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Violence à l'Assemblée

Boissy123C’est en octobre 1793 qu’est institué un nouveau calendrier, « révolutionnaire », on dira « républicain », par la Convention nationale, élue en 1792 ; Convention qui siège, à l’époque, dans le jardin des Tuileries (Notre bâtiment de l’Assemblée Nationale, le Palais Bourbon, confisqué comme bien d’émigré en 1791, ne sera lieu de l’Assemblée qu’à partir de 1798).

 Dans ce calendrier, Thermidor correspond au onzième mois, du 19 ou 20 juillet au 17 ou 18 août, et tire son nom « de la chaleur tout à la fois solaire et terrestre qui embrase l'air de juillet en août ».

Ce nom de Thermidor a surtout marqué l’histoire par la journée du 9 Thermidor An II. C’est ce jour-là, soit le 27 juillet 1794, que les députés de la Convention se lancent dans un réquisitoire brutal contre Robespierre, et votent contre lui et ses fidèles à l’unanimité. Et ils sont immédiatement, sans procès, et presque sans jugement, conduits à l’échafaud. Le 10 Thermidor, Robespierre n’est plus.

Ainsi débute cette période de l’An III, que l’on a appelée thermidorienne, par un renversement contre la Terreur qui a sévi lors de l’An II.

Avec Thermidor, on entre dans une nouvelle époque de la Révolution, qui se veut une redéfinition de la Révolution pour mieux la finir. Ce qui va servir de ligne directrice aux thermidoriens, on dirait aujourd’hui les modérés, c’est un mot prononcé à la tribune de la Convention dès le 11 fructidor An II (28 août 1794) par le député Tallien : « La justice est à l’ordre du jour ». C’est maintenant la justice et le droit qui vont être mis en avant, et non plus l’arbitraire de la Terreur, dans un esprit modéré, réparateur, et plus respectueux du droit ordinaire. Ce sera le temps de la réforme de la justice politique, de la réintégration des girondins proscrits dans la période précédente, de la clémence manifestée par l’amnistie en Vendée.

Mais voilà, ce sentiment de bien faire, avec des députés qui se sentent moralement et psychologiquement du parti du peuple, en voulant agir pour son bien, va rencontrer un phénomène de ce que l’on peut appeler « grogne sociale » : le peuple a faim, et la famine va réveiller les esprits.

C’est la célèbre journée du 1er Prairial An III (20 mai 1795) où, dès cinq heures du matin, des sans-culottes forcent les portes de plusieurs églises de Paris pour sonner le tocsin, signal de la révolte. Et ce sont 60.000 hommes et femmes qui marchent sur la Convention aux cris de « Du pain ou la mort », écrits à la main sur les chapeaux.

Les insurgés vont alors envahir la Convention. Le député Féraud tente de les repousser ; il a la tête tranchée, et les rebelles vont promener sa tête au bout d’une pique à travers l’assemblée et les salles avoisinantes pendant des heures.

A 21 heures, les conventionnels sont invités à se regrouper au pied de la tribune pour voter, de force, les décrets préparés par les insurgés, qui exigent de donner du pain au peuple, mettre en liberté les patriotes, arrêter les « coupables de crime de lèse-nation, et de tyrannie envers le Peuple », et aussi abolir le Gouvernement révolutionnaire, et réunir les assemblées primaires pour de nouvelles élections. Le vote doit s’effectuer en levant son chapeau en l’air.

L’Histoire retient l’attitude du député Boissy d’Anglas, président de la Convention, qui sera considéré comme le défenseur de la liberté : Sous la menace des piques, les baïonnettes braquées sur lui, il refuse de mettre aux voix les décrets et exige que la foule se retire. A ceux qui lui brandissent la tête du député Féraud, il répond par un geste qui est resté célèbre. Il ôte son chapeau et s’incline religieusement devant la tête décapitée de son collègue. C’est ce qui est représenté dans plusieurs tableaux dont le tableau de Joseph-Désiré Court, ou celui de Joseph-Auguste Tellier ou encore  celui de Fragonard.

A plusieurs reprises, les députés de la Convention ont prêté serment, à l’approche des insurgés, de ne pas quitter la Convention en cas d’attaque et de mourir à leur poste plutôt que de voir tomber le pays entre les mains des rebelles et anciens terroristes de la Terreur. Néanmoins, certains députés, ceux dits de la Montagne, vont se rallier à la cause des rebelles, une façon pour eux de tenter d’anéantir les réformes thermidoriennes qu’ils combattaient depuis un an.

Pour finir, vers 23 heures, ce sont les troupes de la Garde nationale fidèles au pouvoir, qui vont cerner la Convention, prêtes à intervenir. Et vers minuit, les organisateurs de la défense de l’assemblée pénètrent dans la salle des séances et font évacuer les groupes de sans-culottes encore présents.

Après ces évènements, un des secrétaires de l’assemblée se saisit de la liasse de papiers sur lesquels figurent les décrets des sans-culottes, tâchés de sang, et déclarés entachés de nullité, et les brûle.

S’en suivra une répression sévère et exemplaire. Une commission militaire est instituée le 4 Prairial pour juger les auteurs de l’insurrection ; Elle prononce 36 condamnations à mort, dont 6 à l’encontre des députés montagnards accusés de complicité avec les insurgés.

C’était il y a 230 ans ; ça remuait à l’Assemblée nationale, encore plus qu’aujourd’hui, quoique…

Espérons que nous ne reverrons pas de tels évènements comparables.

(J’ai trouvé le récit de cette journée dans l’excellent ouvrage de Loris Chavanette, « Quatre-vingt quinze – La Terreur en procès » (2017)).


Les Directeurs de l'innovation sont-ils des réarrangeurs de chaises sur le Titanic ?

TitanicQuand on est fan d’innovation, rencontrer en même temps trois « Directeurs de l’Innovation » est un plaisir. C’était mon cas cette semaine (Merci à Youmeo de nous l’offrir).

L’occasion d’échanger sur tout ce qui permet l’innovation, les outils, les méthodes, l’organisation. Chacun de ces directeurs avait mis en place ses boîtes à outils, et se félicitait des résultats obtenus, lancement d’un produit nouveau, d’un service, d’un nouveau process. Passionnants retours d’expériences.

Mais cela pouvait aussi donner l’impression que tous ces outils, méthodes et organisations ressemblaient à des astuces innovantes pour réarranger les chaises sur le Titanic.

Ah bon ?

Car l’innovation en France et en Europe ne se porte pas très bien. C’est du moins le constat du rapport Draghi sur la compétitivité de l’Europe, qui a fait déjà beaucoup parler. Le diagnostic est sans appel : L’Europe est à la traîne en matière d’innovation par rapport aux Etats-Unis et à l’Asie notamment la Chine.

Un indicateur de productivité du travail présenté par le rapport montre qu’en 2020 la productivité du travail en Europe est à 80% de celle des Etats-Unis. Et ce qui explique cet écart croissant (il n’était que de 95% en 1995) ce sont d’abord les technologies numériques. L’Europe a un peu raté la révolution digitale créée par internet : pas de nouvelles entreprises technologiques significatives et moindre diffusion des technologies nouvelles dans l’économie. Et cela ne donne pas signe de s’améliorer : Si l’on regarde le développement des technologies quantiques, qui sont présentées comme la prochaine vague d’innovation, sur les dix premières entreprises technologiques qui investissent sur ce créneau, cinq sont aux Etats-Unis et quatre en Chine. Aucune n’est implantée en Europe.

Comment en est-on arrivé là ?

Le rapport Draghi y voit la cause principale dans la structure industrielle de l’Europe qui est restée statique, et a consacré l’essentiel de ses investissements sur des technologies matures et des industries où la productivité était stagnante ou en ralentissement, comme l’industrie automobile, qui a dominé les investissements en Recherche et Innovation. Dans le même temps, les Etats-Unis ont poussé les investissements dans la Tech, le hardware, le software, le secteur numérique, l’intelligence artificielle.

Autre point faible, l’éducation. L’Europe a du mal à passer de la Recherche à la commercialisation. L’Europe est forte en recherche fondamentale, mais elle ne pèse que 17% sur les dépôts de brevets (21% aux Etats-Unis, et 25% en Chine). Et le classement de l’Europe dans les tops universités n’est pas le meilleur non plus : Parmi les 50 meilleures institutions de recherche (classement établi en fonction du nombre de publications dans les revues scientifiques), la France en a trois (21 pour les Etats-Unis, 15 pour la Chine). Une des raisons mises en évidence par le rapport est le manque d’intégration de la recherche dans des « clusters » d’innovation, c’est-à-dire des réseaux comprenant des universités, des start-ups, des grandes entreprises et des VC ’s (investisseurs).

Une autre faiblesse est la trop grande dispersion des dépenses publiques en Recherche et Innovation, et le manque de concentration dans ce qui constitue les innovations de rupture, et donc une dispersion trop grandes des moyens : il suffit de comparer le budget de 256 millions d’euros pour 2024 de l’EIC (European Innovation Council)  au budget de 4,1 milliards de dollars de la DARPA (US Defence Advanced Research Projects Agency) aux Etats-Unis.

Autre coupable désigné : les barrières règlementaires qui brident les entreprises technologiques en Europe, notamment les plus jeunes (on ne compte pas moins de 270 régulateurs actifs sur les réseaux numériques parmi tous les membres de l’Europe).

Alors, on fait quoi pour s’en sortir ?

Le programme proposé par Mario Draghi reprend toutes ces faiblesses, en invoquant des actions au niveau européen comme :

  • Se focaliser sur un champ plus restreint de priorités ciblées sur les innovations de rupture,
  • Une meilleure coordination entre les Etats Membres,
  • Etablir et consolider des institutions académiques européennes sur la Recherche,
  • Faciliter le passage des inventeurs aux investisseurs,
  • Développer le financement de l’innovation très en amont (Very early-stage innovation), grâce à un réseau plus large de « business angels »,
  • La promotion au niveau européen de coordination entre industries et de partage des données pour accélérer l’intégration de l’Intelligence Artificielle dans l’industrie européenne.

Et puis, il est aussi nécessaire de prendre conscience du retard pris en Europe par nos systèmes d’éducation et de formation pour préparer les employés aux changements technologiques. Cela concerne nos étudiants, mais aussi, en grand nombre, les adultes et employés, même les plus seniors, d’aujourd’hui. Cette compétence est majoritairement nationale en Europe, mais pourrait bénéficier d’une approche européenne, par exemple pour attirer aussi des talents en dehors de l’Union Européenne, avec des visas et des programmes pour les étudiants et les chercheurs.

Dès maintenant, ces formations à grande échelle dans les entreprises deviennent urgentes.

Est-il encore possible de faire lire et mettre en œuvre ces diagnostics et recommandations sur les Titanic d’aujourd’hui, et de réveiller et bousculer les réarrangeurs de chaises, concentrés sur leurs outils et succès locaux ? Y compris les responsables publics et politiques en Europe.

Il est encore temps, si l’on en croit les conclusions positives de Mario Draghi.

Il n’y a plus qu’à…