Éminence grise

EminencegriseIl est issu des grands Corps de l'Etat; il a une carrière de pouvoir, mais il est resté dans l'ombre pour le moment. Il vient d'être nommé à un nouveau poste dans une entreprise publique, un poste de dirigeant, à la tête d'une organisation de plusieurs centaines de personnes. Un job de Leader.

Il me confie, au cours de la conversation : " Je ne cherche pas à être célèbre, ni à laisser mon nom au poste. Moi, ce que j'aime, c'est être une éminence grise". Ce qu'il a aimé dans sa carrière, à ce jour, c''est d'occuper un poste de Secrétaire Général. 

Ce qualificatif d' "éminence grise" évoque en moi immédiatement le titre d'un livre de Pierre Assouline, "Une éminence grise - Jean Jardin (1904-1976)." Jean Jardin, c'est le chef de cabinet de Pierre Laval pendant la guerre, et aussi un ancien Secrétaire Général de la SNCF. Cela m'a donné envie de relire cette biographie, et de comprendre ce qu'est une "éminence grise".

 A 29 ans, Jean Jardin expérimente cette fonction. Il est le "secrétaire" de Raoul Dautry, rencontre qui marquera sa vie et signera sa passion pour le chemin de fer (l'innovation du moment). Raoul Dautry est le le dirigeant du Réseau de l'Etat, c'est à dire le Réseau de l'Ouest, racheté par l'Etat en 1912 (il y a alors sept réseaux qui ne seront rassemblés dans la SNCF qu'en 1937 par le gouvernement du Front Populaire). Jean Jardin n'a aucune formation technique pour le poste (il a fait Sciences Po), mais va jouer un rôle de relations publiques et d'informateur : " C'est l'obligeance même, un jeune homme d'une mobilité et d'une nervosité extrêmes, tout le temps occupé à rendre des services". Il devient indispensable.

" Ce qui frappe surtout Dautry, homme de terrain et de dossier, dans la personnalité de Jardin, homme de contacts et d'échanges, c'est son extraordinaire entregent, son potentiel de relations et la manière subtile dont il s'insinue dans tous les milieux qui comptent".

Mais c'est évidemment un autre poste qui lui vaudra ce qualificatif d' "éminence grise" : il devient le chef de cabinet de Pierre Laval, nommé chef du gouvernement par Pétain en mai 1942. Et c'est là qu'il aura ce nom.

Ce qualificatif est inspiré, nous dit Pierre Assouline, d'un autre personnage : François Joseph Leclerc du Tremblay, collaborateur intime du cardinal de Richelieu, Premier Ministre de Louis XIII, surnommé le Père Joseph. " Mystique et chef des services spéciaux, il se consacre autant à Dieu qu'à la politique étrangère et à la lutte contre les Habsbourg". Il passe à la postérité pour désigner tous les les conseillers de l'ombre, et restera célèbre grâce à Aldous Huxley (plus connu pour son roman "Le meilleur des mondes"), qui écrit " L'éminence grise" (1941), essai biographique sur le personnage.

 L' "éminence grise", c'est le conciliateur, le discret, celui dont le pouvoir semble occulte et qui, plus il intrigue, fait des envieux. C'est celui qui a un rôle d'influence au-delà de ses responsabilités officielles.

Ce job, et Jean Jardin l'illustre bien, dans ces circonstances particulières de la France occupée, c'est aussi celui qui adopte une attitude de maîtrise, comme celle du Père Joseph décrit par Aldous Huxley :

" Le Père Joseph était perpétuellement en garde contre les rechutes dans l'orgueil ou la vanité. Il s'était depuis longtemps entraîné à renoncer à manifester extérieurement sa satisfaction ou sa déception, et, dans une large mesure sans doute, il en avait même supprimé les manifestations intérieures".

 Cette capacité à dissimuler, et même à supprimer, ses opinions et émotions, c'est ce qui permet de se faire un réseau de relations et de connections, sans réelles amitiés.

Exercice dangereux et délicat, et dans un jeu qui mélange l'allégeance à l'occupant, et des initiatives pour aider les français résistants, Jean Jardin en vient à éveiller les soupçons. En novembre 1943, sur proposition de Laval, il est nommé Premier Conseiller à l'ambassade de France à Berne. Objectif confié par Laval : établir des contacts avec les résistants et alliés. Comme le dit Pierre Assouline : " L'éminence grise quitte la pénombre pour l'ombre".

 Il devient à la fois "éminence grise de Vichy" et " contact officieux avec les résistants". Jeu d'équilibre dont il pourra revendiquer d'avoir aider des résistants, tout en restant un fonctionnaire de Vichy.

Et puis en 1944, tout s'arrête. Le gouvernement qu'il sert disparaissant, Jean Jardin fera une passation de pouvoir sous une forme administrative impeccable. C'est la fin d'un monde; le Père Joseph est au chômage. Il ne fera l'objet d'aucune poursuite devant une cour de Justice, en vertu de l'art. 327 du code Pénal, qui fait obligation de l’exécution des ordres : " ce qui est ordonné par la loi, et commandé par l'autorité légitime..". Il n'a fait qu'obéir. Mais si il n'est pas poursuivi par la justice, d'autres se chargeront du procès, parmi lesquels son fils, et encore récemment son petit fils, Alexandre Jardin, en 2011, qui en fera "un salaud absolu".

En 1944, à 40 ans, il reste à Jean Jardin une deuxième vie à faire : " Éminence grise improvisée par le jeu des circonstances, il va devenir un authentique homme d'influence, par la force des choses". C'est la dernière partie du livre de Pierre Assouline, " Le second souffle". A lire comme un roman.

Pour revenir à mon interlocuteur du début, la question qui se pose : Peut-on passer de l'éminence grise au Leader ? Ce Jean Jardin coupable de rien, qui fait son Père Joseph en conseillant les autres sans jamais trahir ses émotions, ce n'est sûrement pas l'attitude idéale pour diriger une équipe.Surtout si les collaborateurs ont envie de se sentir galvanisés, soutenus, protégés, entraînés. 

Mais, inversement cette éminence grise défroquée peut être inspiratrice de tempérance, d'écoute, de synthèse, d'agilité relationnelle, de bâtisseurs de réseaux. Ce qui peut manquer à une équipe de direction un peu trop enfermée dans les conflits, les éclats de voix, les démonstrations de force.

Ces hommes de l'ombre ont leur part d'ombre; mais, finalement,  c'est grâce à l'ombre que l'on sait que la lumière existe. 


Don fermé / Don ouvert

OeilserrureDonner son temps, offrir son aide, s'occuper des autres : voilà de bons sentiments. Dans le cadre professionnel, comme dans le cadre privé.

C'est un collègue qui m' aide à me servir d'un logiciel; c'est le manager qui passe du temps avec son collaborateur pour lui indiquer le bon comportement; pour lui dire ce qu'il doit faire pour être meilleur. 

Toute la difficulté de l'exercice est de distinguer la part d'"évaluation" (on pense à jugement, notation, compétition) et la part de "conseil" (incluant plus de générosité).

Mais il y aussi plusieurs façons de faire ce "don". Vincent Laupies distingue dans son petit livre trés utile  " donner sans blesser", ce qu'il appelle le "don fermé" et le "don ouvert".

Le "don fermé" est celui où le donateur donne à partir de lui-même pour répondre à ce qu'il imagine être les besoins de l'autre. Cela peut amener certains à s'occuper à l'excés des autres, comme une envie de sauver les autres qui les possède entièrement. C'est une attitude caractérisée par l'indifférenciation : la personne qui "donne" se coupe d'elle-même, elle croit pouvoir répondre positivement à l'injonction imaginaire de combler l'autre. On connaît tous des exemples " Paul a l'air déprimé et malheureux, je vais l'aider à être heureux", " Julie devrait s'améliorer pour être promue, je vais lui dire ce qu'elle doit faire et corriger pour cela", " ce collègue ne comprend rien au management; je vais lui offrir un livre, sans qu'il ait demandé mon aide, pour qu'il comprenne ce qu'il doit changer", etc...

Dans ces types d'échanges la personne "ne voit pas l'autre tel qu'il est, mais tel qu'il apparaît ou tel qu'elle l'imagine. Elle ne se voit pas elle-même telle qu'elle est, mais se dédouble et agit à partir du personnage généreux qu'elle a construit".

Ce type de relation, à l'extrême, peut prendre une forme pervertie de totale indifférenciation : " Le donateur A n'est plus en contact avec lui-même. Il crée, inconsciemment, un autre lui-même "généreux", que l'on peut appeler A'. Celui-ci entre en relation, non pas avec le donataire réel B, mais avec l'image B' qu'il en a construite".

C'est un don de celui qui n'est pas vraiment lui-même à "quelqu'un" qui n'est pas vraiment l'autre, mais qu'il a imaginé. C'est le fantasme de construire l'autre, qui peut aboutir à une forte valorisation du "quantitatif" : on pense alors que plus il y a de don (de temps passé, de livres offerts, de conseils donnés,..), mieux c'est.

On comprend alors trés bien toutes les vertus et caractéristiques du "don ouvert" auquel l'auteur nous encourage, sans minimiser toute la difficulté; car le "don fermé" est une modalité fréquente des relations aux autres.

Pour être dans le "don ouvert" il convient d'être " attentif à ce qui se passe en soi, à écouter ce qui parle en soi (désirs, pensées, émotions,...)". C'est ce "travail de don" qui permet de repérer nos tendances à l'indifférenciation et d'y renoncer.

Le "don ouvert", c'est une ouverture dans cinq directions :

- le donateur s'ouvre, d'abord, "en amont de lui-même" aux dons qui lui sont donnés : vincent Laupies insiste sur cette priorité : il faut recevoir avant de donner; on donne ce que l'on reçoit, et non pas, comme le croient certains, à partir de ses propres forces, au nom d'une décision volontariste. Cette étape est la plus difficile, car celui qui veut "aider" les autres s'y épuise sans voir ce qu'il a besoin de recevoir lui-même,

- le donateur s'ouvre, également, à lui-même : le don est ainsi perçu comme constructif pour le donateur également;

- le donateur s'ouvre aux besoins réels de l'autre, et non par obligation, pour soulager sa culpabilité, ou renforcer l'estime de lui-même;

- le donateur ne donne pas pour obtenir un effet précis sur le donataire (faire de toi un bon manager, faire de toi un bon collègue, faire de toi un garçon heureux), mais avec une ouverture aux effets possibles du don, le donateur étant alors détaché des effets de son don;

- le donateur n'attend pas de don particulier en retour (contre don); il est ouvert à recevoir un contre-don, comme à n'en pas recevoir. Si il en reçoit un, il l'accepte; si il n'en reçoit pas, il ne se sent pas lésé. L'auteur considère que l'acceptation du contre-don est importante, car elle nous protège contre une "perversion du don".

Vu ainsi, le "don" est simple et fécond; la réalité profonde du don est alors l'expression de la vie qui est en nous.

De quoi donner envie, non ?

Donner en vie ?


Droit au but ?

DroitaubutSommes-nous dans un temps où la forme n'a plus la forme? Où pour communiquer, il faut parler "vrai", c'est à dire direct, sans ménager les formes? Cela rappelle le débat entre Démosthène et Cicéron que j'ai déjà évoqué ICI.

Mais c'est d'autre chose dont palre Alain Finkelkraut dans "l'identité malheureuse" et où je trouve cette inspiration.

 Il parle de notre époque comme d'un " nouveau régime sémantique" ( on comprend bien qu'il ne l'aime pas trop ce "nouveau" régime...lui, il a la nostalgie de l'ancien) :

" Pour le nouveau régime sémantique, la forme ne compte pour rien, seul le sens fait sens".

Et donc, à quoi bon "mettre les formes" ? Il faut aller "droit au but". 

" On ne s'embarasse pas de nuances ni d'effets oratoires. On ne sacrifie plus aux apparences : on se met à l'aise".

On est dans "l'affect brut"; Fi du jeu social, des contraintes du monde. Et si vous vous émouvez de cette absence de retenue, la société vous répond " On va se gêner !".

Ces postures, on les rencontre effectivement autour de nous, non? J'en connais de ces personnes, notamment les jeunes, mais pas que, qui aiment parler d'eux comme étant " nature", et "disent ce qu'elles pensent". C'est pour elles synonyme de sincérité, de "juste"; elles en rajoutent dans la provocation, pour bien exprimer qu'elles ne sont pas "dupes" des convenances, des règles, tous ces trucs désuets.

Alain Finkelkraut nous aide à aller plus loin dans la réflexion et l'analyse, même si il est peut-être un peu audacieux de généraliser comme il semble le faire en mettant tous ses contemporains, sauf lui et ses admirateurs, dans le même sac.

Deux conceptions de la vérité s'opposent dans cette histoire.

Dans la première, l'homme véridique est celui qui s'accomplit dans le défi qu'il se lance pour ressembler à l'image qu'il a décidé de se donner lui-même. 

Dans la deuxième, l'homme vrai, c'est celui qui se réalise en se désinhibant : il existe en dénonçant les "tabous, les faux-semblants, les protocoles". 

Pour Alain Finkelkraut, la messe est dite : " c'est ce second modèle que notre temps a choisi". On sent à le lire combien il le regrette.

On pourrait croire que cela a peu d'importance. Mais, prenons le temps d'y rester un peu :

Celles qui y ont perdu, ce sont "les apparences" : " Devenues mensongères, les apparences ont perdu la partie".

Et avec elles, toutes les références à l'Histoire, aux ancêtres, aux "classiques" : Quand on est "vrai" sans se "faire chier", on croit être "soi-même", on n'a pas besoin de références, ni de culture générale; on dit ce qu'on pense, quoi ! Et "Fuck Victo Hugo !" comme le disait un tweet d'un bachelier 2014, relevé par Alain Finkelkraut lors d'un débat ICI. Et de déplorer la suppression des épreuves de culture générale dans les épreuves des concours administratifs par le gouvernement de 2008 (on se rappelle des déclarations de Nicolas Sarkozy contre la "princesse de Clèves"), et la même décision par Sciences Po en 2011. L'idée est la même : la culture générale, favorise les favorisés; elle avantage la "Vieille France" au détriment de la nouvelle, la "bourgeoisie traditionnelle" au détriment des "minorités ethniques".

Notre auteur de 65 ans, tout juste retraité de son poste de professeur à l'Ecole Polytechnique, y voit aussi la fin des "vieux" :

Être vieux, aujourd'hui, " ce n'est plus avoir de l'expérience, c'est, maintenant que l'humanité a changé d'élément, en manquer. Ce n'est plus être le dépositaire d'un savoir, d'une sagesse, d'une histoire ou d'un métier, c'est être handicapé. Les adultes étaient les représentants du monde auprès des nouveaux venus, ils sont désormais ces étrangers, ces empotés, ces cul-terreux, que les digital natives regardent du haut de leur cybersupériorité incontestable".

Ce sont ainsi les anciennes générations qui doivent changer : A elles " d'entamer leur rééducation. Aux parents et aux professeurs de calquer leurs pratiques sur les façons d'être, de regarder, de s'informer et de communiquer de la ville dont les princes sont les enfants".

Le regret qu'exprime Alain Finkelkraut, et que l'on ressent, c'est celui de ce que les Grecs appellaient l' aidos : "c'est la restriction de l'estime de soi-même au fondement de ce que nous appelons aujourd(hui le vivre ensemble".

Être cool, ne s'embarasser de rien, aller "droit au but", c'est l'anti-aidos. Alors que les formes sont d'abord un souci moral, le souci d'autrui. En clair, faire "cash", c'est se foutre des autres en fait. Ce qui disparaît avec les formes, ce sont les égards envers l'autre.

" Quand je met les formes, je respecte un usage, bien sûr, je joue un rôle, sans doute, je trahis mes originespeut-être. Mais surtout je fais savoir à l'autre ou aux autres qu'ils comptent pour moi. Je les salue, je m'incline devant eux, je prend acte de leur existence en atténuant la mienne". 

C'est sûr que l'on est loin des comportements de ceux que Alain Finkelkraut appelle " la troupe innombrable des sans-vergogne". On croit les reconnaître :  " ceux qui n'entendent pas le bruit qu'ils font; ceux qui, le casque sur les oreilles, traversent le monde sans voir personne; ceux qui téléphonent en public; et qui insultent le confident invonlontaire de leurs petits tracas ou de leurs grands chagrins quand ce dernier s'avise de leur rappeler sa présence".

Et le coup de grâce :

" La démocratie a eu raison de la culture générale. Elle l'a remplacée, sans crier gare, par la culture généralisée".

 Voilà bien des paroles de celui que nombreux n'hésiteront pas à traiter de vieux con, au nom de cette modernité et de cette nouvelle forme de liberté.

Mais comment ne pas y voir aussi le signe de la difficulté de faire vivre une identité collective dans une communauté humaine, et même dans l'entreprise, creuset de toutes ces formes de comportement. C'était précisément le thème du séminaire dont j'ai parlé ICI. 

Plaidoyer pour l'aidos....On en a peut-être encore besoin, finalement.... 


Le name dropping démasqué

NamedroppingRobert Cialdini a analysé ce qu'il appelle les "mécanismes et les techniques de persuasion" dans ce best-seller " Influence et manipulation" ( The psychology of persuasion) en 1984. J'en ai parlé ICI.

En fait, ce livre se présente comme une prévention contre ces mécanismes : je me suis fait avoir; j'ai compris; je vous apprend à ne pas vous faire avoir. On peut donc le lire au premier degré (je vais utiliser ces mécanismes pour influencer les autres), comme un antidote (comment éviter de me faire avoir, en démasquant les imposteurs), ou bien en cherchant à les appliquer avec éthique ( c'est ainsi que Robert Cialdini est devenu un guru de ces techniques, appliquées avec éthique).

C'est ainsi que l'auteur fait référence au "principe d'association" et aux personnes qui se spécialisent dans l'utilisation de ce principe. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces personnes se sont multipliées, et, à mon avis, encore plus grâce aux nouvelles technologies.

De quoi s'agit-il ?

Ce principe est simple : nous avons tendance à attribuer à un élément A une valeur, positive ou négative, liée à celle d'un élément B qui lui est associé d'une manière ou d'une autre, même si ces deux éléments n'ont au fond, rien à voir entre eux. C'est ainsi que toutes sortes de choses aimables peuvent prêter leurs qualités sympathiques aux idées, produits, personnes, qu'on leur a artificiellement associés.

On connaît le truc : une belle femme assise sur le capot d'une voiture, et la voiture nous semble sexy, plus rapide, plus performante. La publicité a bien compris ce principe d'association.

Mais Robert Cialdini nous parle aussi d'un type de personnes qui sont quasi obsédées par le désir de faire rejaillir sur soi la gloire d'autrui. On l'est tous un peu : quand l'équipe de foot a gagné un match, les supporters crient " ON a gagné !" car ils s'associent à l'équipe (et quand l'équipe a perdu on dira plutôt " ILS ont perdu"...).

Mais pour certains c'est l'obsession. 

Ce sont ces personnes qui citent à tout propos des noms célèbres, des personnes qu'elles connaissent, même si ce n'est pas totalement vrai; qui chassent les situations où elles peuvent se faire photographier à côté d'une célébrité. Des personnes comme celles-là, on en trouve plein sur Facebook. Mais aussi sur les réseaux sociaux : elles collectionnent les "amis", surtout les connus qu'elles ne connaissent pas.

Alors, Robert Cialdini, tu en penses quoi de ces personnes qui cherchent à nous influencer positivement sur leur personnalité en se gavant du principe d'association ?

" A mon avis, ce sont des individus qui, à cause d'une faille de leur personnalité, ont besoin de se valoriser. Tout au fond d'eux-mêmes, ils se sentent diminués, ce qui les conduit à gagner l'estime de leurs semblables, non en réalisant quelque chose, non en mettant en valeur leurs qualités, mais en créant ou en affirmant des liens entre eux et les réalisations d'autrui.".

Et vlan !

Une autre forme peut être de tout faire pour mettre en valeur le succès d'autres individus avec lesquels elles ont un lien bien visible ( cette femme un peu sotte qui nous explique que son mari est un homme trés intelligent par exemple, ou cette maman obsédée qui veut faire de son fils une grande vedette).

Il suffit d'y réfléchir un peu pour s'apercevoir que ce principe d'association est partout autour de nous, pratiqué par de nombreux individus...Et en plus ça marche parfois !

Toute l'ambiguïté de l'ouvrage de Robert Cialdini, c'est : il nous conseille de le faire, ou non ? Il nous donne surtout des idées pour ne pas se laisser abusivement influencer par ces personnages "qui se sentent diminués" et ont "une faille dans leur personnalité", et donc savoir leur dire NON : la solution c'est de se rendre compte de l'association et de ne pas se laisser contaminer ( cen 'est pas parce que tu le parles de toutes ces célébrités que tu es célèbre; ce n'est pas parce que tu me racontes toutes ces belles rélaisations de ta boîte que tu es, TOI, quelqu'un de compétent, ce n'est pas parce que tu as dîné avec un homme d'affaires célèbre que tu sais faire de bonnes affaires, etc...).

Mais on peut aussi y voir un conseil : mieux vaut s'asocier avec des personnes qui gagnent,et en côtoyer, que de fréquenter trop de loosers. 

Tout est affaire de mesure, forcément.


Moi, Entrepreneur !

Entrepreneur123Il se présente comme "entrepreneur" : il a une nouvelle idée pour rassembler des "investisseurs" et financer des "start-up". Lui, il n'investira pas, il va gérer l'affaire, mettre en relation, se rémunérer avec les commissions et pourcentages...Il connaît des tas de gens qu'il va aller rencontrer; il va souvent aller "bouffer" avec eux, le midi, le soir. C'est le rituel,..."on bouffe". Tous ces "investisseurs" se "connaissent". C'est un petit monde, il croit y vivre.

Il est assis, là en face de moi, dans ce bar où il m'a convié. Il a déjà un verre devant lui; moi, il ne me proposera rien, je resterai là, sans rien commander; ma boisson, ce sera ses paroles, son "projet". Il n'a même pas dû s'en rendre compte.Son centre d'intérêt, c'est lui; moi je suis son "spectateur". Le vrai plaisir, c'est de me nommer des gens "importants", des types qui ont vendu leur boîte, qui sont "riches", et que je ne connais pas..Lui, il a "bouffé" avec eux, hier soir, ou bien la semaine dernière. Je ne sais pas si je dois applaudir, ou baisser la tête comme si je me recueillais devant un Dieu...Je me contente de sourire. 

On parle de ces entreprises, ces" boîtes" où il va faire investir les investisseurs, aprés la "bouffe", qui vont venir dans son entreprise, où il y aura des "salariés", et aussi de  toutes ces entreprises qui ne sont pas des "entrepreneurs", forcément ridicules, peuplées de gens sans intérêt..des "salariés" :

" les salariés, tu sais, je fais un deal avec eux;  ils sont payés pour ce qu'ils apportent; je leur signe un contrat, celui que m'oblige à signer le système français, trés contraignant, imposé par la loi française; mais je ne leur dois rien de plus; c'est l'entrepreneur qu prend le risque, qui risque sa responsabilité; eux, ils ont accepté le "deal"; ils n'ont rien à dire; je ne leur dois rien". C'est "le deal".

C'est comme un jeu : il y aura du fric d'un côté,des "copains", des "mecs trés connus",  et des projets de l'autre,aves un processus de sélection des cibles d'investissements plein de trucs "cools"; des vidéos, des votes, ...Et des mecs qui acceptent "le deal"...

On n'a pas le temps de beaucoup échanger; il a déjà prévu de rencontrer quelqu'un d'autre juste aprés; Le smartphone en main, un message en cours, il me dit "au revoir" sans me regarder; il est déjà ailleurs...Je n'ai pas eu le temps d'en dire plus...

C'était un moment avec un ami "entrepreneur"...

Drôle de moment...Comme une cérémonie sans musique.

Je lui souhaite intérieurement bonne chance. 

Je ne sais pourquoi, cela me fait évoquer une chanson de Léo Ferré, paroles d'Aragon : Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

...On faisait des chäteaux de sable,

On prenait les loups pour des chiens...


Amitiés numériques

SeulsensembleQuand on parle d'un ami, aujourd'hui, on ne parle plus des copains, ceux qu'on a rencontrés à l'école, au travail, par la famille; non, on parle aussi de ce nouveau genre d'amis, ceux qui sont sur Facebook, LinkedIn et autres réseaux sociaux. A tel point que les jeunes et les enfants font, paraît-il, moins confiance à leurs pairs en chair et en os qu'aux pairs qu'ils voient à l'écran. C'est ce que je lis dans l'ouvrage de Richard Sennett, " Ensemble - Pour une éthique de la coopération", que j'ai déjà évoqué ICI.

Ces recherches ont été menées par Sherry Turkle, professeur au MIT, et exposées dans son ouvrage " Alone Together : Why we expect more from technology and less from each other". 

Une des explications, c'est que sur les réseaux sociaux les transactions sociales sont moins exigeantes, plus superficielles, qu'en face-à-face.On peut voir ses amis, les suivre, faire des commentaires, sans avoir besoin de s'impliquer vraiment dans ce qui se passe. On s'envoit de courts textes, sans besoin de s'appeler au téléphone ou de se voir vraiment. Je vois souvent des personnes des jeunes générations, assises l'une en face de l'autre, et communiquer ainsi par SMS ou via facebook ou autres; cela confirme cette observation de Sherry Turkle. Pour elle, les technologies sont un moyen de fournir l'illusion de la compagnie...sans les exigences de la relation.

Ce besoin d'être connecté, c'est aussi celui de la peur de la solitude. Mais en fait, si nous pensons qu'une connection constante nous fera nous sentir moins seuls, c'est l'inverse qui se produit : si nous sommes incapables d'être seuls, nous serons beaucoup plus susceptibles de l'être.

Et si nous n'apprenons pas à être seuls, nous ne saurons que nous sentir encore plus seuls.

Pour s'en sortir, Sherry Turkle propose de réserver ce qu'elle appelle des "zones franches" (je vais lui envoyer mon livre...) : ce sont des espaces, des lieux ou des temps de son quotidien. Au travail, cela pourrait être des "conversational thursdays", un peu comme les "casual fridays", où l'on aurait des vraies conversations. Certains dirigeants d'entreprise l'ont fait, selon elle. Car dans la conversation, nous bénéficions du ton, des nuances, nous sommes appelés à écouter d'autres points de vue, nous apprenons la patience. Alors que dans la connection, il faut que ça aille vite, que l'on réponde au quart de tour, que ça "chate". Et dans cette rapidité, on nivelle par le bas : pas le temps de réfléchir, il faut des échanges "simples", peu d'idées.

Mais parfois nous avons oublié ce qu'est une conversation..Cela me rappelle ces "conversations avec moi-même"...

Richard Sennett va encore plus loin dans l'analyse : car, pour lui, la "sociabilité superficielle" n'est pas la conséquence inévitable des réseaux sociaux en ligne. Il note qu'en Chine, il y a les réseaux sociaux, mais aussi un fort système de relations inter-personnelles par le guanxi, qui perdure. Pour lui, la "sociabilité superficielle" est un phénomène culturel, et les réseaux sociaux tombent à pic pour le développer, et non l'inverse.

Cela remonte à la Réforme, aux tensions entre les prétentions contraire du rituel mutuel et du spectacle religieux. Le rituel mutuel, c'est celui qui implique les fidèles dans un rite commun. Le spectacle religieux divise le rite entre les spectateurs passifs et les acteurs "actifs". Cette différence entre rituel et spectacle existe dans toutes les cultures. 

C'est comme ça avec les réseaux sociaux également : les gens jouent devant une masse de spectateurs qui les regardent. Parmi tous les "amis" Facebook, surtout pour ceux qui les accumulent, une poignée va se dégager, les autres étant des "spectateurs passifs". Ainsi, dans ces connections , ces "consommateurs d'amitiés" deviennent en fait des "stars", qui produisent des images et des textos pour ceux qui les regardent. Et tout le monde se prend alors pour une star.

Dans ce nouveau monde des réseaux sociaux où l'on croit être une star, le vrai privilège, ce sont les face-à-face, les liens personnels, la présence physique. Alors que le "friending" entretenu par Facebook encourage la compétition ( je veux plus d'amis que toi...ou de followers si c'est sur Twitter, etc...). Alors que nous pouvons penser que la coopération, les relations d'amitiés, sont ce qui permet l'inclusion, Richard Sennett fait remarquer que l'arithmétique qui consiste à avoir des centaines d' "amis" privilégie l'étalage, et l'étalage compétitif. Et cet étalage compétitif se développe le plus dans ceux qui vont se trouver exclus des relations privilégiées et physiques. Ceci est aussi source d'inégalités :toutes ces "amitiés" dont la "consommation" consiste à regarder les autres vivre. Richard Sennett observe que de nos jours les enfants consomment de plus en plus de relations sociales en ligne, et de manière "théâtrale", comme des spectacles. Et que cela diminue l'interaction sociale durable entre jeunes de classes différentes. D'où l'accroissement des inégalités.

Les amitiés numériques : un facteur d'accroissement des inégalités? 

Les relations inter-personnelles et les conversations : un privilège?


La chatte de Montaigne et les start up

ChatteJe participais cette semaine au forum Telcos & Digital des Echos, pour lequel PMP était nouveau partenaire cette année lors d'une table ronde sur " Quels modèles pour l'entreprise innovante et ouverte?".

J'étais bien entouré par Mari-Noëlle Jégo-Laveissière, toute nouvelle Directrice executive Innovation, Marketing et Technologies d'Orange, depuis mars 2014, et François Darchis, membre du Comex de Air Liquide, que j'avais déjà croisé lors de la présentation du livre de Navi Radjou sur Jugaad et l'innovation frugale ( il apporte d'ailleurs un témoignage sur Air Liquide dans la version française du livre).

Pour parler d'innovation ouverte, chacun évoque les démarches dans son entreprise pour travailler avec des gens différents, pour mixer des personnes d'horizons trés différents, tant de l'interne que de l'extérieur, et notamment avec des start-up. Mari-Noëlle Jégo-Lavessière nous parle du temps (c'était "avant") où l'on travaillait avec "des gens qui nous ressemblaient", pour mettre en avant un modèle idéal où " chacun apporte sa brique d'intelligence".

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Cela évoque combien il n'est pas naturel de faire marcher la coopération entre personnes différentes, qui peuvent avoir du mal à se comprendre, à surmonter les différences culturelles. La culture d'un grand Groupe n'est pas exactement celle d'une start-up.

Cela m'évoque cette question de Montaigne rapportée dans ses Essais (c'est une question introduite tardivement par Montaigne à l'ouvrage), où il parle de sa relation avec sa chatte :

" Quand je me joue à ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi, plus que je ne fais d'elle".

Et il ajoute, pour compléter le parralèle :

" Nous nous entretenons de nos singeries réciproques".

 Montaigne nous dit ainsi, comme nous ignorons si c'est le chat qui joue avec nous, où nous qui jouons avec le chat, que nous ne pouvons pas comprendre ce qui se passe dans le coeur et l'esprit de ceux avec qui nous devons travailler. C'est d'ailleurs toute la philosophie de Montaigne : s'intéresser aux autres, dans l'empathie, car ne pas se comprendre complètement ne doit pas nous empêcher de nous engager pour faire quelque chose ensemble. Au lieu d'essayer de changer l'autre pour le plier à notre conception du monde, Montaigne nous encourage à seulement s'intéresser aux autres, tels qu'ils sont.

 Réussir aujourd'hui cette philosophie de Montaigne, c'est nouer des relations de coopération et d'entraide entre personnes différentes. Pas si facile alors que les individualismes se développent, que les élites s'éloignent des autres. On a du mal à partager un destin commun, et à mobiliser cette "chatte de Montaigne" qui est cachée à l'intérieur de chacun de nous.

Cette apologie de la "coopération" pour mieux réussir "ensemble", c'est le sujet de l'ouvrage de Richard Sennett dont la traduction française est sortie cette année : "Ensemble, pour une éthique de la coopération" (à écouter ici). 

L'ouvrage nous permet de découvrir de nombreuses expériences d'actions collectives, et de coopérations qui marchent. De quoi apprendre, pas seulement pour faire travailler les grands Groupes et les start-up pour innover, mais aussi pour faire mieux fonctionner les projets dans nos entreprises, et, pourquoi pas, notre société, y compris dans les sujets politiques.

Un rêve de chatte ? Avec l'envie de "singeries réciproques"?


Marcher droit

VeriteJ'ai déjà parlé de l'orthodoxie lorsque j'étais à Moscou, grâce aux ouvrages de Jean-Yves Leloup ICI.

L'orthodoxie a-t-elle quelque chose à nous apprendre dans le monde  du management ? Sûrement.

Encore faut-il la connaître.

Car, dans le langage courant, quand on parle d'un "orthodoxe",on parle d'une posture mentale : "l'orthodoxe" est assimilé à un "conservateur"; pas trop en ligne avec l'innovation alors? Et quand on dit de quelqu'un qu'il professe des opinions ou des théories "peu orthodoxes", cela veut dire qu'il se démarque de la pensée courante, qu'il est original (trop?).  Et aprés?

Pour aller plus loin, je me plonge dans " Qu'est-ce que l'orthodoxie?" d'un spécialiste, Antoine Arjakovski, Directeur de recherches au Collège des Bernardins (voir interview ici). Plus de cinq cents pages pour tout savoir.Il faut s'accrocher...

Je m'arrête sur l'origine de la définition :

" On désigne par "orthodoxes" les chrétiens qui, depuis Saint Paul, se définissent comme tels sans faire référence nécessairement à une posture conservatrice".

Être "orthodoxe", c'est "marcher droit" selon Saint Paul, et "marcher droit", pour lui, c'est marcher "selon la vérité de l'Evangile". Le terme s'oppose à celui d' "hérésie", qui désigne à l'origine la "fausse doctrine", et ensuite une vérité ou une attitude partiale qui, affirmée pour elle-même, devient une erreur.

La pensée orthodoxe signifie ainsi la "pensée vraie" " lorsqu'au discernement logique de la raison s'ajoute, pour l'expression de la vérité, une décision d'adhésion de la conscience personnelle, c'est à dire de la voix intèrieure de l'individu".

Et cette conscience de la vérité doit réunir deux conditions :

- Elle doit être libre, au sens d'indépendante, capable d'effectuer son propre jugement;

- Elle doit aussi être reliée à "une communauté dépositaire d'un savoir et d'une mémoire spécifique, qui produit des champs de communication".

L'orthodoxie est alors " un cheminement, un style de vie personnel", qui transmet son "expérience de la vérité".

Antoine Arjakovsky nous fait bien sentir, à travers les nombreux auteurs qu'il sollicite, philosophes et théologiens, toute l'ambiguïté de cette notion de vérité, qui est complètement intégrée à l'orthodoxie.

Car, dans sa définition philosophique, la vérité ne peut pas se réduire à une simple propriété de la connaissance ( comme si la Raison suffisait pour dire ce qui est vrai et ce qui n'est pas vrai, à l'aide de démontrations et de raisonnements); la vérité est "avant tout une qualification transcendantale de l'être comme tel' ( expression du philosophe et théologien catholique Hans Urs von Balthasar - Phénoménologie de la vérité - 1952). Pour rencontrer cette vérité, la vraie, l'homme a besoin d'une méthode, de critères permettant de formuler et de valider ses jugements. Et cette méthode est précisément désignée dans l'histoire de la pensée par le terme d'orthodoxie.La vérité ainsi dévoilée offre alors" une voie d'accés à mille connaissances nouvelles".

Dans cette réflexion, l'orthodoxie nous permet aussi de revenir sur cette opposition de la Raison et de la Foi : la Foi, c'est ce qui nous empêcherait de voir la vérité; la Raison la seule voie possible. Pas si simple, nous dit Antoine Arjakovsky, en nous invitant à tenter de redéfinir les contours de la notion d'orthodoxie comme criterium de la vérité philosophique, mais aussi théologique, morale et politique.

Alors, cette vérité, oui, celle on parle aussi dans notre monde managérial, est-elle interpellée par l'orthodoxie?

Rappelons-nous les conflits, les oppositions, les écarts de vision, les divergences sur la stratégie, qui font parfois les ruptures entre le dirigeant et ses actionnaires, ou ses managers, qui font les incompréhensions, les manques de respect.

Ne voilà-t-il pas une occasion d'aller y interroger notre propre orthodoxie? La nôtre, celle que nous transmettons, celle que nous partageons, et qui permet de maintenir vivante cette " communauté "dépositaire d'un savoir et d'une mémoire spécifique".

Et de ressentir comme une voix intèrieure ce besoin de "marcher droit" qui permet d'accéder à "mille connaissances nouvelles". Cette capacité à explorer des chemins nouveaux tout en restant dans la vérité.

Quelle est mon orthodoxie?


Etat 2.0

EspionNous sommes au début de l'ère du "digital", c'est à dire de la connectivité entre les individus, grâce à internet, et cela est en train, et va plus encore à l'avenir, transformer notre monde, les rapports sociaux, les Etats, les démocraties, tout.

Ce discours semble connu et lu partout. Pourtant le livre d'Eric Schmidt et de Jared Cohen, tous deux de Google, " the new digital age" mérite une attention particulière.

Loin de vanter avec niaiserie et ébahissement le monde de l'internet, il en fait au contraire ressoritr les aspects positifs et aussi les dangers et menaces.

Tout le sujet c'est : comment allons-nous concilier le monde physique et le monde virtuel ? Est-ce pour le bonheur de tous, ou au contraire pour nous conduire dans un monde infernal.

 Une des conséquences de ce monde de "connectivité",concerne, bien sûr, les données privées sur notre identité, celles que l'on laisse volontairement ( par exemple sur les réseaux sociaux), mais aussi celles qui sont privées et deviennent publiques ou utilisées à notre insu; et par exemple par les gouvernements, la police, des espions. Et que dire de ces activistes qui veulent tout "révéler" comme Snowden ou Assange, et se retrouvent poursuivis par les autorités étatiques.

 Être connectés avec des étrangers et des inconnus, institutions ou personnes, vivre à la fois en tant que personne physique dans le monde physique, et en tant que personne, ou même personnes, virtuelle(s) dans des mondes virtuels, cela pose question de notre identité, de nos identités : qui sommes-nous ?

Ce qui intéresse l'Etat, et notamment lorsqu'il s'agit d'un Etat autocratique, ce ne sont pas les commentaires que l(on laisse sur twitter ou facebook ( quoique..), mais les informations permettant d'idnetifier les individus de façon unique, c'est à dire les données "biométriques", qui concernent nos caractéristiques physiques et biologiques ( empreintes, photographies, ADN sont déjà répertoriés aujourd'hui). Les systèmes et technologies de reconnaissance faciale se développent aujourd'hui, permettant, couplés à des systèmes de "data mining" puissants, d'identifier les individus à partir de photos ou de films, et nous liassons de plus en plus de photos sur le Net.

Heureusement il n'y a pas que les dictateurs qui salivent sur la puissance du contrôle des données biométriques; des avancées sont aussi possibles dans les pays démocratiques.

Eric Schmidt et Jared Cohen évoquent le programme le plus important au monde de collecte de données biométriques, en Inde ( 1,2 milliards de personnes !), le programme UID ( India's Unique Identification), appelé Aadhaar, lancé en 2009, prévoyant de doter chaque citoyen d'une carte avec toutes les données biométriques, les empreintes, un scan de l'iris de l'oeil, un numéro à douze caractères, pour tous.

Ce programme, en permettant d'identifier tout le monde, va permettre de servir des populations jusqu'ici inconnues, pour des aides au logement ou pour les nourrir. Cela permet ainsi aux personnes pauvres vivant en milieu rural d'acquérir une identité ( aujourd'hui moins de 3% de la population en Inde est enregistrée pour payer l'impôt).

Mais, a contrario, certains vont exprimer des craintes de perte de liberté, des risques de surveillance accrue.

Et ce débat n'est pas limité à l'Inde. Nous avons les mêmes discussions en France et en Europe d'ailleurs.

La question est alors finalement de savoir qui contrôle et qui influence les "identités virtuelles" et les citoyens eux-mêmes.

Dans les démocraties, ce seront de moins en moins les Etats qui contrôleront l'identité virtuelle, mais plutôt la "sagesse des foules" pour le meilleur ou pour le pire ( ce qui sera connu sur les personnes sera ce que les foules connectées en diront et ce qu'elles feront circuler, que ces informations soient vraies ou fausses); l'Etat sera alors le garant de la "vraie" identité.

 Dans les régimes plus dictatoriaux, l'Etat tentera de se doter des moyens permettant de contrôler les identités virtuelles aussi bien qu'il a pu contrôler les identités physiques.

Ce qui est prévisible, c'est que les citoyens vont perdre progressivement les protections qu'ils ont pu avoir jusqu'à aujourd'hui ( anonymat sur le Net, recours à la Loi); de nouvelles normes et régulations seront nécessaires.

L'Etat 2.0 du nouvel âge digital n'a pas fini de nous surprendre.


A chacun son festival

Festival_de_cannes-efz6 Celui qui sera récompensé lors de ce festival de Cannes, le meilleur acteur, ce sera qui ?

Non, je ne fais pas de pronostic sur son nom; juste une description idéale : ce sera d'abord l'acteur dans son rôle, le meilleur rôle.

Mais pour être le meilleur acteur, il sera sûrement plus grand que son rôle, il apportera justement à ce rôle, imaginé par le réalisateur, une part de lui-même qui en fait le grand acteur. Oui, le grand acteur, c'est celui qui est plus grand que son rôle. Il y a même des acteurs que l'on va voir au cinéma pour eux plus que pour le film. Même si on a l'impression qu'il y a de moins en moins de tels personnages.

Et dans nos entreprises, quels sont les grands ?

Car ceux qui jouent un rôle, ça, il y en a...mais tous ne sont pas des grands acteurs.

Les pire, forcément, ce sont ceux qui se croient leur rôle, qui se confondent avec leur fonction au point de croire qu'elle a conféré naturellement les qualités qui vont avec : je joue le rôle de la Reine, et je me prend pour une Reine...Le genre de croyances qui font des ravages dans leur entourage, et notamment parmi les collaborateurs qui, parfois, ne croient pas du tout à cette fausse Reine..¨

Paradoxalement, être bon dans son rôle, c'est savoir que c'est un rôle.

Cette capacité à être au clair avec son rôle, c'est une des qualités du " wise leader" selon Navi Radjou et Presad Kaipa, dans leur ouvrage " From smart to wise".

Le danger, que connaissent beucoup de managers et dirigeants, c'est justement de croire que l'on possède les bonnes compétences attachées à la fonction (l'autorité naturelle, la créativité, la réponse à tous les problèmes) alors qu'on ne les a pas : cela conduit à les forcer et à se prendre, comme on dit, les pieds dans le tapis.

Alors, pour être celui qui est au clair avec son rôle, que faut-il faire ?

Cela consiste d'abord à prendre conscience de ce rôle, et à ne pas s'y perdre : nous sommes plus grands que notre rôle, à condition de le savoir, et de ne pas en avoir peur. C'est ce que les auteurs appellent "mindfulness" ( on dirait "pleine conscience").

C'est cette attention particulère, en "suspension de jugement", qui nous fait observer notre condition, nos comportements, et ceux des autres, avec le recul et la clairvoyance les meilleurs.

Premier avantage de cette "mindfulness", c'est justement cette capacité à choisir les bons rôles, le style dans lequel nous sommes le meilleur ( et non de tenter de singer un style qui ne nous convient pas du tout). C'est aussi cette capacité à utiliser sa personnalité entière pour occuper plusieurs rôles, passer de l'un à l'autre en restant soi-même et à chaque fois juste dans le rôle, comme ce grand acteur qui passe avec le même talent d'un rôle à l'autre, en y restant toujours convaincant.Être soi-même, au-delà du rôle, c'est aussi tenir ce rôle en restant posé et détaché, sans y mettre une émotion excessive, ou un acharnement, qui nous seraient préjudiciables.

Cette attitude, c'est aussi celle qui nous permet de mieux observer notre propre performance, comme comme quand on regarde un acteur sur une scène ( et cet acteur c'est nous), et de repérer objectivement ce que l'on doit améliorer.

Autre avantage d'être au clair avec le rôle, c'est de prendre conscience que l'on est une partie d'un tout plus vaste : le bon acteur n'est pas celui qui réalise une prestation tout seul, qui veut faire la vedette; non, c'est celui qui sait comprendre et apprécier les rôles complémentaires autour de lui, ceux qui permettent d'exécuter la meilleure performance ensemble. Celui qui réussit, c'est celui qui sait voir toutes les interconnections entre les rôles, pour créer une équipe unifiée.Cela permet aussi de changer les rôles, d'imaginer de nouveaux rôles pour certains collaborateurs, car les personnalités n'ont jamais fini de se révéler et c'est en variant les rôles et en imaginant de nouvelles connections que chacun développe, aussi, ses qualités et performances.

Autre qualité liée à cette "mindfulness", la capacité à diriger à partir du siège arrière, c'est à dire laisser les autres prendre le volant, prendre le risque; sans lâcher pour autant notre rôle de leader, mais en l'exerçant d'une autre façon ( pas toujours facile d'ailleurs de bien doser entre ce qu'il faut lâcher et ce qu'il faut apporter).

Être un bon acteur de notre leadership, de notre style de management, pouvoir exercer les rôles que nous choisissons au top, sans " s'y croire", ni agacer son entourage, voilà de quoi fair son propre festival.

Pour être le meilleur acteur de soi-même, et permettre à nos équipes de réussir la meilleure performance, pas besoin d'aller monter les marches à Cannes.

Le festival est dans le quotidien de nos entreprises.

Alors, courage ( car il en faut pour être bon acteur plutôt que cabotin).

Ne décevons-pas notre public.