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Tornade sur l'éducation

TornadoLe 16 juin prochain, Alkéos Michaïl et moi auront le plaisir d’accueillir pour 4ème Révolution, au collège des Bernardins, Monique Canto-Sperber et Carlo d’Asaro Biondo, dont j’ai déjà parlé ICI.

Le thème : L’intelligence artificielle nous rendra-t-elle libres ?

Or, s’il y a une ressource de liberté incomparable, c’est l’éducation.

Monique Canto-Sperber consacre tout un chapitre de son livre, « La liberté cherchant son peuple », à l’éducation, qu’elle considère comme la promesse de la liberté : « L’éducation est devenue pour chaque enfant ce qui rend réelle la liberté de choisir sa vie, une expérience concrètement vécue dans toutes les conditions d’existence et une ressource d’action pour une très large partie de la population, surtout pour les plus modestes ».

A l’heure des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle, on imagine bien que les impacts sur l’éducation sont et vont devenir de plus en plus importants. Carlo d’Asaro, ancien de Google, qui retrace dans son livre, « L’humanité face à l’IA – Le combat du siècle », l’histoire du développement des technologies, depuis Arpanet et le web jusqu’à l’intelligence artificielle générative, met bien en évidence tout ce que cela a permis pour faire de nous des « humains augmentés ». Il avoue même que pour faire des recherches pour l’écriture de son livre, il a utilisé ChatGPT, Claude et Perplexity. Mais il précise qu’il l’a fait « avec attention et sens critique ».

Et c’est là toute la question : ne risquons nous pas de perdre cette attention et ce sens critique, qui semblent si nécessaires ? J’en avais parlé ICI en citant une tribune de Gaspard Koenig, qui comparait l’intelligence artificielle à un « waze de la pensée ».

Et pourtant, Carlo d’Asaro considère que c’est justement l’éducation, et notre sens critique qui nous sauveront des dérives de l’intelligence artificielle,

Malgré les progrès technologiques, l’éducation ça ne pas très fort néanmoins. Monique Canto-Sperber y va direct : « Le système éducatif français, au niveau du collège et du lycée, est devenu l’un des plus inégalitaires d’Europe. Dans le classement général, la France est, parmi les pays de l’OCDE, au 21ème rang pour les performances des élèves en mathématiques et au 19ème pour leur maîtrise de l’écrit (20% des élèves ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux à la fin de l’école primaire), les élèves en échec étant très majoritairement d’origine modeste ».

Ce qui s’est déréglé dans l’éducation tient à des transformations démographiques et culturelles. Entre 1960 et la fin des années 80, le pourcentage des lycéens qui poursuivaient leurs études jusqu’au niveau du baccalauréat passe au sein d’une classe d’âge de 11% à 62%. A la fin du XIXème siècle, on comptait sur tout le territoire français une centaine de lycées (pour 50 022 lycéens) et environ 220 collèges communaux (32 751 élèves), 82 773 élèves étaient donc inscrits dans le cycle secondaire. En 2023, 1 604 000 élèves étaient inscrits au lycée (à partir de la seconde) et 3 414 000 au collège (de la sixième à la troisième), et plus de 638 650 en cycle professionnel, soit 5 658 650 élèves dans le cycle secondaire, près de 68 fois plus ! Il y avait pour les accueillir 3 750 lycées et 6 950 collèges, soit 10 700 établissements secondaires, au lieu de 320, un siècle plus tôt, 33 fois moins.

Comme le montre bien Monique Canto-Sperber, on peut parler d’« explosion scolaire », conséquence de cette « massification » de l’enseignement, qui a entraîné une hétérogénéité, sociale et culturelle, de plus en plus grande parmi les élèves. Alors que le système scolaire était habitué à des élèves partageant une culture commune, venant pour la très grande majorité d’entre eux de milieux favorisés, ce choc démographique était une transformation profonde, qui n’a pas été anticipée, le système restant tés homogène et centralisé. La puissance publique a laissé inchangé un type d’organisation scolaire qui avait la preuve de son efficacité lorsque les élèves étaient cinq fois moins nombreux et mieux formés dans leur scolarité en cycle primaire.

Ceci me fait penser à ce que Geoffrey A. Moore, auteur connu pour « Crossing the chasm » (dont j’ai souvent parlé ICI et ICI), appelle « l’effet Tornado » : c’est ce qui se passe quand un marché, une entreprise, décolle très vite, à la suite d’un changement profond, souvent technologique. Les entreprises ont parfois du mal à changer assez vite quand la tornade arrive, car on préfère souvent le statu quo qui a toujours fonctionné hier à l’incertitude du futur

.Cet effet Tornado est tout aussi difficile à gérer pour une entreprise technologique que pour le système éducatif. Geoffrey Moore appelle cela « l’effet Tornado » en référence à la tornade qui emporte Dorothy dans le film « Le magicien d’Oz » et la fait sortir de son monde en noir et blanc pour la projeter dans un monde en couleurs, avec des animaux extraordinaires.

Malheureusement l’éducation, dans son ensemble, est restée dans le monde en noir et blanc, pendant que l’environnement était en train de naître en couleurs.

Est-ce que la technologie et l’intelligence artificielle sont ce monde en couleurs auquel il faut s’adapter ? Les jeunes générations d’aujourd’hui ont souvent ce sentiment d’être à l’école dans un monde en noir et blanc : chez eux, ils sont avec le magicien d’Oz, ils utilisent l’intelligence artificielle (et pas seulement pour tricher), ils développent des applications et des outils pour mieux apprendre et travailler, et à l’école les professeurs n’ont rien de tout ça.

Monique Canto-Sperber aimerait que l’on favorise plus l’autonomie des établissements et la décentralisation pour mieux s’adapter et changer les choses. Elle évoque notamment les expériences de « charter schools » américaines.  Sophie de Tarlé fait justement un portrait de l’une d’elle, avec sa directrice, Eva Moskowitz, dans Le Figaro du 31 mai. Eva Moskowitz a créé un réseau de « charter schools » il y a vingt ans maintenant. Ce sont des établissements scolaires financés par l’Etat mais dirigés par des associations à but non lucratif ou des entreprises privées. La Success Academy d’Eva Moskowitz scolarise 22 000 élèves dans 57 écoles. Elle accueille en priorité des élèves afro-américains (50%) et hispaniques (28,8%). Et bien que 72% des élèves soient issus de milieux défavorisés, ils obtiennent des résultats hors du commun.

Quel est le secret ?

Des cours d’art, d’échecs, de musique et de sport ; Et surtout beaucoup de maths (ils apprennent les fondamentaux, mais aussi la logique et l’autonomie). Dans ces écoles, les élèves ne sont pas sélectionnés sur dossier scolaire, ni sur concours, mais par une loterie. Et cette éducation est entièrement gratuite. Eva fait aussi le tour du monde pour s’inspirer des meilleurs systèmes éducatifs internationaux. Elle est convaincue : « Les pays occidentaux traversent tous une crise tragique de leur système éducatif. Il est urgent d’agir, car pour être compétitif, un pays doit avoir un système éducatif robuste ».

Alors, pour l’éducation d’aujourd’hui et de demain, on fait quoi ? Plutôt la technologie, la décentralisation, l’autonomie des établissements et de nouvelles méthodes ? Et plus de maths ? Un cocktail de tout ça ? 

Rendez-vous le 16 juin pour poursuivre le débat.


Comment protéger la vie privée à l’ère de l’IA ?

OeilAALa vie privée est-elle menacée par l’intelligence artificielle ?

Même pour les plus ardents défenseurs des progrès apportés par l’IA, la question se pose.

Les deux invités de ma prochaine conférence avec 4ème Révolution, Carlo d’Asaro Biondo et Monique Canto-Sperber, abordent chacun le sujet, avec des prismes différents, dans leurs livres.

Monique Canto-Sperber, dans son livre « La liberté cherchant son peuple », en philosophe, part de la liberté, celle dont parle John Stuart Mill (« De la liberté », 1859) pour qui chacun est « libre de tracer le plan de sa vie suivant son caractère, d’agir à sa guise et de risquer toutes les conséquences qui en résulteront, et cela sans être empêché par ses semblables tant qu’il ne leur nuit pas, même si ces derniers trouvaient sa conduite insensée, perverse et mauvaise ».

Mais ce qui menace la vie privée, ou du moins ce qui suscite l’inquiétude, c’est bien sûr aujourd’hui tous les systèmes de ciblage des individus, de traçage, de surveillance des comportements et des préférences, par des acteurs privés. Cela se développe aussi, via les réseaux sociaux, par cette propension des usagers à dévoiler une part importante de leur vie privée, leurs convictions, leurs relations, leur vie intime, au point que, en contrepartie, la curiosité nous amène à croire que les informations les plus intimes sur la vie des autres doivent être accessibles, ce que Monique Canto-Sperber appelle la « liberté assiégée ».

On en arriverait à une société du voyeurisme, où le désir de garder des parts de sa vie secrètes deviendrait suspect, et serait à dénoncer.

Mais alors, Monique Canto-Sperber pose la question : « Est-il encore possible de soustraire des aspects de sa vie intime à la curiosité des autres quand l’incitation à tout dire de soi est à la base du fonctionnement des réseaux sociaux, et que les moyens technologiques d’aujourd’hui font qu’il est difficile d’empêcher la diffusion d’une information à un large public ? ».

On en est aujourd’hui au point où le droit de la personne à ne révéler d’elle-même que ce qu’elle souhaite est devenue une illusion. On se rappelle les images impliquant Benjamin Griveaux, échangées avec une jeune femme par vidéo, rendues publiques par un ami russe de cette jeune femme, qui avaient contraint Benjamin Griveaux à abandonner sa candidature à la mairie de Paris. Cet ami russe a été condamné à 6 mois de prison ferme (aménageable), et la jeune femme à 6 mois avec sursis, plus des amendes, mais le mal était fait.

Carlo d’Asaro Biondo aborde le même sujet dans son livre, « L’humanité face à l’IA – Le combat du siècle », à partir du phénomène du cyberharcèlement, comme le « revenge porn » (vengeance pornographique) qui, à partir de piratage de comptes photo, ou avec des images ou vidéos générées par l’intelligence artificielle, donne lieu à du chantage ou à des vengeances, ou à un usage dans une procédure de divorce, par exemple.

Pour sanctionner ce phénomène, il n’existe pas de législation homogène en Europe, et Carlo d’Asaro Biondo considèrent que les législations qui existent (en France et en Italie) et pénalisent ces actes ne suffisent pas. Il cite, lui aussi, pour preuve, la même affaire Griveaux.

Alors, que faire ?

La réponse de Carlo, c’est l’éducation et…la technologie : « La législation ne peut pas plus, à elle seule, gagner le combat contre le cyberharcèlement. L’éducation à l’usage de la technologie et aux risques de notre époque connectée s’impose désormais comme le devoir de tout parent ou adulte envers les plus jeunes. Tout le monde doit comprendre les dangers de l’usage du cloud pour ses photos et informations personnelles et l’importance de l’authentification multifactorielle (mot de passe sur portable + code sur téléphone, biométrie – « Face ID » - + code sur téléphone ou PC…) ».

Mais même ces mesures de protection technologique de l’identité ne seront pas suffisantes, tout en étant indispensables. Ce qu’il espère, c’est « une révolution culturelle intime et sociale » : « Il faut apprendre à ne partager que ce qui est utile et redonner de la valeur aux traces numériques que nous souhaitons laisser. Il nous faudra rendre ses lettres de noblesse à la réserve, trouver des moyens d’expression et de réalisation de soi, qui ne se résument pas au nombre de followers ou de like que l’on parvient à attirer ».

Monique Canto-Sperber, voit une réponse dans le libéralisme : « Le libéralisme a un avantage et une exigence que peu de mouvements politiques placent au premier plan de leur programme : le respect de leur liberté sur les questions de vie privée, d’opinions et de choix, et la volonté de faire en sorte que les politiques publiques préservent pour les individus concernés des possibilités de choix, des marges de liberté ».

Sanctions, législation, technologie, éducation, libéralisme ?

Qui nous sauvera pour protéger notre vie privée ?

Suite du débat à la conférence où Carlo d’Asaro Biondo et Monique Canto-Sperber seront présents pour débattre avec nous le 16 juin.

Un rendez-vous à ne pas manquer.


Faut-il encore faire des comptes-rendus de réunions ?

Reunion« On ne fait plus de comptes-rendus de réunions ».

Elle me dit ça avec fierté, pour m’indiquer combien son entreprise s’est mise à l’IA, l’intelligence artificielle, Copilot, ChatGPT et tout ça.

Dans le secteur du Conseil, c’est la révolution : les synthèses de documents, les traductions, les tableaux, les PowerPoint, tout y passe.

Au point que de nombreuses tâches que l’on avait l’habitude de confier aux juniors sont maintenant faites par l’IA.

Certains s’en inquiètent, notamment ces juniors et débutants, qui se demandent si cela ne va pas finir par leur bloquer certains premiers emplois.

C’est le sujet d’un article du Monde du 8 mai, par Marjorie Cessac : « Les premiers pas des jeunes en entreprise entravés par l’intelligence artificielle ».

Bigre !

Une chercheuse d’un cabinet de conseil en ingénierie révèle : « L’objectif avec le recours à l’IA chez nos clients, et au sein des cabinets de conseil, c’est de viser 30% d’économies. Quand un nouveau projet arrive, l’idée serait de n’embaucher plus qu’une seule personne au lieu de trois qui fera le même travail mais avec de l’IA ».

Une responsable des ressources humaines dans un cabinet de fiscalité fait une prévision : « Dans cinq à dix ans, les jeunes ne sauront vraisemblablement plus faire un PowerPoint ».

Alors on s’interroge : est-ce vraiment un progrès ?

Le doute s’installe : « Certains jeunes maîtrisent la technique, mais ne comprennent plus pourquoi ils l’utilisent. Ce qui engendre un manque d’esprit critique ».

Voilà le mot : l’IA va tuer l’esprit critique.

Pire : « Quand on pense trop les outils comme une finalité, il y a une forme de déresponsabilisation ».

L’IA nous déresponsabilise.

Quoi d’autre ?

Ce que l’on perd avec l’IA, c’est l’apprentissage, car on ne comprend plus les étapes pour arriver à un résultat que la machine produit à notre place, d’où la difficulté pour les profils juniors « à progresser et à reproduire ensuite ce qu’ils avaient fait faute de connaître les étapes pour arriver à un résultat », alerte un expert cité dans l’article. Super expert et malin, qui a quitté son job de direction chez IBM pour créer un cabinet spécialisé qui conseille sur la façon de répartir au mieux le travail entre l’humain et la machine.

D’autres ont carrément fait le choix de la machine : Plus d’employés ni de consultants, le cabinet Xavier AI, créé par Joao Filipe, ancien de McKinsey, est 100% IA.

Mais alors, les PowerPoint et les comptes-rendus de réunions, on arrête ou pas, finalement ?

L’expert en partage humain/machine est sûr que non : « Les PowerPoint permettent aussi de former sa pensée, d’allier la forme et le fond en même temps ». Pareil pour les comptes-rendus de réunions : « On y apprend un vocabulaire précis, comment cela se passe sociologiquement entre les intervenants ».

Et un bon compte-rendu de réunion fait main a un ultime avantage :

« Faire un bon compte-rendu de réunion peut nourrir une estime de soi professionnelle ».

L’IA tue l’estime de soi !

Convaincus ?