l’angoisse de la limite.

Nous serions passé de la logique de l’abondance à la logique de la puissance. La concurrence disparaît avec le retour des grandes compagnies-Etats à tendance monopolistiques. Après les compagnies des Indes hier, ce sont aujourd’hui les Gafam. L’article rappelle que Google couvre 90% du marché des moteurs de recherche, et Amazon 40% du commerce en ligne. C’est J.D Vance, vice-Président de Trump, qui a déclaré que l’idéologie de la concurrence serait hostile au capitalisme, en éliminant la possibilité des bénéfices.

Autre impact de ce capitalisme de la finitude, le retour des marchands sur les industriels : « Symbole frappant : en France, à Denain, en 2022, un ancien site sidérurgique a été reconverti en entrepôts de 100.000 mètres carrés pour Amazon. Le cœur battant du capitalisme de la finitude, c’est le système des entrepôts. Les marchands règnent en lieu et place des industriels ».

Mais alors, l’Europe ?

Condamnée sans appel : « Dans cette configuration schmittienne du monde, où le conflit l’emporte sur la coopération, l’Union Européenne est complètement larguée. Elle s’entête seule dans un respect scrupuleux du libre-échange obsolète. Ainsi, alors que les Etats-Unis sont devenus une économie de monopoles et que la Chine enchaîne les mégafusions, l’Europe a interdit en 2019 la fusion Alstom Siemens au nom du dogme de la concurrence. Même les populistes européens sont ringards, nous dit Orain, s’entêtant dans des conceptions souverainistes étriquées, au lieu de pousser à la constitution de méga-compagnies européennes ».

Voilà un auteur que Mario Vargas Llosa n’aurait sûrement pas mis dans son Olympe…

Doit-on oublier Adam Smith ?

Ou le lire et relire ?

Ou bien passer à Arnaud Orain (il ne fait que 368 pages celui-là) ?


Sommes nous revenus à l'Ancien Régime ?

FolieC’est Marx qui prophétisait l’inéluctable déclin du capitalisme.

On en est encore loin, et celui-ci est encore bien vivant. Mais il a changé.

Au point que certains voient dans le nouveau capitalisme, celui en recomposition depuis les années 80 en France, le retour de mœurs de l’Ancien Régime en France.

Diable !

C’est la thèse Pierre Vermeren, docteur en histoire et normalien agrégé, qu’il exposait dans une récente tribune du Figaro.

L’Ancien Régime, c’est l’empire d’une économie de rente : « Hormis les monopoles coloniaux et les manufactures, sa grande affaire était non l’exploitation de la terre par les masses paysannes (plus de 8 Français sur 10), mais les rentes qu’on pouvait en tirer : droits seigneuriaux, impôts directs et indirects, dîme etc ».

C’est cette époque de l’affermage, où le Roi pouvait déléguer par bail unique à un particulier, pour une durée limitée, le droit de recouvrer un impôt et d’en conserver le produit. Ce système de rentes a perduré dans la France des XVIIème et XVIIIème siècles.

Autre système de la Monarchie, les charges viagères, ces offices (fonctions militaires, de finance ou de magistrature) que pouvaient acheter les agents royaux et en disposer à leur guise contre un paiement forfaitaire.

Quel rapport avec le capitalisme en France d’aujourd’hui ?

Ce qui forge les nouvelles rentes d’aujourd’hui, ce sont notamment les oligopoles dans le BTP et les services en réseau à qui la commande publique s’adresse par endettement, soutenu par les banques qui financent cette dette publique. Ce système de dépenses publiques infinies se déploie pendant que le secteur économique indépendant « s’asphyxie » : « l’agriculture, l’artisanat, l’industrie et le commerce s’étiolent. 2024 est l’année record des défaillances d’entreprises ».

Dans ce capitalisme, « les banques préfèrent les bons d’Etat (qui financent la dette) aux prêts aux entreprises, qui rapportent d’aléatoires dividendes ».

C’est comme cela que les acteurs publics surinvestissent dans des équipements à crédit qui font tourner l’économie locale des entreprises du BTP, avec les ronds-points, les poubelles enterrées, les mobiliers urbains, les stations solaires, etc. Un des chefs-d’œuvre de cette rente constituée concerne les autoroutes privatisées. Dans cette économie qui a « renoncé à produire », la rente est tout : « péages et restaurants d’autoroutes, toilettes urbaines, panneaux publicitaires, centres commerciaux des gares et des banlieues, niches comme les pompes funèbres ou la viande halal », mais aussi « construction des HLM, des pavillons, des prisons, des collèges, des éoliennes et champs de panneaux solaires, rénovation thermique du bâti public et privé ».

Autres agents royaux qui profitent du système en faisant la roue autour des projets qui coûtent et qui dérapent toujours dans un Etat suradministré, les juristes, consultants, communicants et agences de tous poils, ceux qui ne survivent que des faveurs de l'argent public, en flattant les donneurs d'ordre.

Ce qui vient encore plus encourager cette tendance, c’est bien sûr le développement des normes publiques (bilan thermique, contrôle technique, glissières d’autoroutes, ascenseurs obligatoires, isolants phoniques, autant de sollicitations qui viennent gonfler la commande publique et les carnets de commande des nouveaux agents royaux. Pendant que ces normes asphyxient plus encore l’initiative privée et la libre concurrence.

Et pendant que se développait ce capitalisme de l’achat public, et de ses conséquences directes et indirectes, financé par la dette, nous avons technologiquement décroché, et « l’enrichissement par la rente d’une génération a obéré l’avenir du pays ».

La conclusion n’est pas très optimiste :

« En restant dans la compétition industrielle mondiale et en développant l’informatique, les autoroutes de l’information, et la net-économie, nous aurions obtenu une profitabilité très supérieure ». 

En gros notre production s’est effondrée et nous vivons à crédit et endettés.

Pas simple de s’en sortir, d’autant que « comme à la fin de l’Ancien Régime, la violence menace ».

Pourra-t-on reprendre la main sur l'Intelligence Artificielle, comme voudrait le croire le sommet sur le sujet en ce moment ?

On va reparler de révolution ?

Ou de nouveaux choix de société guidés par un renouveau du libéralisme, le vrai, celui de la liberté ?


Violence à l'Assemblée

Boissy123C’est en octobre 1793 qu’est institué un nouveau calendrier, « révolutionnaire », on dira « républicain », par la Convention nationale, élue en 1792 ; Convention qui siège, à l’époque, dans le jardin des Tuileries (Notre bâtiment de l’Assemblée Nationale, le Palais Bourbon, confisqué comme bien d’émigré en 1791, ne sera lieu de l’Assemblée qu’à partir de 1798).

 Dans ce calendrier, Thermidor correspond au onzième mois, du 19 ou 20 juillet au 17 ou 18 août, et tire son nom « de la chaleur tout à la fois solaire et terrestre qui embrase l'air de juillet en août ».

Ce nom de Thermidor a surtout marqué l’histoire par la journée du 9 Thermidor An II. C’est ce jour-là, soit le 27 juillet 1794, que les députés de la Convention se lancent dans un réquisitoire brutal contre Robespierre, et votent contre lui et ses fidèles à l’unanimité. Et ils sont immédiatement, sans procès, et presque sans jugement, conduits à l’échafaud. Le 10 Thermidor, Robespierre n’est plus.

Ainsi débute cette période de l’An III, que l’on a appelée thermidorienne, par un renversement contre la Terreur qui a sévi lors de l’An II.

Avec Thermidor, on entre dans une nouvelle époque de la Révolution, qui se veut une redéfinition de la Révolution pour mieux la finir. Ce qui va servir de ligne directrice aux thermidoriens, on dirait aujourd’hui les modérés, c’est un mot prononcé à la tribune de la Convention dès le 11 fructidor An II (28 août 1794) par le député Tallien : « La justice est à l’ordre du jour ». C’est maintenant la justice et le droit qui vont être mis en avant, et non plus l’arbitraire de la Terreur, dans un esprit modéré, réparateur, et plus respectueux du droit ordinaire. Ce sera le temps de la réforme de la justice politique, de la réintégration des girondins proscrits dans la période précédente, de la clémence manifestée par l’amnistie en Vendée.

Mais voilà, ce sentiment de bien faire, avec des députés qui se sentent moralement et psychologiquement du parti du peuple, en voulant agir pour son bien, va rencontrer un phénomène de ce que l’on peut appeler « grogne sociale » : le peuple a faim, et la famine va réveiller les esprits.

C’est la célèbre journée du 1er Prairial An III (20 mai 1795) où, dès cinq heures du matin, des sans-culottes forcent les portes de plusieurs églises de Paris pour sonner le tocsin, signal de la révolte. Et ce sont 60.000 hommes et femmes qui marchent sur la Convention aux cris de « Du pain ou la mort », écrits à la main sur les chapeaux.

Les insurgés vont alors envahir la Convention. Le député Féraud tente de les repousser ; il a la tête tranchée, et les rebelles vont promener sa tête au bout d’une pique à travers l’assemblée et les salles avoisinantes pendant des heures.

A 21 heures, les conventionnels sont invités à se regrouper au pied de la tribune pour voter, de force, les décrets préparés par les insurgés, qui exigent de donner du pain au peuple, mettre en liberté les patriotes, arrêter les « coupables de crime de lèse-nation, et de tyrannie envers le Peuple », et aussi abolir le Gouvernement révolutionnaire, et réunir les assemblées primaires pour de nouvelles élections. Le vote doit s’effectuer en levant son chapeau en l’air.

L’Histoire retient l’attitude du député Boissy d’Anglas, président de la Convention, qui sera considéré comme le défenseur de la liberté : Sous la menace des piques, les baïonnettes braquées sur lui, il refuse de mettre aux voix les décrets et exige que la foule se retire. A ceux qui lui brandissent la tête du député Féraud, il répond par un geste qui est resté célèbre. Il ôte son chapeau et s’incline religieusement devant la tête décapitée de son collègue. C’est ce qui est représenté dans plusieurs tableaux dont le tableau de Joseph-Désiré Court, ou celui de Joseph-Auguste Tellier ou encore  celui de Fragonard.

A plusieurs reprises, les députés de la Convention ont prêté serment, à l’approche des insurgés, de ne pas quitter la Convention en cas d’attaque et de mourir à leur poste plutôt que de voir tomber le pays entre les mains des rebelles et anciens terroristes de la Terreur. Néanmoins, certains députés, ceux dits de la Montagne, vont se rallier à la cause des rebelles, une façon pour eux de tenter d’anéantir les réformes thermidoriennes qu’ils combattaient depuis un an.

Pour finir, vers 23 heures, ce sont les troupes de la Garde nationale fidèles au pouvoir, qui vont cerner la Convention, prêtes à intervenir. Et vers minuit, les organisateurs de la défense de l’assemblée pénètrent dans la salle des séances et font évacuer les groupes de sans-culottes encore présents.

Après ces évènements, un des secrétaires de l’assemblée se saisit de la liasse de papiers sur lesquels figurent les décrets des sans-culottes, tâchés de sang, et déclarés entachés de nullité, et les brûle.

S’en suivra une répression sévère et exemplaire. Une commission militaire est instituée le 4 Prairial pour juger les auteurs de l’insurrection ; Elle prononce 36 condamnations à mort, dont 6 à l’encontre des députés montagnards accusés de complicité avec les insurgés.

C’était il y a 230 ans ; ça remuait à l’Assemblée nationale, encore plus qu’aujourd’hui, quoique…

Espérons que nous ne reverrons pas de tels évènements comparables.

(J’ai trouvé le récit de cette journée dans l’excellent ouvrage de Loris Chavanette, « Quatre-vingt quinze – La Terreur en procès » (2017)).


Liberté, égalité, fraternité ?

LiberteQuand on parle de l’Etat et des institutions en France, tout le monde parle de la République.

Le mot est devenu encore plus d’actualité, pourtant, à l’occasion des dernières élections législatives. En effet, c’est au nom de ce qui a été appelé un « front républicain » que se sont mis en place des accords de désistement entre des partis qui pourtant, ne cessaient auparavant de clamer qu’ils n’étaient d’accord sur rien. La justification était de « faire barrage » au Rassemblement National. Et ça a marché, au point de nous amener cette situation où personne ne sort gagnant, et les difficultés à tracer une ligne de gouvernement acceptable par une majorité de députés.

Mais c’est quoi ces « valeurs de la République » qui ont tant agité les débats ? On les connaît : Liberté, égalité, fraternité. C’est simple, non ?

Michel de Jaeghere, éditorialiste du Figaro-Histoire, nous en fournit un portrait historique dans un récent numéro du magazine. Et il a tendance à casser les idées reçues.

La République, c’est la liberté ?

Elle n’est pas cependant la démocratie. Elle exclut la monarchie héréditaire depuis Aristote, mais ne se confond pas avec une démocratie. Voire par exemple la République de Venise, qui donnait le monopole du pouvoir à quarante-deux familles patriciennes.

Et la Ière République en France, c’était plutôt la politique de la Terreur et de la dictature du Comité de salut public. C’est cette République qui, par la « loi des suspects », instaura une présomption de culpabilité de certaines catégories, telles que par exemple les émigrés et leurs familles. On lui doit aussi la « Loi de Prairial » qui prive les accusés devant le tribunal révolutionnaire d’avocats ou de témoins.

C’est Napoléon qui prendra la couronne impériale « pour la gloire comme pour le bonheur de la République ».

La République, c’est l’égalité ?

Oui, mais Michel de Jaeghere nous rappelle qu’elle a été longtemps hostile au suffrage universel. C’est en 1848, sous la IIème République, qu’il est institué, mais qu’un tiers des électeurs en sera radié deux ans plus tard (C’est Thiers qui dira que « les vrais républicains redoutent la multitude, la vile multitude, qui a perdu toutes les républiques »).

Il sera rétabli de nouveau par le Prince Président, futur Napoléon III, et amendé de nouveau par la IIIème République, en 1872, pour en exclure « les hommes sous les drapeaux ».

Et le vote des femmes ? Il a été rejeté par les républicains, craignant l’influence néfaste du clergé sur le vote des femmes, sexe faible. On doit au Général de Gaulle, en avril 1944 seulement, d’instituer le vote des femmes, malgré l’opposition des radicaux-socialistes de l’époque.

C’est aussi une loi très républicaine du 19 juillet 1934 qui disposera qu’un naturalisé français depuis moins de dix ans ne pourra pas être candidat à un mandat électif. Cela restera valable pendant les vingt-cinq premières années de la Vème République, et il faudra attendre que François Mitterrand abroge cette disposition en décembre 1983.

La République, c’est la fraternité ?

Michel de Jaeghere rappelle pourtant des moments violents notre histoire républicaine.

C’est le général Cavaignac qui sauve la IIème République en matant l’insurrection de juin 1848 : 5000 morts.

La IIIème République, c’est la aussi la période d’expansion coloniale en Afrique noire, sans pour autant donner la citoyenneté aux populations autochtones.

C’est aussi une loi du 10 août 1932, votée à l’unanimité (les socialistes et communistes s’abstenant), qui vise à protéger la main-d’œuvre nationale en limitant drastiquement l’immigration en fixant un quota de 10% de travailleurs étrangers dans les entreprises privées, 5% dans les entreprises publiques.

Objectivement, nos ancêtres ne nous montrent pas tous le plus grand respect de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

Mais alors, c’est quoi un républicain ?

Pour y croire, il vaut peut-être mieux oublier l’Histoire alors.


La France beau cluster

NapoleonQuand on parle de villes et de territoires, et que l’on regarde du côté de la Chine, Paris et la France paraissent bien petits; De quoi imaginer la France en grand.

C’est Pierre Veltz, dans son ouvrage très bien documenté, « La France des territoires, défis et promesses » (2019) qui rappelle que la Chine a décidé de structurer son territoire, mais aussi son économie, autour de 19 méga-villes, ou « clusters de ville ». Trois sont déjà une réalité depuis 2018 : l’ensemble de la Rivière des Perles (Hong Kong, Shenzen, Canton), l’estuaire du Yangstse (autour de Shanghai), et l’ensemble appelé Jingjinji (autour de Beijing et Tianjin). Leurs populations sont respectivement de 60 millions, 152 millions et 112 millions d’habitants.

En fait, pour l’auteur, ingénieur et sociologue, qui a été président-directeur général du conseil d’administration de l’Etablissement public de Paris-Saclay, « l’équivalent français des grandes villes mondiales-Shanghai ou Mumbai ou Tokyo ou Sao Paulo- ce n’est pas Paris, c’est la France ».

Car, vue de Chine, la France entière est un « beau cluster ».

Voilà une façon de reconsidérer le territoire France et ce beau « cluster » d’une façon plus large que notre vision purement administrative, et d’imaginer des ponts et synergies sources de création de valeur.

Rêvons un peu avec Pierre Veltz à cette magnifique richesse de relations :

« Toulouse, du fait de son histoire, de sa position géographique, de ses communautés issues de l’immigration espagnole, est la porte naturelle vers le monde ibérique.

Lyon est un point d’articulation fondamental vers l’Italie, mais plus généralement vers le monde alpin, qui devient progressivement, de l’Italie du Nord à l’Allemagne du Sud en passant par la Suisse, le véritable cœur industriel de l’Europe.

Strasbourg pourrait s’affirmer davantage (mais l’histoire a son poids…) comme la cheville-clé de relations vers le monde germanique, et plus spécifiquement rhénan, concentration unique en Europe d’universités de premier plan (Bâle, Fribourg, Strasbourg, Karlsruhe, Heidelberg, Mannheim) dans un mouchoir de poche.

Lille, bien sûr, ouvre vers l’espace nord-européen, et notamment vers le dynamisme de la Flandre.

Mais il est temps aussi de penser la métropole-réseau française avec Genève, capitale des Alpes du Nord, Barcelone, Liège, et pourquoi pas Bilbao.

Le Havre, mais aussi Rouen et Caen, dans une Normandie enfin unifiée, sont la porte maritime qui s’impose car presque toutes les métropoles mondiales sont liées à la mer, à un grand espace portuaire.

Restent Marseille, Nice et la Méditerranée. Les choses sont ici plus complexes car liées à une histoire coloniale passionnelle, douloureuse et incomplètement digérée. Mais c’est là, comme à Paris, que se joue la partie essentielle du siècle qui vient, celle de nos relations avec l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne ».

Reste à trouver le Bonaparte du XXIème siècle qui emmènera la France dans une telle vision, pour faire vivre ce cluster ouvert. Il ne s'agit plus de conquêtes de territoires, mais des usages et de la création de synergies et coopérations inter régions.

Et aussi à adapter nos entreprises, nos politiques publiques, nos gestionnaires d' infrastructures, dans cette vision d’un nouveau monde élargi.


La prospective du passé et le balancier de l'Histoire

BalancierLe passé est constamment reconstruit et analysé à partir du présent.

Cette remarque est celle d'Edgar Morin dans son ouvrage "Où va le monde?" :

"Le passé est construit à partir du présent, qui sélectionne ce qui, à ses yeux, est historique, c'est à dire précisément ce qui, dans le passé, s'est développé pour produire le présent. La rétrospective fait ainsi sans cesse - et en toute sécurité - de la prospective : l'historien qui traite de l'année 1787-1788 prévoit avec perspicacité ce qui, dans les évènements de ces années, prépare l'explosion ultérieure (évidemment totalement ignorée par acteurs et témoins de cette période pré-révolutionnaire). Ainsi le passé prend son sens à partir du regard postérieur qui lui donne le sens de l'histoire. D'où une rationalisation incessante et inconsciente, qui recouvre les hasards sous les nécessités, transforme l'imprévu en probable, et annihile le le possible non réalisé sous l'inévitabilité de l'advenu".

Et comme le présent change sans cesse, ce sont autant d'occasions de relire le passé différentes.

On peut lire certains moments de notre histoire avec cette réflexion en tête, et par exemple ces trois journées de Juillet 1830, que l'on a appelé (ensuite) "les trois glorieuses". 

Camille Pascal, agrégé d'histoire, qui a été le collaborateur de ministres et du président Nicolas Sarkozy, s'est lancé, dans son roman "L'été des quatre rois", à faire revivre jour après jour, d'heure en heure, ce moment de l'histoire, que l'on vit comme si on y était. Le roman date de 2018, et peut aussi éclairer nos jours de 2024.

Alors reprenons l'histoire.

Le Roi Charles X n'est pas satisfait des élections législatives de 1827 qui ont fait entré à l'assemblée une majorité de ceux qu'il n'aime pas trop, à l'époque les libéraux. 

Alors il imagine et met en œuvre une bonne feinte, qu'il conçoit en secret un dimanche soir le 25 juillet 1830 : la publication   de six ordonnances destinées à lui redonner du pouvoir :

La 1re abolit la liberté de la presse, toutes les publications devront être approuvées par autorisation gouvernementale avant d'être diffusées.
La 2e dissout la Chambre des députés, qui vient pourtant d'être élue.
La 3e révise le droit de vote afin de réduire le poids des bourgeois libéraux.
La 4e convoque des élections en septembre.
Les 5e et 6e nomment des ultras (conservateurs) au Conseil d'État. 

Camille Pascal fait revivre ce moment avec finesse :

"Il signa la dernière des ordonnances, contempla son œuvre législative puis, se tournant vers ses ministres, troussa une petite phrase historique qui lui était venue en écoutant tous ces braves serviteurs et dont il se trouvait content : Voilà de grandes mesures. Il faudra beaucoup de courage et de fermeté pour les faire réussir. Je compte sur vous, vous pouvez compter sur moi. Notre cause est commune. Entre nous, c'est à la vie à la mort."

Mais ça ne se passe pas comme prévu. Dès le lendemain de la publication (lundi 26 juillet), le 27 juillet, c'est l'insurrection qui s'organise. Les boutiques et ateliers sont fermés tandis que les rues se remplissent et que les barricades bloquent les petites rues.

Nouvelle idée géniale le 29 juillet : changer de premier ministre. Encore Camille Pascal :

"Le Conseil des ministres s'achevait enfin. Le roi avait pris des décisions fortes, le maréchal Marmont était relevé de son commandement au profit du dauphin, et le duc de Mortemart invité à constituer un nouveau gouvernement. La nomination de ce libéral bien né était de nature à satisfaire tous les partis et à ramener enfin le calme. Il était donc temps pour Sa Majesté d'aller remercier les troupes et de passer en revue les jeunes élèves de Saint-Cyr venus mettre leur épée à son service.".

Et le roi semble y croire :

"Au reste, messieurs, en cédant ainsi, peut-être à tort, à l'empire des circonstances, je dois vous dire qu'au fond de mon coeur je suis convaincu que, dans la voie où nous sommes entraînés, il n'y a rien à faire de bien pour l'avenir de la France et le salut de la monarchie...Le duc de Polignac et monsieur de Peyronnet en avaient les larmes aux yeux. Tout le monde s'inclina et se retira, laissant Sa Majesté se réconforter par la prière".

Cela ne va pas calmer grand chose, et le 29 juillet les insurgés vont prendre le Palais Bourbon, où siège la Chambre des députés.

L'entourage du roi essaye, ce vendredi 30 juillet, de lui faire réaliser la situation. Camille Pascal encore, évoquant Vitrolles :

"Vitrolles, ne pouvant plus ignorer le mécontentement de son maître, franchit une nouvelle étape dans le courage politique. Il se redressa et, regardant le roi dans les yeux pour la première fois depuis le début de la conversation, lui tint à peu près ce langage : Je m'étonne, Sire, que Votre Majesté ne comprenne pas à quel point en sont arrivées les choses. Il ne s'agit pas de disputer de tel ou tel acte mais de faire reconnaître dans Paris l'autorité royale. Je dirais même plus, que le nom du roi soit reconnu à Paris, et nous en sommes loin!".

Et il poursuit :

"C'est au point que je considérerais comme un miracle que monsieur de Mortemart, ici présent, ministre de Votre Majesté, puisse d'ici à trois jours s'établir à Paris dans un ministère et y contresigner une ordonnance. Oui, Sire, cela tiendrait du miracle...".

 Alors tout le monde cherche une issue, et on parie sur le cousin du roi, le duc d'Orléans: "L'insurrection avait chassé Charles X sans espoir de retour, la haute banque et le corps diplomatique ne voulaient pas entendre parler d'une république, tout le monde réclamait la liberté, mais personne ne cherchait l'aventure, et seul le duc d'Orléans pouvait réconcilier tout le monde".

C'est du moins l'avis d'Adolphe Thiers, journaliste , qui va faire paraître dans son journal ce 30 juillet une proclamation en ce sens :

"Charles X ne peut plus entrer à Paris; il a fait couler le sang du peuple.

La république nous exposerait à d'affreuses divisions; elle nous brouillerait avec l'Europe.

Le duc d'Orléans est un prince dévoué à la cause de la révolution. Le duc d'Orléans ne s'est jamais battu contre nous. Le duc d'Orléans était à Jemappes. Le duc d'Orléans a porté au feu les couleurs tricolores. Le duc d'Orléans peut seul les porter encore; nous n'en voulons point d'autres.

Le duc d'Orléans ne se prononce pas; il attend notre vœu. Proclamons ce vœu, et il acceptera la Charte, comme nous l'avons entendue et voulue.

C'est du peuple français que le duc d'Orléans tiendra sa couronne".

 A partir de là, Thiers est à la manœuvre :

"Thiers savait maintenant qu'il pouvait gagner la partie qui se jouait depuis quatre jours et sur laquelle il avait misé toute sa vie. A ses yeux, le pacte avec les Orléans était scellé. Il suffisait désormais de prendre de vitesse les barbons qui, au palais du Luxembourg, tentaient de sauver la couronne de Charles X et les jeunes fous qui, à l'Hôtel de Ville, rêvaient tout éveillés d'une Seconde République. Les premiers avaient un demi-siècle de retard, les autres peut-être un demi-siècle d'avance et, seul à avoir compris où devait s'arrêter en cet instant le balancier de l'Histoire, il comptait bien en devenir le grand horloger".

On connaît la suite. Le roi abdique le 3 août; Le duc d'Orléans deviendra le roi des français; Thiers entamera une brillante carrière politique et deviendra Président de la République.

Le balancier de l'Histoire continue...


Le véritable symbole du libéralisme économique

KalaaaC'est ainsi que nomme Roberto Saviano, dans son livre sur l'archéologie de la mafia de Naples, la camorra, "Gomorra", paru en 2006, un objet bien connu de celle-ci, une véritable icône. 

Cet objet est une arme tristement célèbre, la Kalachnikov, l'AK-47, la plus répandue. L'auteur y consacre tout un chapitre.

Mais pourquoi serait-ce un véritable symbole du libéralisme économique ?

"Grâce à son invention, Mikhaïl Kalachnikov a permis à tous les groupes petits et grands luttant pour le pouvoir de se doter d'une arme. Kalachnikov a fait un geste en faveur de l'égalité : des armes pour chacun, des massacres pour tous. La guerre n'est plus réservée aux armées".

L'inventeur avait inventé cette arme pour armer les forces armées de l'URSS, avec la conviction d'œuvrer pour la défense de sa patrie, au service du pouvoir. 

"Avant de prendre sa retraite de général de corps d'armée, il touchait un salaire fixe de cinq cents roubles, soit à l'époque environ cinq cents dollars par mois. Si Kalachnikov avait eu la possibilité de faire breveter son arme à l'ouest, aujourd'hui il serait sans nul doute un des hommes les plus riches de la planète". (Kalachnikov est décédé en 2013, à l'âge de 94 ans). 

"On estime que plus de cent cinquante millions d'armes de la famille des Kalachnikov ont été produites à partir du projet d'origine du général".

 L'histoire de cette arme se lit comme un cours de capitalisme libéral, dans sa version illicite et sans morale.

Car le produit a connu son succès grâce au génie de sa conception : il permet de tirer dans les situations les plus variées; il ne s'enraie pas, fonctionne même couvert de terre, même plein d'eau, et s'empoigne facilement. Sa détente est si souple, nous dit Roberto Saviano, "qu'elle peut être pressée par un enfant".

Et mieux encore : "Simple à utiliser, facile à transporter, il est si efficace qu'on n'a pas besoin d'entraînement". C'est le redoutable président congolais Kabila qui aurait dit à son propos : "Il peut transformer même un singe en combattant".

C'est ainsi qu'au cours des dernières décennies, les armées de plus de cinquante pays ont utilisé la Kalachnikov comme fusil d'assaut. Plus de cinquante armées régulières sont équipées de Kalachnikov, et bien sûr il est aussi impossible d'énumérer les groupes clandestins, paramilitaires et de guérilleros qui l'utilisent. Et sans compter tous les terroristes, et auteurs d'attentats et de crimes, qui ont continué encore après l'année du livre de Roberto Saviano. 

Et ce qui a fait aussi sa notoriété, c'est son prix très compétitif, y compris dans les échanges illégaux par les criminels. Cette arme est aussi devenue un indice pour évaluer la situation des droits de l'homme : "Moins elle est chère et plus les droits de l'homme sont bafoués, l'Etat de droit gangréné, tout ce qui favorise les équilibres sociaux miné et sur le point de s'écrouler. En Afrique de l'Ouest, ce prix peut descendre jusqu'à cinquante dollars. Au Yemen, on peut même trouver des fusils AK-47 d'occasion achetés et revendus plusieurs fois, à six dollars".

Forcément, dans la mesure où elle détient une part importante du marché international des armes, la camorra fixe le prix des Kalachnikov, devenant ainsi, indirectement, l'instance qui évalue l'état de santé des droits de l'homme dans le monde occidental.

Et puis, en bon capitaliste détenteur d'une marque mondialement célèbre, le général Kalachnikov est devenu un entrepreneur à succès. C'est comme cela qu'un homme d'affaires allemand crée une marque de vêtements signés Kalachnikov. Le général a aussi une bouteille de verre remplie de vodka, avec un bouchon en forme de canon.

Et le résultat est impressionnant : "La Kalachnikov a tué plus que les bombes atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki, plus que le virus HIV, plus que la peste bubonique, plus que la malaria, plus que tous les attentats commis par les fondamentalistes islamistes, plus que tous les tremblements de terre réunis. Une quantité colossale inimaginable de chair humaine. Seul un publicitaire parvint à en donner une idée convaincante : lors d'un congrès, il suggéra de prendre une bouteille et de la remplir de sucre en poudre. Chaque grain de sucre était un mort tué par la Kalachnikov".

Et puis le général Kalachnikov qui considère que ce n'est pas son problème : Chacun n'est responsable que de son corps et de ses gestes; seul ce que ma main a fait relève de ma conscience morale. Ce général porte en lui l'impératif quotidien de l'homme au temps du marché : fais ce que tu dois faire pour gagner, le reste ne te concerne pas.

Un véritable symbole, en effet.


Sommes-nous devenus les serfs de seigneurs féodaux technologiques ?

ChateauLes plateformes, les réseaux sociaux, et les services numériques au sens large, sont les nouveaux systèmes féodaux du XXIème siècle.

C’est ce que Cédric Durand, économiste, appelle le techno-féodalisme, dans son livre, paru en 2020, consacré au sujet, qu’il présente comme une critique de l’économie numérique : "Techno-féodalisme - Critique de l'économie numérique".

Pour cela, il nous rappelle les caractéristiques du système féodal, aux IXème et Xème siècle, lorsque l’Occident médiéval est, pour citer Georges Duby, historien spécialiste de l’époque, « une société abruptement hiérarchisée, où un petit groupe de « puissants » domine de très haut la masse des « rustres » qu’ils exploitent ».

Toujours en citant Georges Duby, cette organisation féodale a pour effet de justement permettre de « drainer, dans ce milieu très pauvre où les hommes séchaient de fatigue pour de maigres moissons, les petits surplus gagnés par les maisons paysannes, par de dures privations sur des réserves infimes, vers le tout petit monde des chefs et de leurs parasites ».

Dans cette organisation, le seigneur exerce une domination sur les paysans en fournissant les terres à ceux qui l’exploitent, et sont ainsi soumis et attachés à la seigneurie, qui leur offre sa protection. Il leur est difficile de changer, sauf à fuir pour rejoindre un autre seigneur.

Mais quel rapport avec les plateforme et les réseaux sociaux, alors ?

En fait celles-ci fournissent aussi le terrain pour permettre aux utilisateurs de faire les rencontres et d’échanger. En échange des data qu’ils fournissent (comme les paysans du seigneur fournissent leur travail), ils bénéficient des usages des services numériques. C’est pourquoi Cédric Durand compare les grands services numériques à des fiefs dont on ne s’échappe pas. Les sujets subalternes constituent une « glèbe numérique » qui détermine la capacité des dominants (les grands services numériques) à capter un surplus économique (l’exploitation des datas pour en faire des services commercialisés qui vont constituer le chiffre d’affaires du service auprès d’annonceurs et d’industriels). Et cela perdure car les individus et organisations consentent, sans y être contraints, à se défaire de leurs datas en échange des effets utiles que leur fournissent les algorithmes (recommandations sur Amazon, propositions de nouveaux amis sur Linkedin ou Facebook, etc). Et ce sont leurs interactions qui permettent d’améliorer les services, au grand bénéfice aussi des annonceurs. En même temps que les services s’améliorent, chacun se retrouve plus fortement rivé à l’univers contrôlé par l’entreprise. On n’a plus envie de quitter Instagram, ni n’importe lequel de ces fiefs qui nous a capturé.

Et donc, naturellement, les individus convergent vers les plateformes les plus importantes qui deviennent alors les plus performantes, concernant l’offre, la demande, et les données permettant d’optimiser leur mise en relation.

Conclusion pour Cédric Durand : «Les services que nous vendent ces entreprises consistent, pour l’essentiel, à retourner notre puissance collective en information adaptée et pertinente pour chacun d’entre nous et, de la sorte, à attacher notre existence à leurs services ».

  Ainsi se noue un lien très fort entre les existences humaines et ce que l’auteur appelle des « cyber-territoires », qui traduit par un enracinement de la vie sociale dans la « glèbe numérique ».

Bien sûr, cette contrainte n’est pas absolue : « Vous pouvez toujours décider de vivre à l’écart des Big Data. Mais cela implique des effets plus ou moins prononcés de marginalisation sociale ». Un peu comme les problèmes des paysans médiévaux qui tentaient la fuite en affrontant les périls de la vie hors du fief.

De la même manière, les grands services numériques sont finalement des fiefs dont on ne s’échappe pas.

Ce que fait aussi remarquer l’auteur c’est que cette situation peut être une entrave à une dynamique concurrentielle : « La dépendance à la glèbe numérique conditionne désormais l’existence sociale des individus comme celle des organisations. L’envers de cet attachement est le caractère prohibitif des coûts de fuite et, par conséquent, la généralisation de situations de capture ».

Le développement de ce monde techno-féodal incarné par l’essor du numérique est ainsi, selon l’auteur, « un bouleversement des rapports concurrentiels au profit de relations de dépendance ».

En fait, dans ce monde féodal, l’autorité de l’Etat, d’une puissance de régulation, disparait au profit du pouvoir des nouveaux seigneurs.

Ce monde est un vrai casse-tête idéologique. Pour ceux qui font de la concurrence un mécanisme libéral intrinsèquement vertueux la réponse est de démanteler ces citadelles numériques grâce à l’actions des régulateurs, afin de restaurer une saine compétition. Mais produire de la centralisation n’est pas non plus considéré comme idéal, et pourrait aussi aboutir, à cause de la fragmentation qui serait exigée, à une destruction de la valeur d’usage, dans la mesure où des bassins de données réduits engendreraient automatiquement des algorithmes moins agiles, et donc des dispositifs pour les utilisateurs moins commodes et moins performants. Et donc la logique économique de l’utilité pour le consommateur ne veut pas d’un éventuel renouveau de lois antitrust ou limitantes.

Mais alors, serions nous condamnés à une gouvernance algorithmique ?

Cédric Durand y voit une calamité : « L’aspiration de la gouvernementalité algorithmique à piloter les individus sans laisser place à la formation des désirs ne peut que dégénérer en une machine à « passions tristes ». L’individu, dans son travail puis dans toutes les phases de sa vie, se trouve tendanciellement exproprié de sa propre existence ».

Plus on sera guidé et entraîné dans nos décisions par ce faisceau d’algorithmes, plus on peut craindre la négation de l’activité autonome et créatrice, facteur de dislocation des subjectivités individuelles et collectives.

Alors, peut on prévoir que les consommateurs deviennent réticents à renoncer ainsi à leurs capacités de décision autonome. Privées d’activité, leurs ressources d’autorégulation ne risquent elles pas de s’épuiser, tandis que le sentiment de satisfaction qui découle du fait d’exercer des choix tendrait à s’évanouir.

La conséquence serait un potentiel danger pour les entreprises : La fuite du sujet humain face aux tentatives de le vider de sa substance, et l’appel à de nouvelles formes de contrôle, les individus refusant la dépossession de leurs choix par les machines.

Ces réflexions de 2020 anticipaient finalement assez bien ce que nous vivons aujourd’hui, et pour les années à venir. Un appel à nous rendre moins dépendants des seigneurs de la techno-féodalité.

Pour s’en sortir il est peut-être alors nécessaire d’aller relire l’histoire du monde féodal et de la fin du Moyen Âge, et d'apprendre à sortir de l'emprise des châteaux numériques.


Vous y croyez à la transition énergétique ?

TransitionPour l’historien des sciences Jean-Baptiste Fressoz, la réponse est évidente, c’est non.

Ah bon ?

C’est la thèse qu’il développe dans son livre qui vient d’être publié « Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie ».

Il est interrogé sur le sujet dans le dernier numéro de L’Obs, dans un dialogue avec Jean-Marc Jancovici. Cela en vaut la peine d’aller voir de plus près leurs analyses. Malheureusement ce n’est pas une lecture très optimiste. Mais elle permet aussi de mieux comprendre, et de participer au débat avec des faits.

Cette histoire de transition énergétique, dont le gouvernement et les médias n’arrêtent pas de nous parler, au point d’en faire une étape obligée dans les déclarations des entreprises et de leurs dirigeants, repose en fait sur une idée, a priori rassurante, que les énergies vont se substituer les unes aux autres, et que les gentilles énergies renouvelables vont donc remplacer les méchantes énergies fossiles.

Or, ce que met en évidence Jean-Baptiste Fressoz, c’est que les sources d’énergie ne se substituent pas les unes aux autres mais plutôt qu’elles s’accumulent et sont en symbiose. Il suffit de constater que l’humanité n’a jamais brûlé autant de charbon, de pétrole et de gaz qu’aujourd’hui (et ces énergies fournissent encore l’essentiel de la consommation), même si les énergies solaire et éolienne se développent à toute vitesse, participant à l’électrification et à la décarbonation de l’économie.

De plus, comme le fait remarque Jean-Marc Jancovici, « Il y a un angle mort : ces panneaux photovoltaïques et ces mâts d’éolienne sont fabriqués dans un monde qui carbure encore aux fossiles. C’est aussi pour cela que ce n’est pas cher ! ».

En bon historien, Jean-Baptiste Fressoz est allé rechercher comment cela s’était passé dans les précédentes révolutions industrielles, et il a constaté un phénomène identique, par exemple dans la révolution industrielle qui est présentée comme une transition du bois au charbon : « Pour extraire le charbon dans les mines, il a en réalité fallu des quantités de bois astronomiques. En Angleterre, en 1900, les étais de mines atteignaient des volumes plus importants que tout le bois de feu brûlé en 1750 », ce qui est pour lui la démonstration que l’arrivée d’une nouvelle source d’énergie tend à accroître l’usage des anciennes, comme pour le pétrole aujourd’hui. Même si, comme le font remarquer les journalistes de L’Obs, on pourrait dire que le passé ne présage pas de l’avenir. Mais il y a de quoi être troublé par ces démonstrations.

Ce que veut montrer Jean-Baptiste Fressoz, c’est l’intrication des énergies entre elles, et qu’on ne peut pas se contenter de les étudier séparément (les spécialistes su charbon étant distincts des spécialistes du bois ou des spécialistes du pétrole). Il faut une vision, comme en beaucoup de choses, que l’on appelle « systémique ».

Alors, forcément, fort de ces constats, on ne peut que déplorer, avec Jean-Baptiste Fressoz, que les renouvelables ne feront qu’à peine ralentir le réchauffement. « Dans les années 1970, l’éolien et le solaire étaient liés à l’écologie et porteurs d’utopie. Maintenant qu’ils sont dans une phase industrielle ascendante, certains de leurs promoteurs les présentent, à tort, comme pouvant régler tous nos problèmes sans que nous ayons à penser la taille de l’économie ni à questionner nos modes de vie ».

Le constat pour l’auteur est sans appel : « Dès qu’on parle transition, on parle technologie, « solutions », innovations, investissements verts… Sans voir qu’une partie importante de l’économie mondiale ne sera pas décarbonnée en 2050 ».

Alors, on fait quoi ?

Dans le dossier de L’Obs, Jean-Marc Jancovici apporte sa réponse : « Le critère qui va devenir central est la quantité de matière. Moins on aura besoin de matières pour avoir le même service, plus on sera résilient », car dans un monde qui se décarbone, l’accès à des ressources lointaines va devenir plus compliqué.

Jean-Baptiste Fressoz partage cet avis dans une autre interview ici : «Les énergies renouvelables sont intéressantes dans l’absolu, mais si c’est pour faire avancer des voitures qui pèsent deux tonnes et empruntent de nouvelles routes reliant des maisons remplies d’objets, ça ne change pas ».

En parallèle, les solutions de recyclage, souvent évoquées, posent aussi problème, comme le souligne Jean-Baptiste Fressoz : « Aujourd’hui, un pneu contient deux fois plus de matériaux différents qu’une voiture entière produite il y a un siècle. C’est la même chose avec le téléphone : Un appareil des années 1920 contenait vingt matériaux tandis qu’un smartphone utilise plus de cinquante métaux différents ».

On comprend que pour Jean-Baptiste Fressoz, comme pour Jean-Marc Jancovici, la seule solution c’est cette fameuse décroissance physique qu’ils considèrent inévitable, pour nous contraindre à réduire l’usage de la voiture individuelle, limiter le nombre de vols en avion, manger moins de viande. Pas très encourageant. Jean-Marc Jancovici a une idée pour « la rendre moins douloureuse » : « Planifier ». Ouais…Ce que certains appelleraient le totalitarisme sans le goulag.

Car derrière ces réflexions, cela va sans dire (mais encore mieux en le disant – Merci Talleyrand), il y a le retour d’une critique du capitalisme, comme l’avoue Jean-Baptiste Fressoz dans la conclusion de son livre : « La transition est l’idéologie du capital au XXIème siècle. Grâce à elle, le mal devient le remède, les industries polluantes, des industries vertes en devenir, et l’innovation notre bouée de sauvetage. Grâce à la transition, le capital se trouve du bon côté de la lutte climatique ».

Mais alors, la croissance verte, l’innovation ?

Pour Jean-Baptiste Fressoz, l’idée que grâce à l’innovation on pourra décarboner sans douleur est trompeuse. Les technologies qui concernent le captage et le stockage du carbone ? « Balbutiantes ». L’avion à hydrogène ? Celui « que même Boeing a laissé tomber tant c’est techniquement une chimère ». Il n’aime pas trop non plus ce fonds de « France 2030 » doté de 53 milliards d’euros qui veut développer les « innovations de rupture ». Il préfèrerait des techniques bon marché qui peuvent se démocratiser, se globaliser, comme les panneaux solaires par exemple.

Il y a aussi la géo-ingénierie solaire, cette idée que l’on pourrait injecter du soufre dans la stratosphère pour réfléchir une partie du rayonnement solaire, permettant de refroidir la Terre sans baisser la concentration en gaz à effet de serre de l’atmosphère. Là l’auteur a un doute : « Si nous ne parvenons pas à baisser nos émissions, il est probable que cette « solution » sera tôt ou tard mise sur la table ». Mais il ajoute quand même « malgré tous ses dangers et ses incertitudes ».

En attendant le pétrole se porte bien, comme le souligne Jean-Marc Jancovici : « Il y a encore assez de combustibles fossiles pour transformer la planète en étuve ». Car le drame, c’est que le mur climatique arrive bien plus tôt que celui des ressources.

Aujourd’hui, il fait froid.

Profitons-en.


De belles histoires pour les jeunes

PerenoelD’ici 2030, ils vont représenter 75% des actifs en France, et donc dans nos entreprises.

Ce sont les générations Y (née dans les années 1980-1990) et Z (ceux nés entre 1997 et 2010).

Et les observateurs et sociologues nous ont déjà averti que ces générations ne voient pas exactement le monde du travail et de l’entreprise comme leurs parents.

Emmanuelle Duez, fondatrice de « The Boson Project » explique dans une interview pour La Tribune de novembre 2022 :

«La progression linéaire et le rêve de carrière ne sont plus porteurs pour des trentenaires qui ont vu leurs parents scander dans les années 68 « ne pas perdre sa vie à la gagner » avant de s'étioler dans une routine grise et des chimères statutaires 30 ans après... Tel est pris qui croyait prendre : ils ne referont pas la même erreur. Distance saine, excellence managériale, équilibre des vies, obéissance conditionnée et désobéissance éclairée, quête de sens holistique, à l'échelle de l'existence et non pas de l'entreprise : cette génération a contribué à changer en profondeur les règles du jeu, allant même jusqu'à suggérer de troquer à la sacro-sainte subordination - colonne vertébrale du droit social français - l'interdépendance. Une bascule du rapport de force s'est opérée en entreprise, qui a commencé il y a plus de 10 ans.

Le « big quit » actuel s'inscrit donc bien dans un continuum générationnel, il est une amplification d'un phénomène à l'œuvre depuis plusieurs années, même si le cocktail actuel est explosif, dopé par l'urgence climatique ».

 Christopher Guérin, CEO de Nexans depuis 2018, cite cette interview dans son livre passionnant, car nourri de son expérience personnelle, sur la transformation qu’il a menée dans l’entreprise, "Pour aller dans le bon sens". 

Alors, il s’est posé la question de savoir ce qu’il devait faire chez Nexans pour attirer, accueillir et conserver dans l’entreprise ces générations.

Pour un bon diagnostic, il a fait mener dans l’entreprise l’interview de 100 jeunes de moins de 35 ans, qui sont donc déjà dans l’entreprise.

Bien que l’enquête révèle des motivations diverses, un critère lui apparaît clairement comme partagé par cette génération Y d’employés Nexans : quelles sont les racines du Groupe ?

« Nous avons rejoint une industrie qui a une histoire, et non une start-up ». Et pourtant cette histoire n’est pas très bien connue. Car Nexans a « une hypertrophie du présent ». On parle de ses résultats, de ses performances, de l’année passée, de l’année prochaine, mais on ne parle jamais de l’histoire.

Christopher Guérin tape juste, et cette remarque pourrait sûrement s’appliquer à pas mal d’entreprises et de dirigeants, même dans des entreprises plus petites que Nexans (près de 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires).

Cette prise de conscience va enclencher dans le Groupe une démarche pour aller reconstituer l’histoire et en faire le socle de la « raison d’être » de l’entreprise.

Pas si simple car Nexans doit son nom à sa séparation du Groupe Alcatel Alsthom (encore avec un H) en 2000, et son introduction en Bourse. C’est l’époque où le PDG d’Alcatel, Serge Tchuruk, fait le pari de tout miser sur l’activité Télécoms, qui représentait déjà une part importante du Groupe, et se sépare (vend) l’activité Trains (Alstom) et l’activité Câbles (Nexans), et d’autres. On le sait, c’est le début de la chute pour Alcatel, qui, malgré la fusion avec Lucent, va accumuler les pertes.

Alors, pour reconstituer l’histoire de Nexans, on va remonter à Alcatel des bonnes années, et même avant, à la Compagnie Générale d’Electricité, la CGE, qui a rassemblé au début du XXème siècle des activités diverses liées à la création et la distribution d’électricité, et qui a été dirigée par Ambroise Roux, grande figure du patronat français, de 1965 à 1982. C’est l’époque où la CGE représente un fleuron des entreprises privées, qui vit essentiellement, non des marchés, mais de contrats publics, d’aides, de bonifications, d’incitations et de subventions, ce qu’Elie Cohen appelle « le colbertisme high tech ». L’entreprise, conduite par ce capitaine Ambroise Roux, va accompagner tous les grands projets de l’ère De Gaulle, et se développer dans de nombreux secteurs adjacents ou complémentaires, comme notamment le ferroviaire, entre autres, avec l’acquisition d’Alsthom, achevée en 1970, qui fera de la CGE le leader des programmes de TGV. C’est ensuite, après la période de nationalisation par la gauche, que la CGE sera privatisée en 1991, avec Balladur, et s’orientera résolument vers les Télécoms, sous la présidence de Pierre Suard, et prendra le nom, en 1991, d’Alcatel-Alsthom.

Pour construire l’histoire, on pourrait dire le « storytelling », on va oublier ça et remonter encore plus loin, à la création de la Société d’exploitation des câbles électriques fondée en Suisse en 1879, devenue la Société Française des Câbles Electriques en 1897. Et en faire un acteur majeur et pionnier de l’électrification de la planète. Avec une « raison d’être » qui claque : « Electrifier le futur », expliquée par Christopher Guérin : « Acteur mondial de la transition énergétique, Nexans joue depuis plus d’un siècle un rôle crucial dans l’électrification de la planète. Et amplifie ce rôle en menant la charge vers le nouveau monde de l’électrification : plus sûr, durable, renouvelable, décarboné, et accessible à tous ». « A travers notre histoire, nous écrivons la suite, en nous recentrant entièrement sur l’écosystème de l’électrification, mais cette fois-ci uniquement via les énergies décarbonées et renouvelables afin de rendre notre planète plus habitable ».

Idée lumineuse, c’est le cas de le dire.

Et cela va ruisseler dans la culture d’entreprise : « Pour ancrer une transformation d’entreprise, on doit agir sur les comportements, les processus, la structure organisationnelle, les modes de pilotage et les routines. Mais également sur le récit d’entreprise, l’ambiance sur les lieux de travail, l’empreinte historique à travers des portraits, des photos d’époque qui expriment l’évolution de l’entreprise dans le temps, tant il est fondamental de toucher les équipes avec de l’émotion et des évènements qui permettent de reconnecter l’ensemble de ces éléments, tout en participant à la feuille de route stratégique ».

Le Figaro du 4 décembre (Anne Bodescot) publie une interview d’un, une, dirigeante d’entreprise, Marie Guillemot, qui préside le directoire de KPMG, un des leaders de l’Audit. A la question « Un dirigeant que vous admirez ? » elle répond : « Christopher Guérin, DG de Nexans ». Bel hommage ! 

Elle aussi a eu envie de comprendre les « jeunes ». Elle a créé un comité « Next Gen » : « Nous avons décidé de nous faire challenger par un comité de collaborateurs de moins de 35 ans qui travaillent depuis au moins trois ans chez KPMG. Le comité Next Gen a par exemple recommandé, pour fidéliser nos collaborateurs, de travailler sur la parentalité », ce qui a débouché sur l’octroi de jours de congé supplémentaires rémunérés à temps plein, pour les jeunes parents.

Bon, ça n’a pas la même « gueule » que l’histoire des racines et de l’histoire de son dirigeant admiré, mais on voit que cette intention de comprendre et intégrer les nouvelles générations fait son chemin, et va sûrement s’amplifier.

De quoi encourager les idées et le storytelling.

Et qui n’aime pas les belles histoires ? Jeunes et moins jeunes.

A la veille de l’arrivée du Père Noël, c’est de circonstance.