C'est fini, Adam Smith et le libre-échange ?

LibreechangeMario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature 2010, est décédé le 13 avril. La presse en fait la nécrologie et l’éloge. On peut aussi relire (ou lire) ses œuvres, et notamment ‘L’appel de la tribu », dont la traduction française est parue en 2021.

C’est ce que j’ai fait.

Ce livre, comme une autobiographie spirituelle, est un parcours personnel dans les œuvres d’auteurs de la liberté, nourri de réflexions philosophiques et politiques, que Matthieu Laine, dans une tribune parue dans Les Echos, avait qualifié d’ « Olympe libéral ».

Le titre, l’appel de la tribu, fait référence à ce que l’auteur appelle aussi « l’esprit tribal », cette tentation de croire au magma collectiviste, à cette tribu, dont le retour a été incarné par le communisme, qui absorbe l’individu « redevenu partie d’une masse soumise aux ordres du leader, sorte de grand manitou religieux à la parole sacrée, irréfutable comme un axiome, qui ressuscitait les pires formes de la démagogie et le chauvinisme ».

Le premier auteur évoqué dans cet Olympe est Adam Smith. Pas vraiment l’auteur fétiche de Trump en ce moment, puisqu’on le connaît comme l’auteur de « La richesse des nations », ode au marché libre comme moteur du progrès. Le titre complet est d’ailleurs « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations ». Plus facile à lire avec Mario Vargas Llosa, puisque ce livre fait quand même plus de 1000 pages, abordant des thèmes les plus divers, que Mario Vargas Llosa voit comme « un monument à la culture de son temps, témoignage sur ce que signifiait dans le dernier tiers du XVIIIème siècle, la connaissance en matière de politique, d’économie, de philosophie et d’histoire ».

Il est paru pour la première fois en mars 1776, et a fait l’objet de plusieurs rééditions complétées et remaniées.

La découverte avec ce livre devenu célèbre à travers les siècles, c’est que ce ne sont pas l’altruisme et la charité qui sont le moteur du progrès, mais plutôt l’égoïsme. On connaît cette citation sans avoir ouvert le livre (voire certains ne connaissent que ça) :

« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, mais de leur avantage ».

Ce qui caractérise la thèse d’Adam Smith, c’est la liberté : liberté de commercer, d’intervenir sur le marché comme producteur et comme consommateur, à égalité de condition face à la loi, liberté de signer des contrats, d’exporter et d’importer, de s’associer et de créer des entreprises.

Le marché a incontestablement cette froideur, qui récompense le succès et châtie l’échec.

Mais, comme le souligne Mario Vargas Llosa, « Adam Smith n’était pas cet être cérébral et déshumanisé à travers qui ses ennemis attaquent le libéralisme. Au contraire, il était sensible à l’horreur de la pauvreté et croyait à l’égalité des chances, même s’il n’employa jamais cette expression. C’est pourquoi il affirmait que, pour contrecarrer l’état d’ignorance et de stupidité que les tâches répétitives pouvaient engendrer chez les travailleurs, l’éducation était indispensable et devait être financée, pour ceux qui ne pouvaient en assumer le coût, par l’Etat ou la société civile. Il favorisait aussi la compétition dans l’éducation et défendait une éducation publique à côté de l’éducation privée ».

Il ne connaissait pas encore l’intelligence artificielle et ChatGPT…

Sa critique porte aussi sur l’interventionnisme d’Etat, et sur les « gaspillages et dépenses inutiles causés par les rois et les ministres, appauvrissant ainsi l’ensemble de la société ». Il serait encore plus étonné aujourd'hui, peut-être.

Et inversement il fait l’éloge d’une société où l’Etat est réduit et fonctionnel, car il laisse les citoyens travailler et la richesse croître au bénéfice de la société tout entière.

Louange aussi de l’entrepreneur, relevé par Mario Vargas Llosa : « L’entrepreneur doit toujours donner l’exemple à ceux qu’il emploie », et citant Adam Smith : « Si le maître est économe et rangé, il y a beaucoup à parier que l’ouvrier le sera aussi ; mais s’il est sans ordre et sans conduite, le compagnon habitué à modeler son ouvrage sur le dessin que lui prescrit son maître, modèlera aussi son genre de vie sur l’exemple que celui-ci lui met sous les yeux ».

On comprend toute l’admiration que Mario Vargas Llosa voue à Adam Smith, même si les idées exprimées datent forcément un peu, mais ces idées ont influencé à son époque tout l’Occident.

« Nombre de ces idées, nées au XVIIIème siècle, renvoient à une réalité sociale qui a énormément changé si on la compare à la nôtre. Mais il n’est pas extravagant de dire que ces changements sont dus en grande partie aux découvertes et aux idées exposées pour la première fois dans ce livre capital ».

Mais alors, aujourd’hui, où en est-on ? Car la liberté du commerce, avec les batailles de droits de douane de Trump, elle paraît loin, non ?

Est-on passé à un nouveau capitalisme ?

Justement, Eugénie Bastié fait aujourd’hui (17 avril) dans Le Figaro une recension de l’ouvrage d’Arnaud Orain, « Le monde confisqué. Essai sur le capitalisme de la finitude (XVIème-XXIème siècle).

C’est quoi ce capitalisme de la finitude ?

Lisons Eugénie Bastié et Arnaud Orain : « Le libre-échange cède la place à une conception autarcique de l’économie et à une course à l’accaparement des richesses, le dogme de la concurrence au retour des monopoles privés devenus des compagnies-Etats, le capitalisme financier au capitalisme marchand ».

Le slogan du capitalisme de la finitude, c’est « Il n’y en aura pas pour tout le monde ».

« Contrairement à l’utopie libérale d’un enrichissement mutuel par le libre-échange et le doux commerce, le capitalisme de la finitude postule que l’économie est un jeu à somme nulle, que le monde est fini ou finissant et qu’il faut s’accaparer le plus vite possible de ce qui peut l’être ».

Paradoxalement, selon l’auteur, ce seraient les mouvements écologistes, ceux qui ont mis en avant depuis les années 70 la finitude des ressources, qui auraient précipité cette « course à la saisie », en généralisant l’angoisse de la limite.

Nous serions passé de la logique de l’abondance à la logique de la puissance. La concurrence disparaît avec le retour des grandes compagnies-Etats à tendance monopolistiques. Après les compagnies des Indes hier, ce sont aujourd’hui les Gafam. L’article rappelle que Google couvre 90% du marché des moteurs de recherche, et Amazon 40% du commerce en ligne. C’est J.D Vance, vice-Président de Trump, qui a déclaré que l’idéologie de la concurrence serait hostile au capitalisme, en éliminant la possibilité des bénéfices.

Autre impact de ce capitalisme de la finitude, le retour des marchands sur les industriels : « Symbole frappant : en France, à Denain, en 2022, un ancien site sidérurgique a été reconverti en entrepôts de 100.000 mètres carrés pour Amazon. Le cœur battant du capitalisme de la finitude, c’est le système des entrepôts. Les marchands règnent en lieu et place des industriels ».

Mais alors, l’Europe ?

Condamnée sans appel : « Dans cette configuration schmittienne du monde, où le conflit l’emporte sur la coopération, l’Union Européenne est complètement larguée. Elle s’entête seule dans un respect scrupuleux du libre-échange obsolète. Ainsi, alors que les Etats-Unis sont devenus une économie de monopoles et que la Chine enchaîne les mégafusions, l’Europe a interdit en 2019 la fusion Alstom Siemens au nom du dogme de la concurrence. Même les populistes européens sont ringards, nous dit Orain, s’entêtant dans des conceptions souverainistes étriquées, au lieu de pousser à la constitution de méga-compagnies européennes ».

Voilà un auteur que Mario Vargas Llosa n’aurait sûrement pas mis dans son Olympe…

Doit-on oublier Adam Smith ?

Ou le lire et relire ?

Ou bien passer à Arnaud Orain (il ne fait que 368 pages celui-là) ?


Révolution blanche

BlancQuand on observe les tendances qui font la mode, il y a des indices qui nous alertent que quelque chose se passe. Et cela constitue des signaux faibles pour ceux qui veulent toujours s’adapter.

Ainsi l’année 2023 est celle où, pour la première fois dans l’histoire, la production de vins blancs est passée devant celle des rouges en France.

Alors, forcément, les producteurs de vins rouges s’en sont ému, et se sont mis à réfléchir à planter des cépages blancs à la place des noirs.

C’était l’objet d’un dossier très documenté du Monde du samedi 1er mars.

Les chiffres parlent : Selon la direction générale des douanes et droits indirects, le blanc a représenté en 2023 13,5 millions d’hectolitres, en hausse de 10% par rapport à 2022, alors que la production de rouges a, elle, reculé de 11% à 12,8 millions d’hectolitres.

Mais la transition devrait prendre du temps car pour le moment les vignes plantées en raisins rouges font 65%, contre 35% pour les blancs (les vins rosés sont aussi faits avec des cépages rouges).

Et puis, ce qui prend du temps, c’est aussi le temps de développement (une vigne prend quatre ans au minimum avant de donner des fruits), et aussi l’enregistrement à l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité).

C’est le genre de tendance que l’entreprise doit avoir anticipé le plus tôt possible.

D’ailleurs cette tendance pour les vins blancs ne date pas de 2023, et était déjà constatée dans les modes de vie et de consommation, notamment ceux des nouvelles générations.

Les études ont montré une tendance de consommation de vins plus légers et rafraîchissants, moins tanniques et moins alcoolisés. Ce sont les 18 – 39 ans qui marquent cette préférence pour les bouteilles à 12° plutôt qu’à 14°. Et puis, autre phénomène, les réseaux sociaux qui influencent aussi en popularisant le verre de rosé ou de blanc en terrasse.

En perte de vitesse, les vins bien lourds pour les repas de fête ou en famille. On préfère les apéritifs informels entre copains, et moins au restaurant, et plus au bar, moins en mangeant et plus en grignotant. Là encore, de quoi donner des idées pour de nouveaux styles d’établissements.

Autre phénomène, c’est l’évolution du vocabulaire du vin lui-même. Le critique américain Kermit Lynch, cité par le dossier du Monde, fait remarquer que, dans les années 70, le vin était surtout comparé à un homme, on parlait de sa puissance ; et maintenant on y trouve des notes de fruits ou de fleurs. Ce qui indique l'influence des femmes, et il y a de plus en plus de vignerons qui sont des vigneronnes.

Alors, les vignerons sont à l’œuvre. On va bientôt pouvoir déguster des Médoc blancs (L’INAO a donné son accord en 2023, pour un dossier déposé en 2019, et on attend encore la décision du ministère de l’Agriculture). Il y avait déjà des médocs blancs, mais en vins de France. Là on va avoir des AOC.

Même chose en Corbières (les surfaces consacrées aux cépages rouges ont chuté de 28% en dix ans), où l’on arrache les vignes en rouge pour planter des cépages pour les blancs. Idem à Rasteau, en Beaujolais ou en Minervois.

C’est ce qu’on appelle déjà une révolution blanche.

Il y a des révolutions plus agréables que d'autres...


Sommes nous revenus à l'Ancien Régime ?

FolieC’est Marx qui prophétisait l’inéluctable déclin du capitalisme.

On en est encore loin, et celui-ci est encore bien vivant. Mais il a changé.

Au point que certains voient dans le nouveau capitalisme, celui en recomposition depuis les années 80 en France, le retour de mœurs de l’Ancien Régime en France.

Diable !

C’est la thèse Pierre Vermeren, docteur en histoire et normalien agrégé, qu’il exposait dans une récente tribune du Figaro.

L’Ancien Régime, c’est l’empire d’une économie de rente : « Hormis les monopoles coloniaux et les manufactures, sa grande affaire était non l’exploitation de la terre par les masses paysannes (plus de 8 Français sur 10), mais les rentes qu’on pouvait en tirer : droits seigneuriaux, impôts directs et indirects, dîme etc ».

C’est cette époque de l’affermage, où le Roi pouvait déléguer par bail unique à un particulier, pour une durée limitée, le droit de recouvrer un impôt et d’en conserver le produit. Ce système de rentes a perduré dans la France des XVIIème et XVIIIème siècles.

Autre système de la Monarchie, les charges viagères, ces offices (fonctions militaires, de finance ou de magistrature) que pouvaient acheter les agents royaux et en disposer à leur guise contre un paiement forfaitaire.

Quel rapport avec le capitalisme en France d’aujourd’hui ?

Ce qui forge les nouvelles rentes d’aujourd’hui, ce sont notamment les oligopoles dans le BTP et les services en réseau à qui la commande publique s’adresse par endettement, soutenu par les banques qui financent cette dette publique. Ce système de dépenses publiques infinies se déploie pendant que le secteur économique indépendant « s’asphyxie » : « l’agriculture, l’artisanat, l’industrie et le commerce s’étiolent. 2024 est l’année record des défaillances d’entreprises ».

Dans ce capitalisme, « les banques préfèrent les bons d’Etat (qui financent la dette) aux prêts aux entreprises, qui rapportent d’aléatoires dividendes ».

C’est comme cela que les acteurs publics surinvestissent dans des équipements à crédit qui font tourner l’économie locale des entreprises du BTP, avec les ronds-points, les poubelles enterrées, les mobiliers urbains, les stations solaires, etc. Un des chefs-d’œuvre de cette rente constituée concerne les autoroutes privatisées. Dans cette économie qui a « renoncé à produire », la rente est tout : « péages et restaurants d’autoroutes, toilettes urbaines, panneaux publicitaires, centres commerciaux des gares et des banlieues, niches comme les pompes funèbres ou la viande halal », mais aussi « construction des HLM, des pavillons, des prisons, des collèges, des éoliennes et champs de panneaux solaires, rénovation thermique du bâti public et privé ».

Autres agents royaux qui profitent du système en faisant la roue autour des projets qui coûtent et qui dérapent toujours dans un Etat suradministré, les juristes, consultants, communicants et agences de tous poils, ceux qui ne survivent que des faveurs de l'argent public, en flattant les donneurs d'ordre.

Ce qui vient encore plus encourager cette tendance, c’est bien sûr le développement des normes publiques (bilan thermique, contrôle technique, glissières d’autoroutes, ascenseurs obligatoires, isolants phoniques, autant de sollicitations qui viennent gonfler la commande publique et les carnets de commande des nouveaux agents royaux. Pendant que ces normes asphyxient plus encore l’initiative privée et la libre concurrence.

Et pendant que se développait ce capitalisme de l’achat public, et de ses conséquences directes et indirectes, financé par la dette, nous avons technologiquement décroché, et « l’enrichissement par la rente d’une génération a obéré l’avenir du pays ».

La conclusion n’est pas très optimiste :

« En restant dans la compétition industrielle mondiale et en développant l’informatique, les autoroutes de l’information, et la net-économie, nous aurions obtenu une profitabilité très supérieure ». 

En gros notre production s’est effondrée et nous vivons à crédit et endettés.

Pas simple de s’en sortir, d’autant que « comme à la fin de l’Ancien Régime, la violence menace ».

Pourra-t-on reprendre la main sur l'Intelligence Artificielle, comme voudrait le croire le sommet sur le sujet en ce moment ?

On va reparler de révolution ?

Ou de nouveaux choix de société guidés par un renouveau du libéralisme, le vrai, celui de la liberté ?


Le véritable symbole du libéralisme économique

KalaaaC'est ainsi que nomme Roberto Saviano, dans son livre sur l'archéologie de la mafia de Naples, la camorra, "Gomorra", paru en 2006, un objet bien connu de celle-ci, une véritable icône. 

Cet objet est une arme tristement célèbre, la Kalachnikov, l'AK-47, la plus répandue. L'auteur y consacre tout un chapitre.

Mais pourquoi serait-ce un véritable symbole du libéralisme économique ?

"Grâce à son invention, Mikhaïl Kalachnikov a permis à tous les groupes petits et grands luttant pour le pouvoir de se doter d'une arme. Kalachnikov a fait un geste en faveur de l'égalité : des armes pour chacun, des massacres pour tous. La guerre n'est plus réservée aux armées".

L'inventeur avait inventé cette arme pour armer les forces armées de l'URSS, avec la conviction d'œuvrer pour la défense de sa patrie, au service du pouvoir. 

"Avant de prendre sa retraite de général de corps d'armée, il touchait un salaire fixe de cinq cents roubles, soit à l'époque environ cinq cents dollars par mois. Si Kalachnikov avait eu la possibilité de faire breveter son arme à l'ouest, aujourd'hui il serait sans nul doute un des hommes les plus riches de la planète". (Kalachnikov est décédé en 2013, à l'âge de 94 ans). 

"On estime que plus de cent cinquante millions d'armes de la famille des Kalachnikov ont été produites à partir du projet d'origine du général".

 L'histoire de cette arme se lit comme un cours de capitalisme libéral, dans sa version illicite et sans morale.

Car le produit a connu son succès grâce au génie de sa conception : il permet de tirer dans les situations les plus variées; il ne s'enraie pas, fonctionne même couvert de terre, même plein d'eau, et s'empoigne facilement. Sa détente est si souple, nous dit Roberto Saviano, "qu'elle peut être pressée par un enfant".

Et mieux encore : "Simple à utiliser, facile à transporter, il est si efficace qu'on n'a pas besoin d'entraînement". C'est le redoutable président congolais Kabila qui aurait dit à son propos : "Il peut transformer même un singe en combattant".

C'est ainsi qu'au cours des dernières décennies, les armées de plus de cinquante pays ont utilisé la Kalachnikov comme fusil d'assaut. Plus de cinquante armées régulières sont équipées de Kalachnikov, et bien sûr il est aussi impossible d'énumérer les groupes clandestins, paramilitaires et de guérilleros qui l'utilisent. Et sans compter tous les terroristes, et auteurs d'attentats et de crimes, qui ont continué encore après l'année du livre de Roberto Saviano. 

Et ce qui a fait aussi sa notoriété, c'est son prix très compétitif, y compris dans les échanges illégaux par les criminels. Cette arme est aussi devenue un indice pour évaluer la situation des droits de l'homme : "Moins elle est chère et plus les droits de l'homme sont bafoués, l'Etat de droit gangréné, tout ce qui favorise les équilibres sociaux miné et sur le point de s'écrouler. En Afrique de l'Ouest, ce prix peut descendre jusqu'à cinquante dollars. Au Yemen, on peut même trouver des fusils AK-47 d'occasion achetés et revendus plusieurs fois, à six dollars".

Forcément, dans la mesure où elle détient une part importante du marché international des armes, la camorra fixe le prix des Kalachnikov, devenant ainsi, indirectement, l'instance qui évalue l'état de santé des droits de l'homme dans le monde occidental.

Et puis, en bon capitaliste détenteur d'une marque mondialement célèbre, le général Kalachnikov est devenu un entrepreneur à succès. C'est comme cela qu'un homme d'affaires allemand crée une marque de vêtements signés Kalachnikov. Le général a aussi une bouteille de verre remplie de vodka, avec un bouchon en forme de canon.

Et le résultat est impressionnant : "La Kalachnikov a tué plus que les bombes atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki, plus que le virus HIV, plus que la peste bubonique, plus que la malaria, plus que tous les attentats commis par les fondamentalistes islamistes, plus que tous les tremblements de terre réunis. Une quantité colossale inimaginable de chair humaine. Seul un publicitaire parvint à en donner une idée convaincante : lors d'un congrès, il suggéra de prendre une bouteille et de la remplir de sucre en poudre. Chaque grain de sucre était un mort tué par la Kalachnikov".

Et puis le général Kalachnikov qui considère que ce n'est pas son problème : Chacun n'est responsable que de son corps et de ses gestes; seul ce que ma main a fait relève de ma conscience morale. Ce général porte en lui l'impératif quotidien de l'homme au temps du marché : fais ce que tu dois faire pour gagner, le reste ne te concerne pas.

Un véritable symbole, en effet.


Les loisirs vont-ils disparaître ?

Temps-libreOn distingue généralement la vie professionnelle et la vie personnelle. Et nombreux sont ceux qui sont attentifs à ce qu’il existe un bon équilibre entre les deux, pour ne pas voir sa vie personnelle mangée ou annihilée par les occupations professionnelles.

La vie professionnelle, c’est celle où l’on travaille, en échange d’un salaire, ou, pour l’entrepreneur, celle où l’on s’occupe des clients et du chiffre d’affaires.

A l’inverse, la vie personnelle, c’est celle de nos loisirs et de nos hobbies, celle où l’on ne parle pas d’argent, où l’on consomme pour le plaisir. Je peux faire du bricolage, la cuisine, faire les boutiques pour acheter les vêtements qui me plaisent.

Mais voilà, une nouvelle tendance est maintenant apparue, surtout parmi les jeunes générations, qui consiste à monétiser ses hobbies et ses projets personnels, que les anglo-saxons appellent les « side hustle ».

Ce sont les réseaux sociaux qui ont fait naître ces vocations. J’aime la cuisine, alors je fais un site ou une chaîne Youtube pour présenter mes recettes, et par la même occasion, grâce à la fréquentation de ma chaîne, je recueille des revenus publicitaires, je fais la promo de marques, et mon hobby est devenu une source de revenus, je suis moi-même un influenceur.

Même chose avec la mode, les voyages, l’artisanat, le bricolage, la liste est infinie.

Si j’aime aider mes voisins en faisant leurs courses, il y a un site pour me rémunérer dans ces tâches et trouver de nouveaux « voisins » pour avoir une source de revenus complémentaires.

Déjà BlaBlaCar avait fait de l’autostop un business.

Mais alors si tous mes hobbies deviennent des business, peut-on encore parler de hobbies ? Est-ce que je ne deviens pas un individu qui ne vit que par l’argent et le business, ne laissant plus de place à des occupations gratuites, ou pour me relaxer sans arrière-pensée ?

Si aider mes voisins, cuisiner, acheter des vêtements deviennent des business, reste-t-il de la place pour l’aide gratuite, le plaisir de flâner ou de cuisiner ? Et cela n’est-il pas un danger pour notre vie en société, nos relations humaines étant complètement happées par l’argent ? On devient tous des entrepreneurs de nos hobbies. C’est pourquoi on n’utilise plus le mot « hobby » mais « side hustle », pour bien signifier que je fais de l’argent avec mes projets et hobbies personnels.

Les sociologues s’intéressent à ce phénomène pour tenter d’en analyser les conséquences sociales et économiques.

Je lis ICI que 39% des américains déclarent avoir un « side hustle », et le pourcentage monte à plus de 50% pour les générations Y et Z. Tous ces entrepreneurs en herbe pullulent dans les réseaux sociaux, et même Linkedin.

Des plateformes sont également apparues pour permettre d’y venir monétiser nos hobbies et « side hustle », comme Shopify ou Etsy.

Les entreprises ne voient d’ailleurs pas d’un mauvais œil que leurs employés aient ainsi une seconde vie d’entrepreneurs grâce à ces projets et hobbies monétisés. Ils y voient la marque d’un tempérament d’entrepreneur, qui peut aussi avoir de l’intérêt pour l’entreprise. Et cette passion touche même les étudiants.

Car pour les jeunes générations, cela offre une source de revenus dès leur plus jeune âge, à 15 ou 16 ans, et elles y prennent goût pour toute leur vie, comme une source de revenus complémentaires, voire pour en faire leur business et lancer leur entreprise.

Allons-nous devoir nous habituer à ces pratiques ? Ou nous méfier des risques pour notre société ?

Peut-être, pour trouver les réponses, pouvons-nous en faire un projet et le monétiser sur une plateforme ? Certains y ont peut-être déjà pensé.


Vivre de manière plus authentique : Comment ?

TranshumanceEn ce moment, on parle beaucoup de recherche de sens. Mon travail ne me donne pas de sens, je ne l’aime pas. J’ai besoin d’un chef qui donne du sens et me fait croire à la vision de l’entreprise.

Et si je ne trouve pas ça, je n’y croie plus.

Alors lire les témoignages de ceux qui ont trouvé un sens à ce qu’ils font, c’est encourageant, on croyait qu’ils n’existaient plus.

C’est ce que l’on trouve dans une série de portraits du Figaro Magazine du 23 février, des agricultrices.

Car on apprend dans ce dossier établi par Eric de La Chesnais que, si le nombre de fermes en France est passé de plus de 2 millions en 1960 à moins de 400.000 en 2020, le quart des exploitations françaises sont dirigées par des femmes.

Certaines ont eu la révélation dès leur plus jeune âge, leur avenir s’étant écrit à ce moment. C’est le cas de Bérénice Walton, éleveuse de bovins en Gironde : « Dès que j’ai vu quatre vaches bazardaises rapportées par mon père sur l’exploitation viticole familiale en 2001, j’ai été prise d’une passion pour cette race locale. Ils les avaient achetées pour se diversifier. J’avais 11 ans et ce fut comme une bouffée d’oxygène ».

Mais ils y aussi celles qui ont changé de vie brutalement, en étant attirées par leur parents.

C’est le cas de Noémie Lachenal, qui exploite une bergerie en Haute-Savoie. Elle a commencé par des études de droit et de langues à l’université de Grenoble, mais a délaissé les lettres et le code civil pour le grand air et les animaux, entraînée par son père, salarié dans une société d’économie alpestre en Haute-Savoie, chargée d’assurer la maintenance des équipements dans les alpages, qui lui donne le goût de la transhumance. Elle le confesse au Figaro : « J’ai entamé en 2000, à l’âge de 22 ans, ma vie de bergère ». Et elle avoue : « C’est un choix de vie et un engagement ».

Et il y a aussi celles qui changent d’elles-mêmes, comme Gwendoline Palmer. C’est une « jeune femme urbaine bien installée dans la vie parisienne » qui devient une paysanne modeste en Normandie. Directrice Marketing dans une entreprise familiale elle a une révélation vers trente ans : « Je ne voulais plus de cette vie citadine à cent à l’heure. Je ne voyais pas les saisons passer. Je ne me sentais pas assez utile dans mon travail. J’avais envie de vivre de manière plus authentique avec une activité quotidienne plus concrète. Mon entreprise s’est fait racheter. J’ai profité de cette occasion pour partir vivre au Havre dont j’étais originaire, et j’y ai rencontré mon compagnon Mahdi, ingénieur ». C’est le déclic : « Après une année de réflexion pendant laquelle nous avons profité de faire un stage en permaculture, nous avons décidé de nous former pour nous installer en maraîchage ». Ce qui leur permet aujourd’hui de cultiver des légumes certifiés bio en plein champ ou en serres froides sans pesticides.

Il y a aussi des occasions qui créent un destin. Celui de Mathilde Sainjon qui, à vingt ans, alors étudiante à Tours en philosophie, part garder un troupeau pendant ses vacances d’été : « Je ne retrouvais pas ma place en ville et j’avais une envie de me recentrer ». Elle découvre alors une nouvelle passion pour la montagne, et de fil en aiguille, change de vie pour devenir bergère, elle aussi. « Je me sens libre tous les jours, je n’ai plus l’impression de travailler. La liberté se définit par contrainte. Toujours dehors dans les beaux paysages, je ne m’imagine pas faire autre chose. J’ai besoin d’être avec mes animaux, d’aller à ma cabane l’été. Si je pars une semaine, mon quotidien me manque ».

Alors, vivre de manière plus authentique, se sentir libre tous les jours, une envie de se recentrer ; de bonnes inspirations pour que chacun fasse aussi des choix de vie et un engagement.

Des agricultrices inspirantes.


Un terrain dans le Metaverse

MetaverseterrainLes technologies de l’information, ce sont aussi des technologies de la communication. La promesse initiale de l’internet, et aujourd’hui celle des réseaux sociaux, c’est de pouvoir connecter les gens et pouvoir communiquer facilement et instantanément avec des tas de gens sur la planète. C’est ce qu’on a appelé le « village global ». C’est devenu une habitude normale. Ce que ces technologies ont aussi permis, c’est de créer des communautés, des mondes qui n’existent pas, à partir de rien, en dehors de tout Etat ou structure institutionnelle organisée. Cette promesse, et cette possibilité, est amplifiée avec le metaverse, qui permet de faire exister des plateformes, des espaces, où l’on peut se rencontrer et échanger dans un univers virtuel, comme dans un nouveau monde, avec notre avatar.

Un metaverse qui fait parler de lui en France est The Sandbox, avec la particularité d’avoir été créé par des Français, et dont un des fondateurs, Sébastien Borget, est aujourd’hui le COO.

A l’origine, The Sandbox est un studio de jeu vidéo créé en 2012 (dix ans déjà !). Il permettait aux joueurs de créer leurs propres mondes, et de participer à des challenges. En 2018, The Sandbox est acheté par Animoca Brands, une entreprise de jeu de Hong-Kong. C’est à la suite de cette acquisition qu’est développée la version actuelle de The Sandbox, en s’appuyant sur la cryptomonnaie Ethereum. Ceci permet alors de fournir un environnement virtuel où les joueurs peuvent créer, posséder, et vendre leurs expériences de jeu. Le but de The Sandbox est d’introduire la blockchain dans les jeux, séduisant les joueurs avec les bénéfices apportés par la propriété, la rareté des objets digitaux, les possibilités de monétisation, et l’interopérabilité inter-jeux.

The Sandbox a créé la plateforme permettant aux joueurs et aux créateurs de jeux d’acheter et d’échanger des NFT et actifs numériques, créant aussi un intérêt pour les investisseurs. Elle fonctionne avec une blockchain et cryptomonnaie propre à l’univers, le Sand. En 2019, The Sandbox a levé 2 millions de dollars auprès d’un groupe d’investisseurs, puis 2 millions supplémentaires en 2020, et enfin 93 millions de dollars en 2021, notamment auprès de Softbank.  

Depuis deux ou trois ans, la plateforme a attiré, non seulement des joueurs, mais aussi des marques qui ont acheté des parcelles, avec l’idée de développer de nouvelles expériences pour marketer leurs marques. Le principe est de vendre des « terrains », correspondant à des « tokens », qui représentent un morceau numérique dans la carte de la plateforme. Les joueurs peuvent acheter des « terrains » pour y créer des expériences et des jeux, qui sont les « actifs » du « terrain ». On peut aussi fusionner des « terrains » pour en faire des « estates », qui permettent aux propriétaires d’y créer de plus grandes expériences plus immersives. Le nombre de « terrains » sur The Sandbox est limité à 166.464, chaque « terrain » étant constitué d’une surface de 96*96 mètres. Ces « terrains » peuvent ensuite être commercialisés comme des NFT, sur The Sandbox, ou sur des plateformes externes de vente de NFT (comme OpenSea ou Rarible). Aujourd’hui, 70% des terrains ont déjà été vendus, et The Sandbox prend une commission de 5% sur chaque revente dans le marché secondaire, qui est majoritaire maintenant. Pour comprendre l’engouement du concept, il suffit de noter que la vente primaire de Janvier 2022, qui a offert 61 terrains (à un prix de 1000 Sand, soit 5.000 dollars) et 95 « terrains premium » (à un prix de 4.500 Sand / 22.000 dollars) a été totalement vendue en…deux secondes ! (Source : CFTE – Center for Finance, Technology and Entrepreneurship). Car les ventes primaires de terrains par The Sandbox ne se font qu’à certaines périodes (les « Raffles »). Sinon, il faut aller les acheter sur le marché secondaire, via des plateformes comme OpenSea.

Acheter des « terrains » sur The Sandbox est plus simple que d’acheter un terrain dans le monde physique : tout se fait en un clic, sur OpenSea. Mais c’est aussi plus complexe, car contrairement aux achats d’immobilier dans le monde physique, il n’y a pas de tiers de confiance représenté par un avocat pour certifier la provenance du terrain que l’on achète, ou que la vente est légitime. D’où les arnaques et piratages qui peuvent être fréquents dans ce monde des NFT, venant de logiciels malveillants qui peuvent faire croître ou décroître les prix avec de fausses transactions. Ceci n’est pas spécifique à The Sandbox, mais constitue un risque général pour les NFT.

Malgré ces risques, le montant des achats de terrains sur The Sandbox a fortement augmenté en 2021 encore. D’après l’étude du CFTE (Center for Finance, technology and Entrepreneurship),les plus gros acheteurs parmi les marques sont des entreprises de médias, de jeu, ou de marketing. Mais il y a aussi Carrefour, Alexandre Bompard, leur CEO, ayant déclaré qu’il allait faire passer des entretiens d’embauche dans le metaverse. Ce qui lui a valu une quantité de commentaires railleurs dans les réseaux sociaux sur la pauvreté esthétique de son magasin virtuel. Et le terrain de 36 hectares acheté par Carrefour pour 120 Ethereum (soit 300.000 euros) est toujours vide.

De nombreuses marques achètent en fait des terrains sans trop savoir ce qu’elles vont en faire, victimes du syndrome « FOMO » (Fear Of Missing Out), la peur de manquer quelque chose. Et le prix des terrains varie en fonction de la proximité du terrain d’une marque connue. Ainsi le rappeur Snoop Dog, qui a acheté un terrain pour y créer un « Snoopverse », a suscité un attrait particulier pour les terrains à proximité qui se sont vendus jusqu’à 450.000 dollars.

The Sandbox a enregistré un chiffre d’affaires de 180 millions de dollars en 2021. Sébastien Borget déclarait récemment à Challenges que la carte Sandbox est aujourd’hui valorisée 1,4 milliards de dollars, et que les transactions sur les terrains ont représenté en 2021 un volume de 500 millions de dollars. Même si la fréquentation de la plateforme reste modeste encore : environ 39.000 visiteurs uniques par jour, et 201.000 par mois. Tout l’enjeu est maintenant de faire revenir les utilisateurs, en gamifiant le maximum de choses, telles que, toujours selon Sébastien Borget, « des quêtes, de la socialisation avec des rencontres ou une exposition de NFT ».

Le metaverse sera-t-il Top ou Flop ? Et quelle sera la stratégie de développement de The Sandbox pour le futur ?

La question reste ouverte, avec les pour et les contre, qui, sans rien y connaître particulièrement, nous donnent leurs pronostics.

En attendant, pour acheter un terrain dans The Sandbox, vous pouvez suivre les tutos qui vous expliquent tout.

Par contre il ne semble pas y avoir de « Black Friday » pour ces ventes.

A suivre.


Pourquoi je n'arrive pas à vendre plus ?

FruitsC’est une histoire, un témoignage, que l’on entend souvent.

Vous avez créé un produit, vous pensez qu’il est formidable, il y a déjà quelques clients. C’est le début de l’aventure de start-up.

Mais voilà, pour trouver les clients suivants, on se heurte à « Mais vous êtes trop fragiles, revenez quand vous aurez trois ans d’ancienneté, et plusieurs clients », « je ne peux pas vous acheter votre produit, car je ne veux pas que mon entreprise représente 80% de votre chiffre d’affaires », « j’ai déjà un produit qui fait un peu la même chose, et ça me suffit, le vôtre n’est pas nécessaire pour moi, il est trop bien en fait », « Montrez-moi comment les autres qui me ressemblent l’utilisent, et je vous dirai ; Ah, vous n’avez pas d’exemples dans mon domaine, j’hésite alors, revenez plus tard quand vous l’aurez »…

 Pourtant vous avez fait un business plan du tonnerre ; vous avez estimé le marché mondial à plusieurs milliards d’euros, et en imaginant que vous alliez en prendre 0,5%, vous avez déjà imaginé un chiffre d’affaires de vainqueur. Malheureusement, avec vos trois petits clients, pour le moment, vous n’y êtes pas. Ça bloque.

Ce que vous connaissez à ce moment, c’est ce fameux « chasm » théorisé par Geoffrey A ; Moore dans son ouvrage de référence, «Crossing the chasm », dont j’ai du conseillé la lecture de nombreuses fois à des entrepreneurs comme vous. Il a beau dater de plus de vingt ans, il reste très valable, et utile, aujourd’hui.

J’avais déjà évoqué ICI cette thèse. Car, à partir du moment où la start-up a acquis quelques clients, il lui faut changer complètement de stratégie pour conquérir le gros du marché, ceux qui veulent des références, de l’ancienneté, de l’assurance, et c’est là qu’est le « chasm » ; il y a un saut à faire.

Le principe pour traverser ce chasm, selon Geoffrey A. Moore, c’est d’attaquer une cible la plus précise et nichée possible, ce qu’il appelle le « D-Day », en référence à l’attaque des alliés sur les côtes de Normandie le 6 juin 1944. Le pire serait de courir partout, pour vendre à n'importe qui, en tapant au hasard un maximum de clients ( faire des messages toute la journée sur Linkedin par exemple). Echec assuré, selon Geoffrey A. Moore. 

Et pour réussir ce D-Day, il faut bien choisir le point d’attaque.

Déjà, première recommandation de Geoffrey A. Moore : Oubliez ce calcul de 0,5% du marché qui vous excite. Vous parlez d’un marché qui n’existe pas ou qui est en mouvement, et vous parlez de clients très génériques, que vous ne connaissez pas. Vous n’irez nulle part.

Au contraire, pour définir le point d’attaque et donc votre stratégie de conquête, il ne s’agit pas d’analyser des segments de marché un peu vagues, mais de cibler un profil réel de client potentiel à explorer et démarcher.

Il n’y a pas de démarche complètement standard, et il est conseillé de faire appel à ce que Geoffrey A. Moore appelle « l’intuition informée ».

Et il nous donne les quatre facteurs les plus importants pour traverser le chasm avec le plus de chances.

Facteur 1 : le client cible

Y-a-t-il un acheteur économique unique, identifiable, pour votre offre, que vous pouvez atteindre par le canal de vente que vous prévoyez de mettre en place, et suffisamment solvable pour payer le prix de votre offre, et de tout ce qui va avec ? (ce que Geoffrey A. Moore appelle « the whole product « , c’est-à-dire votre offre et les équipements ou services complémentaires qui vont avec).

Facteur 2 : Une vraie raison d’acheter, et maintenant

Votre offre a été conçue pour répondre à un problème identifié. Est-ce que le problème que va résoudre votre offre a un sens économique suffisant, et urgent, pour ce client-cible ?

Si c’est un client pragmatique qui considère qu’il peut encore vivre un an ou deux, voire plus, avec ce problème, il le fera. Il restera peut-être intéressé par votre offre, en souhaitant même mieux la connaître. Vos vendeurs (ou vous-même si c’est vous le vendeur) vont alors le rencontrer de nombreuses fois, mais ils ne reviendront jamais avec un bon de commande. Ce client-cible vous dira sûrement que votre présentation est formidable et intéressante, il apprendra plein de choses, mais il n'achètera rien.

Facteur 3 : Le produit complet (« The whole product »)

Pouvez-vous apporter, avec l’aide de partenaires et d’alliés, une solution complète pour répondre à la raison profonde du client-cible pour acheter votre offre dans les trois prochains mois, vous permettant d’être complètement dans le marché d’ici la fin du prochain trimestre, et d’occuper une place dominante d’ici douze mois ?

« Crossing the chasm », c’est une course. On a besoin de problèmes de clients que nous pouvons résoudre maintenant, et vite. Si ça traîne trop, il faut changer de cible, et tout revoir.

Facteur 4 : La concurrence

Est-ce que le problème que vous adressez a déjà été traité par une autre entreprise, peut-être même une entreprise qui a, elle, déjà traversé le chasm, et qui occupe donc déjà tout ou partie de la place que vous souhaitez occuper aussi ?

Si c’est vraiment le cas, ce n’est pas un bon signe pour vous ; et si on ne peut pas lutter, il faut mieux sortir et fuir. C'est aussi le 36ème des 36 stratagèmes.

C’est pourquoi, encore une fois, il faut aller vite pour traverser le chasm. Sinon on risque de perdre à tous les coups.

Ou alors il faut faire pivoter l’offre pour reprendre l’avantage avec peut-être même, une nouvelle cible.

Geoffrey A. Moore considère que si la cible choisie obtient une mauvaise note dans un seul de ces facteurs, ce n’est pas la bonne cible. Il conseille de choisir les cibles qui obtiennent un bon score dans tous les quatre facteurs.

Ces quatre facteurs sont indispensables, mais, bien sûr, pas suffisants, pour réussir. Le livre de Geoffrey A. Moore en contient encore plein.

Vous avez une offre, un produit, une idée de start-up, un début de business, quelques clients, mais pas assez, et vous voulez aller plus vite et atteindre les clients mainstream, pour traverser le chasm ?

Relisons les quatre facteurs, encore et encore.

Avec aussi un peu d'intuition. Si c'était les livres de management qui faisaient réussir les entreprises, ça se saurait.


Comment réussir dans un marché en déclin

DeclinVous aussi vous trouvez que depuis le Covid il y a des choses qui ont changé ?

Mon rendez-vous au siège avec un cadre de l’entreprise cliente a été modifié la veille au soir pour passer en « visio ». Cela semble naturel. Les rendez-vous en présentiel sont devenus une option, réservés à une élite. Plus besoin de s’excuser, c’est comme ça. Ah bon.

Tout le monde s’est habitué à ce format dit « hybride » où l’on est partiellement en télétravail, et partiellement présent dans les bureaux de son entreprise. J’ai l’impression que le format « deux jours maximum en télétravail / le reste présent au bureau » est devenu une norme, avec des exceptions et des tolérances pour faire plus (plus de télétravail).

Mais comme le bruissement d’une aile de papillon peut provoquer un tsunami ailleurs sur la planète, ces petits changements dans nos modes de vie en entreprise provoquent aussi des ruptures et remises en cause dans certaines entreprises.

Elior, entreprise de restauration collective (oui, nos cantines d’entreprises) connaît ainsi une baisse d’activité de 30% les vendredis dans ses cantines (car, étonnamment, le jour de télétravail, c’est souvent le vendredi). Au point de revoir ses contrats et de dénoncer ceux qui sont inférieurs à 200 couverts. 

Mais même ceux qui viennent au bureau ont changé leurs habitudes. Elsa Dicharry et Martine Robert faisaient remarque, dans un article des Echos en septembre, que, « lorsqu’ils se déplacent sur leur lieu de travail, les salariés aiment retrouver leurs collègues à la pause de la mi-journée, mais dans un lieu qui ne soit pas seulement fonctionnel-, ou, peut-être plus souvent qu’avant, dans un restaurant à l’extérieur, ce qui valorise les bureaux installés dans des quartiers centraux ». Revenir travailler au bureau, c’est devenu comme une visite exceptionnelle où l’on soigne le confort. Le sandwich avalé en quinze minutes devant l’ordinateur, c’est plutôt pour le télétravail. Au bureau, c’est comme une « sortie ». Et donc « la cantine à l’ancienne en sous-sol, ce n’est plus possible », selon un gestionnaire de bureaux, dans le même article. Il faut trouver des aménagements avec une offre de restauration rapide dans des lieux plus petits de type café. C’est pourquoi Elior s’est cassé la tête pour inventer autre chose, une offre de repas type bistrot livré sur site, baptisé « Chaud Bouillant »

Mais cela a aussi permis à des nouveaux venus dans la restauration, avec des idées créatives, d'émerger ou de se développer. C’est le cas de mon ami Mickaël, créateur de Foodles, "la cantine en mieux" (bien trouvé), que j'ai vu naître bien avant le covid. C'est aussi le cas de Serenest ( la restauration d’entreprises fait maison), qui joue sur la qualité de l’offre, et une capacité revendiquée (« agile ») à s’adapter plus rapidement aux demandes des clients, même si, pour le moment, leur pénétration du marché reste limitée, mais ça progresse doucement, comme la longue traîne. 

Mais, attention, il n’y a pas que dans les repas au bureau que les choses ont changé. Avec le télétravail et les confinements, il y a un secteur qui a perdu 40% de son chiffre d’affaires en 2020 et 30% en 2021 : le secteur des pressings. Et dans certaines grandes agglomérations, où l’activité dépend fortement des travailleurs, c’est même, tenez-vous bien, 50 à 95% du chiffre d’affaires qui a disparu. Lamia Barbot nous racontait tout ça dans Les Echos en septembre. Alors que, rappelez-vous, les pressings étaient considérés comme essentiels et sont restés ouverts pendant les confinements, mais sans aucune activité. Selon la fédération française des pressings et blanchisseries, les commerces de pressing étaient 10.000 en France dans les années 2000, puis 4.000 en 2019, et maintenant 3.000 aujourd’hui. Ce qui a rétrécie le marché, c’est bien sûr aussi la mode vestimentaire : avant, on avait le costume pour les hommes, et le tailleur pour les femmes, que l’on nettoyait au pressing. Maintenant on porte jeans, t-shirts et sweats, en télétravail et même au bureau, que l’on lave en machine à domicile ou à la laverie.

Alors, là aussi, de nouveaux entrants entrepreneurs arrivent. On pense notamment aux pressings internet à domicile. Ils sont légion ( Lavoir Moderne, WashR, Cowash, myGeorges, ZePressing, Hublo). Pas facile d’être rentable car pour faire tourner ces pressings, il faut deux livraisons, une pour récupérer le linge, et une pour le rapporter. Alors il faut encore inventer des astuces. C’est le cas de Hublo, créé par Stéphane Cohen, ingénieur diplômé de l’Insa Lyon, en 2020.

Hublo est une société à missions, qui propose un service de pressing à domicile en complément de trois boutiques physiques parisiennes dans lesquelles est traité le linge récolté.

Voilà deux bons exemples de marchés qui se transforment et même rétrécissent, et où des entrepreneurs inventifs et créatifs arrivent à s’immiscer et à réussir.

Une leçon pour les entrepreneurs qui croient que seuls les marchés en forte croissance sont valables, à condition de les identifier. Ces niches qui profitent des disruptions et des changements d’habitudes post-covid sont aussi de bons terrains. A condition d’y être malins et agiles.

Avis aux créatifs entrepreneurs.


Vive les bêtises !

_DSC5364C’est devenu une rengaine que l’on entend de plus en plus souvent dans la bouche des managers et dirigeants : on aime et on encourage le droit à l’erreur. Ça fait plus moderne que de dire qu’on interdit de se tromper à nos collaborateurs, sous peine de représailles. Au point qu’on n’y fait plus attention.

C’est pourquoi il est toujours rafraîchissant et instructif de l’entendre directement d’un dirigeant, preuves à l’appui.

C’est le privilège qu’ont eu les participants à la conférence au collège des Bernardins, avec la PDG de Picard, Cathy Collart Geiger, que j’ai eu le plaisir d’animer pour PMP avec Eric Dupont.

Pour Cathy Collart Geiger, le droit à l’erreur cela correspond à une culture du test, qu’elle a acquise lors de ses années chez Auchan. Elle nous a cité une anecdote où, alors qu’elle avait commandé 50.000 chemisiers en soie, et n’en avait vendu que 5.000, elle avait dû imaginer, challengée par Gérard Mulliez, comment les vendre (baisse des prix, promotions, ventes flash, etc). C’est dans ces moments où l’on doit réfléchir à comment corriger la situation que la créativité se met en action, et que l’on apprend plein de choses.

Pour sensibiliser son Comex à cet esprit de l’erreur qui apprend, elle leur a offert des bêtises de Cambrai, ce bonbon célèbre inventé grâce à une erreur du commis du confiseur qui aurait mal dosé le sucre et la menthe, et aurait insufflé de l'air dans la pâte par inadvertance.

Un des participants à la conférence, directeur informatique, a quand même posé la question : mais si on fait des erreurs et qu’on plante le logiciel des caisses, c’est quand même pas idéal ; et c’est quoi cette histoire de « droit » à l’erreur, est-ce un droit ?

Cathy Collart Geiger a pu ainsi préciser que le droit à l’erreur n’est pas celui de planter les caisses dans le travail quotidien, mais celui d’oser et de faire preuve d’audace dans les propositions, pour tester, et mettre en place des indicateurs de mesure qui permettront de savoir, selon les résultats, si on continue ou si on arrête. Et puis l'audace, oser, c'est aussi un processus collectif qui est accompagné et soutenu par le chef et par tous. C’est comme cela qu’elle a testé la livraison express avec Deliveroo. Elle a lancé le test sous le regard sceptique de certains collaborateurs et directeurs. Tous les indicateurs après le test (satisfaction clients, délai de livraison, conservation de la température du produit) étaient au vert, de quoi faire craquer les réticents, et généraliser l’expérience.

Un dirigeant qui nous apprend à oser, à faire des bêtises et des erreurs, et qui en plus nous offre des bonbons pour nous y en encourager, voilà ce qu’on ne voit pas tous les jours.

Vive les bêtises des audacieux !

(crédit photo : Serge Loyauté Peduzzi)