L'Etat est-il comme une entreprise ?

AssembleeComparer l’Etat à une entreprise est un vieux débat.

Entre ceux qui répondent oui, comme les patrons et dirigeants (« Si mon entreprise était gérée comme la France, elle ferait faillite. D'ailleurs, j'aurais été viré avant par mes actionnaires. Ce n'est pourtant pas compliqué de comprendre qu'on ne doit pas dépenser plus qu'on ne gagne. »). Et puis il y a les politiques, ceux qui considèrent que la politique, c’est un métier (« Cher Ami, une nation ne se gère pas comme une entreprise. On ne peut pas déchirer le tissu social, ni réformer contre la volonté des Français qui nous ont élus. »).

On peut aussi tenter de réconcilier les deux discours en considérant que l’on peut quand même essayer de gérer les affaires publiques avec la rigueur et l’efficacité des méthodes qui réussissent dans la gestion des entreprises. Le débat ressurgit en ce moment de préparation du budget de la France pour 2025, entre ceux qui veulent de l’efficacité par la réduction des dépenses et une meilleure gestion, et ceux qui veulent remettre des recettes supplémentaires en faisant « payer les riches ».

Autre comparaison qui revient souvent : l’Etat comme la gestion d’un ménage.

Pierre Gattaz, ex-Président du MEDEF, faisait remarquer ce matin que « Améliorer la compétitivité de la France, c’est réduire sa structure improductive, ses dépenses et son train de vie, comme un ménage vivant au-dessus de ses moyens ou une entreprise dont les charges dépassent le chiffre d’affaires ».

Et puis, une nouvelle métaphore a été utilisée cette semaine par…Bernard Cazeneuve, dans un entretien pour Le Monde : l’Etat et le parlement comme un conseil d’administration élu par les électeurs, comparés à des actionnaires, y compris des actionnaires activistes :

« Ceux qui conçoivent la nation comme une entreprise ont laissé les actionnaires activistes minoritaires, qui ne représentaient que 5% du capital, faire une OPA sur le gouvernement, au moment de l’assemblée générale des actionnaires, où les petits porteurs, sommés de voter, s’étaient pourtant mobilisés pour l’éviter ». Et il a même identifié le directoire et le conseil de surveillance : « Michel Barnier a été nommé président du directoire et Marine Le Pen présidente du conseil de surveillance ».

Dans la conception de l’Etat-entreprise de Bernard Cazeneuve les votes se font à « un homme, une voix » car, si l’on devait revoir ceux-ci (ça s’est déjà fait, notamment dans l’Ancien Régime) en fonction de la réelle contribution aux finances publiques, où de la part de capital détenu, comme dans une entreprise normale, on arriverait sûrement à des proportions différentes.

Comme quoi, comparaison n’est pas raison !

Comparer l’Etat à une entreprise, ça ne colle pas, pour les politiques, mais pour faire un bon mot quand ça arrange, pourquoi s’en priver.


La gouvernance ou le morne désespoir

MuraillechineInitialement, c’est un terme utilisé pour désigner la manière dont un gouvernement exerce son autorité et gère les ressources d’un pays. Et puis le concept a été étendu à la gestion des entreprises.

Ce concept, c’est celui de gouvernance.

Car la vision d’un droit de propriété exclusif des actionnaires sur l’entreprise n’est plus de mise aujourd’hui. On va plutôt parler d’un équilibre des pouvoirs entre toutes les parties prenantes, les actionnaires, mais aussi les collaborateurs, les clients, les fournisseurs, les banques. Et la notion de « bien commun » est associé à la « raison d’être » de l’entreprise.

Alors, la bonne gouvernance, c’est quoi ?

Les auteurs et praticiens distinguent quatre principes fondamentaux :

  • La transparence, donnant le droit à chaque acteur, chaque partie prenante, de disposer d’informations fiables et complètes, y compris le public et les investisseurs sur la gouvernance qui a été mise en place,
  • Le processus décisionnel, permettant un processus de prise de décision effectif et répartissant les pouvoirs entre les différents acteurs,
  • La mise en place d’un système d’évaluation de la performance,
  • Un système d’évaluation de la gouvernance mise en place.

Toute la difficulté est de passer de la théorie à la pratique.

Le Club Gouvernance de l’association des diplômés HEC a justement recueilli plus de 100 témoignages de diplômés HEC, de tous horizons, dirigeants, administrateurs, PME, ETI et grands groupes, sur ce sujet de la gouvernance d’entreprises dans un ouvrage (2020) qui se veut référent pour comprendre l’univers des conseils d’administration et cette « science de la prise de décision collégiale dans les organisations ».

L’ouvrage, rédigé par des administrateurs, représentants des actionnaires, ou indépendants, mais aussi des dirigeants, est bien sûr à la gloire de la gouvernance et des administrateurs. A lire certains, ils sont vraiment des gens formidables, hyper utiles ; à croire que sans eux les dirigeants et les managers des entreprises ne feraient que des conneries.

Mais cette litanie de témoignages est aussi une bonne source pour se faire une idée plus nuancée de ce métier d’administrateur, et l’on comprend qu’il s’est beaucoup professionnalisé.

Car la réputation historique des administrateurs et des conseils d’administration, c’est celle d’une forme d’endogamie entre des copains, des proches conseillers, des pairs, qui se retrouvent tous dans les mêmes conseils d’administration, avec des réunions sympas et de bonnes bouffes à la fin, au point de susciter des interrogations sur leur travail effectif, très bien payé pour quelques réunions par an d’une chambre d’enregistrement.

Tout cela a changé, à en croire les nombreux témoignages de cet ouvrage. Certains, ou plutôt certaines, avancent même que cette professionnalisation est la conséquence de l’entrée des femmes dans les conseils d’administration, depuis la loi Copé – Zimmermann promulguée en 2011, et complétée en 2012 er 2014, qui impose depuis 2017 un quota de 40% d’administrateurs de chaque sexe dans les conseils d’administration des sociétés de plus de 500 salariés, seuil abaissé à 250 à partir de 2020.

Mercedes Erra, Présidente de BETC Groupe, apporte son témoignage sur ces femmes administratrices qui « ont appris à prendre la parole, à exprimer leur désaccord au moment opportun ». Pas si simple alors que « les hommes avaient des décennies d’avance et même une culture d’avance ».

C’est ainsi que les femmes se sont formées à leur rôle d’administratrice, et que des instituts des administrateurs et des formations ad hoc ont émergés. Comme le remarque avec insolence Mercedes Erra, « Croyez-vous que qu’auparavant les hommes aient massivement ressenti le besoin de se former pour devenir administrateur ? ».

Autre facteur de professionnalisation, le code de gouvernance de l’AFEP-MEDEF qui, même s’il n’est pas juridiquement imposé, est devenu une référence pour les conseils d’administration des entreprises ( « comply or explain »). Ce code établit notamment que la première mission du conseil d’administration est la détermination des orientations stratégiques. L’administrateur se doit de promouvoir la création de valeur à long terme de l’entreprise, en prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux.

Tout le paradoxe, qui est relevé par plusieurs témoignages de l’ouvrage, est que, bien que nommé en assemblée générale par les actionnaires, l’administrateur doit veiller à bien plus que les intérêts immédiats de ces actionnaires ; à la création de valeur durable de l’entreprise, au respect de sa Raison d’être, aux attentes de toutes les parties prenantes et de la société au sens large. Il a mission de réconcilier les horizons de court et de long terme, d’arrêter des stratégies dans un environnement incertain, de modérer des intérêts souvent contradictoires, d’anticiper les conséquences de nouveaux risques systémiques.

Mais son libre arbitre a aussi des limites. Ainsi les décisions sur les rémunérations ont été confiées par le législateur à l’assemblée générale, et non à l’administrateur.

Pas facile de trouver dans cet ouvrage l’expression du moindre doute sur ce concept de gouvernance. Tout a l’air parfait.

Quelques remarques cependant. Celles de Alain Weil, fondateur de BFM TV et PDG de SFR, qui exprime, en référence à son expérience personnelle, que « le conseil d’administration ne doit pas être un frein à l’agilité ». Il observe que « Lorsque le propriétaire de l’entreprise, son principal actionnaire, est aussi le principal dirigeant, c’est de facto lui qui détermine la stratégie, et le conseil d’administration ne doit pas être un obstacle à la mise en œuvre de cette stratégie. Dans un tel cas le rôle du conseil n’et pas de fixer la stratégie mais il a plutôt un rôle de contrôle, notamment pour assurer le respect des droits des minoritaires et des bonnes règles de gestion en général ».

Et pour enfoncer le clou : « Un bon administrateur est quelqu’un qui n’est pas tatillon pour de mauvaises raisons. J’ai connu des entreprises freinées par leur conseil d’administration, des dirigeants qui s’autocensurent…De ce point de vue, il faut résister à la tentation de faire entrer au conseil d’administration des grands noms de son secteur. Lorsque j’ai lancé BFM TV en 2005, si j’avais eu à mon conseil de grands professionnels de la télévision peut-être n’aurais-je pas pu faire le choix de la TNT ». On comprend la critique des « professionnels » qui ancrent les modèles mentaux dans l’ancien monde.

Car ces administrateurs, en général, sont plutôt des gens âgés qui ont forgé leur expérience dans le monde d’hier, avant les révolutions technologiques que nous connaissons aujourd’hui. Pascal Cagni, ex directeur général et Vice-président de Apple Europe, raconte son expérience au conseil d’administration d’une multinationale européenne, dans une décennie charnière « où les géants transnationaux du numérique et les digital natives, c’est-à-dire les nouveaux acteurs 100% numériques, ont développé des nouveaux modèles économiques tirant partie de l’explosion du e-commerce ou des places de marché. Les dirigeants successifs que j’ai pu accompagner étaient tous attachés à la transformation numérique dans leurs discours mais ont souvent eu quelques difficultés à l’intégrer dans leurs actes, étant confrontés à des changements de modèles économiques massifs rendant par exemple obsolètes certaines compétences ». Et, en effet, « ils ont tous regretté un certain manque d’attention à la transformation numérique qui pénétrait l’ensemble des fonctions d’entreprise et ne justifiait pas simplement le recrutement d’un chief digital officer ».

Pour aller chercher une vision critique de fond, on pourra aller chercher dans les travaux d’Alain Supiot, professeur émérite du collège de France, qui dénonce dans ses ouvrages et ses conférences, notamment ses leçons visibles en vidéo sur le site du collège de France, ce qu’il appelle « la gouvernance par les nombres ». Son analyse, qui remonte loin dans l’histoire, et qui s’intéresse d’abord au gouvernement des Etats, mais pas seulement, vise à montrer cette emprise du gouvernement par les nombres qui s’est propagé dans toute la société. Dans ce mode de gouvernance, il y a ceux qui pensent les objectifs, grâce aux calculs et aux nombres, et ceux qui vont devoir les atteindre, et que l’on contrôlera par un phénomène de rétroaction, pour fixer de nouveaux objectifs et ainsi de suite. Pour Alain Supiot, c’est ce qui aboutit à la substitution de la carte au territoire. En prenant de plus en plus appui sur des signaux chiffrés, on perd pied face à la réalité des territoires, au point de dissocier la représentation quantifiée que l’on a des choses de la réalité du terrain que l’on ne voit plus.

Sans parler de la perte de lien avec les hommes qui font l’entreprise. Alain Supiot est un fervent partisan (titre d’un autre de ses ouvrages) de l’esprit de Philadelphie, en référence à cette « déclaration de Philadelphie » de 1944, à l’origine de la création de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) qui stipule dans son article 1 « le travail n’est pas une marchandise » et qui donne pour but aux « différentes nations du monde » que « les travailleurs  soient employés à des occupations où ils aient la satisfaction de donner toute la mesure de leur habileté et de leurs connaissances et de contribuer de mieux au bien-être commun ».

Il cite aussi une nouvelle de Kafka, « la muraille de Chine » pour prolonger son analyse.

En effet, dans sa nouvelle « La muraille de Chine » (1931), Kafka fournit une explication à la question : Pourquoi la construction de la muraille de Chine s’est-elle faite par fragments et non pas de façon linéaire ? Selon Kafka, c’est que seule cette construction fragmentaire pouvait permettre de donner un sens à la vie de ceux qui, à la différence des journaliers n’ayant en vue que leur salaires, étaient animés par le goût du travail bien fait et l’ambition de voir un jour leur œuvre achevée. Sinon, pour citer Kafka, « le morne désespoir de ce labeur sans trêve, dont la plus longue vie ne pouvait espérer voir le terme, les eût rendus impropres au travail ». C’est ce « morne désespoir » qui menacerait tous ceux dont le travail n’a pas d’autres raisons que financières.

Voilà une bonne façon de porter un regard critique sur nos pratiques de gouvernance pour vérifier qu’elles ne conduisent pas trop à ce « morne désespoir » que même les concepteurs de la muraille de Chine avaient su éviter, peut-être.


Gestion calculante de l'Etat et raison d'être de l'entreprise libérale

Raison-etreLe gouvernement moderne de la sphère publique tend il  à se régler sur le modèle de l'entreprise ? C'est ce que pense relever Myriam Revault d'Allonnes, philosophe, dans ses écrits, et encore dans une interview du Monde du 17 décembre. 

Elle y fait remarquer que la politique relève de plus en plus de ce qu'elle appelle "une gestion calculante", "venant en lieu et place d'une réflexion à long terme sur les fins ultimes de la société dans laquelle nous voulons vivre". Dans cette vision "calculante", la politique doit être soumise aux mêmes critères que ceux que l'on attribue habituellement à l'entreprise. Dans cette approche, certains en arrivent à croire qu'il n'existe plus de politique idéologique, mais une "bonne gestion", ne souffrant aucune critique, puisque c'est "la bonne gestion", rationnelle. C'est une vision "utilitariste du social"

Pourtant, elle encourage, reprenant une métaphore de Hannah Arendt, à se mettre dans "la brèche du temps", et ainsi à trouver un monde "hors de ses gonds", la force de l'imaginaire étant notre meilleur allié pour imaginer le monde de demain.

Paradoxalement, alors que l'Etat et les politiques s'emmêlent, selon Myriam Revault d'Allonnes, dans la "gestion calculante", correspondant à une conception qu'elle croit être, à tort, la "rationalité néolibérale", en manque d'imaginaire pour explorer le possible, c'est vers l'entreprise libérale d'aujourd'hui, justement, que l'on trouve les réflexions les plus nouvelles pour s'en sortir. Pour cela le rapport de Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, sur "l'entreprise, objet d'intérêt collectif" a remis en avant le concept de "Raison d'être" que beaucoup d'entreprises s'approprient aujourd'hui. Le rapport commence par une citation d'Henry Ford, qui date pourtant des années 30, et terriblement actuelle : " L'entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra. Mais si l'on tente de faire fonctionner une entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n'aura plus de raison d'être". 

Cette "raison d'être", c'est la mission dont se dote l'entreprise vis-à-vis des parties prenantes ou de l'environnement. 

Comme le souligne le rapport Notat-Senard, " L'action légitime de l'entreprise ne se réduit alors pas uniquement au respect du cadre légal. C'est également la recherche d'un intérêt collectif à son échelle, à la recherche d'un arbitrage entre les personnes et groupes y prenant part, à la limitation éventuelle de son profit pour ne pas contredire sa raison d'être, pour réaliser une création de valeur plus durable et qui ne se fasse pas aux dépens du patrimoine naturel par exemple".

Cette notion de raison d'être n'est pas nouvelle et correspond à un élément essentiel du management stratégique de nombreuses entreprises, y compris dans le monde anglo-saxon qui parle de "purpose".

Les auteurs soulignent aussi que c'est à l'entreprise de définir sa "raison d'être" : " A la manière d'une devise pour un Etat, la raison d'être pour une entreprise est une indication, qui mérite d'être explicitée, sans pour autant que des effets juridiques précis y soient attachés". Avec l'espoir que la pratique, de plus en plus courante dans nos entreprises, amène une plus grande exigence dans la formulation de ces raisons d'être.

Dans leur rapport, les auteurs proposent même que l'on modifie le code de commerce dans son article L225-35 pour confier aux conseils d'administration la formulation officielle d'une raison d'être visant à éclairer l'intérêt propre de la société et de l'entreprise ainsi que la prise en considération de ses enjeux sociaux et environnementaux. L'article deviendrait alors : "Le conseil d'administration détermine les orientations de l'activité de la société en référence à la raison d'être de l'entreprise, et veille à leur mise en oeuvre, conformément à l'article 1833 du Code Civil,...". (les ajouts sont les mots soulignés).

Et ils ont proposé de compléter l'article 1833 du Code civil : " Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés. La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité".  Cette recommandation a été suivie dans la loi PACTE du gouvernement, en remplaçant néanmoins la formulation "intérêt propre" par "intérêt social". 

Pour aller plus loin dans l'engagement sociétal, le rapport et la loi proposent un nouveau statut d' "entreprise à mission" qui inscrit alors dans les statuts de la société une raison d'être formelle. Mais sans obligation de créer une telle structure.

Cela a déjà été approprié par plusieurs entreprises, dont le Groupe Yves Rocher, qui se donne pour mission de "reconnecter les gens à la nature", ou Danone qui se donne la mission d' " apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre".

Voilà de quoi nous projeter dans l'année 2020 et les suivantes avec optimisme.

Et en souhaitant à l'Etat de passer de la "gestion calculante" à la vision "hors des gonds"


Au nom de quoi a-t-on le droit de diriger les entreprises ?

EntrepreneursfamilleVoilà une question bien politique.

La réponse a évolué dans le temps.

D'abord au nom du propriétaire fondateur entrepreneur qui a tous les droits, c'était au XIXème siècle...

Et puis on a vu apparaître les managers professionnels, les experts , les professionnels du management qui avaient la compétence.

Oui, mais il y a aussi les parties prenantes, les actionnaires, les investisseurs...

Mais finalement qui a le droit alors?

La réponse dans ma chronique de ce mois-ci sur Envie d'entreprendre, ICI 

Soyez politiques...


Ça mâche plus

ChewinggumIl faut peu de choses pour qu'une stratégie dérape. Les tendances de consommation, les signaux faibles de l'économie, des habitudes, atteignent nos parts de marché et la santé de nos entreprises bien avant que l'on s'en aperçoive, et parfois, on attend trop longtemps et il est trop tard pour réagir.

J'avais déjà parlé de la "compression d'âge" qui attaque les fondamentaux du marché des jouets.

Un article de Keren Lentschner dans Le Figaro du 28 décembre vient nous révéler un autre drame : l'essoufflement du chewing-gum.Un comble !

Aprés dix ans de croissance, c'est la dégringolade : le marché régresse en France depuis 2009 ( - 7,5% en 2012, même si on dépense encore 602 millions d'euros pour mâcher), en Europe de l'Ouest, on est à - 4,2%, et aux Etats-Unis à - 2,7%.

Alors, ce qui est intéressant, c'est de savoir pourquoi ce phénomène a lieu.

Réponse immédiate : c'est la crise !

C'est vrai que les chewing gums, on les achète par impulsion, dans les kiosques, aux caisses des bureaux de tabac, des supermarchés; et on mâche au travail et en allant au travail ( même si on peut trouver insupportable de côtoyer de tels mâcheurs dans nos entreprises et dans les bureaux).

Et bien, avec le chômage, moins de travail,....moins de chewing gum. Et puis c'est cher les chewing gums ( jusqu'à 4 € pour un paquet). Entre le chocolat, les "bonbons gélifiés régressifs" ( sic), et un chewing gum, on ne choisit plus le chewing gum.

Et qu'ont fait les fabricants pour essayer de s'en sortir : multiplier les produits nouveaux, les formats. Chez Wrigley, leader du secteur, on a lancé jusqu'à quinze nouveautés par an.

Autre coupable en France : l'Etat. La règlementation s'est durçie sur les comptoirs de caisse ( 98% des ventes); et le chewing gum a perdu douze kilomètres de linéaires en deux ans.

On a aussi essayé le truc "Santé" : le chewing gum qui fait du bien aux dents, sans sucre. C'est le créneau de Freedent ( marque du Groupe Mars Wrigley). Mais cette astuce ne suffit plus pour défendre le marché.

Alors, on cherche, on cherche...Et ce qui ressort, c'est : comment innover ?

L'article nous montre cette effervescence dans la remise à plat complète des stratégies des leaders, Wrigley et Kraft ( marques Hollywood, Malabar, Trident).

Kraft attaque les jeunes : et lance une offre d'entrée de gamme, moins chère, avec des paquets de taille plus petite et même unitaires. Il espère remonter les ventes de 5% cette année.

Wrigley fonce sur la santé bucco-dentaire, les dents blanches, le sourire, la propreté.

Autre action : on réduit les nouveautés, on simplifie la gamme, on clarifie les emballages.

Et puis, ultime cartouche : les nouveaux produits. Le chewing gum qui dure plus longtemps ( "40 minutes de fraicheur"), les tablettes multicouches "aux vrais fruits", spécial pour les ados, le chewing gum qui blanchit les dents, grâce au peroxyde d'hydrogène ( comme dans les dentifrices).

En clair, on lutte pour redonner le goût de mâcher à ceux qui ne mâchent plus. Cela suffira-t-il ? Ou bien toutes ces initiatives ne feront rien contre ce qui est peut-être une tendance plus profonde.

A suivre en 2013.

Bon, et puis les fabricants ont une cartouche secrète : si ça ne mâche plus en Europe ou aux Etats Unis, il reste les petits nouveaux. Les brésiliens, les chinois.

La Chine, tiens. Là, ça mâche bien : + 7% en trois ans .

C'est peut-être le moment de vendre du riz cantonais en France ?


Personne ou individu ?

PersonnaLe terme de "personne" désignait à l'origine le masque de théâtre grec; puis il s'est appliqué à l'acteur, puis au rôle théâtral et social. Le concept de personne ne vise pas à spécifier ce qu'est l'homme en soi, mais une de ses modalités.

Mais il existe aussi une conception chrétienne de la personne que je découvre en lisant le texte du père Baudoin Roger dans l'ouvrage édité par le collège des Bernardins sur " L'entreprise : formes de la propriété et responsabilités sociales", fruit d'un travail de Recherche appronfondi, et un colloque sur le sujet, à voir ICI.

Cela fait référence à la distinction des trois "Personnes" de la Trinité, tout en tenant l'unité absolue de Dieu. La personne est ainsi constituée par ses relations, sa singularité ne pouvant être saisie que par sa relation, une manière particulière de vivre la relation.

" Ainsi, dans la Trinité, la désignation du Fils, qui le caractérise dans sa singularité, est entièrement référée à sa relation au Père. Cette relation n'est pas un attribut, elle le définit pleinement : il est celui qui est en relation au Père en étant tout entier Fils".

Ce concept s'applique à l'homme : l'identité de la personne est indéfinie au départ, c'est une "singularité sans contenu"; l'homme précise alors son identité à travers les relations qu'il noue. L'homme devient ce qu'il est en s'ouvrant à la relation.C'est la relation qui permet de développer la personnalité.

Ce concept de personne s'oppose à celui d'individu : l'individualisme affirme la primauté de l'individu sur la société. L'individu est qui il est, en substance, indépendamment de toutes les relations. On suppose que l'individu a une singularité intangible, comme un attribut natif.

Ces deux concepts sont intéressants pour observer le fonctionnement et l'organisation de nos entreprises.Ils permettent de comprendre comment sont perçus et gérés les collaborateurs.

Quand mes collaborateurs sont des "individus" je fais l'hypothèse que l'organisation et le fonctionnement de l'entreprise sont plutôt définis par le haut; les critères de performance sont également déclinés par le haut, généralement à partir des attentes des actionnaires ( la création de valeur pour l'actionnaire, basée sur la valorisation de l'action). Cette déclinaison conduit à descendre les critères par Business Unit, et in fine, jusqu'à la performance individuelle. Les individus dans l'entreprise sont identifiés par leurs compétences, leurs performances; on peut les comparer, les mettre en compétition. Leur substance s'adapte à l'entreprise, et délivre son talent pour l'entreprise.

Lorsque mes collaborateurs sont des "personnes", c'est la relation entre elles qui fabrique les personnalités, qui permet aux collaborateurs de s'identifier à un "bien commun". Dans ce "bien commun", la performance de l'un est la performance de tous, car chacun se construit des succés des autres; les relations sont ce qui fait le succès de chacun, et donc de tous. Les collaborateurs de cette entreprise sont comme les membres d'une même toile, agissant ensemble. Il y a alors une "mobilisation intégrale" des personnes pour l'entreprise et ses buts.

Forcément, on sent bien le paradoxe : parfois, notamment lorsque je fixe les objectifs, lorsque j"évalue les performances, je vais gérer des "individus"; mais lorsque je vais chercher ce petit plus qui fait que mes collaborateurs sont engagés, se donnent à leur travail, croient dans l'entreprise, alors là je vais plutôt avoir tendance à chercher à les considérer comme des "personnes".

Ce paradoxe peut amener à créer des tensions dans l'entreprise, notamment lorsque les dirigeants se sentent d'abord des représentants de actionnaires, exigeant des "individus" le performance adéquate, alors que les collaborateurs ont envie qu'on les reconnaisse comme des "personnes", êtres de relation..

D'où le besoin de retrouver plus souvent dans l'entreprise ce concept de "personne".

Comme le souligne le père Baudoin Roger :

" L'entreprise détermine des aspects fondamentaux de la vie des personnes, et engage pour elles des questions qui relèvent du sens et des finalités.(...). La prise en compte des "personnes" impliquées dans la vie de l'entreprise impose des évolutions significatives des représentations mentales de l'entreprise, de ses modes d'organisation et de management. Il s'agit là d'exigences qui sont au fondement du libéralisme : Les personnes ont le droit de participer (expression, contrôle) aux décisions qui les affectent; les institutions ne peuvent légitimement être prescriptrices de finalité pour les personnes".

On sent aussi combien sera plus exigeante pour les managers et dirigeants, cette prise en compte des "personnes", pour sortir d'une vision trop exclusivement individualiste du management et de la performance.


Un saint patron !

SurconfianceEn ce moment chez Vivendi, ça remue, JB Levy débarqué, crise chez SFR, performance boursière en berne : depuis la nomination de JB Levy à la tête du Groupe, en juillet 2002, le cours de l'action aura chuté de 55%, et vaut moins que lorsque Jean-Marie Messier a quitté le Groupe.

Tout ça pour ça...

Jean -Marie Messier, qui au sommet de sa gloire, publiait un petit livre au titre ironique " j6m.com - Faut-il avoir peur de la nouvelle économie ?", que j'ai retrouvé à l'occasion.

J6M : Jean-Marie Messier Moi-Même Maître du Monde ! L'expression était celle des Guignols. Ce qui lui permet de s'interroger pour savoir si il se sent "maître du monde" :

" On n'exerce pas le métier de PDG sans être mû par une forte volonté de puissance. Être sur les créneaux porteurs, conquérir de nouveaux clients, ne pas se laisser distancer par la concurrence, recruter les meilleurs, conforter des stratégies par des alliances planétaires, s'assurer que l'intendance suit...Ces ambitions finissent par devenir une raison d'être. Ne demandez pas à un patron d'être modeste".

Et en même temps, ce "maître du monde" sent bien que tout ça est à renouveler constamment :

" L'avenir appartient désormais à ceux qui se lèvent tous les matins en se demandant comment ils vont réinventer leur métier, non pas pour vingt ans, mais pour trois mois. La phrase qui tue c'est : Continuons à faire comme on a toujours fait. Plus aucune position n'est acquise. Plus aucun patron ne peut dormir sur ses deux oreilles".

Tout le livre est un constant aller-retour entre ces deux positions, la volonté de puissance, celle qui nous fait croire que l'on est visionnaire, que l'on fait tout ça pour réussir, que nos décisions sont les meilleures, notre équipe formidable, et puis le doute, cette obligation que l'on sent de réinventer le métier pas pour vingt ans, ..pour trois mois ! Ce sentiment de précarité ( tout peut s'arrêter demain).

Globalement on sent néanmoins que Jean-Marie Messier n'est pas à l'abri d'une maladie fréquente des dirigeants : la surconfiance. Ce que les philosophes appellent l' hubris. Caractérisé par ce sentiment de grandeur, une surestimation de ses capacités (voir le récit où Jean-Marie Messier raconte que le cours de Bourse ne reflète pas la valeur de l'entreprise car les analystes ne comprennent rien, et qu'il est persuadé qu'il va finir par les convaincre tous), le sentiment d'être plus fort que les autres.

Une anecdote "religieuse" illustre le phénomène :

" Une de mes collaboratrices a l'habitude de se moquer de moi en disant : " il voudrait être le premier patron à être canonisé". Je la rassure : ma pratique du catholicisme ne va pas jusque là. En revanche, je ne dis pas que, si la pratique du capitalisme prévoyait une telle forme de reconnaissance, je ne serais pas tenté de postuler ! C'est mon côté bon élève permanent. Ma passion pour les bonnes notes qui ne me lâche pas !"

Cette surconfiance, cette idée de se prendre pour un saint, il a conscience aussi des risques que cela entraîne :

" Le danger est de se mettre hors la vie à force d'être persuadé d'avoir raison, à force de travailler avec des collaborateurs auxquels on fait perdre le goût - ou le courage - de la contestation, à force de fréquenter des cénacles où l'on ne rencontre que ses pairs ou même de ne connaître que des bureaux ou des salles de réunion avec vue imprenable sur l'Etoile ou sur Central Park. L'argent rend la vie si fluide; la flatterie est si confortable; la volonté de puissance, un tel antidote à l'ennui".

Tout est dans cet aveu ....qui finalement résume assez bien tout ce qui a dérapé dans l'histoire de la merveilleuse vision de Jean-Marie Messier pour Vivendi, un groupe de l'Environnement et surtour des Médias; le contenu marié au contenant, les tuyaux. Tout ça à coup d'acquisitions payées trés cher, et en endettant l'entreprise...Au point d'arriver à 30 milliards de dettes en 2001, et de finir l'année 2002 avec des pertes de l'ordre 23 milliards d'euros ( dues notamment à des dépréciations sur acquisitions), la même année où France Télécom annonce, elle, une perte de 20 milliards d'euros. Jean-René Fourtou, qui prend la place de Jean-Marie Messier va commencer à annoncer des cessions d'actifs en perspective...

La surconfiance, c'est elle qui fait payer trop cher les acquisitions, et qui fait perdre probablement le contact avec la rélaité : Jean-Marie Messier déclare à l'assemblée d'avril 2002, le Groupe accumulant 30 milliards d'euros de dettes, " Vivendi va mieux que bien !".

En relisant cette épopée, racontée par un des plus brillant représentant de ce capitalisme décomplexé, on mesure les risques du métier, celui qui fait croire au dirigeant qu'il est une sorte de saint, et en même temps on se dit que ça aurait pu quand même marcher ( car les successeurs n'ont pas fait mieux, voire pire.


Qui dirige les entreprises françaises ?

ConsultantIntéressante,  cette interview de Michel David-Weill, président du conseil d'Eurazeo, dans Les Echos (fin mars); Michel Davis-Weil, c'est l'héritier des familles fondatrices de la banque Lazard; il a aujourd'hui quatre-vingts ans, et a été le dirigeant de la la banque Lazard pendant quarante ans.

Fortement opposé à la cotation en Bourse de l'établissement, il a cédé ses parts lors de l'opération en 2005, a quitté la banque, en étant resté actionnaire du holding d'investissement Eurazeo, émanation de la banque d'affaires, dont il détient 20% du capital. il le dit dans l'interview, il déteste les marchés côtés, car il considère que l'introduction en Bourse crée la tentation de gagner de l'argent plus facilement. Pour lui, les investisseurs sont aujourd'hui trop court-termistes. Ils ne sont plus intéressés que par le futir immédiat.

Ce qui l'inquiète aussi, c'est que les sociétés françaises n'aient pas d'actionnaires; l'actionnariat normal d'une société française est étranger, et l'actionnaire étranger, qui est de passage, investit dans ce qu'il connaît.

Une recheche récente de l'Institut français de gouvernement des entreprises (IFGE) menée par Pierre-Yves Gomez, vient compléter ces propos. L'étude, analysant l'évolution de 664 entreprises côtées entre 1992 et 2010, montre que la Bourse a permis une concentration sans précédent de la puissance économique dans un trés petit nombre d'entreprises géantes dont le chiffre d'affaires dépasse 7,5 milliards d'euros. Elles étaient 58 en 2010, 37 en 1992; mais leur chiffre d'affaires moyen a doublé, lorsque celui des autres entreprises françaises est resté stable; l'effectif moyen a aussi augmenté de 68%, l'effectif moyen de ces entreprises étant de 106 000 salariés par entreprise. Elles assurent 90% des investissements, et aussi 90% des dividendes versés.

Conséquence de cette situation: l'épargne, ramassée par les fonds, les investisseurs institutionnels, se place majoritairement dans les entreprises les moins risquées, au capital le plus liquide ( les business angels qui préfèrent les start-up et les PME sont les minoritaires du système); Ce qui oriente donc l'argent vers ces entreprises géantes, ce qui leur permet de grossir encore davantage.L'étude montre ainsi que leurs capitaux propres ont augmenté de 265%, trois fois plus que les PME.

Conclusion, l'épargne des ménages est utilisée depuis vingt ans, grâce à la Bourse, pour accroître la taille et la puissance de quelques entreprises géantes, qui sont devenues mondiales.

Qui dirige donc ces entreprises?

L'étude indique que ces entreprises géantes ont généralement un actionnaire de référence qui détient 24% du capital en moyenne. Ce qui correspond finalement à environ un millier de personnes qui décident de la stratégie de ces firmes géantes; et ce sont elles qui décident de la politique économique, qui décident de la localisaton des productions, des marchés.

Comment, prenant conscience de ces analyses, ne pas sentir combien les incantations des politiques  sur la réindustrialisation de la france ne sont au mieux qu'une révélation de leur inquiétante impuissance, au pire de leur incroyable naïveté.


Gouvernance : la fin du pouvoir ?

Boussole

Diriger une entreprise, une équipe, un projet, ça avait l'air simple : je dirige, ils obéissent.

Et pourtant, aujourd'hui, comment ne pas constater que le pouvoir est à la baisse dans l'opinion.

On parle maintenant des pouvoirs, au pluriel, qui se multiplient : le pouvoir des fonds de pension, le pouvoir des médias, le pouvoir des lobbyes, le pouvoir des vieux, des énarques, etc... Il y en a partout. Alors, vouloir être le chef, qui a LE pouvoir, dans un tel bordel, c'est pas facile.

Le pouvoir, ça n'est plus possible : les blogs, les masses, les écologistes, ils sont là pour empêcher et contraindre les chefs. Pas facile de se faire obéir si on les contredit.

C'est encore plus inimaginable dans une grande entreprise ou organisation. Dans son dernier ouvrage, "Réussir...et aprés", Richard Branson, le charismatique patron du groupe Virgin, qu'il a créé, fait une prédiction :

" Les patrons qui se vantent d'afficher un chiffre d'affaires de 100 milliards de livres avec 100 000 salariés appartiennent à la préhistoire. Avant dix ans, ils auront disparu, comme les dinosaures, sauf s'ils ont su morceler leur affaire en cent ou deux cents entreprises, chacune responsable de sa gestion et de ses comptes, avec chiffre d'affaire d'un demi-milliard".

Ce qui a bonne presse par contre, ce qui s'oppose à ce pouvoir, c'est le chouchou des libéraux, c'est : la gouvernance.

La gouvernance, c'est quelque chose qui remplacerait toute forme de contrainte, qui permettrait de mettre spontanément en oeuvre des valeurs de "bonne gouvernance" : la solidarité, le développement durable, le respect, de diversité,...On peut charger autant qu'on veut, la gouvernance est une bonne fille.

C'est aussi cette "corporate governance" qui permet le grand amour entre les dirigeants et les actionnaires, avec des mécanismes explicites ou implicites que le MEDEF aime bien mettre dans des chartes. C'est ainsi que les salaires des patrons, grâce aux règles de "gouvernance", deviennent acceptables par l'homme de la rue.

Cette idée de gouvernance semble s'opposer à celle de hiérarchie ou d'autorité. Il y aurait comme une façon naturelle de manager l'entreprise, et ses collaborateurs, qui dispenserait ainsi le dirigeant de prendre des décisions, surtout celles qui fâchent. Parfois, on met les consultants dans le coup: dites-moi, Monsieur le Consultant, ce qu'il faut faire, et surtout que cela soit accepté par tous (on appelle ça la gestion du changement, ça permet notamment de ne pas trop changer).

Cette gouvernance, elle est le symbole de la modernité, du pragmatisme. Dans un projet, une strqatégie, la bonne gouvernance, c'est le facteur-clé de réussite. Elle est aussi le secret pour régler tous les conflits d'intérêts.

Elle recouvre, en vrac, tous les critères possibles d'honnêteté, de bonne gestion, de contrôle des gouvernés comme des gouvernants.

La mode a dépassé le cadre des entreprises; la bonne gouvernance, aujourd'hui, c'est aussi celle des Etats, des organisations internationales. La fin du pouvoir pour tous : vive la "gouvernance mondiale".

On est alors dans un système qui fait croire que la décision devient quelque chose qui advient naturellement, comme la résultante de tout un tas d'actions : co-gestion, intelligence collective, codirection. L'autorité disparaît au profit du consensus.

C'est pourquoi quand j'entend certains dirigeants parler un peu trop de "gouvernance", et de toutes les merveilleuses règles qu'elle permet de faire jouer, comme une belle horlogerie, je me méfie toujours un peu.

Car cela peut parfois signaler une démission de leur pouvoir, signifiant leur incapacité à choisir et à décider (c'est l'horreur  de travailler avec des gens pareils; ils sont toujours insatidfaits, sauf quand on ne change rien).

Ou pire, cela peut aussi indiquer une forme subtile de manipulation, où la décision du chef est déguisée en gouvernance, en faux consensus, tous les béni-oui-oui de ses équipes n'osant pas le contredire, ou émettre une opinion divergente (alors qu'ils n'en pensent pas moins).

Alors, en ce temps où la gouvernance devient tellement à la mode, peut-être faut-il réhabiliter le pouvoir, celui qui permet aux innovateurs, aux entrepreneurs, de prendre les risques que d'autres ne veulent pas prendre. Et de faire bouger les entreprises, les équipes, d'oser des fonctionnements différents.


Elle va sauver le service public !

Servicepublic

 Rencontre cette semaine avec un professionnel du service public. Il a été dirigeant de plusieurs entreprises publiques, et l'est encore aujourd'hui. Ses propos sont assez inhabituels, malheureusement.

Pour lui, le service public ne peut être sauvé que par ...la concurrence.

Il y a eu une confusion entre le service public et l'entreprise qui l'exerce, alors que ce sont deux choses distinctes. Il est tout à fait possible de faire exercer un service public par une entreprise privée, et même plusieurs entreprises, en concurrence. C'est même hautement souhaitable.

Dans le secteur des transports, c'est en 1982 que Charles Fitermann, Ministre communiste des Transports de François Mitterrand, imagine et fait voter la fameuse loi LOTI (Loi d'Organisation des Transports Intérieurs); cette loi, en gros donne un "droit au transports" à tout concitoyen (quel drôle de texte, plein de déclarations solennelles sur ce fameux "droit au transport", garant de la liberté de se déplacer de chacun d'entre nous). Cette loi est le début de cette distinction entre le service publique, dont l"Etat est garant, et l'entreprise qui exploite le service, sous contrôle de l'Etat.

De même, les Régions se sont vues déléguées l'Autorité des Transports régionaux en 1995.

Pourtant, les entreprises publiques ont souvent tendance à se considérer comme le service public, et donc intouchables, incritiquables. Et, exploitant un service public sans l'aiguillon de la concurrence, ont parfois perdu en innovation et en réactivité. Et ont aussi parfois limité les investissements et les innovations technologiques, pour préserver les emplois.

C'est grâce à l'Europe que la concurrence est en train de s'imposer partout dans les services publics; ceci va éviter de continuer les aberrations que l'on a constatées dans le passé : les barrières de péage automatique sur les autoroutes retardées le plus longtemps possible pour ne pas mettre l'emploi en danger; idem à la SNCF, où les postes d'aiguillage, hors d'âge, n'ont jamais été modernisés afin de ne pas créer de problèmes d'emplois. Cette obsession de l'emploi a conduit cette entreprise à avoir aujourd'hui le record du monde des effectifs ramenés au nombre de kilimètres de rails exploités.

 Aujourd'hui les travaux et les investissements de modernisation sont en cours; mais, afin de ne pas brusquer l'emploi, on va étaler sur quinze ans, afin que les économies d'effectifs soient dégagées au fur et à mesure des départs en retraite. Ainsi, on va garder pendant quinze ans des personnes effectuant un travail qu'on pourrait remplacer plus vite par des technologies, uniquement pour garder son emploi (mais pourquoi ne pourrait-il pas faire un travail plus utile pour la société que de s'accrocher à ce job sans valeur ? On manque pourtant d'entrepreneurs, non ? Non, on ne va pas le faire...).

Autre caractéristique de ces entreprises qui ont séquestré le service public, en résistant au changement, sans concurrence : la faiblesse du management, au profit du poids de la protection collective et statutaire; des organisations où les Directions sont découpées par technique. Il y a des exceptions, comme à la RATP, où Christian Blanc avait créé des Directions managériales par ligne (elles existent toujours), ou bien Aéroport de Paris, qui a créé des Directions managériales par aéroport. Mais à la SNCF, par exemple,on n'a pas ce genre d'organisation.

La concurrence, pour mon interlocuteur, c'est ce qui va sauver le service public; c'est grâce à cette concurrence que les investissements nécessaires vont être entrepris, que le service aux clients va s'améliorer, que les innovations vont s'accélérer.

Ce discours trés critique, qui voit dans l'ouverture à la concurrence, des bienfaits pour les usagers que nous sommes, on l'entend peu dans les propos des poiltiques, de gauche (forcément), comme de droite.

Généralement, on utilise l'exemple de l'Angleterre, Madame Thatcher, pour servir d'épouvantail. Elle a tout cassé, il a fallu revenir en arrière. Oui, mais in fine, on n'est pas revenu sur la libéralisation et la concurrence.

A entendre ce dirigeant d'entreprise publique, on n'a pas fini de voir les entreprises, publiques et privées, transformer les services publics, tant en termes de management que d'efficacité opérationnelle.

Il y aura forcément ceux qui vont s'en réjouir, comme lui, et il restera aussi ceux qui vont le déplorer. Le débat politique n'est pas prêt de s'arrêter.