Peer-to-peer et stigmergie

TermitesAvec le développement du peer-to-peer, il y a maintenant plus de dix ans, certains ont crû à l’avènement du post-capitalisme, où les échanges entre pairs remplaceront le management vertical.

Car à l’origine le mot vient de l’informatique, où il évoque des réseaux où les utilisateurs peuvent échanger directement des films, des photos, des documents, de la musique.

C’est comme cela que s’est construit Wikipedia, une encyclopédie ouverte renseignée gratuitement par les contributeurs.

Mais le mouvement a mal tourné, face aux accusations de piratage et de détournement de propriété intellectuelle des auteurs de ces musiques et films.

Néanmoins, le rêve d’une société post-capitaliste subsiste dans certains esprits.

L’un des pionniers est Michel Bauwens, qui a fondé en 2007 la « P2P Foundation » pour promouvoir et développer le concept, y compris dans une vision politique. Il est aussi l’auteur, en 2015, de son manifeste, « Sauver le monde – Vers une économie post-capitaliste avec le peer-to-peer ».

Pour Michel Bauwens, le p2p est, ou sera, l’idéologie de la nouvelle classe de travailleurs de la connaissance, pour qui il équivaut au socialisme de la classe ouvrière industrielle du XIXème siècle.

En effet, « ces derniers sont socialisés de manière différente de celle des ouvriers. L’ouvrier d’usine est un paysan qui a été chassé de sa terre et devient un prolétaire. Il se retrouve dans une grosse usine où il peut améliorer son sort en luttant collectivement avec ses camarades de travail pour faire respecter ses exigences ».

Rien à voir avec un travailleur de la connaissance qui a, lui, ses propres outils de travail (en gros un ordinateur et une connexion à internet). « On assiste donc à une « déprolétarisation » accompagnée de l’émergence d’une nouvelle mentalité d’artisan ».

Et ce sont justement ces travailleurs de la connaissance qui sont les mieux adaptés à l’expansion de la mentalité peer-to-peer. Ils estiment naturellement que le partage d’informations et s’organiser en réseau sont nécessaires.

Et, si l’on considère qu’aujourd’hui, chaque emploi comporte des aspects cognitifs importants, cette mentalité du travailleur de la connaissance, selon Michel Bauwens, « va se répandre dans des cercles de population plus larges ».

Cette idée de coopération transdisciplinaire et horizontale a fait réfléchir les auteurs sur de nouveaux modèles d’organisation, autour du concept de « stigmergie », que Michel Bauwens analyse également.

Parmi eux, Lilian Ricaud, ou aussi des communautés comme Quaeso.

La stigmergie est ainsi définie dans wikipedia, justement : « La stigmergie est un mode de coordination indirect où une action laisse une trace stimulant une action suivante, créant ainsi une activité auto-organisée cohérente sans nécessiter de plan ou de communication directe entre agents. ».

L’origine du concept est trouvée dans la nature : « La stigmergie a d’abord été observée dans la nature – les fourmis communiquent en déposant des phéromones derrière elles, pour que d’autres fourmis puissent suivre la piste jusqu’à la nourriture ou la colonie suivant les besoins, ce qui constitue un système stigmergique.

Des phénomènes similaires sont visibles chez d’autres espèces d’insectes sociaux comme les termites, qui utilisent des phéromones pour construire de grandes et complexes structures de terre à l’aide d’une simple règle décentralisée.

Chaque termite ramasse un peu de boue autour de lui, y incorporant des phéromones, et la dépose par terre. Comme les termites sont attirés par l’odeur, ils déposent plus souvent leur paquet là où d’autres l’ont déjà déposé, ce qui forme des piliers, des arches, des tunnels et des chambres.”

Concernant l’entreprise et les organisations, ça évoque les méthodes d’intelligence collective, mais avec une vision générale pour l’ensemble de l’organisation.

Le principe de fonctionnement d’une telle organisation stigmergique est le suivant selon ces auteurs :

« Dans le schéma de la stigmergie, tous les travailleurs ont une autonomie complète pour créer comme ils le souhaitent; le pouvoir du groupe d’utilisateurs réside dans sa capacité à accepter ou rejeter le travail. Comme il n’y a pas de personne désignée pour accomplir une tâche, les usagers sont libres de créer une alternative s’ils n’aiment pas ce qui est proposé. Les travailleurs sont libres de créer sans prendre en compte l’acceptation ou le rejet; dans ce schéma des travaux peuvent être acceptés par le groupe le plus important, une alternative par un autre groupe d’usagers, une autre uniquement par un petit groupe, et parfois le travailleur sera seul avec sa propre vision des choses. Dans tous les cas, les travailleurs restent libres de créer comme ils l’entendent. L’histoire n’a pas montré d’idées radicalement innovantes qui aient reçu une acceptation générale immédiate et l’histoire a également fait la preuve que les idées radicalement neuves sont le plus souvent le résultat de vision solitaires; laisser le contrôle du travail au consensus de groupe seulement résulte dans une paralysie de l’innovation ».

Dans ce modèle on accepte de créer des projets concurrents, et on privilégie les petites équipes agiles et spécialisées par projet.

Comme toujours, toute la subtilité doit être dans l’exécution. En s'inspirant des fourmis et des termites.

Qui a essayé ?


Un bon CoDir

CODIRLa revue RH&M organise chaque année une cérémonie de trophées des CoDir de l’année. CoDir, ça veut dire Comités de Direction, le top du top des entreprises, animés par le Président ou le Directeur Général.

Cette année, c’était la 12ème, et un festival de reconnaissance et d’autosatisfaction pour les dirigeants et dirigeantes des entreprises de toutes tailles, de plusieurs milliards d’euros de CA ou d’à peine cent millions.

C’est intéressant de valoriser les CoDir de cette façon, car on parle surtout des dirigeants, comme des Napoléon seuls face à l’adversité, visionnaires et stratèges, qui remercient en général tous les employés quand il s’agit de fêter une réussite, mais les CoDir sont oubliés.

Alors la question qui venait pour tous les lauréats, c’était forcément : C’est quoi un bon CoDir ?

Cette dirigeante qui a changé la quasi-intégralité du CoDir de l’entreprise où elle venait d’être nommée Directeur Général, a donné son secret : « Les membres du CoDir précédant mon arrivée étaient sûrement des personnes compétentes, mais j’avais besoin de personnes qui s’entendraient avec moi, et correspondraient à ce que, moi, je voulais conduire, et à mon style ».

Mais alors, avec un bon CoDir, que fait le dirigeant ? Doit-il être « au-dessus de la mêlée » ou se mêler des détails ?

Cette autre dirigeante lauréate a avoué avoir reçu cette leçon d’un de ses mentors, dans sa jeunesse, qui lui avait dit qu’il était important d’avoir le sens du détail pour justement prendre de la hauteur. Elle garde mémoire de cette leçon pour diriger un Groupe de plusieurs milliards d’euros de CA, dans 170 pays, avec un CoDir de 18 personnes (sic). Elle le traduit en allant se confronter aussi souvent que nécessaire au « terrain », c’est-à-dire le client (qui peut représenter des commandes gigantesques), les opérations, le employés de première ligne.

Autre question : Comment ça fonctionne un CoDir ?

Les dirigeants lauréats nous ont tous parlé de ces réunions, appelées « séminaires » quand elles durent plusieurs jours (au moins deux), où on se lâche un peu (« mais en restant cadrés sur un agenda et une forme sérieux »). Avec la fin de l’année, certains vont faire un « Secret Santa » avec le CoDir, d’autres un karaoké (« un des membres de mon CoDir chante très bien ; il nous fait la même chanson tous les ans »).

L’un des dirigeants a même institué un rituel où tous les membres du CoDir, venant du monde entier, se réunissent physiquement (« pas de visio ! ») pour vraiment échanger, tous les mois, pendant deux jours.

Mais peut on tout traiter avec un CoDir, ou d’autres structures sont-elles à imaginer ?

Un dirigeant nous a révélé qu’il a institué un système de comités ad hoc, selon les sujets à traiter, composés de membres de CoDir mais aussi d’autres collaborateurs, avec une mission précise, chaque comité s’arrêtant quand le sujet est terminé, pour faire place à d’autres sur un nouveau sujet. C’est ce qu’il appelle « l’agilité ».

L’innovation et la performance, c’est aussi savoir choisir la structure de décision, et l’organisation des Codir.

Et puis, une question qui n'a pas  été posée : Mais a-t-on encore besoin de CoDir pour diriger les entreprises ?

C'est pour les trophées des "Non-CoDir"...


Bureaucratie, es-tu là ?

Bureaucratie22Il me parle du fonctionnement de son entreprise, et m’évoque «les objectifs aberrants qui viennent d’en haut », tout ce qui fait que « l’on s’éloigne de la réalité du terrain », et « toutes ces strates hiérarchiques qui empêchent les messages de circuler ».

C’est un phénomène dont parlait déjà Michel Crozier en 1963, le « phénomène bureaucratique ».

Et ce terme de « bureaucratie » y a acquis un sens péjoratif.

Pourtant, cela n’a pas commencé comme ça.

Max Weber, au début du XXème siècle, identifiait la bureaucratie comme un « type idéal » démontrant à la perfection l’efficacité des organisations rationnelles modernes, grâce à la standardisation et à l’organisation scientifique du travail.

Et puis cette forme d’organisation du travail a révélé sa rigidité, et donc son incapacité à s’adapter au monde moderne, même en 1963.

Et pourtant des signes de cette forme d’organisation bureaucratique subsiste encore parfois.

Rien de tel pour identifier les travers bureaucratiques qui peuvent affecter nos entreprises et organisations que de relire Michel Crozier qui avait parfaitement identifié les traits essentiels de l’organisation bureaucratique.

L’organisation bureaucratique rigide, c’est celle « qui n’arrive pas à se corriger de ses erreurs ».

Michel Crozier distingue quatre traits essentiels.

L’étendue du développement des règles impersonnelles : Ce sont les règles fixées par le haut, qui s’imposent à tous, pensées par les personnes loin du terrain. Rien n’est laissé à l’initiative individuelle.

La centralisation des décisions : Le pouvoir de décision se situe aux endroits où l’on donnera la préférence à la stabilité du système interne « politique » sur les buts fonctionnels de l’organisation. Afin de sauvegarder les relations d’impersonnalité il est indispensable que les décisions qui n’ont pas été éliminées par l’établissement de règles impersonnelles soient prises à un niveau où ceux qui vont en avoir la responsabilité soient à l’abri des pressions trop personnelles de ceux qui seront affectés par ces décisions.

Si la pression en faveur de l’impersonnalité est forte, cette tendance à la centralisation est irrésistible. Elle se traduira par une priorité donnée aux problèmes « politiques » internes (lutte contre la favoritisme, rattachements des postes à tel ou tel) par rapport aux problèmes d’adaptation à l’environnement qui demanderaient que les décisions soient prises à un niveau où l’on connaisse mieux ses particularités et son évolution. La centralisation est donc le second moyen d’éliminer l’arbitraire, le pouvoir discrétionnaire de l’être humain au sein d’une organisation. D’où la grande rigidité : Ceux qui décident ne connaissent pas directement les problèmes qu’ils ont à trancher ; ceux qui sont sur le terrain et connaissent les problèmes n’ont pas les pouvoirs nécessaires pour effectuer les adaptations et pour expérimenter les innovations devenues indispensables.

L’isolement de chaque catégorie hiérarchique : L’organisation bureaucratique va se trouver composée d’une série de strates superposées, communiquant très peu entre elles.

Puisqu’il doit y avoir toujours égalité entre les membres de la même strate, les conflits à l’intérieur de la strate vont être remplacés par des conflits entre strates.

L’isolement de chaque strate lui permet de contrôler complètement ce qui est de son domaine et d’ignorer les buts généraux de l’organisation. Et même, pour obtenir le meilleur résultat possible dans sa négociation avec le reste d l’organisation une strate doit prétendre que sa fonction particulière constitue une fin en soi.

Le développement de relations de pouvoir parallèles : Quels que soient les efforts déployés, il est impossible d’éliminer toutes les sources d’incertitude à l’intérieur d’une organisation en multipliant les règles impersonnelles et en développant la centralisation. Autour des zones d’incertitude qui subsistent, des relations de pouvoir parallèles vont se développer, et avec elles, des phénomènes de dépendance et des conflits.

Cette organisation bureaucratique rencontre des problèmes face au changement.

Un système d’organisation dont la principale caractéristique est la rigidité ne peut naturellement pas s’adapter facilement au changement et tendra à résister à toute transformation.

Et pourtant le changement est permanent, mais les agents de l’organisation qui sont conscients de la nécessité des transformations ne peuvent en avoir l’initiative, car l’organisation bureaucratique s’arrange pour éloigner les centres de décision des difficiles contacts avec les problèmes concrets, surtout lorsqu’il s’agit de problèmes d’ordre humain. Les décisions concernant le moindre changement sont généralement prises au sommet.

Un système d’organisation bureaucratique ne cède au changement que quand il a engendré des dysfonctions vraiment graves et qu’il lui est impossible d’y faire face.

Dans un système bureaucratique le changement doit s’opérer de haut en bas et doit être universel, c’est-à-dire affecter l’ensemble de l’organisation en bloc.

C’est à cause des longs délais nécessaires, de l’ampleur qu’il doit revêtir et à cause de la résistance qu’il doit surmonter que le changement constitue pour un système d’organisation bureaucratique une crise qui ne peut manquer d’être profondément ressentie par tous les participants.

La crise est le seul moyen de parvenir à opérer les ajustements nécessaires et joue donc un rôle essentiel dans le développement même du système qu’elle seule peut rendre possible et, indirectement même, dans la croissance de l’impersonnalité et de la centralisation.

Bien sûr, les signes de l’organisation bureaucratique commencent par le haut, selon l’adage connu (certains y voient une origine chinoise, d’autres évoquent Erasme) : «Le poisson pourrit par la tête ». Car, comme le dit Michel Crozier « Nous rejetons trop facilement nos difficultés sur des épouvantails, comme le progrès, la technique, la bureaucratie. Ce ne sont pas les techniques ou les formes d’organisation qui sont coupables. Ce sont les hommes qui, consciemment ou inconsciemment, participent à leur élaboration ».

Alors, passer une journée avec le Comité de Direction d’une organisation qui veut se soigner de ces travers, c’est parler d’ « agilité », d’ouverture, de ce qui permettra de libérer les initiatives, de la meilleure façon de se libérer de la paralysie des process, de comment développer la prise d’initiatives à tous les niveaux. On a envie d’initiatives d’ « intelligence collective ». Cela commence par libérer la parole et mieux nous écouter dans ce Comité de Direction, à parler un peu plus du futur et un peu moins de nos « routines ».

Et puis, forcément, on va évoquer la confiance, la prise de risques, le courage.

Car ce qui nous rend bureaucratiques, c’est aussi la peur ; cette peur d’affronter les autres, de trop s’exposer car, oui, la bureaucratie, c’est un environnement qui a ses avantages pour l’individu, qui évite les conflits et permet de se protéger derrière les règles.

Pour se libérer du phénomène bureaucratique, on peut relire Michel Crozier, et transformer notre prise de conscience en confiance et en courage.

Joli programme, non ?


Créer du collectif

CollectifElle a été nommée à ce poste, membre du Directoire, depuis presque un an. Elle regroupe sous sa responsabilité, dans un poste reconfiguré, des entités regroupées, qui n’étaient pas rassemblées ainsi auparavant. Elle change deux des responsables de son Comex (les précédents partant en retraite). Sa mission, c’est de « renforcer la performance ». Elle a l’air d’aimer ça.

Elle me raconte ses projets, elle est « débordée ». Son ambition c’est de « créer du collectif » avec sa nouvelle équipe de Direction et le « premier cercle » des managers.

Je m’interroge. Qu’est-ce que ça veut dire « créer du collectif » ? On pourrait penser que cela consiste à aller chercher les trucs et astuces, genre séminaire, « team building », toute une panoplie, qui créeront ce collectif magique.

On peut aussi revenir aux sources. Parler de « collectif », c’est sûrement être convaincu, question de valeurs, que la force de l’humain est de pouvoir soulever des montagnes (ou « renforcer la performance ») en s’alliant avec ses semblables, dans une forme d’entraide, pour faire ensemble ce que l’on ne pourrait pas faire seul, ou en compétition avec les autres. Les membres du « collectif » ont un but commun, mais néanmoins, chacun est à sa place dans l’organisation avec ses méthodes et modes d’action propres.

Parler de collectif, c’est évoquer la peur que mon équipe n’arrive pas à travailler ensemble avec fluidité. Et parler de la peur, on le sait bien, c’est parler de confiance.

La littérature, philosophique ou livres de management ou de développement personnel, ne manque pas sur ce sujet de confiance. A chacun sa recette, ses formules toutes faites applicables à tout le monde. C’est le sujet du livre assassin de Julia de Funès, dont j’avais parlé ICI.

La confiance, c’est aussi le sujet du livre de Laurent Combalbert et Marwan Mery, « Les 5 leviers de la confiance ».

L’ouvrage est original par ses auteurs. Laurent Combalbert est un ancien du RAID, et Marwan Mery a exercé ses talents de dénicheur des tricheurs dans les casinos, en mode « Lie to me », en observant les signes du visage pour détecter les menteurs et les tricheurs.

A eux-deux ils ont créé l’ADN, Agence des Négociateurs, qui forme et accompagne des décideurs pour mieux négocier. Leurs clients sont surtout des patrons et des entreprises, pour briser une grève, négocier au mieux les salaires, ou emporter des appels d’offres ou des contrats avec clients et fournisseurs. C’est pourquoi leur livre sur la confiance, nourri de leurs expériences, contient de nombreux exemples de filatures de gangsters, ou de prises d’otages. A nous de transposer ça dans notre monde, moins dangereux quand même, de l’entreprise et de ses petites histoires de confiance entre collègues. Mais qui peut le plus, peut le moins. Le livre a d’ailleurs comme sous-titre « Aidez vos collaborateurs à se dépasser ! ». Oui, c’est un livre pour les chefs, ceux qui en veulent pour leurs collaborateurs. Encore et toujours la performance.

Ils évoquent cinq leviers car, pour eux, la confiance se décline en cinq sujets. Pour créer la confiance, on pourrait dire pour « créer le collectif » à ma Directrice, ils proposent même un ordre de mise en œuvre, étape par étape. Mais pour créer la vraie confiance et atteindre l’excellence il faut bien sûr cocher les cinq cases.

Etape 1 : la confiance dans la mission

Ah oui, on l’oublierait presque, mais croire en la mission, en avoir une, et faire en sorte que les équipes et les collaborateurs aient conscience de la mission globale à laquelle ils participent, et surtout, y croient, c’est le début de la confiance. Une « Raison d’être », en ce moment, tout le monde en veut une. Ça phosphore dans les services de communication. Il ne faut pas en rester à « renforcer la performance ». Il est préférable d’aller s’adresser aux émotions, de toucher l’intime. C’est le sens de cette citation de Saint-Exupéry que j’ai souvent utilisée, et que je conseillerai bien à ma directrice : « Si tu veux construire un bateau, ne rassembles pas les hommes et les femmes pour leur expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose. Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur des hommes le désir de la mer ». A discuter et à formaliser pour en faire une mission claire, simple et réaliste. Mais formaliser la mission, c’est plus précis que la « raison d’être ». Les auteurs, habitués aux libérations d’otages et aux attaques terroristes, nous disent qu’il faut viser grand. Ils parlent en connaisseurs : « D’expérience, on constate que les équipes qui doivent affronter des enjeux forts en environnement complexe sont plus motivées et plus efficientes que les autres ».

La mission est trouvée, les enjeux forts et les émotions à la clef ?

On passe à l’étape 2 alors.

Etape 2 : la confiance hiérarchique

Quel meilleur gage de confiance que de croire dans celle ou celui qui vous guide ? Et que de problèmes quand, surtout quand l’ambition fixée est forte, quand on doute de la capacité du ou des chefs.

Il y a, pour un chef , ou pour les collaborateurs, les mauvaises méthodes, que pourtant certains utilisent :

  • La peur : faire avancer ses collaborateurs sous la crainte d’une sanction relève plus du dressage que du management. Pas trop la recette pour la confiance.
  • La ruse : pour être tranquilles les collaborateurs font mine de suivre le leader, mais en réalité avancent à reculons, sans envie ni engagement. Cela finit par se voir. Pas trop une relation de confiance non plus.

 Pour créer la relation de confiance avec le chef, les auteurs recommandent au chef l’empathie, celle du leader qui perçoit l’émotion et montre à son interlocuteur qu’il en accuse réception.

Vous êtes reconnu comme un bon chef crédible et sincère, empathique.

Prêt pour l’étape 3. Eh oui, ce n’est pas fini.

Etape 3 : La confiance dans l’histoire

«  Comment savoir où l’on va si on ne sait pas d’où l’on vient ? » disent les auteurs. Cela rappelle cette citation de Churchill : « Plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur ».

Connaître son histoire, c’est être capable de valoriser les succès et de d’apprendre des erreurs passées. C’est porter un regard lucide sur les capacités et les points faibles de l’entreprise. Ce qui renforce la confiance collective, ce sont aussi ce que les auteurs appellent les « valeurs fondatrices » : Ensemble hiérarchisé de principes et de comportements considérés comme nécessaires à l’existence de l’entreprise, les valeurs fondatrices sont l’ADN du groupe, qui constituent sa conscience collective ». On parlera aussi de culture d’entreprise, qui est un ensemble de comportements et d’attitudes qui structurent le fonctionnement du groupe.

L’histoire, ce sont aussi les rituels et les traditions, les évènements réguliers, les rencontres habituelles. Ce sont les séminaires de rentrée, mais aussi les pots du vendredi soir. Avec le Covid, certains ont disparus ; il va être temps d’y revenir.

Etape 4 : La confiance en soi

Il est évident que la confiance collective de l’équipe ou de l’entreprise dépend aussi de la confiance en soi de chacun de ses membres.

Les auteurs proposent un indicateur pour la mesurer (même s’il n’est pas très facile à calculer ; c’est plutôt un indicateur intuitif) : le quotient d’insécurité de l’entreprise.

Le quotient d’insécurité est la multiplication de notre niveau de sécurité intérieure par notre capacité à accepter l’incertitude.

Cela concerne l’appétence à l’incertitude et la sensibilisation à la complexité. Si on aime ce qui est carré, être sûr de tout bien contrôler avant d’agir, alors notre quotient d’insécurité est faible et, dès que quelque chose tourne mal ou n’est pas prévu, c’est la panique. Pas trop l’ambiance de confiance.

Pour développer ce quotient, les expériences, les debriefings des situations, l’entraînement à agir et décider dans l’incertain, sont de bons facteurs de développement.

Etape 5 : la confiance d’équipe

On comprend bien que si les associés prennent leurs collègues pour des imbéciles ou des incapables, si les collaborateurs se « tirent dans les pattes » pour gagner la course et se montrer meilleurs que les autres, la confiance de l’équipe sera nulle.

Certaines règles du jeu, notamment dans les systèmes de rémunération et de bonus, facilitent la conscience collective et la solidarité, d’autres moins. Il ne suffit pas d’avoir les règles, encore faut-il qu’elles soient vraiment appliquées de manière juste et équitable.

De quoi y revenir et les vérifier régulièrement.

Mais parler de confiance d’équipe, c’est aussi se méfier du risque d’avoir trop confiance, de se croire invulnérables (on est les meilleurs !). Au moindre coup dur, c’est la sidération et l’incapacité à agir ensemble. Risque aussi, quand ça va mal, de systématiquement s’en prendre aux autres, à la conjoncture, à « pas de chance », sans se remettre en cause.

Pas si simple, la confiance d’équipe. Cela peut nécessiter de régulièrement montrer à chacun l’intérêt à travailler en équipe, car l’esprit d’équipe ne se décrète pas tout seul.

On comprend que « créer du collectif », si on le fonde sur les cinq leviers de la confiance, ce n’est pas seulement « renforcer la performance », mais une forte ambition qui nous porte sur la durée, comme ce que Laurent Combalbert et Marwan Mery appellent « une envie d’excellence »

Renforcer la performance, c’est aussi une affaire de désir, un désir authentique. 


Faut-il faire le singe pour réussir ?

AgileVous l'entendez, vous aussi ? Avec cette crise, on a compris, dans notre entreprise, qu'il allait falloir l'être beaucoup plus, et on va s'y attaquer sérieusement.

Être  quoi ? S'attaquer à quoi ?

A un truc, un mot, quasi-magique : l'agilité. Car qui ne rêve pas d'être agile.

Agile comme un singe, diront certains.

Car l'agilité, cela veut dire pouvoir s'adapter à toutes les situations, être capable de changer de direction à chaque obstacle, sans perdre de temps, c'est gérer les processus avec fluidité, souplesse, un vrai talent d'acrobate de cirque. 

Oui, mais si l'on creuse un peu toutes ces belles paroles, et qu'on se prend à demander "Oui, mais comment faire ? ", cela est parfois beaucoup plus flou.

Car l'agilité, pour une organisation, une équipe, une entreprise, cela ne s'improvise pas seulement par incantation.

Le concept est au départ inspiré par le développement de projets informatiques. Il nous permet de constituer des équipes autonomes, capables de se coordonner en favorisant le dialogue direct et régulier, et ainsi de produire les résultats plus vite, et de manière plus fiable. Pas si éloigné non plus des principes du Lean Management. 

Alors, si ça marche pour les projets informatiques, pourquoi ne pas s'y mettre pour toute l'entreprise. Par exemple pour s'organiser pour répondre à un appel d'offres public, pour lancer un nouveau produit, un nouveau service, pour relancer une marque, et, même pour mieux faire fonctionner un comité de Direction ? 

Et c'est ainsi que de plus en plus d'entreprises s'y mettent, et que les consultants prolifèrent pour y aider. Car il vaut mieux s'entourer des bons experts.

La dernière livraison de Harvard Business Review est d'ailleurs consacrée au sujet : " The Agile executive : how to balance efficiency and innovation (even in tough times like these) ". Cela ne vous apprendra pas comment faire en détail, mais donnera peut-être l'envie de s'y mettre. 

L'article raconte l'expérience d'un dirigeant d'entreprise (on ne nous dévoile pas laquelle mais on comprend que c'est plutôt une grande entreprise), qui a rendu Agile son comité de Direction, considérant que c'est au top management de montrer la voie pour l'agilité de l'entreprise. 

Pourquoi s'être lancé dans une telle aventure ? Tout commence par une impression...et une décision en rupture.

Ce dirigeant fait un constat, que d'autres ont dû aussi vivre : Alors que son entreprise avait capitalisé sur des économies d'échelle constantes, et des coûts de production les plus bas de son industrie, voilà qu'il avait l'impression que ces avantages compétitifs étaient devenus des handicaps. Car de nouveaux compétiteurs avaient fait leur entrée sur les marchés, sur tous les segments, en apportant des produits et des services innovants que tous les distributeurs et clients s'arrachaient. Ils proposaient des politiques de retour et remboursement agressives, des services de livraison ultra-performants, réduisant ainsi aussi les coûts de stockage. Et pendant ce temps là, l'entreprise de notre dirigeant n'arrivait pas à suivre, encombré par les silos de l'entreprise qui n'arrivaient pas à se coordonner assez rapidement pour riposter et innover. 

Dans l'esprit du dirigeant, il ne va pas s'agir de seulement mettre en place des "équipes Agile", capables de mener les projets de développement de solutions et de process innovants, en mettant en place les bonnes pratiques, mais de créer le choc au niveau du comité de Direction lui-même pour pour construire et faire tourner une entreprise Agile dans son ensemble et son état d'esprit. Qui n'en rêverait pas ? 

Alors, comment faire ? Cela commence par un juste équilibre à trouver.

Cela ne consiste pas, en effet,  à multiplier sans discernement les équipes Agile partout dans toute l'entreprise (même si cette pratique peut aussi avoir de l'intérêt pour les projets, mais l'article ne s'y attarde pas). Il faut  trouver le juste équilibre entre les procédures et process standardisés, garants aussi de qualité et de maîtrise des coûts, et les marges de liberté et d'autonomie qui permettent l'émergence de l'innovation et de la prise de risques. 

Notre dirigeant a donc créé sa "Leadership Team", avec lui, désigné comme "Initiative owner", et les quelques membres de son comité de Direction (Finances, RH, Opérations, Marketing). La première chose a été de revoir comment ils occupaient leurs réunions de Direction qui duraient six heures (!!) chaque lundi. L'objectif est de passer moins de temps sur des détails opérationnels et de consacrer cette réunion à des sujets plus stratégiques. 

L'équipe s'est alors concentrée sur une initiative stratégique majeure visant à développer un large segment de marché pour y augmenter la part de marché et y dégager des revenus en milliards de dollars. C'est donc un choix stratégique ciblé avec de gros enjeux. Ensuite, cette initiative a été décomposée en trois composantes :

  • Amélioration du process de développement produit,
  • Élargissement des circuits de distribution et amélioration de la Supply Chain,
  • Programmes de Marketing pour améliorer la visibilité et les achats des consommateurs    

Puis les membres de l'équipe ont fixé et chiffré les ambitions pour chaque composante, et les métriques pour suivre et mesurer l'avancement.

Ensuite les travaux à conduire pour mener chacune des composantes, et obtenir les résultats, ont permis de mettre en place 25 équipes "Agile" , l'ensemble étant coordonné et priorisé dans des feuilles de route. 

C'est là où l'Agile se met en place, en désignant les rôles : un chef de projet (star senior manager) , issu du Département des Opérations, et trois " initiative owners" des 25 équipes Agile, responsables ultimes de la valeur délivrée pour les clients internes et externes, et pour l'exploitation. Ces quatre managers sont affectés à plein temps au projet. Et les membres de l'équipe "Leadership Team", ils font quoi alors ? Ils sont les "sponsors" des "Initiative owners", les aidant à prendre les décisions, à trouver les experts nécessaires, et s'assurant que tous les Départements concernés de l'entreprise coopèrent pour contribuer aux équipes. 

Pour assurer le bon fonctionnement le dirigeant a rédigé pour sa "Leadership Team" un "Manifesto Agile", permettant de partager un même style de comportement.

Pour coordonner le tout, autre pratique caractéristique du fonctionnement Agile, les leaders de chaque équipe conduisent des réunions quotidiennes (appelées des "stand-ups") pour lever les blocages. 

Chaque mois, le dirigeant demande aussi aux 25 Agile Teams d'évaluer leur propre équipe par rapport aux principes du Manifesto. Il a mis aussi en place des outils de communication pour faciliter la transparence, chacun pouvant voir en temps réel ce sur quoi  travaillent les membres de l'équipe, et visualiser facilement les interdépendances entre les différentes équipes. 

En fait, ce témoignage ne constitue pas un ensemble de règles et procédures qu'il conviendrait d'appliquer tel quel; la pratique des organisations et des fonctionnements Agile montre que ce sont les principes et la philosophie Agile.

Une des leçons de la pratique Agile par le dirigeant et sa "Leadership Team" est qu'elle est un excellent moyen de déléguer la plupart des activités aux subordonnés pour consacrer son temps sur ce qu'ils ont vraiment à faire; car passer une heure sur le contrôle et la double vérification des activités des managers opérationnels, et en général compétents,  apporte beaucoup moins de valeur que de consacrer cette heure à développer des innovations en impliquant plusieurs départements et fonctions transverses, ce que justement les managers opérationnels dans chaque département ne sont pas en mesure de conduire. 

Le travail en équipes Agile est aussi une bonne leçon d'humilité pour les dirigeants qui pourraient avoir tendance à croire qu'ils savent tout : les équipes pluridisciplinaires et les échanges systématiques favorisent au contraire le dialogue et la prise d'initiatives par tous, chacun étant convaincu que les bonnes idées et solutions aux problèmes peuvent venir de n'importe où et n'importe qui. 

C'est pourquoi le dirigeant évoqué par l'article a mis en place des rituels favorisant ces échanges et feedback (appelés les "feedback loops") pour identifier et résoudre rapidement les problèmes, et progresser rapidement : Chacune des 25 équipes agile se réunissent un quart d'heure chaque matin pour partager les les plans de la journée et les potentiels goulets d'étranglement, puis les leaders des 25 équipes se réunissent un autre quart d'heure en trois équipes, pour partager les perspectives et résoudre autant de problèmes qu'ils peuvent entre eux; puis les leaders des trois groupes, les "initiative owners" se réunissent un autre quart d'heure  avec le chef de projet de l'ensemble pour partager les réponses apportées et régler les problèmes restants, et se préparer pour la réunion avec la "leadership team" du comité de Direction, qui va trancher et planifier les décisions utiles pour les équipes.

Ces points d'un quart d'heure remplacent ainsi toutes les réunions qui n'en finissent pas et où l'on ne décide pas grand chose. De plus, tous les membres n'ont pas obligation d'être présents à ces points d'un quart d'heure, mais seulement ceux qui ont des problèmes et questions à soulever, et certains se joignent par téléphone ou visioconférence. 

Bien sûr, il y a des résistances pour appliquer de tels modes de fonctionnement; on les entend fréquemment : "Nous on est différents, on ne peut pas avoir des process aussi contraignants, avec des points journaliers"; "On ne peut pas appliquer des méthodes issues de l'informatique pour des sujets stratégiques"; " on a besoin de se parler, on ne peut pas tout régler en un quart d'heure"; " le participatif, ça fait perdre du temps, il vaut mieux décider en petit comité", etc... Toutes les excuses peuvent surgir pour ne pas faire. On comprend que fonctionner en mode Agile est d'abord une question de culture. Si l'on a l'habitude d'une culture du contrôle, ça va être dur. Si notre culture est celle de la collaboration et de l'entraide, ce sera plus facile.

Cette culture Agile, et sa propagation dans l'entreprise, constitue finalement un processus d'amélioration permanente, qui ne s'arrête jamais. C'est ce qui le fait s' apparenter aux méthodes de Lean management.

L'article HBR est un bon encouragement à s'y lancer; il se termine par (en parlant des dirigeants) :

"When it all works, they improve business results, unleash the potential of employees, and enhance their personal job satisfaction".

Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux et faire le singe ?