Re-heureux

Smiley J'avais déjà parlé de cette entreprise qui se déclare formidable, mais qui avait du mal à trouver son dirigeant pour la France : SAP.

Hasso Plattner, co-fondateur de cette entreprise, président du conseil de surveillance, et toujours premier actionnaire de l'entreprise, a pris la décision brutale de faire partir le PDG, nommé depuis un an, Léo Apotheker.

Ce qui retient l'attention, et que toute la presse a repris, c'est la justification : Ce que Hasso Plattner veut en changeant la Direction, c'est simple...comme le bonheur :

" Je vais faire tout mon possible pour que SAP redevienne une entreprise heureuse".

"Pour les entreprises cotées en Bourse, le profit, c'est tout. Mais il faut que SAP soit de nouveau heureuse et profitable".

"Cela ne veut pas dire que l'on n'est pas heureux, mais que l'on pourrait l'être davantage".

Il y quelques semaines, SAP avait annoncé des marges supérieures aux attentes, et de marges meilleures que les prévisions; mais voilà, apparemment, l'adage a raison : le profit et les marges ne font pas le bonheur.

Ce qui est énigmatique là-dedans, c'est la question : c'est quoi exactement une entreprise heureuse ?

Car on a longtemps fait courir le bruit que une entreprise heureuse c'était celle qui marchait bien, qui faisait sourire les actionnaires, et qu'un actionnaire heureux, c'est le bonheur pour tous; la fameuse théorie du "shareholder value". Et puis on est passé à la valeur pour tous, les "stakeholders". Mais on pensait alors que le bonheur c'était pour tous. Là, surprise: les profits sont là, mais le plus gros actionnaire n'est pas heureux du PDG, et trouve que l'entreprise n'est pas heureuse.

Tous nos repères s'effondrent.On n'était pas trop habitués à parler comme ça, de confiance, de bonheur..

Pour rendre Re-heureuse l'entreprise, il ne faut pas moins de deux dirigeants au lieu d'un. C'est un couple d'hommes qui va être en charge du bonheur, un américain et un suédois.

On leur souhaite plein de bonheur bien sûr, et d'avoir beaucoup d'enfants.

C'est beau l'amour.


Faut que je fasse tout ici !

Faittout  C'était dans Le Figaro de mercredi 10 décembre, un reportage de Charles Jaigu et Bruno Jeudy, dans un endroit que bien peu d'entre-nous peuvent fréquenter : Le Conseil des Ministres.

Une citation, d'un "ministre" (on ne saura pas lequel) m'a intrigué :

"C'est devenu une réunion de comité de direction d'entreprise. On y débat de stratégie".

J'ignore si ce ministre a jamais fréquenté le moindre comité de direction d'entreprise, mais voilà un intéressant point de comparaison.

D'abord, est-ce que l'on peut comparer un conseil des ministres, réunis autour d'une table  chaque mercredi à plus de 40 personnes (il y a une photo dans l'article du Figaro, ça en jette, c'est sûr), avec un comité de direction d'entreprise ?

Et puis débattre de stratégie, ça veut dire quoi exactement ?

Alors, pour y voir de plus près, il suffit de lire cet article, et là, on n'est pas déçu...

D'abord, pour faire "comité de direction d'entreprise" il y a le timing, et lui il aime le timing : chaque ministre ne doit pas parler plus de trois minutes. Et si on dépasse, ça l"énerve, lui, comme en témoigne un autre ministre :

"Le Président commence à tripoter son stylo, il remue sa jambe, s'impatiente" (j'avais remarqué ça moi aussi, ICI).

Bon, cette histoire des trois minutes, comme dans un jeu télévisé, c'est bon pour les ministres, mais pour le Président, c'est différent :

" Il se sert de ce moment pour rôder ses argumentaires.(...). Il n'hésite pas à se lancer dans des exposés fleuves. Quitte ensuite à raccourcir l'ordre du jour."

"Les ministres regardent aussi Sarkozy faire ses numéros quasi hebdomadaires. Un "One Man Show" où il donne aussi libre court à ses colères".

Et là, côté colère, ça a l'air chaud, la principale source de colère, apparemment, c'est ce qu'il appelle "la cohérence, la cohésion"; en clair, ça veut dire que ceux qui ne sont pas d'accord, ils n'ont qu'à partir...citation de l'intéressé :

" Il faut de la cohésion. S'il y en a qui ne sont pas d'accord, ils n'ont qu'à partir. Il y a un manque de professionnalisme de certains sur certains dossiers. J'ai déjà eu l'occasion de vous le dire quatre ou cinq fois; je ne répèterai pas une sixième ! La prochaine sortie de route, c'est dehors !".

Ce qui est notable là-dedans, c'est le "certains" ceci, "certains" cela...c'est top pour la cohésion; on suspecte sans nommer, on insinue, on menace...Méthode effectivement originale pour motiver et créer la cohésion.

Bon, et des fois, apparemment, la colère le pousse à bout, comme lors du conseil des ministres délocalisé en Corse où quelque chose de particulièrement grave s'est passé (oui, c'est plein de trucs horribles ce reportage du Figaro; ne le faîtes pas lire à des personnes trop sensibles) :

Lors de l'arrivée du Président, l'huissier chargé d'annoncer l'arrivée du président a oublié de vérifier que tout le monde était bien à sa place...et il manquait François Fillon...

Forcément, "ce couac agace le président", et il se précipite à la fenêtre..

Et, dernière saillie :

"Faut que je fasse tout ici...bougonne-t-il en fusillant du regard le secrétaire général du gouvernement !"

Quelle horreur, non ? Et quelle maîtrise dans la gestion de ce qui ressemble à "un comité de direction d'entreprise" : un couac, et c'est le drame, et on fusille du regard le coupable, et on montre bien à tout le monde qu'on est vraiment indispensable...

Bon, tout ça n'est pas exactement le modèle des bonnes pratiques d'un comité de direction d'entreprise efficace...la cohésion, la stratégie, la solidarité, oui, mais ces histoires de "trois minutes" , les monologues du chef, les "colères" mises en scène, les "moi, moi, moi, je suis indispensable", tout ça, dans nos entreprises, on essaye de l'éviter...

Et puis cela inspire aussi une autre réflexion : tous ces ministres qui se sont livrés ainsi aux deux journalistes du Figaro, en débinant leur chef, quelles langues de putes, vous trouvez pas ? Il ne les tient pas si bien que ça le chef en question; c'est pas trop la cohésion; il devrait peut-être le "redire une sixième fois", voire même une septième, une huitième,...car, il doit être convaincu que, quand quelque chose ne marche pas il suffit de "faire plus de la même chose", comme en sont convaincus ceux qui le pratiquent avec constance et réussissent toujours...à échouer (merci Watzlawick);

ou bien tous ces ministres se défoulent pour pleurer leur malheur.

Quelle que soit l'explication, ça laisse songeur aussi...

Finalement, c'est peut être pas si marrant que ça d'être dans un comité de direction avec un chef pareil...


Des tripes et des reins

Cash Dans le dernier numéro (juillet-août) du journal de l'Ecole de Paris du management, les minutes d'une récente conférence-débat avec Noël Goutard sont reprises.

Noël Goutard, c'est l'ancien Directeur Général de Valéo, qui s'est rendu célèbre par ses programmes de "cost killer" redoutable, et sa réussite à la tête de cette entreprise.

Aujourd'hui, Noël Goutard s'occupe de LBO (Leverage Buy-Out), "un nouveau métier" dit-il...

Nouveau, pas si sûr.

Que fait-il ?

Il recherche des sociétés à acheter, et investit dans celles-ci avec un effet de levier grâce à l'endettement. Traditionnellement cela consiste à acheter une société avec 20% en capital, et 80% en dette. Les managers sont aussi sollicités pour investir dans l'opération, gage de leur engagement : "Il faut que le business plan sorte vraiment de leurs tripes".

Bien sûr, pour que cela marche, il va falloir que l'exploitation de la société permette de rembourser la dette, tout en valorisant celle-ci et permettre rapidement une plus-value à la revente. LBO France, où oeuvre Noël Goutard, se donne 4 à 5 ans pour parvenir à ce résultat, souvent juteux pour tout le monde, puisque les plus-values dégagées sont, sur une telle pèriode, de 3 à 5 fois, en moyenne, le montant de l'investissement initial.

Concrètement, cela veut dire que le "driver" de la stratégie qui va devoir être conduite sur cette pèriode courte a un nom : le cash !

Pour Noël Goutard , "le cash est le dénominateur commun, tout le monde comprend"; d'ailleurs quand il était chez Valéo, il montrait déjà un fort intérêt pour le cash.

"Le cash représente effectivement une tyrannie qui est imposée  par les investisseurs, mais il y aussi du fun : il faut faire de la stratégie, il faut avancer et progresser sans cesse;"

Autre gros avantage du LBO et de l'approche par le cash : les managers comprennent bien leur intérêt, et la plus-value à laquelle ils vont participer :

" Les managers d'une société cotée en Bourse sont généralement interessés par des stock-options, donc par le long terme, et n'ont pas l'épée dans les reins en ce qui concerne les résultats, puisqu'ils n'ont généralement pas à gérer le même niveau d'endettement à court terme. Dans le cas d'un LBO, au contraire, les managers savent qu'un minimum de capital et un maximum de dette se traduisent à la sortie par une plus grosse plus-value, dont une bonne part leur reviendra".

Alors concrètement, que vont faire les managers et les investisseurs, partageant le même but commun ?

" Prendre en compte chaque ligne des actifs : les terrains, les propriétés, les usines, et démontrer aux managers qu'ils peuvent opérer avec moitié moins de fonds de roulement et d'immobilier d'actifs immobilisés".

Autre domaine de progrés, exploré avec ardeur :

" Convaincre que les usines étaient surdimensionnées, le personnel sous-employé, la productivité moitié de ce qu'elle pourrait être."

"Le mérite du LBO est de concentrer l'attention du management sur l'essentiel".

Il est faux, nous dit Noël Goutard, de reprocher aux LBO de dépecer les entreprises; au contraire, il faut, en se concentrant sur l'essentiel, préserver ce qui fera la valeur de revente de l'entreprise, et sa plus-value, et pas seulement rembourser la dette. Le produit pour les investisseurs futurs doit être préservé, et donc développer la R&D et les perspectives à long teme.

C'est pourquoi il vante le LBO comme un modèle extrèmement efficace, notamment face au modèle boursier, qui "met en lumière les rapports nouveaux qui se développent actuellement entre investisseurs et managers. Ces derniers parviennent, souvent au bout de quelques LBO, à prendre la main sur les investisseurs".

Alors, ce système, on le sent bien, il est secouant pour les managers eux-mêmes, qui deviennent, du fait de ces aventures accélérées, mais qui les enrichissent aussi fortement quand ça marche bien, "beaucoup moins résistants au changement".

Les business plans et les objectifs qui sont construits n'ont ainsi plus rien à voir avec ces budgets imposés par l'actionnaire, ou le "corporate", et avec lesquels on essaye de biaiser en permanence. Non, ici on retrouve cette notion d'entrepreneur que nombreux voudraient bien inculquer aux managers, sans trop savoir comment prendre le problème.

En fait, tel que décrit par Noël Goutard, le LBO devient le catalyseur qui permettra à toutes les parties prenantes, partageant un même intérêt, de vraiment se donner pour faire réussir l'entreprise, libérer les énergies, faire circuler les capitaux mal utilisés, en les cédant à ceux qui en feront meillleur usage.C'est donc sur les choix stratégiques, leur focalisation, la redécouverte du "core business", que les investisseurs, les managers et les dirigeants vont le plus travailler pour correctement lancer leur aventure commune.

Oui, cette histoire de tripes et de reins, elle prend un nouveau sens, cette énergie étant guidée par la volonté commune, plus que par une contrainte bureaucratique, ou un exercice vide de brassage de chiffres.

En effet, avoir trouvé cet équilibre au sein de la communauté humaine de l'entreprise, au sens large, c'est faire en sorte que les les actionnaires, les dirigeants, les banquiers soient d'accord sur un business plan librement consenti parce qu'il faut que les managers qui le conduisent le réusissent, non pas à contrecoeur, mais parce qu'ils se le sont approprié.

Alors, bien sûr , on s'imagine que tout ça s'accompagne de programmes de transformation, d'un meilleur système de pilotage, d'indicateurs de performance correctement déclinés, d'une meilleure gestion de trésorerie, de meilleures prévisions, des délais de reporting plus courts, tout ce qui permet de faciliter cette "culture du cash", ... . Noël Goutard n'en a pas parlé, car lui aussi se concentre sur l'essentiel : le vrai point de départ, c'est cet esprit d'entreprendre,de se dépasser...le reste vient de surcroît...Une fois que l'envie et la motivation sont là, on trouve plus facilement les moyens et les façons de faire...

Tripes et reins, motivation par le cash : une belle leçon d'entreprise...


Guy Dollé est-il un illusionniste ?

Magicien J'ai déjà consacré plusieurs notes aux relations entre actionnaires et management (ICI, ICI, ICI, ICI).

Un nouveau témoignage dans Les Echos d'aujourd'hui d'un actionnaire minoritaire de Mittal Steel, Wilbur Ross,  apporte un complément intéressant.

Wilbur Ross, qui a créé son propre fond d'investissement en 2000, et qui gère des participations pour 4,5 milliards de dollars, se livre à une comparaison entre le management de Lakshmi Mittal et celui de Guy Dollé (Arcelor), et en conclut :

"Guy Dollé est un illusionniste, Lakshmi Mittal un manager"

Quels sont les arguments ?

Ils portent principalement sur les notions de transparence,de cash, et de qualité/ notoriété du management.

Sur la transparence, Guy Dollé est accusé de refuser de dialoguer et d'utiliser des "artifices" pour tenter de se protéger. Le fait qu'il ait annoncé qu'il avait "des tours dans son sac" pour se protéger lui vaut ce qualificatif d'illusionniste.

Sur le cash, Mittal reçoit les félicitations , "Ce groupe est une véritable machine à cash".

Sur la qualité du management, Wilbur Ross aime bien que Mittal "écoute les administrateurs indépendants". Il note aussi que le Wall Street Journal a fait de Lakshmi Mittal un des dix meilleurs dirigeants en Europe et un des trente meilleurs au monde. Guy Dollé n'est pas dans la liste.

Conclusion : Mittal est dirigé par des managers professionnels.

Encore une preuve que ce comportement agressif et impliqué des investisseurs actionnaires est de plus en plus dangereux pour les dirigeants qui ne savent pas communiquer et se comporter comme attendu.

Le cash reste la meilleure défense. Et la qualité de la gouvernance où les administrateurs sont impliqués, et celle du management, reconnu comme compétent par des référents externes, sont indispensables.

Dur, dur pour le management des managers  technocrates, dont j'ai déjà parlé.

En plus, quand les technocrates sont perçus comme des illusionnistes, ils risquent de disparaître avec leurs lapins....


L'actionnaire bon roi Dagobert ?

Dagobert Nous l'avons tous remarqué, on parle beaucoup des actionnaires, où même de l'actionnaire (au singulier), dans les discours des dirigeants et de leurs adjoints. On lui prête un objectif de "création de valeur pour l'actionnaire", qui justifie, authentifie, toutes les stratégies des dirigeants qui visent à optimiser in fine un indicateur simple : le cours de bourse de l'action.

Les salariés aussi aiment bien parler de l'actionnaire, surtout quand ils sont en colère, qu'ils demandent leur part dans une distribution des richesses des entreprises qu'ils considèrent trop favorable à l'actionnaire, cet être assoiffé du sang des travailleurs  et jamais repu.

Pour d'autres salariés, l'actionnaire, c'est eux : ils sont salariés actionnaires; certains y voient un revenu supplémentaire possible, d'autres une façon de s'impliquer plus dans l'entreprise, des syndicalistes y voient une trahison, un pacte avec le diable.

Pour le consommateur aussi l'actionnaire fait partie de la vie quotidienne : tous les soirs au 20H00, on lui donne l'indice CAC de la journée, les hausses, les baisses, et sur LCI , on a le sourire de Jean-Pierre Gaillard, qui nous donne des tuyaux pour faire de bonnes affaires : pour le consommateur, l'actionnaire, c'est Jean-Pierre Gaillard, un jeu de spéculation, dont il faut se méfier, bien sûr, mais auquel on joue toujours un peu, comme au loto.

Oui, aujourd'hui où de nombreux citoyens sont actionnaires, parfois sans le savoir (au travers de placements proposés par leur banque), on n'a jamais parlé autant de l'actionnaire que comme d'un fantôme, qui prend plusieurs représentations, selon les besoins, et les circonstances.

Alors on peut se poser la question : à qui profite le crime ?

Pierre-Yves Gomez, dans son ouvrage "La république des actionnaires", (dont j'ai déjà parlé ici) nous fait bien sentir ce paradoxe de l'actionnaire sans visage, à un moment précisément où l'actionnariat est devenu un phénomène de masse, et où les actionnaires sont de types trés différents les uns des autres.

L'auteur, qui est aussi Directeur de l'Institut Français du gouvernement des entreprises, dresse dans ce livre un panorama de l'histoire et de la légitimité du pouvoir des actionnaires depuis...l'aube du capitalisme européen au 18ème siècle.

Il nous donne une définition intéressante du gouvernement des entreprises, à ne pas confondre avec le management des entreprises :

- le gouvernement, ce sont les mécanismes qui rendent légitimes le rôle de direction et son contrôle et, en conséquence, le pouvoir de décision délégué au dirigeant et à ses adjoints. L'entreprise est vue comme une institution.

- le management, c'est l'exercice effectif du pouvoir, la prise de décision en situation de gestion, avec ses conséquences sur la performance finale. C'est en quelque sorte la "politique économique" des entreprises. L'entreprise est vue comme une organisation.

Pour l'auteur, et on le suit facilement, le gouvernement de l'entreprise, c'est l'affaire des actionnaires (Il n'est pas trop favorable à cette histoire de stakeholders dont j'ai parlé ici, et que thierry Breton commente en permanence).

Mais voilà, il y a deux façons d'être actionnaire :

- l'actionnaire activiste, c'est celui qui tente de jouer son rôle et d'exercer concrètement sa souveraineté sur l'entreprise; il participe aux assemblées générales, il se regroupe avec d'autres actionnaires pour faire entendre son opinion;

- l'actionnaire spéculateur, pour qui la détention d'action est un jeu, et qui n'attend qu'un chose de son rôle d'actionnaire : faire du profit en achetant et vendant les actions;

L'auteur développe la thèse que l'actionnaire activiste est perçu dangereusement par les dirigeants d'entreprise, alors que les actionnaires spéculateurs sont au contraire leurs meilleurs alliés.

Et donc : que croyez vous qu'il arrivât ?

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Bercy veut supprimer les actionnaires ?

Dolle Le Figaro d'hier, dans un article de Cyrille Lachevre, revient sur la thèse que Thierry Breton avait exposée aux anciens HEC la semaine dernière et dont j'ai parlé ICI.

Le titre : "De la difficulté pour un Etat d'être une "partie prenante"

L'auteur semble trés dubitative sur cette histoire de "capitalisme des parties prenantes", et cite notamment Pierre-Yves Gomez, directeur de l'Institut français du gouvernement des entreprises, qui considère que cette idée, sortie des réflexions d'économistes des années 90, tel Edward Freeman, s'est révélée trés difficile à mettre en oeuvre, notamment quand il s'agit de hiérarchiser les droits des différentes parties prenantes les unes par rapport aux autres.

Pour Pierre-Yves Gomez :

"In fine, on en revient toujours au même point : le meilleur moyen de peser sur les décisions consiste à être actionnaire".

Pour se faire soi-même son opinion, l'article indique une sélection d'ouvrages :

- "Strategic Management : A stakeholder Approach, R.E Freeman Pitman, Boston, 1984

- "La République des actionnaires" Pierre-Yves Gomez, Alternatives économiques, 2002

- "La théorie des parties prenantes : théorie normative ou théorie empirique ? ", Salma Damak-Ayadi, 2003.

A lire pour comprendre Thierry Breton.....


Les actionnaires doivent ils décider seuls du sort des entreprises ?

Acierindien L'affaire du moment sur l'OPA de l'indien néerlandais londonien Mittal sur l'européen luxembourgeois ARCELOR est l'occasion beaucoup de bêtises dans les journaux et à la télévision en ce moment.

C'est aussi, ça et là, quelques remarques intéressantes.

Le sujet, c'est le rôle des actionnaires.

Quand un gouvernement, un homme politique, qui ne représente que lui-même et pas du tout l'actionnaire, s'en prend à l'opération au nom du "patriotisme économique" il parle dans le vide.

J'ai par contre relevé les commentaires d'Alain Etchegoyen dans Le Figaro de vendredi dernier.

Alain Etchegoyen, qui s'est fait débarqué du Plan par de Villepin récemment (voir ICI), a aussi été administrateur et membre du Comité d'Audit d'ARCELOR de 1995 à 2002.

Il considère que cette OPA hostiles est "de bonne guerre parce que c'est la guerre, la guerre économique".

Et puis, à la fin de son commentaire, il lâche ceci :

"L'ensemble de ces opérations pose une question qu'il faut traiter sérieusement, et dans tous les sens. quand Arcelor acquiert Dofasco, il séduit, lui aussi, les actionnaires par une offre supérieure à celle de Thyssen. Il est certainement temps de ne plus voir les seuls actionnaires décider du sort des entreprises : les salariés, les fournisseurs et les clients font vivre ces entreprises. Ils travaillent, ils produisent, ils achètent sans qu'aucune forme de pouvoir ne leur permette d'exprimer leurs contributions aux succès d'une entreprise."

Cette vision revient à considérer que les "stakeholders" de l'entreprise ont des droits à égalité qui ne rendent pas l'actionnaire seul juge. Argument que l'on pourrait retrouver dans le débat en cours sur le téléchargement de musique sur internet ("la musique appartient à celui qui l'écoute, et non à son auteur"...).

Cette philosophie, proposée par un de ceux que l'on appelle "administrateur indépendant" dans les conseils d'administration, c'est précisément cette conception de la gouvernance d'entreprise que combat fermement Colette Neuville, présidente de l'Association de Défense des Actionnaires Minoritaires (Adam).

Elle est interviewée dans l'AGEFI du 3 février :

" Cette affaire pose une nouvelle fois la question de la gouvernance et notamment de la composition des conseils d'administration en relation avec la structure de l'actionnariat. L'expérience montre que l'avis favorable - ou défavorable - d'un conseil d'administration composé essentiellement d'administrateurs indépendants ne pèse pas lourd face à une offre publique. Il en va tout autrement lorsque le conseil est composé des principaux actionnaires. La fiction de la représentativité des administrateurs indépendants tombe face à une offre publique, qui est la minute de vérité à cet égard. Si on veut donner aux entreprises le moyen de mener des politiques à long terme, et de résister éventuellement à des attaques, il faudra certainement se préoccuper de la structure de l'actionnariat et de celle des conseils d'administration, ce qui implique une vraie réflexion sur le rôle des organismes de placement collectifs et des règles qui leur sont applicables".

Ce débat sur le rôle de l'actionnaire en tant que partie prenante n'est pas tranché.

Néammoins, comme l'a dit Thierry Breton, " Ce sont les actionnaires qui vont trancher, pas les Etats."

Et puis ces actionnaires, représentés justement par ces investisseurs et organismes de placement collectifs, il faut les séduire.

Dans l'AGEFI toujours, Pierre Henry Leroy, président de Proxinvest, apporte un autre élément au débat :

"Arcelor ne parvient pas encore à convaincre, face à un public d'investisseurs jeunes et internationaux. Signe aussi d'une déficience de la gouvernance du Groupe, avec des statuts et une communication financière désuets."

On l'a compris, cett affaire d'OPA, c'est encore une bataille de jeunes contre les vieux, les désuets;

Les jeunes investisseurs contre le vieux monsieur Dollé.

On y revient toujours; mais cela laisse un peu pensif.

Ce jeunisme que n'aimait pas Nicolas Sarkozy l'autre jour, il sévit là aussi.


Séduire ou convaincre

Animaux010

Auguste Deteuf, qui fut le premier patron d’Alsthom, de 1928 à 1940, s’est rendu surtout célèbre pour ses « propos d’O.L Barenton, confiseur » qui est une succession de maximes amusantes et pertinentes sur les entreprises et ceux qui les dirigent, et notamment les ingénieurs. Cet ouvrage est encore aujourd’hui un best seller des livres de management, au moins en France.

L’une de ces maximes dit : « Si vous ne pouvez persuader, appliquez- vous à séduire ».

Comment ne pas évoquer celle-ci en lisant les commentaires qui ont accompagnés ces derniers mois la publication des résultats d’entreprises côtées, fleurons des entreprises françaises.

Par exemple,  la publication des résultats d’Air France et de Vivendi, à bien des égards considérés comme très bons, n’ont pas eu d’impact sur le cours de Bourse le jour de leur annonce.

Air France est notamment reconnue comme la compagnie aérienne européenne la mieux protégée contre les prix du kérosène, mais voilà :  « une bonne couverture des risques n’a jamais suffi à séduire les investisseurs » .(LesEchos,20-05-05)

Même punition pour Vivendi : « les comptes de l’ex-champion des pertes sont redevenus présentables. La dette a fondu. Toutes les activités affichent des bénéfices d’exploitation. Et le Groupe a de solides disponibilités. Mais(…) les investisseurs discernent mal la stratégie, de même que la cohérence entre les métiers «. (Les Echos 20-05-05)

Et que dire d’ACCOR, accusé de décote d’image lors de l’assemblée générale, et dont le Président, Jean-Marc Espalioux est poussé vers la sortie,  « car, si ses talents de gestionnaires sont avérés, son charisme laisse à désirer ». (Les Echos 8-08-05).

Que retenir de ces commentaires ? : que la gestion des relations de l’entreprise, et de son dirigeant, avec les actionnaires relève plus de la séduction que de la conviction rationnelle, et que l’alchimie des composantes de cette séduction varie selon les moments et les entreprises.

Il ne s’agit pas de choisir, de convaincre ou de séduire, mais de sortir de la dictature du OU, et de convaincre ET séduire.

Ce que l’on a envie d’entendre quand l’entreprise parle d’elle-même, c’est un souffle, une épopée, mais pas n’importe laquelle (gare à la chute d’Icare). Elle doit aussi donner du sens, en plus de la rentabilité. Ce concept de sens porte en lui tout un imaginaire que les comités de Direction doivent s’attacher à inclure dans leur agenda, car il est aussi le secret de la communication avec les clients et les collaborateurs, qui ont les mêmes attentes que les investisseurs.

En fait, on oppose souvent les préoccupations des actionnaires, des collaborateurs et des clients : tous veulent pourtant qu’on leur raconte une belle histoire, qui les emmène loin dans leur rêve, et les font se sentir plus grands, plus beaux, plus riches, pleins de sens.

Cette capacité à scénariser, à faire de tout projet une expérience inoubliable, est un atout inestimable.

Pour celui qui est en charge de mener les projets qui feront croître les performances, c’est une exigence ; à lui, au-delà des solutions techniques et des expertises, d’entrer dans la culture, de trouver les idées créatives de mise en scène et le casting qui feront du projet d’amélioration des performances autre chose qu’ »un projet de plus » auquel ne croient plus les collaborateurs qui en ont tant vu.

Voilà de quoi nourrir la réflexion et l’action pour  les prochains mois où vont se préparer les plans stratégiques, les budgets, et les plans de performance : dis, patron, racontes moi une belle histoire !