Résonance et relation au monde : une histoire de peau
08 juin 2025
On pourrait croire, et c’est une opinion répandue, que ce qui fait une vie heureuse est l’accumulation de moyens (l’argent, le capital intellectuel, son réseau d’amis). Que quelqu’un de riche de tout ça est un homme heureux, alors que le pauvre aura une malheureuse.
Malheureusement, il y a des riches qui pleurent dans leur Rolls, et des pauvres et miséreux qui sourient à la vie, et paraissent très heureux.
C’est que ce qui fait la vie heureuse, c’est autre chose. C’est une forme de relation au monde plus complexe qu’on pourrait appeler la résonance.
C’est la thèse développée par Hartmut Rosa dans son livre « Résonance – Une sociologie de la relation au monde ».
Pour lui, ce concept de résonance est la solution à l’accélération du monde (sujet de ses précédents ouvrages).
C’est ce rapport au monde, cette résonance, qui explique la qualité d’une vie humaine. C’est cette résonance qui accroît notre puissance d’agir et notre aptitude à nous laisser « prendre », toucher et transformer le monde. C’est l’inverse d’une relation au monde complètement instrumentale et « muette » qui est celle à quoi nous soumet la société moderne. C’est le monde moderne, pris dans un processus d’accélération effréné et d’accroissement illimité, qui entraverait systématiquement la formation de ces rapports de résonance, et produirait des relations « muettes » et « aliénées » des hommes entre eux, et dans leurs relations avec l’environnement au sens large.
Hartmut Rosa met bien en évidence dans son analyse que cette relation au monde, cette résonance ou non-résonance, elle commence par le corps. C’est l’objet du premier chapitre du livre.
Et dans cette relation de notre corps au monde, le rôle majeur est bien sûr joué par la peau. C’est la membrane par excellence, la membrane résonante entre le corps et le monde, et entre la « personne » et son corps. Il suffit de constater comment la peau réagit au monde, se contracte en « chair de poule » quand il fait froid, ou rougit au contact du soleil.
Hartmut Rosa veut mettre aussi en évidence que c’est l’attention accrue portée à la peau dans nos sociétés modernes serait le signe d’une diminution de la faculté de résonance. On pense à ses sujets qui considèrent leur peau comme un objet manipulable qu’ils peuvent faire pâlir, ou au contraire bronzer, mais aussi percer, tatouer, raffermir. Car ce serait justement ceux qui n’investissent pas leur temps, leur énergie et leur argent dans le soin de leur peau et leur apparence physique qui se sentiraient paradoxalement « bien dans leur peau », ce bien étant procuré par « l’oubli de leur peau ».
Le marché du « toucher », tous les masseurs et caresseurs professionnels, est peut-être alors un substitut compensatoire à un monde social à un modèle social qui ne nous laisse plus aucune empreinte, qui ne résonne plus assez.
On pense aussi, en suivant Hartmut Rosa, à ces manifestations de « free hugs », ou « câlins gratuits » qui sont proposés spontanément dans un lieu public, comme un besoin ardent de se retrouver peau contre peau avec des inconnus en mal d’étreintes.
La peau est donc le premier organe de résonance sensible, qui exprime cette relation entre le corps et le monde, et entre la personne et son corps.
De quoi s’interroger sur ce que nous faisons de notre peau dans notre relation au monde.
« Bien dans sa peau » ou « mal dans sa peau » ?
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