Quand l'analogie nous fait faire des bêtises

Apple-StoreOn le connaît ce dirigeant qui arrive après un succès dans une autre entreprise : il va parfois foncer pour reproduire dans son nouveau job ce qui a fait le succès dans le précédent.

C'est exactement l'histoire de Ron Johnson, que racontent Bernard Garette, professeur à HEC, Corey Phelps, professeur à Mac Gill, et Olivier Sibony, professeur à HEC et ex MacKinsey, dans leur opus " Cracked it" consacré au "problem solving".

Très convaincant.

Ron Johnson est celui qui a conçu et développé avec succès le concept des Apple stores. C'est la star. Alors, quand il est nommé CEO de la chaîne de grands magasins J.C Penney, le 14 juin 2011, c'est l'euphorie à la Bourse. Le titre gagne 17,5% ! 

J.C Penney, on en voit pas en Europe, mais c'est une chaîne de grands magasins très connue aux Etats-Unis, qui connaissait à cette époque un déclin des ventes et des marges.

Alors Ron Johnson, auréolé de sa gloire passée, va apporter une "vision", des "convictions stratégiques", qu'il va mettre en oeuvre dans tous les magasins. 

Première conviction stratégique : alors que J.C Penney était connu pour ses promotions permanentes, on arrête tout ça ; il y aura un prix fixe, le meilleur, toute l'année.

Deuxième conviction stratégique : Alors que les rayons dans les magasins étaient organisés par catégorie (femme, enfant,costumes Homme,etc), on va maintenant avoir des rayons  par marque avec une mise en scène de présentations.

Troisième conviction stratégique : Alors que les vendeurs étaient en uniforme derrière la caisse, on va maintenant les mettre dans le magasin, avec des tablettes Ipad, et habillés comme ils veulent, en cool.

Et c'est parti, tous les magasins y passent. On change même le logo, le nom J.C Penny disparaît, c'est maintenant "jcp". 

Résultat : la catastrophe ! 

En 2012, lorsque J.C Penney annonce ses résultats, les ventes avaient baissé de 25%, les pertes étaient de 1 Milliard de dollars. Et le titre tombe à moins de la moitié du prix de l'année précédente.

Ron Johnson va quitter la compagnie en avril 2013. La belle histoire de la star d'Apple n'aura duré que 18 mois. Le CEO qu'il avait remplacé va être rappelé, et va se dépêcher de supprimer tout que Ron Johnson avait mis en place. Il y aura même une publicité de repentir demandant aux clients de revenir, avec un logo qui retrouve le nom complet J.C Penney : "It's no secret".

Que retenir de cette histoire ?

Les convictions stratégiques de Ron Johnson, c'était la reproduction de ce qui avait fait le succès d'Apple. Les vendeurs cool dans les allées, les prix sans promotion, la mise en scène des rayons.

Alors ?

Ce qu'il n'avait pas trop regardé, ce sont les clients. Car les clients et clientes de J.C Penney n'avaient pas grand chose à voir avec les clients des Apple stores. Et quand certains, après cette défaite, lui ont demandé pourquoi il avait mis le modèle dans tous les magasins, au lieu de faire une expérience avec un magasin test, il avait répondu " Nous n'avions pas fait de test chez Apple".

Ce qui a manqué à Ron Johnson, c'est d'aller sur le terrain, de comprendre les clients, leurs comportements au plus près, ce que l'on appelle le "Design Thinking". Il a foncé dans ses convictions stratégiques, et tout déroulé à partir de là.

La leçon de tout ça : Quand un problème est complexe, que les causes de la situation ne sont pas directement compréhensibles, le raisonnement par analogie, analogie avec notre expérience de ce que nous avons vu ailleurs ou précédemment, est la meilleure façon de rétrécir notre vision et de nous tromper. 

La solution, ce n'est pas l'analogie, mais d'aller inspecter, et écouter comment ceux qui ont l'expérience du problème, c'est à dire les clients, nous racontent le problème (pourquoi ils ne viennent plus ou moins dans le magasin ?). Et non de reproduire des intuitions qui ont marché ailleurs.

Ce danger de l'analogie, il guette forcément aussi ceux qui débarquent dans un nouveau job avec leur "expérience du secteur". Les premiers pas sont décisifs : le dirigeant va-t-il donner des leçons à tout le monde avec ses visions de "celui qui sait", ou s'imprégner des expériences des clients, des collaborateurs. Il suffit d'observer son agenda. Mais cela concerne aussi les consultants qui se sentent un peu trop "experts du secteur", au point de reproduire les mêmes solutions chez tous leurs clients.

C'est pourquoi les "experts du secteur" sont parfois un poison, dont les clients sont l'antidote.


Instinct ou efficacité ?

IntuitionDiriger, décider, c'est réunir des données, des trucs rationnels, bien concrets, ou bien c'est utiliser l'intuition, l'instinct?

Forcément un peu des deux, non ? 

Mais quand les deux visions s'opposent, ça crée parfois des conflits, des incompréhensions, des ruptures.

Il y en avait une au grand jour des médias cette semaine. 

Pour le premier, qui a décidé de quitter son poste auprès d'un dirigeant, c'est ce qu'il appelle une "inquiétude" : " J'ai fait part, à de multiples reprises, de mon inquiétude face à une certaine inconstance et à une manière de gouverner à l'instinct". Parce que lui, ce qu'il veut c'est " de l'efficacité et du sérieux". Oui, on l'a compris. 

Et puis, pour lui répondre, par média interposé, le dirigeant en cause, réplique que l'instinct, c'est justement ce qui fait la différence entre un leader et les autres : " L'instinct politique se forme à partir des connaissances sur différents sujets, de son ouverture au monde des idées, de ses rencontres avec des intellectuels, des artistes ou des personnes dans la rue. Il faut lire beaucoup, se documenter. Heureusement que l'on a cette valeur ajoutée, sinon un fonctionnaire pourrait très bien faire notre job. On se doit de sentir les choses".

Lui, c'est Bruno Julliard, premier adjoint à la maire de Paris, qui a annoncé a grands fracas sa démission dans Le Monde du 18 septembre; l'autre, c'est la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui a répliqué dans Le Figaro du lendemain. 

Querelle de mots ou vraie opposition sur la méthode? des rencontres avec des personnes dans la rue, et ce pauvre adjoint qui se sent mal écouté. Ce sentiment de "solitude". Anne Hidalgo le reprend dans un nouvel entretien au Monde de dimanche 23 septembre :  "Quand je me sens seule, j'ai la chance de pouvoir me ressourcer auprès des parisiens et des parisiennes".

Alors, être efficace par instinct? ou non ? Pour trouver son chemin dans le labyrinthe des chemins possibles.


La co-création avec Sienna, 9 ans

SiennaUn des secrets pour innover, c'est d'aller chercher les inspirations et les idées au plus près des clients, et encore mieux, des fans.

Un qui a bien compris et mis ce simple principe en application, c'est LEGO, auquel Le Figaro de ce week-end consacre toute une page, un reportage de Keren Lentschner, en direct de Billung, le siège de LEGO au Danemark.

Elle raconte cette histoire d'un concours mondial organisé par LEGO, et gagné par Sienna, une jeune anglaise de 9 ans, qui a proposé de créer sa "cour de récréation" de ses rêves. Avec elle-même dedans, mais aussi le gentil chien de sa grand-mère. Le produit a vu le jour après que Sienna ait passé une semaine avec les designers de Billung. On peut la voir en vidéo nous raconter ça ICI. 

Ce qui est fort, c'est ce principe de co-création qui permet à tout le monde de proposer des idées sur la plateforme Lego Ideas, et en fonction des votes positifs de la communauté (il en faut 10.000 pour passer le cap) permet de déboucher sur un vrai produit du catalogue. Il y a déjà un million de fans (adultes) qui ont déposé des idées, et LEGO prévoit de sortir d'ici la fin de l'année 21 modèles grâce à cette plateforme de cocréation. Et qui utilise ainsi aussi la "sagesse des foules" par ce principe de votes.

Il paraît qu'il existe encore des gens qui croient que pour créer des produits et services innovants il faut des consultants sérieux et des experts qui font des études de marché et des analyses avec des "datas", si possible "big"...

Et si on allait plutôt chercher Sienna et ses copines ? A chaque entreprise de trouver la sienne.