Idée d'entrepreneur pour monter une boîte dans le web : une plateforme ! Cela a l'air tellement simple.
C'est le truc du moment. Une plateforme c'est un site qui permet de mettre en relation des offreurs et des demandeurs. C'est des chambres et appartements comme AirBnB, c'est Uber, c'est eBay, c'est le covoiturage de BlaBlaCar,etc... Forcément ça attire les entrepreneurs.Le principe est tout simple : la plateforme met en relation des producteurs, ceux qui vont constituer l'offre de la plateforme, et des consommateurs, ceux qui vont acheter ou utiliser cette offre. Le propriétaire de la plateforme va se prendre des commissions lors de la transaction. Ce qui fait la force de la plateforme, c'est la communauté des offreurs et des acheteurs.
Cela a l'air simple, mais pas vraiment.
C'est un peu le dilemme de la poule et de l’œuf : pour atteindre une masse suffisante d'acheteurs il faut une masse critique de vendeurs-offreurs, mais pour attirer les offreurs-vendeurs il faut de nombreux acheteurs.Mais cela ne suffit pas.
Andrei Hagiu, professeur à Harvard, et Simon Rothman, venture capitalist, ont publié dans le numéro de HBR d'Avril 2016 un article qui tente d'éviter à tous ceux qui veulent monter une plateforme les erreurs qu'ils ont constatées en observant ce business. Cela vaut la peine d'y aller voir. L'article titre : " Network effects aren(t enogh - The hidden traps in building an online marketplace".
Conseil numéro 1 : Croissance, ne cherchez pas à aller trop vite
Quand la plateforme tourne bien, avec de nombreuses transactions, cela crée bien sûr une barrière à l'entrée pour ceux qui voudraient la copier car, une fois que les acheteurs et les vendeurs sont habitués à une plateforme, il ne sera pas facile de les faire changer pour une autre qui ferait la même chose.
C'est pourquoi les entrepreneurs qui montent des plateformes veulent toujours aller le plus vite possible.
Pourtant cela peut être dangereux.
Si le modèle b'est pas super calé, et fluide, ça ne sert à rien d'être le premier. Les exemples sont là pour le montrer : Airbnb est apparu dix ans après la plateforme VRBO qui faisait à peu près la même chose (et existe encore avec un modèle un peu différent). UberX a copié le modèle de taxi peer-to-peer de Lyft.
En fait pour fidéliser les premiers clients et offreurs sur la plateforme, il est nécessaire de leurs démontrer la vraie valeur qu'elle apporte, et de bien affiner le modèle et la proposition de valeur; sinon une nouvelle plateforme qui fait la même chose n'aura aucun mal à détourner les clients, même en arrivant après. Pour conserver l'avantage, ou le créer si on n'est pas le premier, il faut veiller à ce que les acheteurs aient accès aux bons produits ou services qu'ils cherchent, à un bon prix, et que les offreurs et vendeurs y trouvent aussi un intérêt et des profits suffisants.
Donc, le conseil des auteurs est de nous attacher à cette qualité du service, plutôt qu'à chasser tous azimuts et avec des dépenses de publicité des clients et offreurs qui quitteront vite votre affaire si le service est trop mal foutu.
Cela oblige aussi à ne pas lancer trop d'offres tant que les premières ne sont pas impeccables. Ainsi Airbnb a mis deux ans à préciser son offre; au début c'était de proposer un canapé et un petit déjeuner chez soi pour héberger un touriste.
Conseil numéro 2 : Ne négligez pas la confiance et la sécurité
Dans une plateforme, on met en relation des acheteurs et des vendeurs, mais on ne maîtrise pas la qualité et la sécurité de la prestation qui est échangée. D'où l'idée de mettre en place des mécanismes pour donner des garanties. On appelle ça les "R&R systems" : Ratings-and-Reviews systems. Cela consiste à faire noter la prestation, dans les deux sens, par les utilisateurs.
En fait, ce système, bien que général, ne suffit pas à garantir la sécurité et la confiance, et comporte même de nombreux biais.
Les auteurs indiquent que les utilisateurs qui vont venir noter un produit ou un service vont généralement se montrer exagérément contents ou exagérément insatisfaits. Les acheteurs ont souvent envie d'être sympas, certains ayant peur que, si ils ne le sont pas assez, les vendeurs les harcèlent par mail. Concernant les acheteurs insatisfaits, ils ne vont tout simplement pas revenir, et ne vont pas se fatiguer à laisser un plus une note ou un commentaire. Ou alors ils vont laisser un commentaire comique.
Conclusion : il faut trouver d'autres systèmes pour garantir la confiance que ces R&R.
Des exemples : Upwork, plateforme pour trouver des freelances, a développé des tests de certification qu'il décerne aux contractants, garantissant ainsi aux acheteurs que les travailleurs qu'ils emploient sont vraiment compétents. D'autres prévoient des dispositifs de recours : Airbnb conserve le montant payé par l'acheteur pendant 24 heures après le check-in du voyageur, ce qui permet de ne pas faire la transaction si il y a un problème sur l'appartement loué.
A chacun de trouver le bon truc...
Conseil numéro 3 : Risque de désintermédiation : préférez la carotte au bâton
De nombreux entrepreneurs de plateforme craignent la désintermédiation: une fois que l'acheteur et le vendeur se connaissent, ils peuvent continuer à traiter ensemble, sans passer par la plateforme.
Généralement, les opérateurs de plateforme essayent de se protéger par la menace (le bâton) : suspension du compte pour le fraudeur, pénalités,...
Selon les auteurs, il vaut mieux rechercher des ps de fidélisation (carotte) pour traiter ce sujet : garantir une sécurité de la transaction, faciliter le confort de la recherche, donner de la valeur ajoutée qui fera accepter le coût de la transaction, plutôt que de chercher à s'en dispenser.
Conseil numéro 4 : Réglementation : Ni en avoir peur, ni l'ignorer
Ce qui peut poser problème dans ces nouveaux modèles, c'est la réglementation. Dans une plateforme qui propose des employés, le risque de voir les transactions requalifiées en contrat de travail existe, par exemple. On a d'ailleurs vu le cas pour les chauffeurs de VTC.
Ignorer le problème n'est pas la bonne solution. Si les "employés" eux-mêmes, et les médias, s'en mêlent cela peut nuire très vite à la réputation du service de la plateforme. Voir tous ceux qui dénoncent ces pratiques comme de "l'esclavagisme"cette forme de "travail à la demande". Et la législation est toujours en retard sur ces nouveaux modèles.
Les auteurs conseillent plutôt le dialogue avec les régulateurs que l'affrontement. Ainsi on a vu que Airbnb propose de collecter la taxe de séjour sur ses clients, pour se montrer collaboratif. Certaines plateformes ont déjà modifié leur modèle de "travail à la demande" en offrant des contrats de salariés, comme EnjoyTechnology, ou ManagedByQ, plateforme en "Office Management".
De toute façon, préviennent néanmoins les auteurs, il sera impossible de se blinder complètement par rapport à la législation. Et celle-ci va évoluer aussi
Ce que l'on retient de ces quatre conseils c'est finalement ce qui fait le succès de toute entreprise : comprendre mieux que les autres les besoins des clients, de la société, anticiper le futur pour mieux le fabriquer.
Une histoire simple.....