Le Figaro consacre une page aujourd'hui à l'entreprise Schneider Electric, à ses origines, et à ses transformations, on dirait même mutations, jusqu'à aujourd'hui. Des secteurs entiers abandonnés (la sidérurgie, la métallurgie, en déclin dès les années 80), d'autres qui sont investis au bon moment ( l'électricité). Les rachats, les échecs aussi ( cette fusion avec Legrand, retoquée par la Commission Européenne).
J'aime bien relire les débuts des histoires des entreprises qu'on appelle aujourd'hui "les grands groupes", en les considérant comme des dinosaures qui ne comprennent rien aux start-up... Pourtant toutes les entreprises commencent comme des histoires d'entrepreneurs.
Une start-up de 1836, ça nous change du web...Mais la passion est la même.
Cela commence comme un conte de fée, comme toutes les histoires d'entrepreneurs a posteriori...
Il était une fois...
Deux frères, Adolphe et Eugène Schneider, reprennent en 1836 les forges du Creusot, en Bourgogne.Leur volonté, leur intuition : participer à la révolution industrielle qui démarre, enfin, en France, en retard par rapport à l'Angleterre et à l'Allemagne.
Alors en 1838, c'est la première locomotive à vapeur. En 25 ans, 1500 locomotives vont sortir des usines du Creusot. Le réseau ferré va donner des ailes : 3500 kms en 1851, et multiplié par 5 en vingt ans...Alors les Schneider se lancent dans les bateaux à vapeur, les premiers en 1839.
Forcément cette expansion est portée par une ambition, un "aiguillon" dit Armelle Bohineust dans son article, et le mot est bien choisi : cet aiguillon, c'est L'industrie française qui doit à tout prix ratrapper son retard sur sa rivale anglaise.Tout cela porté par des innovations qui vont faire prendre de l'avance ( telles que le marteau pilon à vapeur par l'ingénieur François Bourdon).
Cet aiguillon, celui qui porte en avant une ambition qui nous dépasse, qui nous incarne, c'est précisément ce qui empêche de grandir ceux qui n'en ont pas.
Vous les connaissez comme moi, ces managers, aussi dans ces entreprises moyennes ou start up qui n'arrivent pas à grandir eux-mêmes, et butent pour faire grandir leur entreprise, même si celle-ci connaît un début prometteur. A un moment ça bute.
.Ce sont des "malthusiens malgré eux" ( je relève cette expression dans le livre de Thierry Chavel à propos du "coaching de soi").
Malthus, c'est cet auteur qui voyait notre salut dans le contrôle de la démographie pour juguler le développement. Cette expression de "malthusien" est devenu le symbole de ceux qui, même inconsciemment, freinent leur développement.
Ces entrepreneurs et managers "malthusiens malgré eux", ce sont ceux qui, souvent par manque de confiance en eux, brident leur potentiel de progression et de développement personnel en s'enfermant dans un système logique mais clos qui les "empêche de réussir comme certains enfants refusent de grandir".
Ce sont par exemple ces managers qui se grisent dans le développement commercial de leurs activités, aves succès, surtout au début,en oubliant de s'incarner dans une vision, la remplaçant par un activisme et des efforts continus. Pour eux l'aiguillon qu'ils croient suffisant, c'est la réussite matérielle, qu'il peuvent percevoir comme une façon de se protéger de la peur de la mort...Alors, on court en espérant que cela dure le plus longremps possible. Pas besoin d' "aiguillon", ça leur suffit, disent-ils...Ne dites surtout pas à ces managers qu'ils sont dans une fuite en avant, ils vous regarderaient avec le mépris de celui qui est convaincu que c'est vous qui n'avez vraiment rien compris.
Sauf que non...
Car s'incarner, c'est aller chercher ce qui fera que le monde ne s'écroulera pas quand les locomotives et les bâteaux à vapeur du succès pourront être remplacés par l'électricité, ce qui fera aussi que ce ne sera pas la catastrophe quand on predra un appel d'offres, ou un client important; parce qu'un souffle, une incarnation, resteront présents pour donner cette "vapeur" à l'entreprise, au-delà des générations, au-delà des aléas de la vie professionnelle.
S'incarner, encore une expression que je reprend de Thierry Chavel dans son ouvrage, c'est " transmettre un capital symbolique". C'est faire autorité, et pas seulement par les réussites commerciales, car " Faire autorité, c'est gérer du symbole".
Les entrepreneurs de Schneider n'en manquaient pas.Cet héritage est encore là, bien repris, et transformé, par leurs successeurs, dont Didier Pineau-Valenciennes qui relate avec émotion son passage dans cette entreprise dans un ouvrage au titre poétique, " dans la boucle de l'hirondelle",que je fais lire autour de moi à des managers en mal d'inspiration... managériale.
Alors, pour grandir en tant que managers et dirigeants, et diriger l'entreprise loin : allons chercher cet aiguillon et ce capital symbolique. Il est souvent là où on ne le cherche pas : à l'intérieur de nous-mêmes.