Un projectile qu'on ne peut plus arrêter
27 mars 2025
Après un moment d’admiration et d’ébahissement face à l’intelligence artificielle façon ChatGPT, voilà que s’élèvent les voix de ceux qui commencent à douter de ce qu’ils voient comme un fantasme.
On pourrait comparer à ce qui était reproché à l’écriture par Socrate dans le « Phèdre » de Platon : Pour Socrate, l’écriture est inhumaine, car elle prétend établir en dehors de l’esprit ce qui ne peut être en réalité que dans l’esprit. L’écriture n’est qu’une chose, un produit manufacturé. Autre critique de Socrate : l’écriture détruit la mémoire. Les utilisateurs de l’écriture perdront peu à peu la mémoire à force de compter sur une ressource externe pour parer à leur manque de ressources internes. L’écriture affaiblit l’esprit.
Socrate avait ainsi prédit que l’écriture allait changer le monde, en détruisant celui de l’oral et de la mémoire dans lequel il vivait.
Les Socrate d’aujourd’hui adressent les mêmes prédictions à ChatGPT.
C’est Gaspard Koenig qui, dans une récente tribune des Echos, comparait Copilot, autre IA LLM, à un « waze de la pensée » : « Confier l'expression de soi à un robot constitue le dernier degré de la servitude volontaire. Signer un e-mail qu'on n'a pas rédigé, c'est abdiquer toute dignité ».
« Pour l'écriture comme pour le reste, il est naïf de croire que l'IA nous épargnera les tâches subalternes en nous offrant tout le loisir de déployer notre génie dans de nobles et mystérieuses activités. Car c'est précisément dans le ciselage besogneux du mot, dans l'élimination patiente de la répétition, dans l'abîme méditatif de la virgule, que se forge un style singulier. Ce sont à travers les innombrables erreurs et errements des manuscrits de jeunesse que l'on apprend à confectionner sa propre langue ».
Autre vision, celle de l’auteur américain Richard Powers, dont j’ai déjà parlé ICI, et qui s’entretient avec Alexandre Lacroix dans le dernier numéro de « Philosophie Magazine » :
« A mon avis, un abîme croissant va séparer les gens qui comprennent comment ces machines fonctionnent, qui savent les programmer, et ceux qui n’ont même pas encore pris conscience de leur existence ».
« Le progrès de l’IA va entériner la victoire définitive du capital sur le travail. Celui qui a les capitaux pour investir dans l’IA, qui est propriétaire de la technologie, sera en même temps détenteur du travail automatisé, puisqu’un très grand nombre de tâches vont être confiées aux machines. L’instabilité de ce système est pourtant évidente : quelques capitalistes seront richissimes, ils seront à la tête de monopoles immenses. Mais ce qui va gripper le système, c’est qu’à force d’automatisation des tâches, ils redistribueront toujours moins de leur capital accumulé en salaires, ce qui fait qu’il y aura de moins en moins de pouvoir d’achat pour absorber leurs services et leurs marchandises. Au bout du compte, il est prévisible que nous allions vers des révoltes sociales violentes. Et la question n’est pas de savoir si ce futur est désirable ou non. C’est ce qui est en train d’arriver, et nous y allons rapidement. Un projectile immensément puissant a été lancé sur le monde et nous ne pouvons plus l’arrêter ».
De quoi rester optimiste !