La règle d'or dont on parle, c'est cette règle d'or budgétaire, rappelée dans le "pacte budgétaire" des Etats européens, signé en décembre 2011, et entré en application en 2013, stipulant que le déficit structurel d'un pays ne doit pas dépasser 0,5% de son PIB. Ce "déficit structurel" étant défini comme le déficit "qui ne tient pas compte des éléments conjoncturels", et correspondant donc aux dépenses courantes de l'Etat, des collectivités locales, et de la Sécurité Sociale.Il y a des exceptions, notamment en cas de "récession", et alors le déficit peut atteindre 3%.
Cela a l'air du sérieux, et tous les candidats aux fonctions nationales, Présidence de la République, députés, rappellent cette règle en promettant de la respecter. Alors que la France est encore loin du compte en 2016.
Alors forcément il y a de quoi être interpellé en lisant cela :
" Loin d'être une règle de bon sens, les règles d'or budgétaires sont un non-sens économique".
Celui qui exprime cette opinion est Henri Guaino dans son dernier opus " En finir avec l'économie du sacrifice", dont j'ai déjà parlé ICI et ICI. Comme quoi sur ce sujet il n'y a pas d'unanimité de la pensée économique. Cela vaut la peine d'explorer les arguments.
Déjà, qu'est ce que le "déficit" de l'Etat ? La vision développée par l'auteur est celle de l'Etat comme intermédiaire financier qui emprunte à la place des ménages et des entreprises, et cela est bénéfique si les sommes empruntées financent des dépenses qui accroissent les revenus futurs de la Nation, permettant ainsi, en accroissant les recettes grâce à l'amélioration de la croissance économique, d'assurer le service de la dette publique. C'est l'image d'un Etat "entrepreneur" qui emprunte pour investir. C'est aussi l'Etat "réparateur", qui va emprunter pour secourir les victimes d'accidents de la vie, ou pour aider des entreprises à passer une mauvaise passe (on peut être moins convaincu par cet Etat "réparateur" si c'est pour maintenir en survie des entreprises condamnées car non compétitives). Mais on peut comprendre l'Etat "réparateur" si il permet d'éviter la détérioration du capital humain ou physique plus vite que ne le ferait le mécanisme du crédit normal (les banques).
On comprend bien ce raisonnement : ce n'est pas le calcul comptable en % qui détermine si l'emprunt par l'Etat est bon ou mauvais, mais ce que l'on fait de cet argent emprunté.
Mais le drame de la France, c'est précisément que la dette publique n'a pas justement pour contrepartie des dépenses correspondant à des revenus futurs. Elle a surtout servi, sur la pèriode récente, à amortir les crises.
Henri Guaino rappelle quelques chiffres :
" Depuis 25 ans, l'évolution de nos finances publiques est caractérisée par une quasi-stabilité des dépenses des administrations centrales-l'Etat-dans le PIB et une envolée des dépenses des collectivités locales (+50%) et des organismes sociaux(+40%). A titre de comparaison, sur la même période, les dépenses dites "de fonctionnement" n'ont enregistré qu'une augmentation de 1,5% du PIB. Le poids dans le PIB des prestations sociales et autres transferts sociaux s'est accru de près de 10 points depuis le milieu des années 1970 pour atteindre plus du quart du PIB et plus de 57% du total des dépenses publiques".
Toutes ces dépenses qui ont augmenté sont de la consommation et de l'entretien de notre capital humain, tiré vers le haut par la santé et le vieillissement. On comprend ainsi pourquoi l'auteur ne voit pas dans la hausse de la dette un signe de mauvaise gestion, et pourquoi il conteste les politiques dites "d'austérité" :
" L'austérité-hausse des impôts et compression des prestations, baisse des retraites, mise sous condition de ressources des allocations, baisse des salaires des fonctionnaires, diminution des investissements publics- ne remet pas de l'ordre dans les finances publiques. Au contraire, en déprimant l'économie, elle fait augmenter les dépenses de réparation et d'accompagnement".
Cette critique, c'est celle d'une logique qui se limiterait à réduire les coûts. Même une entreprise ne peut être réduite à une machine à réduire les coûts. C'est encore moins le cas pour l'Etat :l'Etat n'est pas une entreprise car "il ne peut s'abstraire des maux de la société et il subit toujours en retour, en positif et en négatif, l'impact de ses décisions sur celle-ci".
Bon, mais on ne peut pas quand même endetter l'Etat indéfiniment, car alors on sacrifie les générations futures, qui devront payer les dettes antérieures avec leurs impôts ou une baisse des prestations. Là encore, Henri Guaino dégaine :
" Quand la dette finance une dépense qui permet aux parents de soigner leurs enfants, de les nourrir, de les éduquer, quand elle finance des infrastructures qui seront utilisées par plusieurs générations successives, comment peut-on dire qu'en s'endettant on sacrifie les générations futures ? En permettant aux parents de se loger, de se soigner, sacrifie-t-on l'avenir des enfants ?"
Pour l'auteur, les enfants héritent des dettes, mais aussi des bénéfices.
Autre critique de cette règle d'or, c'est qu'elle construit un ratio qui rapporte un stock-la dette- à un flux-le PIB. Ce taux ne donne en fait aucune indication sur la capacité de l'Etat à faire face à cette dette par ses revenus futurs. Ce n'est pas en comparant la dette aux revenus de l'année qu'un banquier évalue la capacité à rembourser de ses clients; pourquoi applique-t-on ce calcul pour l'Etat? C'est pourquoi, comme le rappelle l'auteur, face à la dette publique, seul l'avenir compte. C'est pourquoi on ne peut pas revenir sur les mauvais choix du passé, mais seulement en gérer au mieux les conséquences pour l'avenir. Exemple : si une infrastructure a été construite et qu'elle est moins utilisée que prévu, on fait quoi? On augmente les péages pour équilibrer les comptes ou bien au contraire on les diminue pour attirer plus d'usagers? C'est ce deuxième choix que propose Henri Guaino, contre la logique comptable du premier.
La bonne gestion, on le comprend, c'est celle où les dépenses de fonctionnement sont financées par l'impôt, et les dépenses d'investissement par l'emprunt.
Depuis longtemps, on dit que la France vit au-dessus de ses moyens, et que le "train de vie de l'Etat" est trop élevé. Alors, pour corriger ça, il faudrait baisser les dépenses, réduire les allocations chômage, etc. Mais peut-être y-a-t-il une question de dosage, car si on tombe dans la dépression par le désendettement on détruira nos capacités de production, et donc de redémarrage. Cette dégradation, pour l'auteur, elle est déjà là, car nos ressources en France sont mal exploitées : l'auteur rappelle que en France il y a 1,5 fois plus de personnes qui ne travaillent pas que de personnes qui travaillent. Concernant nos infrastructures routières ou ferroviaires, ou notre réseau d'électricité, le retard d'investissement est plusieurs centaines de milliards d'euros. Même constat sur l'état des campus universitaires, des prisons, des tribunaux. Pour l'auteur le diagnostic est clair : Alors que la période actuelle, avec l'obsolescence programmée de nombreux équipements, la révolution numérique, la transition énergétique, demande un investissement exceptionnel, l'Etat n'investit pas assez. D'autant que c'est le moment puisque l'épargne est surabondante et les taux très bas, voire négatifs.
En fait pour l'auteur nous ne vivons pas "au dessus" de nos moyens mais "au-dessous" de nos richesses et potentiels. Et le risque est que cela empire. Il cite ainsi les purges économiques qui font fuir les jeunes générations. L'Irlande, l'Italie, l'Espagne, la Grèce sont devenus des pays d"émigration : au début c'est une partie de la main d'oeuvre étrangère peu qualifiée qui est partie, remplacée par des locaux, ce sont maintenant des médecins, des ingénieurs, des chercheurs qui partent. En Espagne, la population active est en diminution, les travailleurs immigrés s'en vont, et le taux d'activité est un des plus bas d'Europe. Les jeunes diplômés s'en vont, et ceux qui restent vont occuper les boulots laissés par les immigrés, moins qualifiés que ceux auxquels ils pourraient prétendre. Au Portugal, même histoire : les jeunes se barrent, et les retraités arrivent, même des autres pays limitrophes. En résumé, "le passé chasse l'avenir".
Cette analyse est finalement un bon message pour les entrepreneurs. Ce n'est pas seulement le problème de l'investissement et de l'emprunt par l'Etat. Cela nous concerne tous.
Au lieu de rester le nez sur la règle d'or, et la réduction des dépenses, c'est à tous les entrepreneurs et pourquoi pas l'"etat entrepreneur" (mais en est-il encore capable?) de valoriser nos ressources et nos richesses, ainsi que la créativité.
Henri Guaino cite en grinçant cette déclaration de Laval en 1935 : " La situation financière du pays ne permet pas le réarmement"...On connait la suite.
S'il est urgent aujourd'hui de préparer l'avenir, peut-être est-ce le moment de rassembler les forces, publiques et privées, pour y parvenir.
A ce propos l'interview de Bill Gates dans Le Monde de ce samedi, pose bien le sujet. Il fait remarquer 160 milliardaires fortunés dans le Monde ont donné de l'argent à son programme The Giving Pledge : douze au royaume-Uni, le plus gros pays en termes de dons privés après les Etats Unis. Et aucun membre français. Ce qui lui fait lâcher : " Mais, quand on paye beaucoup d'impôts, on se dit que c'est à l'Etat de redistribuer l'aide".
Eternelle question de savoir si il faut libérer les milliardaires ou l'Etat....