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Tu ne peux pas faire tout seul

NapoleonSi l’on parle de leader, on invoquera sa vision, sa détermination, on comparera à des chefs célèbres, dans l’Etat ou l’armée, à Napoléon par exemple.

Et c’est vrai que l’on peut avoir l’impression que certains dirigeants se prennent un peu pour Napoléon, ce qui les rapproche du profil des fous (Les hôpitaux psychiatriques sont parait il peuplés de patients convaincus d’être Napoléon).

Mais voilà, aujourd’hui, le leadership, c’est aussi l’attention portée aux employés et aux collaborateurs.

Se trouver dans une réunion de managers qui bavardent en attendant qu’elle commence ; et puis le chef arrive ; silence dans la salle, les regards braqués sur ce chef, qui va prendre la parole ; ces visages de soumission, voire de peur rentrée, voilà une expérience qui en dit long sur le style de management. Le chef a l’air content de lui. Les plus jeunes ont l’air d’automates, les plus anciens aux regards de chiens battus habitués à être de bons soumis font un peu pitié. Mais comment marche donc cette entreprise ?

Quand ça craque vraiment, on parlera même, médecine du travail en appui, de « management toxique » ou de « harcèlement ».

Le Figaro rapporte cette semaine que c’est le cas de la préfète déléguée à l’égalité des chances à la préfecture de Gironde (c’est quoi ce poste ?), qui est visée par un rapport de la médecine du travail pour son « management toxique » causant un « risque suicidaire élevé » chez ses collaborateurs.

L’affaire n’est pas close et l’intéressée, forcément, s’en défend, et dit qu’elle a « toujours porté la plus grande attention à ses équipes ».

En fait, développer son leadership en se gardant de ce risque n’est pas toujours évident. Et on apprend plutôt sur le tas, par essais et erreurs, même si certains sont plus doués que d’autres. Et ça concerne tous les dirigeants, même avec une petite équipe. C’est le dilemme dans certaines start-ups aussi, qui voient augmenter les effectifs très vite, avec des dirigeants entrepreneurs concentrés sur la stratégie et le développement et qui ne savent pas comment manager ces collaborateurs, certains les considérant même comme des contrats de travail sur pattes, qui n’ont rien à dire.

Il y a déjà quelques années, deux chercheurs, James M. Kouzes et Barry Z. Posner, ont publié plusieurs ouvrages sur ce qu’ils appellent les « règles du leadership ». Elles méritent toujours d’être lues et relues.

Parmi celles-ci, justement : « Tu ne peux pas faire tout seul ».

Ils ont observé, comme d’autres, que la relation avec les subordonnés était un des critères essentiels de la réussite et de la performance. C’est aussi ce qu’a étudié Daniel Goleman à propos de ce qu’il appelle « l’intelligence émotionnelle ». D’autres, plus proches de la psychanalyse, parleront de « lien libidinal ».

Mais alors, on fait comment, messieurs Kouzes et Posner. Cela a l’air simple en fait :

« Pour établir un lien humain, il faut une écoute exceptionnelle. Vous devez comprendre le point de vue des autres, et cette capacité s'est avérée être la différence la plus flagrante entre les dirigeants qui réussissent et ceux qui échouent ».

Le secret est de passer le temps avec les employés, directement sur le terrain, avec intimité, familiarité, empathie, être comme en « résonance » avec eux.

Mais de quoi leur parler ?

Les auteurs considèrent que, parmi les sujets de discussion ouverts, ceux concernant le futur sont les plus porteurs de motivation et de sens. Car, en étant sur le terrain des opérations, on fonctionne plutôt dans le présent et les objectifs à court ou même très court terme. Alors que le dirigeant a une obligation de se préoccuper du futur aussi, de ce qui pourrait arriver, des scénarios qui peuvent advenir, et de comment s’y préparer. Ce que les employés attendent, ce n’est pas que le chef déroule sa vision, mais comment leurs propres rêves peuvent se réaliser, et se représenter eux-mêmes dans ces visions et scénarios du futur. La vision et le futur ne sont pas un monologue du chef, mais l’occasion de conversations dans toute l’entreprise. C’est tout le bénéfice des exercices de scénario planning que de nombreux dirigeants pratiquent et déploient régulièrement (et ils sont de plus en plus nombreux à le faire), et dont j’ai déjà parlé ICI.

Pour l’employé, le bon leader, c’est aussi celui qui lui donne le sentiment qu’il va le rendre meilleur. C’est comme cela que l’on se souvient des managers qui nous ont ainsi aidé dans notre parcours professionnel.

Il y a une scène connue dans le film « Pour le pire et pour le meilleur » de James L. Brookes (1997), avec Jack Nicholson, dans un restaurant, à propos d’un compliment, qui montre bien ce sentiment.

A visionner pour s’en convaincre :

 


Automate

MarionnetteIls sont jeunes et brillants, ils ont adoré les études et les classes de Prépa, ils ont réussi le concours de l’école de commerce, et là, ils s’y ennuient. Cela ne les intéresse plus tant que ça ; que vaut le marketing, la compta ou la finance, par rapport à la philosophie, la littérature, l’Histoire ? Le choc est parfois rude.

Pour d’autres, c’est l’entrée dans la vie professionnelle qui est un choc : ce sentiment que ce travail où l’on doit faire des reporting et des présentations Powerpoint sous le contrôle d’un chef, des reporting et des présentations dont on ne sait même pas qui les lit, quel ennui.

C’est ce sentiment qu’évoque, avec une bonne dose de vécu autobiographique, Valentin Grégoire, jeune auteur de 30 ans, dans son roman « L’automate ».

Ce qui l’a amené à écrire ce roman, qu’il a travaillé pendant deux ans en 2021 et 2022, c’est cette impression de perdre toute réflexion intellectuelle dans le monde du travail où l’on vous demande d’appliquer des « process » rôdés sans réfléchir. Ce monde des « process » et procédures que l’entreprise déploie pour être performante et efficace, bien sûr. Pourquoi réinventer ce qui marche ?

C’est ce qui arrive au héros de ce roman ; c’est lui « l’automate », qui exécute le travail demandé, tous ces reporting sans sens, sans résister. On comprend que ce qui infantilise et déshumanise, dans cette vision, ce n’est pas la technologie mais le travail lui-même et le mode de management des chefs. C’est Charlot et les « Temps modernes » au pays des jeunes cadres de 2025.

Les anecdotes sont nombreuses, sûrement souvent des souvenirs d’expériences concrètes. Ce chef qui relit les travaux de ce jeune embauché en se gavant de chocolats, et qui, considérant le travail avec satisfaction, pense quand même à lui en offrir un.  Et le jeune embauché qui se demande si ce manager ne le prend pas pour un animal domestique.

Et cette frustration de ne pas savoir pourquoi on travaille : « Le travail fourni tout au long de ces deux journées était donc achevé, et quelqu’un d’autre allait en assurer la continuité. C’était une sorte de passage de relais, même si R. allait perdre définitivement de vue le témoin. Bien sûr, il ne s’était pas imaginé qu’il allait lui-même défendre ses résultats auprès du comité de direction ; cependant, ne pas savoir quelle était la finalité de son travail et ce à quoi tout cela allait servir le frustrait un peu. Il avait été une sorte de rouage dans la chaîne de décision et lui, encore trop junior, ne pouvait ambitionner le moment pour le moment d’être en bout de celle-ci ».

Autre anecdote révélatrice, ce moment où le jeune débutant essaye de résoudre un problème de données, et qui se voit renvoyé d’un service à l’autre, personne ne voulant s’en sentir responsable. Jusqu’à ce qu’un collègue malin lui suggère « si tu veux éviter qu’on te fasse tourner en bourrique trop longtemps, mets ton manager en copie de tes mails. Sinon, ils se défausseront, ou ils ne te répondront même pas ». Sage conseil, qui permettra effectivement d’obtenir les réponses qu’il n’arrivait pas à avoir. Image révélatrice des rapports d’obéissance et d'influence dans l’entreprise. La peur des chefs.

La deuxième partie du roman prend la forme d’un « journal » où le héros couche ses états d’âme, et aussi ceux de ses collègues, dont celui d’Ariane, qui, elle, ne supporte plus le travail : « J’ai cette impression, depuis mon arrivée, qui s’amplifie à mesure que les jours se succèdent ici, de vivre dans un monde artificiel, coupé de la vraie vie et emmuré dans une bulle de béton. Rien ne me paraît réel ici, tout est factice, impalpable, gazeux. Il m’arrive de me sentir fantôme, fantôme de ma propre vie, où j’obéis à des règles, à des habitudes fabriquées par d’autres, mais où rien n’est décidé par moi-même, par ma seule volonté, par mon seul désir. J’ai l’impression de vivre en plages horaires, où le déroulement du jour est séquencé, découpé en de petites rondelles de temps où chacune a sa propre fonction, son propre mode, où tout est prévu d’avance et où les secondes sont comptées, précieuses, omniprésentes à l’esprit – bien trop présentes ». Elle va démissionner.

Lui, en bon automate, continue à suivre le mouvement ; mais la troisième partie est une sorte de twist qui modifie d’un coup notre lecture. Malin, Valentin.

Au moment où les discours dans l’entreprise sont de vanter le management humaniste, la raison d’être, le sens, ce roman vient comme une petite douche froide nous rappeler que, vécue par les jeunes diplômés de nos brillantes écoles, l’entrée dans la vie professionnelle de l’entreprise n’est pas aussi rose.

Peut-être que ces témoignages des nouvelles générations permettront aussi de continuer à faire bouger nos modes de management afin de mieux les intégrer. Même si, heureusement, toutes les entreprises et tous les managers ne ressemblent pas tous à ce que décrit ce roman.

Ce roman sur le vif est quand même aussi l’occasion de remises en cause pour certains.

A lire et à faire lire.

Merci Valentin !


Qu'est-ce qui fait la force ?

Lion2Pour bien diriger il faut de la force, de l’autorité. C’est du moins ce que l’on pourra retenir de l’année 2024 en matière géopolitique. C’est le constat que fait Nicolas Baverez dans une tribune du Figaro de lundi. L’année 2024 « a accouché d’un monde d’hommes forts, surplombé par la figure de Donald Trump, dont l’influence pèse sur la planète avant même sa prise de fonction. L’année 2025 consacrera cette nouvelle donne où le commerce, le droit et la diplomatie sont soumis à la loi du plus fort ».

La logique du système mondial pour 2025, toujours selon Nicolas Baverez, c’est la fragmentation, la confrontation et la brutalisation.

Alors les rock star d’hier, chantres du multiculturalisme et de la tolérance, comme Justin Trudeau, qui vient de démissionner, c’est fini.

 Mais alors, dans nos entreprises, c’est quoi la tendance ?

Ce serait plutôt l’inverse en ce moment. Prenons Stellantis, marqué par les années Carlos Tavares, celui qui se proclamait « psychopathe de la performance », obsédé par une vision autoritaire de la performance. C’est John Elkann qui le remplace en interim du Comité Exécutif, et apparemment le style a changé. Le Figaro titrait « Champagne, câlinothérapie…Chez Stellantis, la méthode Elkann pour solder l’ère Tavares ».

Et on y apprend que celui-ci a réuni les 130 cadres de direction du Groupe à la cantine du centre de recherche et développement pour sabler le champagne, une première chez Stellantis. Les cadres n’en sont pas revenus. Du changement par rapport à « l’austère Tavares ».

Ils perçoivent aussi du changement dans l’organisation, avec la volonté de décentraliser (là encore ce serait l’inverse de la tendance en politique) : « Très verticale, elle va s’aplatir ».

Et il va y avoir du changement à prévoir aussi dans le style de management, comme le rapporte au Figaro un des cadres syndicaliste : « Sous Tavares, c’était le petit doigt sur la couture du pantalon. Il ne savait pas déléguer, il était craint et donnait l’impression d’aimer être « le boss ». Aujourd’hui la pression s’est relâchée ».

Le temps du patron admiré de tous pour la performance et ce management viril semble vraiment disparu.

Aujourd’hui, être bon patron, c’est parler un peu plus d’humain, d’humilité.

Autre communication dans le même style, celle de la nouvelle directrice générale du Groupe Picard Surgelés, Cécile Guillou, dans un entretien fin décembre, explique : « Si un collaborateur souhaite me parler, mon bureau lui est toujours ouvert ». « Arriver dans une entreprise sans avoir au préalable pris son pouls, cela nécessite de tisser de la confiance rapidement. C’est cela que j’ai créé, car, quand on prend tous la même direction et que l’on est soudés, on traverse plus facilement les tempêtes. ».

Et puis les équipes, c’est important : « Quand on avance, il est indispensable de se retourner pour voir si les équipes suivent ». Et le Figaro ajoute que ces équipes, justement, étaient « bousculées par une précédente direction aux méthodes moins rondes ».

Mais alors, si on est devenu câlinothérapeute et plus rond, ça risque de faire flancher la performance ? Non, car, comme le rapporte un cadre du Groupe cité par Le Figaro, « Cécile est certes dans le jeu collectif, qui est sa marque de fabrique, mais son exigence et la pression sont bien là. C’est utile, car maintenant que Picard est sorti de son sommeil, il ne faudrait pas que la recherche de consensus se fasse au détriment de la prise de décision ».

Chez Stellantis aussi, on reste prudents, selon Le Figaro : « Aujourd’hui, beaucoup s’interrogent sur les leviers que vont utiliser les actionnaires pour continuer de profiter de la machine à cash que Carlos Tavares avait inventée », car « même avec un management moins raide, il faudra encore serrer les coûts. Les actionnaires comptent sur le premier d’entre eux, John Elkann, pour veiller au grain ».

Finalement, n’est-ce pas Napoléon Bonaparte qui aurait le dernier mot, à qui on attribue la formule « Il faut mener les hommes avec une main de fer dans un gant de velours », expression déjà utilisée par Mazarin, et de nombreux politiques.

En ce moment, le velours a la côte ; mais le fer n’est pas trop loin…