Une expérience démocratique
26 novembre 2024
C’est une initiative du journal « La Croix » et de « Brut ».
Cela s’appelle « Faut qu’on parle ».
Il y a eu 6.500 inscrits dans toute la France. J’en ai fait partie. Je vous raconte.
L’idée est de proposer une expérience : rencontrer et échanger avec une personne inconnue qui a des opinions différentes des siennes.
Il fallait donc s’inscrire et répondre à neuf questions par oui ou par non, et l’algorithme sélectionnait ensuite un partenaire pour vous.
L’algorithme a trouvé pour moi un jeune homme de 29 ans qui a répondu l’inverse de moi à sept questions sur les neufs.
Nous nous rencontrons à la « Maison de la conversation », à Paris. Les salles sont pleines de duos de toutes sortes, et des journalistes de « La Croix » qui font des interviews et prennent des photos.
Il y a tous les âges, tous les styles, mais j’ai l’impression qu’il y a majoritairement des personnes plutôt seniors, et pas mal de femmes. Mon jeune binôme doit être dans les plus jeunes. A croire que ce sont les plus seniors et les femmes qui ont le moins peur de ce genre de confrontation.
« La Croix » a d’ailleurs recensé les inscrits au niveau national : 56% de femmes, âge médian de 45 ans. Et la question qui divise le plus est celle sur la semaine de quatre jours.
Bon, alors, mon jeune contradicteur ?
On commence par faire connaissance, et on se découvre des intérêts communs ; on n’aborde pas vraiment les questions du questionnaire proposé, mais on partage plutôt notre sens de la vie en général.
Il me dit être un lecteur « épanoui » du journal « La Croix », que je ne lis pratiquement jamais.
Et puis on en arrive à parler politique, ou plutôt de société et de démocratie ; il a envie de réduction de la pauvreté et des inégalités ; reste à trouver le comment ; il ne sait pas trop, en fait ; alors il fait confiance à ceux qui semblent défendre le mieux cette cause. On parle alors de liberté, et même de libéralisme. Il aimerait que le transport ferroviaire reste en dehors de la concurrence, car il craint que l’on ferme les petites lignes et gares pas assez rentables, qui pourraient survivre avec un Etat qui compenserait avec les revenus du TGV. Il n’a pas trop étudié la question. Il n’aime pas les privatisations en général non plus. Bref, l’Etat, c’est son truc, pour défendre l’intérêt général.
C’est vrai que l’on partage ce même idéal pour la démocratie, qui revendique un monde commun plus juste et plus égalitaire pour tous, dans le respect du peuple et des opinions de chacun. Mais dans ce monde commun, il reste à dire quelle part est d’intérêt public, et donc soumis à la volonté du peuple (et donc les lois, les interdictions, les services publics d'Etat), et quelle part est régie par des règles privées (la propriété privée, la liberté d’entreprendre), en gros les règles de l’économie. Et c’est vrai que les luttes démocratiques sont celles de la distribution de ces domaines.
Ce que certains croient être des questions d’intérêt privé (le niveau de salaire fixé par le patron par exemple) ou régies par les lois du marché (la spéculation financière, la détermination des prix, la libre concurrence, le libre échange), d’autres aimeraient en faire des questions d’intérêt public, et donc à réguler, à administrer, à contrôler, à interdire. Et on trouve aussi des compromis (le salaire minimum, l’interdiction de vente à perte, sanction des pratiques anticoncurrentielles). Mais il y aura toujours des partisans pour tirer dans un sens ou dans l’autre de ce fragile équilibre.
Ce débat sur la distribution entre les intérêts publics et les intérêts privés, et le rôle de l’économie, il court encore aujourd’hui. Et il divise toutes les générations. Et l’on cherchera toujours un point d’équilibre que l’on ne trouvera jamais. On peut aussi relire la fable des abeilles de Mandeville ou les discours de Robespierre,
j'en avais déjà parlé ICI, et LUI aussi. Le débat reste ouvert.
Cette discussion a été une vraie expérience démocratique, finalement.