Qu'est-ce qui fait la force ?
Tu ne peux pas faire tout seul

Automate

MarionnetteIls sont jeunes et brillants, ils ont adoré les études et les classes de Prépa, ils ont réussi le concours de l’école de commerce, et là, ils s’y ennuient. Cela ne les intéresse plus tant que ça ; que vaut le marketing, la compta ou la finance, par rapport à la philosophie, la littérature, l’Histoire ? Le choc est parfois rude.

Pour d’autres, c’est l’entrée dans la vie professionnelle qui est un choc : ce sentiment que ce travail où l’on doit faire des reporting et des présentations Powerpoint sous le contrôle d’un chef, des reporting et des présentations dont on ne sait même pas qui les lit, quel ennui.

C’est ce sentiment qu’évoque, avec une bonne dose de vécu autobiographique, Valentin Grégoire, jeune auteur de 30 ans, dans son roman « L’automate ».

Ce qui l’a amené à écrire ce roman, qu’il a travaillé pendant deux ans en 2021 et 2022, c’est cette impression de perdre toute réflexion intellectuelle dans le monde du travail où l’on vous demande d’appliquer des « process » rôdés sans réfléchir. Ce monde des « process » et procédures que l’entreprise déploie pour être performante et efficace, bien sûr. Pourquoi réinventer ce qui marche ?

C’est ce qui arrive au héros de ce roman ; c’est lui « l’automate », qui exécute le travail demandé, tous ces reporting sans sens, sans résister. On comprend que ce qui infantilise et déshumanise, dans cette vision, ce n’est pas la technologie mais le travail lui-même et le mode de management des chefs. C’est Charlot et les « Temps modernes » au pays des jeunes cadres de 2025.

Les anecdotes sont nombreuses, sûrement souvent des souvenirs d’expériences concrètes. Ce chef qui relit les travaux de ce jeune embauché en se gavant de chocolats, et qui, considérant le travail avec satisfaction, pense quand même à lui en offrir un.  Et le jeune embauché qui se demande si ce manager ne le prend pas pour un animal domestique.

Et cette frustration de ne pas savoir pourquoi on travaille : « Le travail fourni tout au long de ces deux journées était donc achevé, et quelqu’un d’autre allait en assurer la continuité. C’était une sorte de passage de relais, même si R. allait perdre définitivement de vue le témoin. Bien sûr, il ne s’était pas imaginé qu’il allait lui-même défendre ses résultats auprès du comité de direction ; cependant, ne pas savoir quelle était la finalité de son travail et ce à quoi tout cela allait servir le frustrait un peu. Il avait été une sorte de rouage dans la chaîne de décision et lui, encore trop junior, ne pouvait ambitionner le moment pour le moment d’être en bout de celle-ci ».

Autre anecdote révélatrice, ce moment où le jeune débutant essaye de résoudre un problème de données, et qui se voit renvoyé d’un service à l’autre, personne ne voulant s’en sentir responsable. Jusqu’à ce qu’un collègue malin lui suggère « si tu veux éviter qu’on te fasse tourner en bourrique trop longtemps, mets ton manager en copie de tes mails. Sinon, ils se défausseront, ou ils ne te répondront même pas ». Sage conseil, qui permettra effectivement d’obtenir les réponses qu’il n’arrivait pas à avoir. Image révélatrice des rapports d’obéissance et d'influence dans l’entreprise. La peur des chefs.

La deuxième partie du roman prend la forme d’un « journal » où le héros couche ses états d’âme, et aussi ceux de ses collègues, dont celui d’Ariane, qui, elle, ne supporte plus le travail : « J’ai cette impression, depuis mon arrivée, qui s’amplifie à mesure que les jours se succèdent ici, de vivre dans un monde artificiel, coupé de la vraie vie et emmuré dans une bulle de béton. Rien ne me paraît réel ici, tout est factice, impalpable, gazeux. Il m’arrive de me sentir fantôme, fantôme de ma propre vie, où j’obéis à des règles, à des habitudes fabriquées par d’autres, mais où rien n’est décidé par moi-même, par ma seule volonté, par mon seul désir. J’ai l’impression de vivre en plages horaires, où le déroulement du jour est séquencé, découpé en de petites rondelles de temps où chacune a sa propre fonction, son propre mode, où tout est prévu d’avance et où les secondes sont comptées, précieuses, omniprésentes à l’esprit – bien trop présentes ». Elle va démissionner.

Lui, en bon automate, continue à suivre le mouvement ; mais la troisième partie est une sorte de twist qui modifie d’un coup notre lecture. Malin, Valentin.

Au moment où les discours dans l’entreprise sont de vanter le management humaniste, la raison d’être, le sens, ce roman vient comme une petite douche froide nous rappeler que, vécue par les jeunes diplômés de nos brillantes écoles, l’entrée dans la vie professionnelle de l’entreprise n’est pas aussi rose.

Peut-être que ces témoignages des nouvelles générations permettront aussi de continuer à faire bouger nos modes de management afin de mieux les intégrer. Même si, heureusement, toutes les entreprises et tous les managers ne ressemblent pas tous à ce que décrit ce roman.

Ce roman sur le vif est quand même aussi l’occasion de remises en cause pour certains.

A lire et à faire lire.

Merci Valentin !

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