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Le télétravail va-t-il tuer l'innovation et créer une épidémie de solitude ?

TeletravailCe n’est pas la première fois que j’entends un dirigeant se plaindre que le télétravail est un frein à l’innovation, empêchant les frottements et échanges salutaires entre collaborateurs présents physiquement ensemble.

Car ces dirigeants sont convaincus que ce sont des espaces physiques où l’on peut se rassembler qui font jaillir l’innovation. On crée même des lieux et espaces dédiés à des exercices d’idéation. C’est toujours étonnant de visiter de tels lieux, qui ressemblent souvent à du mobilier d’école maternelle, très coloré et avec des récipients de toutes sortes garnis de bonbons, chocolats et sucreries (pour sucrer le cerveau ?).

Bien sûr, il en reste qui considèrent que ces arguments n’ont pas de valeur, et que l’on peut très bien être innovant avec des réunions en visio ; Ce qui compte, c’est « l’intelligence collective » et « l’esprit d’innovation », et le lieu n’a rien à voir avec ça.

Néanmoins, le télétravail semble avoir moins la côte parmi les dirigeants aujourd’hui.

Le Figaro y consacrait un dossier cette semaine en recueillant les témoignages et pas de n’importe qui.

On comprend que ce qui fait « revenir en arrière » (c’est le titre du dossier) les patrons, c’est la crainte que le télétravail ait un impact plutôt négatif sur la productivité. En général les accords de télétravail ont été signés avec les organisations syndicales pour une durée limitée, en général trois ans, pendant le Covid. Donc, en 2024, on y est, et nombreux sont ceux qui n’ont pas envie de continuer. Publicis, cité par Le Figaro, exige maintenant de ses salariés trois jours par semaine au bureau, avec une présence obligatoire les lundis, et n’autorise plus le télétravail deux jours consécutifs (comme ça, on chasse ceux qui assimilent télétravail et week-end prolongé à la campagne).

Aux Etats-Unis, le retour en arrière est parfois encore plus brutal. Amazon a carrément annoncé à « la majorité de ses 300.000 employés » leur retour à plein temps au bureau à partir de janvier 2025. Justification du PDG : « C’est une nécessité pour que les employés soient plus aptes à inventer, à collaborer et à être suffisamment connectés les uns aux autres ».

On a compris, l’argument de l’innovation est la façon soft de chasser les fainéants qui ne bossent pas assez en télétravail.

D’autres y vont plus doucement comme L’Oréal, qui a limité à deux vendredis par mois la possibilité de télétravailler. Ou alors, sans exiger, on attire les employés les vendredis en proposant un brunch gratuit (Sanofi). D’autres, carrément, multiplient les offres au bureau de services de conciergerie, de fitness, de garderie pour animaux de compagnie. En gros, être au bureau comme chez soi.

Et puis, certains hésitent encore car cette histoire de télétravail a aussi permis de réduire les coûts d’immobilier, comme chez Stellantis. Alors revenir au plein temps au bureau, ça coûterait peut-être un peu trop cher.

Ce débat sur le télétravail est aussi un dilemme entre les jeunes et les seniors, et encore un sujet de clivage intergénérationnel. Un dirigeant d’une entreprise de jeux vidéo, cité par Le Figaro, rapporte que ses jeunes employés diplômés pendant le covid, « n’ont jamais connu autre chose que le télétravail à 100% », et aiment bien ça, alors que les plus séniors « nous disent en avoir assez d’être isolés de leurs collègues ». Bon, tout le monde ne travaille pas non plus en télétravail à 100% pour développer des jeux vidéo.

Mais quand même, selon une étude de l’APEC, « plus de la moitié des moins de 35 ans assurent qu’ils chercheraient à changer d’entreprise s’ils devaient revenir à 100% en présentiel ».

Mais cette habitude du télétravail pour les jeunes peut aussi avoir ses revers. Un dossier du Monde du 9 octobre nous alarme sur ce qu’il appelle une « épidémie de solitude » chez les jeunes de 18 à 24 ans. Selon une étude de l’IFOP, 62% des jeunes de 18-24 ans se sentent régulièrement seuls. Même chose dans une étude de janvier 2024 de la Fondation Jean Jaurès, révélant que 71% des 18-24 ans se sentent seuls. Et 63% des jeunes qui se sentent seuls déclarent en souffrir (dans l’enquête IFOP). Les sociologues auront vite fait d’accuser les réseaux sociaux, comme des alliés mais aussi des ennemis de la création de liens. L’une d’elles, cité par Le Monde indique que « avec tous ces codes de sociabilité intense qui sont rattachés à la jeunesse, on est vite stigmatisé, à ces âges, quand on est aperçu seul. Cela pousse les jeunes concernés à se mettre encore plus en retrait du monde ».

Finalement, l’entreprise, ses bureaux, ses machines à café, ses espaces où l’on peut se rencontrer « en vrai », est peut-être aussi, pour ses jeunes, et les autres, cet antidote salutaire à « l’épidémie de solitude ».

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