Le jeu, copie du réel, ou symbole du monde

SymboleComprendre le monde, le sens de l'existence, la relation entre l'homme et le monde, voilà des questions qui occupent les philosophes depuis Aristote. C'est tout le champ de la métaphysique, qui a au fil des temps, eu plusieurs définitions. Dans le monde de l'action et du management c'est un concept qui n'a pas forcément bonne presse : faire de la métaphysique, c'est, au lieu d'agir, se livrer à des" spéculations intellectuelles sur des choses abstraites qui n'aboutissent pas à une solution des problèmes réels" (Larousse)

 Pourtant, dans un monde de plus en plus fragmenté, avoir une vision d'ensemble, retrouver du sens, ça ne peut pas faire de mal, et c'est même une aspiration de plus en plus forte.

En réflexion sur le sujet du jeu, et son lien avec la démarche d'innovation, que j'ai évoqué ICI, je suis allé voir dans l'ouvrage d'Eugen Fink, " Le jeu comme symbole du monde". En suivant sa réflexion et son raisonnement, c'est une réhabilitation du concept de jeu que nous découvrons.

Suivons ce cheminement.

 Quand nous parlons de l'homme dans sa "réalité" dans le monde, on ne parle pas de réalité comme celle d'un animal ou d'une pierre. Nous savons aussi que la vie humaine comporte un sens. L'homme ne sait pas toujours vers quoi tend sa volonté de vivre, mais il sait qu'une aspiration agit en lui, même sans bien la connaître. L'homme est un "projet vital". Son séjour sur terre est ainsi troublé par ce souci vital de trouver un sens à la vie, et ainsi le vrai bonheur. Cette tension et cette recherche du bonheur, c'est ce qui fait "le sérieux de la vie". Mais cette activité "sérieuse" peut aussi être interrompue par des "îles", des pauses non sérieuses dans l'activité de notre vie, qui peuvent être très utiles pour nous détendre, mais qui sont comme une interruption momentanée au sérieux de la vie : c'est là qu'intervient le jeu. Il est une activité "inauthentique", un "faire comme si', ce qui lui confère souvent une nuance négative. Jouer, c'est "faire passer le temps", remplir un moment de sa vie avec des futilités, pour nous décharger un moment du fardeau du souci de la vie, comme si nous replongions dans l'insouciance de l'enfance. 

Mais avec le jeu nous faisons aussi l'expérience du bonheur de créer. Alors qu'en dehors du jeu nous sommes déterminés par l'histoire de notre vie, avec le jeu nous faisons l'expérience d'un recommencement libre et sans entraves. Si nous considérons que le chemin de la vie est déterminé par un inquiétant rétrécissement de nos possibilités, à chacun de nos choix, en prenant conscience de ce que nous avons "laissé passer". Le jeu est alors là pour adoucir la loi inexorable du sérieux de la vie. Mais cette libération n'en est pas "réellement"une. Eugen Fink résume : " Jouer, c'est paraphraser sur le mode de l'illusion l'auto-réalisation de l'homme".  Vu comme ça, le jeu est une imitation du sérieux de la vie sur le mode de l'illusion. Toutefois, le jeu n'est pas réduit à une imitation servile, il peut aussi faire jaillir des possibilités que nous ne connaissons pas dans la vie sérieuse. Il est créateur. Il n'élimine pas les souffrances ou les difficultés de la vie réelle, il reste dans l'irréalité, mais il offre ainsi un sentiment agréable de bonheur, grâce justement à cette "irréalité". On peut ici penser au théâtre et aussi aux jeux de rôles : On y représente dans une "auto-conception fictive" une "conduite irréelle" par une conduite réelle où l'on éprouve le plaisir à être transporté au "royaume de l'apparence", ce lieu où nous pouvons "modeler la vie à notre gré". 

Cette "irréalité" est donc bien le trait fondamental déterminant du jeu humain. Il est une imitation du réel. D'où une vision plutôt dévalorisante du jeu par la métaphysique : le jeu ne serait qu'une imitation du réel, et donc sans signification pour comprendre le monde. Mais une autre vision peut émerger : le jeu, dévoilant le domaine de l'irréel monde ludique, pourrait être "la sphère mystérieuse et ambiguë où apparaît, au milieu des choses, ce qui est plus puissant et plus étant que toutes les choses".

En fait, l'interprétation métaphysique du jeu renvoie le jeu à autre chose que lui, comme une image du réel. Mais alors qu'est-ce qu'une image ?

On ne peut pas seulement assimiler "l'image" à une "copie" du réel. Car l'important n'est pas de savoir "de quoi l'image est copie, mais ce qu'est le caractère d'image en tant que faire-apparaître apparent". 

Ainsi, même en gardant l'assimilation du jeu à l'image, on s'éloigne de la "copie" du réel, car moins une image est "copie", plus elle est "symbole".

On connaît l'origine du mot "symbole" : c'était un signe de reconnaissance par une pièce de monnaie cassée en deux, les deux moitiés étant remises à deux amis se trouvant à grande distance. Si l'un des amis envoyait un hôte à l'autre, il lui remettait la moitié de la pièce comme preuve indiscutable. Les deux moitiés devaient ainsi s'ajuster parfaitement l'une à l'autre. D'où les deux caractères du "symbole" : le "fragmentaire" et le "complément". Le "symbole" signifie " concordance d'un fragment avec son complément". 

Et justement, toutes les choses finies en général sont des fragments, les hommes sont des fragments, chaque homme est morcelé en fragments. Le tout, le monde, le cosmos (on en revient au point de départ de la métaphysique), irrigue tous ces fragments. " Le tout où se produisent toutes les choses finies n'est pas composé par la réunion des matériaux finis. Il précède tout morcellement et le contient en lui". 

Et c'est ainsi que parfois nous pressentons une unité plus originelle de l'être qui fait irruption dans une chose quelconque, finie et périssable, qui surgit comme un "complément" d'une espèce particulière, non pas comme un complément quelconque, mais comme le complément. C'est en acquérant cette profondeur mondaine qu'une chose devient "symbole". C'est ainsi que rompre le pain, chose banale, peut revêtir un sens hautement symbolique. 

 Mais ce surgissement du symbole, du complément, ne peut pas être suscité à volonté; il se produit comme une attaque soudaine. Chez le primitifs, ce sont les pratiques de la magie qui avaient ce rôle. Le jeu a ce rôle. Il n'est pas "irréel" au sens "inférieur à la vraie vie", mais au contraire il est le mode selon lequel quelque chose de plus fort, de plus puissant, s'insère dans la vraie vie. Le jeu permet de se sentir plus proche de l'essentiel et de l'authentique. On peut dire qu'il comporte "un sérieux tout à fait à part". C'est ainsi que les jeux cultuels, les fêtes, sont autant chargés de symboles : la fête n'est pas qu'un moment de détente qui rompt avec le quotidien; c'est aussi et surtout une représentation du sens total de la vie. C'est pourquoi "l'irréalité" n'est plus alors la "copie du réel", mais le trait fondamental d'une représentation symbolique du tout du monde. C'est grâce à lui, le jeu cultuel, que le monde devient visible.

Et c'est pourquoi le jeu est vision du monde.

Nous sortons ainsi de cette vision du jeu comme une "irréalité" inférieure à la vraie vie "sérieuse", pour en faire au contraire le symbole du monde et le révélateur de vérités plus puissantes que ce qui nous appelons le réel, toujours fragmenté. 

Voilà une autre façon de regarder le jeu. 

Innover, créer, imaginer : le jeu est un bon inspirateur, avec cette vision, pour tous les managers, dirigeants et consultants qui veulent faire émerger un nouvel "irréel" avec "un sérieux tout à fait à part".

 


A chacun son festival

Festival_de_cannes-efz6 Celui qui sera récompensé lors de ce festival de Cannes, le meilleur acteur, ce sera qui ?

Non, je ne fais pas de pronostic sur son nom; juste une description idéale : ce sera d'abord l'acteur dans son rôle, le meilleur rôle.

Mais pour être le meilleur acteur, il sera sûrement plus grand que son rôle, il apportera justement à ce rôle, imaginé par le réalisateur, une part de lui-même qui en fait le grand acteur. Oui, le grand acteur, c'est celui qui est plus grand que son rôle. Il y a même des acteurs que l'on va voir au cinéma pour eux plus que pour le film. Même si on a l'impression qu'il y a de moins en moins de tels personnages.

Et dans nos entreprises, quels sont les grands ?

Car ceux qui jouent un rôle, ça, il y en a...mais tous ne sont pas des grands acteurs.

Les pire, forcément, ce sont ceux qui se croient leur rôle, qui se confondent avec leur fonction au point de croire qu'elle a conféré naturellement les qualités qui vont avec : je joue le rôle de la Reine, et je me prend pour une Reine...Le genre de croyances qui font des ravages dans leur entourage, et notamment parmi les collaborateurs qui, parfois, ne croient pas du tout à cette fausse Reine..¨

Paradoxalement, être bon dans son rôle, c'est savoir que c'est un rôle.

Cette capacité à être au clair avec son rôle, c'est une des qualités du " wise leader" selon Navi Radjou et Presad Kaipa, dans leur ouvrage " From smart to wise".

Le danger, que connaissent beucoup de managers et dirigeants, c'est justement de croire que l'on possède les bonnes compétences attachées à la fonction (l'autorité naturelle, la créativité, la réponse à tous les problèmes) alors qu'on ne les a pas : cela conduit à les forcer et à se prendre, comme on dit, les pieds dans le tapis.

Alors, pour être celui qui est au clair avec son rôle, que faut-il faire ?

Cela consiste d'abord à prendre conscience de ce rôle, et à ne pas s'y perdre : nous sommes plus grands que notre rôle, à condition de le savoir, et de ne pas en avoir peur. C'est ce que les auteurs appellent "mindfulness" ( on dirait "pleine conscience").

C'est cette attention particulère, en "suspension de jugement", qui nous fait observer notre condition, nos comportements, et ceux des autres, avec le recul et la clairvoyance les meilleurs.

Premier avantage de cette "mindfulness", c'est justement cette capacité à choisir les bons rôles, le style dans lequel nous sommes le meilleur ( et non de tenter de singer un style qui ne nous convient pas du tout). C'est aussi cette capacité à utiliser sa personnalité entière pour occuper plusieurs rôles, passer de l'un à l'autre en restant soi-même et à chaque fois juste dans le rôle, comme ce grand acteur qui passe avec le même talent d'un rôle à l'autre, en y restant toujours convaincant.Être soi-même, au-delà du rôle, c'est aussi tenir ce rôle en restant posé et détaché, sans y mettre une émotion excessive, ou un acharnement, qui nous seraient préjudiciables.

Cette attitude, c'est aussi celle qui nous permet de mieux observer notre propre performance, comme comme quand on regarde un acteur sur une scène ( et cet acteur c'est nous), et de repérer objectivement ce que l'on doit améliorer.

Autre avantage d'être au clair avec le rôle, c'est de prendre conscience que l'on est une partie d'un tout plus vaste : le bon acteur n'est pas celui qui réalise une prestation tout seul, qui veut faire la vedette; non, c'est celui qui sait comprendre et apprécier les rôles complémentaires autour de lui, ceux qui permettent d'exécuter la meilleure performance ensemble. Celui qui réussit, c'est celui qui sait voir toutes les interconnections entre les rôles, pour créer une équipe unifiée.Cela permet aussi de changer les rôles, d'imaginer de nouveaux rôles pour certains collaborateurs, car les personnalités n'ont jamais fini de se révéler et c'est en variant les rôles et en imaginant de nouvelles connections que chacun développe, aussi, ses qualités et performances.

Autre qualité liée à cette "mindfulness", la capacité à diriger à partir du siège arrière, c'est à dire laisser les autres prendre le volant, prendre le risque; sans lâcher pour autant notre rôle de leader, mais en l'exerçant d'une autre façon ( pas toujours facile d'ailleurs de bien doser entre ce qu'il faut lâcher et ce qu'il faut apporter).

Être un bon acteur de notre leadership, de notre style de management, pouvoir exercer les rôles que nous choisissons au top, sans " s'y croire", ni agacer son entourage, voilà de quoi fair son propre festival.

Pour être le meilleur acteur de soi-même, et permettre à nos équipes de réussir la meilleure performance, pas besoin d'aller monter les marches à Cannes.

Le festival est dans le quotidien de nos entreprises.

Alors, courage ( car il en faut pour être bon acteur plutôt que cabotin).

Ne décevons-pas notre public.


Le chausseur de Marie-Antoinette

Marieantoinette_2   Cela fait un an déjà que ce blog existe, le premier article fondateur datant du 10 octobre 2005, consacré à ce que j'avais appelé, dans un Manifeste introductif, le "Projet Zone Franche" .Depuis, il y a eu 90 articles postés.

Le but était de porter un autre regard sur le management et la performance dans nos entreprises, partant du constat que les dirigeants, les actionnaires et les collaborateurs ne se comprenaient plus.

En fait les sujets ont été variés, parfois plus superficiels, souvent des réactions à des spectacles, des opéras, des lectures, des rencontres, des conférences, des blogs,...mais globalement ils m'ont permis d'aborder de nombreux sujets qui me tiennent à coeur et constituent ma vision du management et mes propositions pour faire de l'entreprise un monde meilleur. Cela donne envie de continuer, d'approfondir.

Le lectorat est resté éliste, puisque vous êtes environ un millier chaque mois à venir sur ce blog, certains par le hasard d'une recherche sur Google ou Yahoo; d'autres sont venus grâce aux liens que certains amis ont mis sur leur blog : merci Yoann, merci Philippe, Générations Débats, mais aussi des blogueurs,rencontres virtuelles d'ici, que je n'ai jamais rencontrés mais qui ont mis un lien vers ce blog : Vanina, La Chouette, TVnomics,Bertrand, Le Perfologue. D'autres viennent parce qu'ils sont des amis, des proches, des collaborateurs, des clients. Certains sont venus et reviennent, à fréquence variée, et deviennent les fidèles ...

Certains viennent aussi en passant par le site de ma société de conseil en stratégie et management, PMP.

En fait, cette proximité de ceux qui fréquentent, comme un club privé,  ce blog est le moteur qui m'inspire. C'est comme d'écrire pour chacun individuellement.

Cette impression de m'adresser à des individus qui m'ont choisi, et non à une masse informe qu'il faudrait contenter pour faire de l'audience, correspond bien à mon tempérament.

Peut être avez-vous vu ce film de Sofia Coppola, "Marie Antoinette" ?

On ne sait pas lequel des deux est le plus heureux dans ces scènes, Marie Antoinette avec tous ces serviteurs à ses pieds, et ses gâteaux à sa disposition, ou bien ce coiffeur, ce patissier, ce chausseur.

En fait, ce film dit tout de cette "relation client" , que l'on expérimente chaque jour.

Certains jours, nous sommes Marie-Antoinette, et nous avons envie du meilleur, d'être non pas satisfaite, mais comblée, ravie par ces merveilleuses chaussures, cet excellent service, ces gâteaux surprenants, ce coiffeur si drôle; et malheureusement, la Marie-Antoinette qui est en nous est souvent déçue par les files d'attente, les vendeuses désagréables qui sentent la transpiration, les serveurs qui ne savent plus sourire, les coiffeurs mal coiffés.

Et puis, certains jours, surtout si l'on travaille dans une activité de service (mais qui peut dire aujourd'hui qu'il ne travaille pas dans une activité de services ?), on est le chausseur, le pâtissier, le coiffeur, et on a un mal fou à rendre Marie-Antoinette heureuse, au point de la traiter au fond de nous même de petite conne.

Mal nous en prend, car tous nos clients sont aujourd'hui des Marie-Antoinette, des jeunes filles précieuses et inconséquentes, des garçons diletantes, toujours à demander plus, à ne jamais se satisfaire de ce qui a déjà été donné. Par contre, et on le voit bien dans le film, si la relation colle bien, c'est tout bénéfice, et toute une relation fidèle qui s'installe entre le coiffeur et la reine.

Alors, merci pour votre fidélité, à vous, toutes les Marie-Antoinettes du blog.

Et rappelons-nous que parfois nos clients sont aussi  ces Marie-Antoinettes, devant lesquelles nous nous agenouillons, de belles chaussures rouges à la main, sans qu'elles ne daignent même nous remarquer....et d'autres fois, elles ne peuvent plus se passer de nous...et on les adore...Encoremarieantoinette_2

C'était mon post sur les clients, et les lecteurs de blogs, volages...