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octobre 2024

Une expérience démocratique

DemocratiqueC’est une initiative du journal « La Croix » et de « Brut ».

Cela s’appelle « Faut qu’on parle ».

Il y a eu 6.500 inscrits dans toute la France. J’en ai fait partie. Je vous raconte.

L’idée est de proposer une expérience : rencontrer et échanger avec une personne inconnue qui a des opinions différentes des siennes.

Il fallait donc s’inscrire et répondre à neuf questions par oui ou par non, et l’algorithme sélectionnait ensuite un partenaire pour vous.

L’algorithme a trouvé pour moi un jeune homme de 29 ans qui a répondu l’inverse de moi à sept questions sur les neufs.

Nous nous rencontrons à la « Maison de la conversation », à Paris. Les salles sont pleines de duos de toutes sortes, et des journalistes de « La Croix » qui font des interviews et prennent des photos.

Il y a tous les âges, tous les styles, mais j’ai l’impression qu’il y a majoritairement des personnes plutôt seniors, et pas mal de femmes. Mon jeune binôme doit être dans les plus jeunes. A croire que ce sont les plus seniors et les femmes qui ont le moins peur de ce genre de confrontation.

« La Croix » a d’ailleurs recensé les inscrits au niveau national : 56% de femmes, âge médian de 45 ans. Et la question qui divise le plus est celle sur la semaine de quatre jours.

Bon, alors, mon jeune contradicteur ?

On commence par faire connaissance, et on se découvre des intérêts communs ; on n’aborde pas vraiment les questions du questionnaire proposé, mais on partage plutôt notre sens de la vie en général.

Il me dit être un lecteur « épanoui » du journal « La Croix », que je ne lis pratiquement jamais.

Et puis on en arrive à parler politique, ou plutôt de société et de démocratie ; il a envie de réduction de la pauvreté et des inégalités ; reste à trouver le comment ; il ne sait pas trop, en fait ; alors il fait confiance à ceux qui semblent défendre le mieux cette cause. On parle alors de liberté, et même de libéralisme. Il aimerait que le transport ferroviaire reste en dehors de la concurrence, car il craint que l’on ferme les petites lignes et gares pas assez rentables, qui pourraient survivre avec un Etat qui compenserait avec les revenus du TGV. Il n’a pas trop étudié la question. Il n’aime pas les privatisations en général non plus. Bref, l’Etat, c’est son truc, pour défendre l’intérêt général.

C’est vrai que l’on partage ce même idéal pour la démocratie, qui revendique un monde commun plus juste et plus égalitaire pour tous, dans le respect du peuple et des opinions de chacun. Mais dans ce monde commun, il reste à dire quelle part est d’intérêt public, et donc soumis à la volonté du peuple (et donc les lois, les interdictions, les services publics d'Etat), et quelle part est régie par des règles privées (la propriété privée, la liberté d’entreprendre), en gros les règles de l’économie. Et c’est vrai que les luttes démocratiques sont celles de la distribution de ces domaines.

Ce que certains croient être des questions d’intérêt privé (le niveau de salaire fixé par le patron par exemple) ou régies par les lois du marché (la spéculation financière, la détermination des prix, la libre concurrence, le libre échange), d’autres aimeraient en faire des questions d’intérêt public, et donc à réguler, à administrer, à contrôler, à interdire. Et on trouve aussi des compromis (le salaire minimum, l’interdiction de vente à perte, sanction des pratiques anticoncurrentielles). Mais il y aura toujours des partisans pour tirer dans un sens ou dans l’autre de ce fragile équilibre.

Ce débat sur la distribution entre les intérêts publics et les intérêts privés, et le rôle de l’économie, il court encore aujourd’hui. Et il divise toutes les générations. Et l’on cherchera toujours un point d’équilibre que l’on ne trouvera jamais. On peut aussi relire la fable des abeilles de Mandeville ou les discours de Robespierre, 

j'en avais déjà parlé ICI, et LUI aussi. Le débat reste ouvert.

Cette discussion a été une vraie expérience démocratique, finalement.


Souvenirs, souvenirs : une histoire d'expériences

MylenesouvenirOn le sait, une entreprise ne vend pas seulement des produits, mais aussi des services, et la composante des services a pris de plus en plus d’ampleur. Mais, après les services, on a une notion qui est devenue incontournable, c’est l’expérience. Nous sommes dans ce que l’on appelle « l’économie de l’expérience ». C’est le titre d’un livre devenu un incontournable du management, de B. Joseph Pine II et James H. Gilmore, paru en 1999. J’en avais déjà parlé ICI, dans les premiers posts de ce blog, et il figure toujours dans la colonne des lectures ci-contre.

J’ai rouvert ce livre à l’occasion d’une discussion avec les dirigeants d’une encore jeune start-up éditeur de logiciel, qui se posent des questions sur la meilleure façon de dépasser la concurrence. Est-ce par le produit ? Oui, ils y ont pensé, en améliorant toujours le logiciel. Est-ce le service ? Oui, ils y ont pensé, en améliorant ce qu’on appelle le « Customer service », le suivi des clients lors de l’utilisation du produit, et en assurant un service après-vente au plus près du besoin, en embauchant à ce poste. Mais alors, quoi faite d’autre ? Et on a parlé d’expérience. Quelle est l’expérience que vous voulez faire vivre au client ?

On ouvrait la porte vers un monde inconnu. L’expérience, mais de quoi parle-t-on ? On vend un logiciel, on n’est pas Disneyland !

On parle de marketing, ou plutôt de « marketing de l’expérience ». Il s’agit de concevoir une stratégie marketing qui vise à créer des expériences mémorables pour les consommateurs en utilisant des émotions ou des sentiments suscités par le produit et par ses caractéristiques multisensorielles. L’objectif est de créer une connexion émotionnelle entre le consommateur et la marque en offrant une expérience unique et personnalisée.

Mais on fait comment ?

Evidemment, le livre étant de 1999, on n’y parle pas de l’IPhone (2007), pas trop de Google (né en 1998), de Starbucks (à peine 2.500 dans le monde cette année-là,38.000 aujourd’hui !), et encore moins de Metaverse ou de ChatGPT, mais ce qui compte, c’est le principe et la méthode pour créer cette « experience economy ». Et les exemples et analyses aident à concevoir nos propres expériences.

  L'économie de l'expérience met l'accent en priorité sur la valeur de la création d'expériences engageantes et mémorables pour les clients, en passant de la simple vente de produits et de services à la création de liens émotionnels.

Car l’expérience ce n’est pas un service supplémentaire, ou un meilleur service, mais ce petit plus, cette petite différence, qui fait que l’on gardera mémoire et souvenir ému de cette expérience. Il s’agit donc de créer ces « expériences » qui marqueront émotionnellement le client, lui feront des impressions, selon le mot utilisé par les auteurs.

On ne parle pas d’action spécifique mais d’un ensemble qui restera en mémoire, comme un meilleur souvenir, et donnera l’envie de revenir et d’en parler autour de soi pour vous recommander.

Dans cette vision, toute entreprise est un comme un théâtre.

Cela peut tenir à de petites choses, comme ces goodies et souvenir que le client emporte et garde avec lui (porte-clé, coque de téléphone, ou autre objet).

C’est aussi pour les constructeurs de voitures, le petit bruit de la marque lorsque l’on claque la portière, permettant de reconnaître la marque à l’oreille.

C’est peut-être aussi le costume particulier des employés de l’entreprise face au client, dont on se souvient comme d’une marque de fabrique, à condition qu’elle soit originale (les costumes et cravates avec chemise unie ne marcheront plus avec le même impact, même si cela a été pendant longtemps la marque de fabrique des collaborateurs masculins d’IBM -chemise unie obligatoire, mix de couleurs et motifs interdits, surtout pas de rayures, du moins officieusement mal vus).

Evidemment, l’expérience vedette, c’est celle qui ne coûte rien, ou pas grand-chose, mais qui a un impact mémorable extraordinaire. Il faut un peu d’imagination et de créativité.

Pour trouver les bonnes expériences, il faut déjà identifier ce qui fera le thème de l’entreprise, et de la marque. Par exemple pour cet hôpital (oui, il y a aussi matière à expérience à l’hôpital, pas seulement pour les patients mais aussi les visiteurs), l’architecture et les tenues évoqueront la chaleur, le soin, le professionnalisme (Par exemple pour le professionnalisme, tous les employés portent un badge avec leurs titres et diplômes, et frappent toujours à la porte avant d’entrer dans une chambre de patient) ; Pour Disneyland, ce qui fait l’expérience, c’est aussi la propreté (dès qu’un papier traîne, un employé arrive avec pelle et balai pour le ramasser ; et maintenir tout l’espace impeccable).

Pour être impactante, la bonne expérience, c’est celle qui crée des souvenirs.

Pour s’inspirer, observons ces souvenirs que l’on achète : Oui, ces cartes postales en vacances, mais aussi ces casquettes et t-shirts lors des concerts (le merchandising des concerts est devenu une énorme machine commerciale ; on est prêt à payer beaucoup plus cher le t-shirt du concert avec la date du concert, que n’importe quel t-shirt ordinaire). Car ce qui compte dans le souvenir c’est aussi de le montrer aux autres (oui, j’y étais à ce concert ! Et on s’en parle, car l’expérience et les souvenirs, ça permet les conversations et les recommandations). C’est pourquoi dans certaines entreprises, on ne vend pas les souvenirs, on les donne en cadeau. Comme cet hôtel palace qui offre les poignées de porte des chambres richement décorées au logo de l’hôtel, signe que l’on y a bien passé une nuit de rêve.

Et si on ne trouve rien comme souvenir dans votre entreprise, c’est peut-être le signe, plus grave, que vous n’y vendez rien dont on aurait envie de se souvenir. Méfiance ! Si, par contre, vous êtes éditeur de logiciel et que l’on vous achète aussi des t-shirts et casquettes à votre logo sur votre site, c’est que l’expérience est sûrement la bonne et les souvenirs avec. Oui, oui, certains le font !

L’expérience peut aussi être dans le produit lui-même.

Je lis ICI grâce à Marie Dollé 'dont je vous recommande la newsletter), que Lego a sorti un appareil photo Polaroid en LEGO, qui ressemble dans le moindre détail à un vrai Polaroid, sauf que, bien sûr, il ne prend aucune photo ! C’est juste le geste et le souvenir de prendre une photo Polaroid que permet ce LEGO. 

Encore plus fort, et toujours ICI, le projet Flashback, qui fait revivre l’expérience de la photo argentique d’hier avec le numérique : vous prenez les photos comme sur un rouleau d’un nombre limité de photos, et vous ne recevez les photos sur l’application que 24 heures après, pour laisser le temps de vivre l’instant. On retrouve cette sensation d’antan, où l’on fait très attention à la photo qu’on va prendre (au lieu de mitrailler une infinité de photos instantanées) et d’attendre le développement. Un bon moyen de s’affranchir de notre tendance à vouloir tout tout de suite, à consommer le présent de manière obsessionnelle, à vouloir conserver le présent dans ces photos de l’IPhone, sans prendre le temps de ressentir l’instant et d’en fabriquer émotionnellement le souvenir qui nous en restera, comme une madeleine de Proust.

L’économie de l’expérience, c’est l’art de fabriquer des souvenirs.

Qui s’en souviendra ?


Créateur de contenus : métier d’avenir ?

MiquelaIl existe aujourd’hui une UMICC : Vous connaissez ?

Fondée en janvier 2023, c’est l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus. Le but c’est notamment de « promouvoir une influence responsable et transparente ». Mais c’est aussi la revendication pour les influenceurs d’être « labellisés », avec l’idée de pouvoir prétendre aux aides publiques versées à la presse (ah oui, on comprend mieux). On n’en n’est pas encore à l’obtention d’une carte de presse pour les influenceurs mais déjà ils aimeraient bien « un statut pour que notre contribution essentielle à l’information soit reconnue ».

Forcément les entreprises de presse, les vraies, froncent le nez et revendiquent, elles, de « produire une information de qualité et d’employer des journalistes, très attachés au salariat, dans des conditions sociales favorables ». On croit revivre les débats qui ont opposé, un temps, les chauffeurs de taxi et les VTC, ou les hôtels et les loueurs de Airbnb.

L’Etat s’en est mêlé aussi avec la loi du juin 2023 visant à « encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ».  La loi interdit notamment certaines publicités, et exige que les contenus promotionnels soient signalés clairement par la mention de « publicité » ou « collaboration commerciale ». Aussi que les photos retouchées ou les images virtuelles soient aussi signalées.

Créateur de contenu est devenu un métier, avec ses règles et les lois pour l’encadrer.

Difficile de dire combien ils sont, mais les marques sont maintenant incitées à ne plus s’en passer.

Preuve que c’est devenu du sérieux pour le business, le dernier numéro de la Harvard Business Review, version française y consacre un dossier et sa couverture, au titre éloquent : « Votre marque a besoin d’un influenceur (même si vous ne le savez pas encore) – Trouvez le bon profil, Optimisez votre collaboration, Gagnez en marketing d’influence »).

Une question qu’aborde ce dossier : Comment en est-on arrivé là ?

Eh oui, les plus anciens s’en rappellent. On a commencé avec les blogs, dans les années 2000, comme moi ici avec « Zone Franche », le premier post date du 10 octobre 2005 (eh oui !) et j’en suis à 977 notes depuis cette date. Les blogs, c’étaient l’opportunité pour quiconque avait accès à un ordinateur de publier des écrits. Et puis on a pu faire la même chose, dans des formats plus ou moins différents sur Twitter, Facebook, YouTube, Linkedin. C’était le boom de la création de contenus par des gens « ordinaires ». Et en même temps, la confiance dans les journaux de masse déclinait, et on croyait plus à ces témoignages plus « authentiques », plus « démocratiques ». Les réseaux sociaux, un nouveau nom, prenaient la place.

Authentiques ?

Mais voilà, devant ces réseaux et blogs qui attiraient des « followers » parfois très nombreux (voir par exemple le précurseur Hugo Travers avec « Hugo décrypte » qui adaptait les infos piquées dans les journaux mainstream comme Le Monde ou Le Figaro à un public de jeunes, et avait déjà 1 million d’abonnés sur sa chaîne YouTube en 2020; 3 millions aujourd'hui), cela a donné des idées à ceux qui pensaient quel business on pourrait en faire.

C’est à partir de là que cela a donné des idées notamment aux professionnels de la publicité et aux marques, en se disant qu’on pourrait bien « monétiser » (le mot est lâché) ces abonnés si fidèles.

Cela permettait notamment bien sûr de cibler des communautés beaucoup plus précises, car chacun de ces premiers « influenceurs » avait son type de public. Et on a commencé à envoyer des publicités sur les réseaux. Et puis, ces influenceurs n’étaient pas soumis, c’est le principe, aux règles du journalisme. Alors on peut payer un reportage, un article, en cash ou en produits gratuits, pour capturer l’attention de ces communautés.

Alors, cela donna aussi des idées à de nouveaux influenceurs, qui voyaient là un bon métier, celui de se faire panneau publicitaire masqué pour une marque, un produit. L’industrie était partie, et elle a explosé dans les années 2010 et suivantes. Des agences spécialisées dans la promotion sur les plateformes et réseaux des influenceurs se sont créées, et elles continuent à se multiplier, dans le monde entier. En France on a par exemple « Le Crayon », et plein d’autres, qui se concentrent sur le conseil aux marques et entreprises pour cibler les jeunes via des influenceurs, et faire la chasse aux clics, tout en restant intelligent (la frontière est toujours délicate).

Pour aller encore plus loin, certains influenceurs (les stars) en arrivent maintenant à lancer leurs propres produits et générer encore plus de profits pour eux-mêmes et non plus en faisant la promotion de marques et produits existants.

Et puis pour continuer, les marques créent maintenant leur propre influenceur virtuel, conçu par l’intelligence artificielle, permettant de se passer d’un vrai influenceur. C’est le cas de BMW avec Li Miquela, qui a 2,7 millions d’abonnés sur Instagram. Li Miquela n’existe pas ; c’est un avatar créé par IA (c'est la photo en tête de ce post).

Le métier prospère. Le dossier de HBR indique que, aux Etats-Unis, environ 13 millions d’individus disent travailler à plein temps comme créateurs de contenus. En France, à l’occasion de la loi sur les influenceurs, il en a été compté 150.000 actifs sur les réseaux comme YouTube, Instagram, TikTok, Facebook (avec des niveaux d’audience très variés).

Forcément, le système se structurant, cela devient de plus en plus coûteux de construire une telle « stratégie d’influence », avec des procédés sophistiqués, et parfois cela provoque aussi des flops.

HBR cite l’exemple de l’entreprise d’ultra-fast-fashion Shein, qui a payé en 2023 des influenceurs basés aux Etats-Unis pour qu’ils viennent visiter ses usines. Les contenus produits ont été étrillés par la presse (la vraie), qui les a qualifiés de propagande. Une des influenceuses de ces reportages se présentait comme « journaliste d’investigation » et vantait les conditions de travail merveilleuses dans cette entreprise.

C’est pour empêcher ces dérives que la régulation apparaît maintenant, et la France et l’Europe ne sont pas en retard sur le sujet, d’où cette loi de juin 2023 en France, qui est une transposition d’une directive européenne. Mais forcément, il y aura des contournements, car on peut aussi agir hors de France (la loi prévoit quand même que les influenceurs résidant à l'étranger hors Europe (comme à Dubaï) devront désigner un représentant légal dans l'Union Européenne et souscrire une assurance civile dans l'UE dès lors qu'ils visent un public en France).

On est loin des bloggeurs des années 2000…qui existent encore quand même, comme moi.

Est-ce signe d’innovation et de progrès ?

Forcément, les avis sont partagés. Mais il va devenir compliqué pour les entreprises de ne pas s’intéresser au phénomène.

Et les vocations de « créateur de contenu » vont sûrement s’intensifier.

A qui le tour ?