Moi, Entrepreneur !

Entrepreneur123Il se présente comme "entrepreneur" : il a une nouvelle idée pour rassembler des "investisseurs" et financer des "start-up". Lui, il n'investira pas, il va gérer l'affaire, mettre en relation, se rémunérer avec les commissions et pourcentages...Il connaît des tas de gens qu'il va aller rencontrer; il va souvent aller "bouffer" avec eux, le midi, le soir. C'est le rituel,..."on bouffe". Tous ces "investisseurs" se "connaissent". C'est un petit monde, il croit y vivre.

Il est assis, là en face de moi, dans ce bar où il m'a convié. Il a déjà un verre devant lui; moi, il ne me proposera rien, je resterai là, sans rien commander; ma boisson, ce sera ses paroles, son "projet". Il n'a même pas dû s'en rendre compte.Son centre d'intérêt, c'est lui; moi je suis son "spectateur". Le vrai plaisir, c'est de me nommer des gens "importants", des types qui ont vendu leur boîte, qui sont "riches", et que je ne connais pas..Lui, il a "bouffé" avec eux, hier soir, ou bien la semaine dernière. Je ne sais pas si je dois applaudir, ou baisser la tête comme si je me recueillais devant un Dieu...Je me contente de sourire. 

On parle de ces entreprises, ces" boîtes" où il va faire investir les investisseurs, aprés la "bouffe", qui vont venir dans son entreprise, où il y aura des "salariés", et aussi de  toutes ces entreprises qui ne sont pas des "entrepreneurs", forcément ridicules, peuplées de gens sans intérêt..des "salariés" :

" les salariés, tu sais, je fais un deal avec eux;  ils sont payés pour ce qu'ils apportent; je leur signe un contrat, celui que m'oblige à signer le système français, trés contraignant, imposé par la loi française; mais je ne leur dois rien de plus; c'est l'entrepreneur qu prend le risque, qui risque sa responsabilité; eux, ils ont accepté le "deal"; ils n'ont rien à dire; je ne leur dois rien". C'est "le deal".

C'est comme un jeu : il y aura du fric d'un côté,des "copains", des "mecs trés connus",  et des projets de l'autre,aves un processus de sélection des cibles d'investissements plein de trucs "cools"; des vidéos, des votes, ...Et des mecs qui acceptent "le deal"...

On n'a pas le temps de beaucoup échanger; il a déjà prévu de rencontrer quelqu'un d'autre juste aprés; Le smartphone en main, un message en cours, il me dit "au revoir" sans me regarder; il est déjà ailleurs...Je n'ai pas eu le temps d'en dire plus...

C'était un moment avec un ami "entrepreneur"...

Drôle de moment...Comme une cérémonie sans musique.

Je lui souhaite intérieurement bonne chance. 

Je ne sais pourquoi, cela me fait évoquer une chanson de Léo Ferré, paroles d'Aragon : Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

...On faisait des chäteaux de sable,

On prenait les loups pour des chiens...


Amitiés numériques

SeulsensembleQuand on parle d'un ami, aujourd'hui, on ne parle plus des copains, ceux qu'on a rencontrés à l'école, au travail, par la famille; non, on parle aussi de ce nouveau genre d'amis, ceux qui sont sur Facebook, LinkedIn et autres réseaux sociaux. A tel point que les jeunes et les enfants font, paraît-il, moins confiance à leurs pairs en chair et en os qu'aux pairs qu'ils voient à l'écran. C'est ce que je lis dans l'ouvrage de Richard Sennett, " Ensemble - Pour une éthique de la coopération", que j'ai déjà évoqué ICI.

Ces recherches ont été menées par Sherry Turkle, professeur au MIT, et exposées dans son ouvrage " Alone Together : Why we expect more from technology and less from each other". 

Une des explications, c'est que sur les réseaux sociaux les transactions sociales sont moins exigeantes, plus superficielles, qu'en face-à-face.On peut voir ses amis, les suivre, faire des commentaires, sans avoir besoin de s'impliquer vraiment dans ce qui se passe. On s'envoit de courts textes, sans besoin de s'appeler au téléphone ou de se voir vraiment. Je vois souvent des personnes des jeunes générations, assises l'une en face de l'autre, et communiquer ainsi par SMS ou via facebook ou autres; cela confirme cette observation de Sherry Turkle. Pour elle, les technologies sont un moyen de fournir l'illusion de la compagnie...sans les exigences de la relation.

Ce besoin d'être connecté, c'est aussi celui de la peur de la solitude. Mais en fait, si nous pensons qu'une connection constante nous fera nous sentir moins seuls, c'est l'inverse qui se produit : si nous sommes incapables d'être seuls, nous serons beaucoup plus susceptibles de l'être.

Et si nous n'apprenons pas à être seuls, nous ne saurons que nous sentir encore plus seuls.

Pour s'en sortir, Sherry Turkle propose de réserver ce qu'elle appelle des "zones franches" (je vais lui envoyer mon livre...) : ce sont des espaces, des lieux ou des temps de son quotidien. Au travail, cela pourrait être des "conversational thursdays", un peu comme les "casual fridays", où l'on aurait des vraies conversations. Certains dirigeants d'entreprise l'ont fait, selon elle. Car dans la conversation, nous bénéficions du ton, des nuances, nous sommes appelés à écouter d'autres points de vue, nous apprenons la patience. Alors que dans la connection, il faut que ça aille vite, que l'on réponde au quart de tour, que ça "chate". Et dans cette rapidité, on nivelle par le bas : pas le temps de réfléchir, il faut des échanges "simples", peu d'idées.

Mais parfois nous avons oublié ce qu'est une conversation..Cela me rappelle ces "conversations avec moi-même"...

Richard Sennett va encore plus loin dans l'analyse : car, pour lui, la "sociabilité superficielle" n'est pas la conséquence inévitable des réseaux sociaux en ligne. Il note qu'en Chine, il y a les réseaux sociaux, mais aussi un fort système de relations inter-personnelles par le guanxi, qui perdure. Pour lui, la "sociabilité superficielle" est un phénomène culturel, et les réseaux sociaux tombent à pic pour le développer, et non l'inverse.

Cela remonte à la Réforme, aux tensions entre les prétentions contraire du rituel mutuel et du spectacle religieux. Le rituel mutuel, c'est celui qui implique les fidèles dans un rite commun. Le spectacle religieux divise le rite entre les spectateurs passifs et les acteurs "actifs". Cette différence entre rituel et spectacle existe dans toutes les cultures. 

C'est comme ça avec les réseaux sociaux également : les gens jouent devant une masse de spectateurs qui les regardent. Parmi tous les "amis" Facebook, surtout pour ceux qui les accumulent, une poignée va se dégager, les autres étant des "spectateurs passifs". Ainsi, dans ces connections , ces "consommateurs d'amitiés" deviennent en fait des "stars", qui produisent des images et des textos pour ceux qui les regardent. Et tout le monde se prend alors pour une star.

Dans ce nouveau monde des réseaux sociaux où l'on croit être une star, le vrai privilège, ce sont les face-à-face, les liens personnels, la présence physique. Alors que le "friending" entretenu par Facebook encourage la compétition ( je veux plus d'amis que toi...ou de followers si c'est sur Twitter, etc...). Alors que nous pouvons penser que la coopération, les relations d'amitiés, sont ce qui permet l'inclusion, Richard Sennett fait remarquer que l'arithmétique qui consiste à avoir des centaines d' "amis" privilégie l'étalage, et l'étalage compétitif. Et cet étalage compétitif se développe le plus dans ceux qui vont se trouver exclus des relations privilégiées et physiques. Ceci est aussi source d'inégalités :toutes ces "amitiés" dont la "consommation" consiste à regarder les autres vivre. Richard Sennett observe que de nos jours les enfants consomment de plus en plus de relations sociales en ligne, et de manière "théâtrale", comme des spectacles. Et que cela diminue l'interaction sociale durable entre jeunes de classes différentes. D'où l'accroissement des inégalités.

Les amitiés numériques : un facteur d'accroissement des inégalités? 

Les relations inter-personnelles et les conversations : un privilège?


La chatte de Montaigne et les start up

ChatteJe participais cette semaine au forum Telcos & Digital des Echos, pour lequel PMP était nouveau partenaire cette année lors d'une table ronde sur " Quels modèles pour l'entreprise innovante et ouverte?".

J'étais bien entouré par Mari-Noëlle Jégo-Laveissière, toute nouvelle Directrice executive Innovation, Marketing et Technologies d'Orange, depuis mars 2014, et François Darchis, membre du Comex de Air Liquide, que j'avais déjà croisé lors de la présentation du livre de Navi Radjou sur Jugaad et l'innovation frugale ( il apporte d'ailleurs un témoignage sur Air Liquide dans la version française du livre).

Pour parler d'innovation ouverte, chacun évoque les démarches dans son entreprise pour travailler avec des gens différents, pour mixer des personnes d'horizons trés différents, tant de l'interne que de l'extérieur, et notamment avec des start-up. Mari-Noëlle Jégo-Lavessière nous parle du temps (c'était "avant") où l'on travaillait avec "des gens qui nous ressemblaient", pour mettre en avant un modèle idéal où " chacun apporte sa brique d'intelligence".

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Cela évoque combien il n'est pas naturel de faire marcher la coopération entre personnes différentes, qui peuvent avoir du mal à se comprendre, à surmonter les différences culturelles. La culture d'un grand Groupe n'est pas exactement celle d'une start-up.

Cela m'évoque cette question de Montaigne rapportée dans ses Essais (c'est une question introduite tardivement par Montaigne à l'ouvrage), où il parle de sa relation avec sa chatte :

" Quand je me joue à ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi, plus que je ne fais d'elle".

Et il ajoute, pour compléter le parralèle :

" Nous nous entretenons de nos singeries réciproques".

 Montaigne nous dit ainsi, comme nous ignorons si c'est le chat qui joue avec nous, où nous qui jouons avec le chat, que nous ne pouvons pas comprendre ce qui se passe dans le coeur et l'esprit de ceux avec qui nous devons travailler. C'est d'ailleurs toute la philosophie de Montaigne : s'intéresser aux autres, dans l'empathie, car ne pas se comprendre complètement ne doit pas nous empêcher de nous engager pour faire quelque chose ensemble. Au lieu d'essayer de changer l'autre pour le plier à notre conception du monde, Montaigne nous encourage à seulement s'intéresser aux autres, tels qu'ils sont.

 Réussir aujourd'hui cette philosophie de Montaigne, c'est nouer des relations de coopération et d'entraide entre personnes différentes. Pas si facile alors que les individualismes se développent, que les élites s'éloignent des autres. On a du mal à partager un destin commun, et à mobiliser cette "chatte de Montaigne" qui est cachée à l'intérieur de chacun de nous.

Cette apologie de la "coopération" pour mieux réussir "ensemble", c'est le sujet de l'ouvrage de Richard Sennett dont la traduction française est sortie cette année : "Ensemble, pour une éthique de la coopération" (à écouter ici). 

L'ouvrage nous permet de découvrir de nombreuses expériences d'actions collectives, et de coopérations qui marchent. De quoi apprendre, pas seulement pour faire travailler les grands Groupes et les start-up pour innover, mais aussi pour faire mieux fonctionner les projets dans nos entreprises, et, pourquoi pas, notre société, y compris dans les sujets politiques.

Un rêve de chatte ? Avec l'envie de "singeries réciproques"?


Marcher droit

VeriteJ'ai déjà parlé de l'orthodoxie lorsque j'étais à Moscou, grâce aux ouvrages de Jean-Yves Leloup ICI.

L'orthodoxie a-t-elle quelque chose à nous apprendre dans le monde  du management ? Sûrement.

Encore faut-il la connaître.

Car, dans le langage courant, quand on parle d'un "orthodoxe",on parle d'une posture mentale : "l'orthodoxe" est assimilé à un "conservateur"; pas trop en ligne avec l'innovation alors? Et quand on dit de quelqu'un qu'il professe des opinions ou des théories "peu orthodoxes", cela veut dire qu'il se démarque de la pensée courante, qu'il est original (trop?).  Et aprés?

Pour aller plus loin, je me plonge dans " Qu'est-ce que l'orthodoxie?" d'un spécialiste, Antoine Arjakovski, Directeur de recherches au Collège des Bernardins (voir interview ici). Plus de cinq cents pages pour tout savoir.Il faut s'accrocher...

Je m'arrête sur l'origine de la définition :

" On désigne par "orthodoxes" les chrétiens qui, depuis Saint Paul, se définissent comme tels sans faire référence nécessairement à une posture conservatrice".

Être "orthodoxe", c'est "marcher droit" selon Saint Paul, et "marcher droit", pour lui, c'est marcher "selon la vérité de l'Evangile". Le terme s'oppose à celui d' "hérésie", qui désigne à l'origine la "fausse doctrine", et ensuite une vérité ou une attitude partiale qui, affirmée pour elle-même, devient une erreur.

La pensée orthodoxe signifie ainsi la "pensée vraie" " lorsqu'au discernement logique de la raison s'ajoute, pour l'expression de la vérité, une décision d'adhésion de la conscience personnelle, c'est à dire de la voix intèrieure de l'individu".

Et cette conscience de la vérité doit réunir deux conditions :

- Elle doit être libre, au sens d'indépendante, capable d'effectuer son propre jugement;

- Elle doit aussi être reliée à "une communauté dépositaire d'un savoir et d'une mémoire spécifique, qui produit des champs de communication".

L'orthodoxie est alors " un cheminement, un style de vie personnel", qui transmet son "expérience de la vérité".

Antoine Arjakovsky nous fait bien sentir, à travers les nombreux auteurs qu'il sollicite, philosophes et théologiens, toute l'ambiguïté de cette notion de vérité, qui est complètement intégrée à l'orthodoxie.

Car, dans sa définition philosophique, la vérité ne peut pas se réduire à une simple propriété de la connaissance ( comme si la Raison suffisait pour dire ce qui est vrai et ce qui n'est pas vrai, à l'aide de démontrations et de raisonnements); la vérité est "avant tout une qualification transcendantale de l'être comme tel' ( expression du philosophe et théologien catholique Hans Urs von Balthasar - Phénoménologie de la vérité - 1952). Pour rencontrer cette vérité, la vraie, l'homme a besoin d'une méthode, de critères permettant de formuler et de valider ses jugements. Et cette méthode est précisément désignée dans l'histoire de la pensée par le terme d'orthodoxie.La vérité ainsi dévoilée offre alors" une voie d'accés à mille connaissances nouvelles".

Dans cette réflexion, l'orthodoxie nous permet aussi de revenir sur cette opposition de la Raison et de la Foi : la Foi, c'est ce qui nous empêcherait de voir la vérité; la Raison la seule voie possible. Pas si simple, nous dit Antoine Arjakovsky, en nous invitant à tenter de redéfinir les contours de la notion d'orthodoxie comme criterium de la vérité philosophique, mais aussi théologique, morale et politique.

Alors, cette vérité, oui, celle on parle aussi dans notre monde managérial, est-elle interpellée par l'orthodoxie?

Rappelons-nous les conflits, les oppositions, les écarts de vision, les divergences sur la stratégie, qui font parfois les ruptures entre le dirigeant et ses actionnaires, ou ses managers, qui font les incompréhensions, les manques de respect.

Ne voilà-t-il pas une occasion d'aller y interroger notre propre orthodoxie? La nôtre, celle que nous transmettons, celle que nous partageons, et qui permet de maintenir vivante cette " communauté "dépositaire d'un savoir et d'une mémoire spécifique".

Et de ressentir comme une voix intèrieure ce besoin de "marcher droit" qui permet d'accéder à "mille connaissances nouvelles". Cette capacité à explorer des chemins nouveaux tout en restant dans la vérité.

Quelle est mon orthodoxie?


Etat 2.0

EspionNous sommes au début de l'ère du "digital", c'est à dire de la connectivité entre les individus, grâce à internet, et cela est en train, et va plus encore à l'avenir, transformer notre monde, les rapports sociaux, les Etats, les démocraties, tout.

Ce discours semble connu et lu partout. Pourtant le livre d'Eric Schmidt et de Jared Cohen, tous deux de Google, " the new digital age" mérite une attention particulière.

Loin de vanter avec niaiserie et ébahissement le monde de l'internet, il en fait au contraire ressoritr les aspects positifs et aussi les dangers et menaces.

Tout le sujet c'est : comment allons-nous concilier le monde physique et le monde virtuel ? Est-ce pour le bonheur de tous, ou au contraire pour nous conduire dans un monde infernal.

 Une des conséquences de ce monde de "connectivité",concerne, bien sûr, les données privées sur notre identité, celles que l'on laisse volontairement ( par exemple sur les réseaux sociaux), mais aussi celles qui sont privées et deviennent publiques ou utilisées à notre insu; et par exemple par les gouvernements, la police, des espions. Et que dire de ces activistes qui veulent tout "révéler" comme Snowden ou Assange, et se retrouvent poursuivis par les autorités étatiques.

 Être connectés avec des étrangers et des inconnus, institutions ou personnes, vivre à la fois en tant que personne physique dans le monde physique, et en tant que personne, ou même personnes, virtuelle(s) dans des mondes virtuels, cela pose question de notre identité, de nos identités : qui sommes-nous ?

Ce qui intéresse l'Etat, et notamment lorsqu'il s'agit d'un Etat autocratique, ce ne sont pas les commentaires que l(on laisse sur twitter ou facebook ( quoique..), mais les informations permettant d'idnetifier les individus de façon unique, c'est à dire les données "biométriques", qui concernent nos caractéristiques physiques et biologiques ( empreintes, photographies, ADN sont déjà répertoriés aujourd'hui). Les systèmes et technologies de reconnaissance faciale se développent aujourd'hui, permettant, couplés à des systèmes de "data mining" puissants, d'identifier les individus à partir de photos ou de films, et nous liassons de plus en plus de photos sur le Net.

Heureusement il n'y a pas que les dictateurs qui salivent sur la puissance du contrôle des données biométriques; des avancées sont aussi possibles dans les pays démocratiques.

Eric Schmidt et Jared Cohen évoquent le programme le plus important au monde de collecte de données biométriques, en Inde ( 1,2 milliards de personnes !), le programme UID ( India's Unique Identification), appelé Aadhaar, lancé en 2009, prévoyant de doter chaque citoyen d'une carte avec toutes les données biométriques, les empreintes, un scan de l'iris de l'oeil, un numéro à douze caractères, pour tous.

Ce programme, en permettant d'identifier tout le monde, va permettre de servir des populations jusqu'ici inconnues, pour des aides au logement ou pour les nourrir. Cela permet ainsi aux personnes pauvres vivant en milieu rural d'acquérir une identité ( aujourd'hui moins de 3% de la population en Inde est enregistrée pour payer l'impôt).

Mais, a contrario, certains vont exprimer des craintes de perte de liberté, des risques de surveillance accrue.

Et ce débat n'est pas limité à l'Inde. Nous avons les mêmes discussions en France et en Europe d'ailleurs.

La question est alors finalement de savoir qui contrôle et qui influence les "identités virtuelles" et les citoyens eux-mêmes.

Dans les démocraties, ce seront de moins en moins les Etats qui contrôleront l'identité virtuelle, mais plutôt la "sagesse des foules" pour le meilleur ou pour le pire ( ce qui sera connu sur les personnes sera ce que les foules connectées en diront et ce qu'elles feront circuler, que ces informations soient vraies ou fausses); l'Etat sera alors le garant de la "vraie" identité.

 Dans les régimes plus dictatoriaux, l'Etat tentera de se doter des moyens permettant de contrôler les identités virtuelles aussi bien qu'il a pu contrôler les identités physiques.

Ce qui est prévisible, c'est que les citoyens vont perdre progressivement les protections qu'ils ont pu avoir jusqu'à aujourd'hui ( anonymat sur le Net, recours à la Loi); de nouvelles normes et régulations seront nécessaires.

L'Etat 2.0 du nouvel âge digital n'a pas fini de nous surprendre.


A chacun son festival

Festival_de_cannes-efz6 Celui qui sera récompensé lors de ce festival de Cannes, le meilleur acteur, ce sera qui ?

Non, je ne fais pas de pronostic sur son nom; juste une description idéale : ce sera d'abord l'acteur dans son rôle, le meilleur rôle.

Mais pour être le meilleur acteur, il sera sûrement plus grand que son rôle, il apportera justement à ce rôle, imaginé par le réalisateur, une part de lui-même qui en fait le grand acteur. Oui, le grand acteur, c'est celui qui est plus grand que son rôle. Il y a même des acteurs que l'on va voir au cinéma pour eux plus que pour le film. Même si on a l'impression qu'il y a de moins en moins de tels personnages.

Et dans nos entreprises, quels sont les grands ?

Car ceux qui jouent un rôle, ça, il y en a...mais tous ne sont pas des grands acteurs.

Les pire, forcément, ce sont ceux qui se croient leur rôle, qui se confondent avec leur fonction au point de croire qu'elle a conféré naturellement les qualités qui vont avec : je joue le rôle de la Reine, et je me prend pour une Reine...Le genre de croyances qui font des ravages dans leur entourage, et notamment parmi les collaborateurs qui, parfois, ne croient pas du tout à cette fausse Reine..¨

Paradoxalement, être bon dans son rôle, c'est savoir que c'est un rôle.

Cette capacité à être au clair avec son rôle, c'est une des qualités du " wise leader" selon Navi Radjou et Presad Kaipa, dans leur ouvrage " From smart to wise".

Le danger, que connaissent beucoup de managers et dirigeants, c'est justement de croire que l'on possède les bonnes compétences attachées à la fonction (l'autorité naturelle, la créativité, la réponse à tous les problèmes) alors qu'on ne les a pas : cela conduit à les forcer et à se prendre, comme on dit, les pieds dans le tapis.

Alors, pour être celui qui est au clair avec son rôle, que faut-il faire ?

Cela consiste d'abord à prendre conscience de ce rôle, et à ne pas s'y perdre : nous sommes plus grands que notre rôle, à condition de le savoir, et de ne pas en avoir peur. C'est ce que les auteurs appellent "mindfulness" ( on dirait "pleine conscience").

C'est cette attention particulère, en "suspension de jugement", qui nous fait observer notre condition, nos comportements, et ceux des autres, avec le recul et la clairvoyance les meilleurs.

Premier avantage de cette "mindfulness", c'est justement cette capacité à choisir les bons rôles, le style dans lequel nous sommes le meilleur ( et non de tenter de singer un style qui ne nous convient pas du tout). C'est aussi cette capacité à utiliser sa personnalité entière pour occuper plusieurs rôles, passer de l'un à l'autre en restant soi-même et à chaque fois juste dans le rôle, comme ce grand acteur qui passe avec le même talent d'un rôle à l'autre, en y restant toujours convaincant.Être soi-même, au-delà du rôle, c'est aussi tenir ce rôle en restant posé et détaché, sans y mettre une émotion excessive, ou un acharnement, qui nous seraient préjudiciables.

Cette attitude, c'est aussi celle qui nous permet de mieux observer notre propre performance, comme comme quand on regarde un acteur sur une scène ( et cet acteur c'est nous), et de repérer objectivement ce que l'on doit améliorer.

Autre avantage d'être au clair avec le rôle, c'est de prendre conscience que l'on est une partie d'un tout plus vaste : le bon acteur n'est pas celui qui réalise une prestation tout seul, qui veut faire la vedette; non, c'est celui qui sait comprendre et apprécier les rôles complémentaires autour de lui, ceux qui permettent d'exécuter la meilleure performance ensemble. Celui qui réussit, c'est celui qui sait voir toutes les interconnections entre les rôles, pour créer une équipe unifiée.Cela permet aussi de changer les rôles, d'imaginer de nouveaux rôles pour certains collaborateurs, car les personnalités n'ont jamais fini de se révéler et c'est en variant les rôles et en imaginant de nouvelles connections que chacun développe, aussi, ses qualités et performances.

Autre qualité liée à cette "mindfulness", la capacité à diriger à partir du siège arrière, c'est à dire laisser les autres prendre le volant, prendre le risque; sans lâcher pour autant notre rôle de leader, mais en l'exerçant d'une autre façon ( pas toujours facile d'ailleurs de bien doser entre ce qu'il faut lâcher et ce qu'il faut apporter).

Être un bon acteur de notre leadership, de notre style de management, pouvoir exercer les rôles que nous choisissons au top, sans " s'y croire", ni agacer son entourage, voilà de quoi fair son propre festival.

Pour être le meilleur acteur de soi-même, et permettre à nos équipes de réussir la meilleure performance, pas besoin d'aller monter les marches à Cannes.

Le festival est dans le quotidien de nos entreprises.

Alors, courage ( car il en faut pour être bon acteur plutôt que cabotin).

Ne décevons-pas notre public.


Comment être sage ?

WiseleaderEst-ce à cause des communicants, ou grâce à eux ? Les dirigeants, les politiques donnent l'impression de jouer des personnages au lieu d'être ce qu'ils sont vraiment.

Avec des "fiches", des "éléments de langage", les discours semblent comme irréels, comme ventriloqués par ceux qui les ont rédigés pour ceux qui nous les récitent.

C'est ce que nous dit Alexandre Jardin, dans une chronique du nouveau journal de Nicolas Beytout, " L'Opinion" vendredi dernier.

Alexandre Jardin s'en prend particulièrement à François Hollande, dont il veut voir " une différence de nature entre être président et occuper le fauteuil". Mais de manière plus générale, il dénonce tous ceux qui, accoutumés "depuis longtemps à prononcer des mots qui ne sont pas les siens", ne gouvernent plus le réel. " Sans leaders intenséments réels, pas d'action réelle". Les discours "plaqués" sont "inaudibles".

Mais être "soi-même" n'est-ce pas trop dangeureux? Et ça veut dire quoi ? Vaut-il mieux bien se tenir ou lancer " Casse-toi pauv' con" ?

Le nouveau livre de Navi Radjou ( dont j'ai déjà parlé de son livre "Jugaad Innovation" ICI et ICI), qu'il co-écrit avec Prasad Kaipa, est précisément consacré à ce type de leader qu'il appelle "wise" : le livre a pour titre " From smart to wise" : L'argument, et là-dessus Alexandre Jardin serait d'accord, est que nous avons aujourd'hui besoin de ces "wise leaders", et non plus seulement de "smart leaders".

Le "smart leader", c'est le bon manager, intelligent, stratège, qui connait le succés et fait tourner le business et les affaires. Le petit "+" du "wise leader", car pour Navi Radjou il ne s'agit bien sûr pas de perdre les qualités de "smart leader", c'est l'ouverture aux autres, au monde. C'est une forme de sagesse, comme celle du hibou, qui fait prendre du recul, qui rend capable de porter un regard sur le monde avec plus de perspective; quelque chose de moins auto-centré sur soi-même, et son propre succès; c'est une forme de générosité.

On a déjà lu tout ça dans de nombreux articles et ouvrages, et cela me rappelle ma rencontre avec le dirigeant de Michelin et Bernard Bougon, lorsque nous parlions de respect, et de "passer de la volonté d'agir "pour soi" à la volonté de bien agir "en soi".

Ce qui est intéressant dans le livre de Navi et Prasad, c'est qu'il fournit un questionnaire d'auto-évaluation de notre propre degré de "wise" pour nous-même, que l'on peut remplir en ligen sur le site internet du livre ( ICI), et qu'ensuite chaque chapitre est consacré à une des qualités à développer pour être ce "wise leader". Il y en a six en tout.

Toutes ces qualités trouvent souvent leur source dans les traditions spirituelles et religieuses, les auteurs ne s'en cachent pas, et pas seulement dans les traditions indiennes.

Ces six qualités sont :

1. Perspective : capacité à voir au-delà des intérêts personnels et immédiats; qualité de connaître son désir profond, ce qui nous fait vraiment bouger ( la cause de la cause de la cause...);

2. Action orientation : capacaité à agir en cohérence avec son "étoile du Nord", celle qui nous guide et nous fait faire les bons choix;

3. Role clarity : choisir son "rôle" , l'assumer; mais sans perdre le sens de qui on est vraiment derrière ce rôle;Un leader "clair" peut passer d'un rôle à l'autre; il n'est jamais prisonnier d'un personnage; car le "wise leader" sait qu'il est toujours plus que son rôle;

4. Decision logic : Connaître le cadre dans lequel nous décidons en tant que leader; c'est cette capacité à décider avec discernement ( tiens, comme Saint ignace de Loyola, dont j'ai aussi parlé ICI);

5. Fortitude : savoir quand est-ce qu'il faut tenir, et quand est-ce qu'il faut lâcher; notamment dans les crises, comment ne pas s'acharner à échouer...

6. Motivation : qu'est ce qui nous motive? Le "wise leader" est celui qui agit en allant au-delà de son propre intérêt, qui veut servir un propos "noble", et veut contribuer à une plus large communauté.

Tous ces principes ont l'air évidents; c'est justement ce qui les rend forts. Ils font appel à nos valeurs de courage, d'altruisme, de respect; Cela ne peut pas faire de mal, quel que soit notre style de leadership.

Être sage en six principes : il est sage d'essayer...


Comment faire confiance à la confiance?

Confiance2La confiance, on la veut tous, celle des autres, celle en moi; au gouvernement en ce moment, on cherche celle qu'on a perdu...

Mais, c'est quoi exactement qui fait la confiance?

La transparence, les contrôles, les contrats ?

Ou bien est-ce une émotion particulière qui relève des relations interpersonnelles?

C'est le sujet de la chronique de ce mois-ci dans "Envie d'Entreprendre".

Il suffit d'avoir confiance pour s'y rendre...en toute confiance, ICI.


Quitter, est-ce déserter?

FuiteJ'ai eu peur....

Une table voisine dans un restaurant, un couple (légitime? ou non ?), plus trés jeune, une bonne bouteille de vin; genre gourmets. Ils trouvent utile de me dire en quittant la table qu'ils vont quitter la France, c'était genre leur dernier repas en France ( ça m'a fait tout d'un coup penser au suicide de Stefan Zweig au Brésil - voir ICI).en 1942. Je ne sais pas trop quoi leur répondre, je n'ai pas envie de discuter...Cela me met mal à l'aise.

Autre lieu, celui des Matins HEC; nous recevons Geoffroy Roux de Bézieux, que j'avais accueilli au collège des Bernardins pour parler des entrepreneurs, ICI. Pour lui, ceux qui partent, il les comprend; mais ce sont des "déserteurs" ; lui, il choisit plutôt de combattre, de s'engager, c'est comme ça qu'il explique son envie de devenir le Président du MEDEF.

Et puis, pour en rajouter, je parle avec un jeune; il a à peine plus de dix-huit ans; il est déjà convaincu : à quoi bon rester en France, la croissance et la richesse dans le monde ne sont plus en France, et surtout pas pour lui; lui, il veut aller à Singapour, ou en Corée...Même les diplômes français ne l'excitent pas car qui connait l'ENA, HEC ou l'X en-dehors de France?

Cruauté de ces rencontres; et aussi ce sentiment que l'on est en train de changer d'époque et sûrement de civilisation...Et pourquoi cette désertion, cette perte de confiance, pour la France. Comme une Ombre, voir ICI.

Nous ne nous  apercevons pas complètement de ce changement, surtout ceux qui ne voyagent pas.

Forcément, on se demande si il faut résister ou déserter.

Et ce choix redonne de la noblesse à ceux qui s'engagent.

Alors?


Halo Halo

FeuJ'avais déjà parlé de cet "effet Halo', ainsi dénommé par Phil Rosenzweig. Cela m'avait valu un petit échange de commentaires avec un journaliste en plein effet Halo inconsciemment.

De quoi s'agit-il ?

Cela consiste à rechercher a posteriori les origines d'un phénomène (succès, échec, écvènement) dans des critères, ou des causes, qui sont justement choisis, de manière sélective, pour expliquer le phénomène.

 On connaît ce phénomène dans nos entreprises, où l'on cherche toujours les critères qui ont fait réussir, pour ensuite en faire des causes pour les succés futurs ( cette fameuse obsession du benchmark où l'on recherche les meilleures pratiques pour les copier et obtenir, croît-on, les mêmes succés que ceux que l'on copie). C'est ça, l'effet Halo, et Phil Rosenzweig en parle pour nous dire de nous en méfier. C'est une illusion.

Je vous raconte ça car je trouve dans Le Monde de ce week end une nouvelle dénonciation de cet effet Halo par un professeur de sociologie, Gérald Bronner, spécialiste de la sociologie des croyances collectives. Et pour illustrer l'effet en question, il évoque "l'affaire Cahuzac".

Dans cette "affaire", ce qu'il soulève, ce ne sont pas les faits en eux-mêmes, mais l'interprétation, notamment par les médias, les politques, et, par contagion, les citoyens, que l'affaire est une révélation de l'immoralité du politique en général. En mettant les unes à côté des autres des informations choisies dans l'actualité, on ne peut que partager la conclusion que l'on cherche à nous faire avaler : tous pourris !

Selon Gérard Bronner, ce sont la disponibilité et la massification de l'information, notamment grâce à internet, qui permettent de faire tous les assemblages possibles de laisser imaginer que toutes ces informations sont liées, qu'il y a derrière ça une sorte de complot, ou l'oeuvre d'une corruption générale du politique,et quelqu'un de secret qui tient toutes les ficelles de l'ensemble. Et voilà comment nous tombons victimes de ce désordre psychologique qu'est "l'effet halo".

 Tiens, un bon exemple le tweet de christine Boutin récemment, une merveille d'effet Halo :

" Mariage gay? Tout s'explique! Le trésorier de François Hollande, qui aurait des comptes aux îles Caïman, est aussi le directeur du magazine Têtu".

Tout s'explique, rien du tout...mais on voit bien où elle veut en venir...

Ainsi, cet "effet" a tendance, pour ceux qui en sont victimes (la plupart d'entre nous selon Gérald), à leur faire considérer que l'attitude de suspicion, d'accusation, de défiance, sont des manifestations de notre intelligence, de notre "esprit critique", et non de notre délire. D'où tous ces "donneurs d'alertes" qui se répandent dans les médias pour nous "avertir", nous "prévenir" de tout un tas de menaces parfois complètement débiles, mais qui sont parfois mieux crues que des paroles d'experts ou scientifiques que l'on n'écoute pas (car, forcément, ils sont dans le complot, et il vaut mieux s'en méfier) : on nous alerte contre l'air que l'on respire, contre ce que nous mangeons, contre la science, contre les versions officielles d'évènements dont on nous "cache" la vraie version (le 11 septembre par exemple).

Avec tout cela, on assiste à un embouteillage des craintes, qui nous tombent dessus chaque jour, en temps réel, sur internet, sur Twitter, dans les réseaux sociaux, alors que le temps pour démentir, pour avoir la vérité scientifique ou la réponse judiciaire, est, lui, trop long.Comme le rearque gérald Bronner :

" Les arguments du soupçon sont beaucoup plus aisés à produire et rapides à diffuser que ceux qui permettent de renouer le fil d'une confiance si nécessaire à la vie démocratique".

Il reprend ces arguments dans l'ouvrage qu'il vient de sortir, au titre éloquent : " La démocratie des crédules". 

La thèse est que l'avalanche d'informations qui s'abat sur nous au quotidien nous donne l'impression d'une complication galopante et angoissante de notre monde.Au point que personne, même de façon superficielle, ne peut apréhender l'ensemble des sujets. On doit donc choisir et porter notre confiance vers ceux qui nous expliquent les informations que nous ne pouvons nous-mêmes pas connaître ou comprendre sur le fond. Et cela nous rend plus vulnérables pour écouter ceux qui voient des complots partout.Au point d'oublier le "cimetière des suspicions infondées", et ne retenir que celles qui sont justifiées et touchent leur cible.

D'où le danger, par exemple, avec l' "affaire Cahuzac", de donner trop d'importance à ceux qui veulent l'instrumentaliser pour poursuivre leur oeuvre de description du monde avec l'imagination du pire et du "complot", et en font un peu trop.

Ces phénomènes ne sont probablement pas réservés aux médias et aux sujets politiques.

Le déluge informationnel peut nous rendre paranos, et endormir notre vigilance.

Alors quand on nous parle, qu'on nous informe, qu'on nous explique les complots,peut-être est-il parfois nécessaire de prendre un peu de hauteur : Non, mais Halo, quoi?