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Liberté, égalité, fraternité ?

LiberteQuand on parle de l’Etat et des institutions en France, tout le monde parle de la République.

Le mot est devenu encore plus d’actualité, pourtant, à l’occasion des dernières élections législatives. En effet, c’est au nom de ce qui a été appelé un « front républicain » que se sont mis en place des accords de désistement entre des partis qui pourtant, ne cessaient auparavant de clamer qu’ils n’étaient d’accord sur rien. La justification était de « faire barrage » au Rassemblement National. Et ça a marché, au point de nous amener cette situation où personne ne sort gagnant, et les difficultés à tracer une ligne de gouvernement acceptable par une majorité de députés.

Mais c’est quoi ces « valeurs de la République » qui ont tant agité les débats ? On les connaît : Liberté, égalité, fraternité. C’est simple, non ?

Michel de Jaeghere, éditorialiste du Figaro-Histoire, nous en fournit un portrait historique dans un récent numéro du magazine. Et il a tendance à casser les idées reçues.

La République, c’est la liberté ?

Elle n’est pas cependant la démocratie. Elle exclut la monarchie héréditaire depuis Aristote, mais ne se confond pas avec une démocratie. Voire par exemple la République de Venise, qui donnait le monopole du pouvoir à quarante-deux familles patriciennes.

Et la Ière République en France, c’était plutôt la politique de la Terreur et de la dictature du Comité de salut public. C’est cette République qui, par la « loi des suspects », instaura une présomption de culpabilité de certaines catégories, telles que par exemple les émigrés et leurs familles. On lui doit aussi la « Loi de Prairial » qui prive les accusés devant le tribunal révolutionnaire d’avocats ou de témoins.

C’est Napoléon qui prendra la couronne impériale « pour la gloire comme pour le bonheur de la République ».

La République, c’est l’égalité ?

Oui, mais Michel de Jaeghere nous rappelle qu’elle a été longtemps hostile au suffrage universel. C’est en 1848, sous la IIème République, qu’il est institué, mais qu’un tiers des électeurs en sera radié deux ans plus tard (C’est Thiers qui dira que « les vrais républicains redoutent la multitude, la vile multitude, qui a perdu toutes les républiques »).

Il sera rétabli de nouveau par le Prince Président, futur Napoléon III, et amendé de nouveau par la IIIème République, en 1872, pour en exclure « les hommes sous les drapeaux ».

Et le vote des femmes ? Il a été rejeté par les républicains, craignant l’influence néfaste du clergé sur le vote des femmes, sexe faible. On doit au Général de Gaulle, en avril 1944 seulement, d’instituer le vote des femmes, malgré l’opposition des radicaux-socialistes de l’époque.

C’est aussi une loi très républicaine du 19 juillet 1934 qui disposera qu’un naturalisé français depuis moins de dix ans ne pourra pas être candidat à un mandat électif. Cela restera valable pendant les vingt-cinq premières années de la Vème République, et il faudra attendre que François Mitterrand abroge cette disposition en décembre 1983.

La République, c’est la fraternité ?

Michel de Jaeghere rappelle pourtant des moments violents notre histoire républicaine.

C’est le général Cavaignac qui sauve la IIème République en matant l’insurrection de juin 1848 : 5000 morts.

La IIIème République, c’est la aussi la période d’expansion coloniale en Afrique noire, sans pour autant donner la citoyenneté aux populations autochtones.

C’est aussi une loi du 10 août 1932, votée à l’unanimité (les socialistes et communistes s’abstenant), qui vise à protéger la main-d’œuvre nationale en limitant drastiquement l’immigration en fixant un quota de 10% de travailleurs étrangers dans les entreprises privées, 5% dans les entreprises publiques.

Objectivement, nos ancêtres ne nous montrent pas tous le plus grand respect de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

Mais alors, c’est quoi un républicain ?

Pour y croire, il vaut peut-être mieux oublier l’Histoire alors.


Le télétravail va-t-il tuer l'innovation et créer une épidémie de solitude ?

TeletravailCe n’est pas la première fois que j’entends un dirigeant se plaindre que le télétravail est un frein à l’innovation, empêchant les frottements et échanges salutaires entre collaborateurs présents physiquement ensemble.

Car ces dirigeants sont convaincus que ce sont des espaces physiques où l’on peut se rassembler qui font jaillir l’innovation. On crée même des lieux et espaces dédiés à des exercices d’idéation. C’est toujours étonnant de visiter de tels lieux, qui ressemblent souvent à du mobilier d’école maternelle, très coloré et avec des récipients de toutes sortes garnis de bonbons, chocolats et sucreries (pour sucrer le cerveau ?).

Bien sûr, il en reste qui considèrent que ces arguments n’ont pas de valeur, et que l’on peut très bien être innovant avec des réunions en visio ; Ce qui compte, c’est « l’intelligence collective » et « l’esprit d’innovation », et le lieu n’a rien à voir avec ça.

Néanmoins, le télétravail semble avoir moins la côte parmi les dirigeants aujourd’hui.

Le Figaro y consacrait un dossier cette semaine en recueillant les témoignages et pas de n’importe qui.

On comprend que ce qui fait « revenir en arrière » (c’est le titre du dossier) les patrons, c’est la crainte que le télétravail ait un impact plutôt négatif sur la productivité. En général les accords de télétravail ont été signés avec les organisations syndicales pour une durée limitée, en général trois ans, pendant le Covid. Donc, en 2024, on y est, et nombreux sont ceux qui n’ont pas envie de continuer. Publicis, cité par Le Figaro, exige maintenant de ses salariés trois jours par semaine au bureau, avec une présence obligatoire les lundis, et n’autorise plus le télétravail deux jours consécutifs (comme ça, on chasse ceux qui assimilent télétravail et week-end prolongé à la campagne).

Aux Etats-Unis, le retour en arrière est parfois encore plus brutal. Amazon a carrément annoncé à « la majorité de ses 300.000 employés » leur retour à plein temps au bureau à partir de janvier 2025. Justification du PDG : « C’est une nécessité pour que les employés soient plus aptes à inventer, à collaborer et à être suffisamment connectés les uns aux autres ».

On a compris, l’argument de l’innovation est la façon soft de chasser les fainéants qui ne bossent pas assez en télétravail.

D’autres y vont plus doucement comme L’Oréal, qui a limité à deux vendredis par mois la possibilité de télétravailler. Ou alors, sans exiger, on attire les employés les vendredis en proposant un brunch gratuit (Sanofi). D’autres, carrément, multiplient les offres au bureau de services de conciergerie, de fitness, de garderie pour animaux de compagnie. En gros, être au bureau comme chez soi.

Et puis, certains hésitent encore car cette histoire de télétravail a aussi permis de réduire les coûts d’immobilier, comme chez Stellantis. Alors revenir au plein temps au bureau, ça coûterait peut-être un peu trop cher.

Ce débat sur le télétravail est aussi un dilemme entre les jeunes et les seniors, et encore un sujet de clivage intergénérationnel. Un dirigeant d’une entreprise de jeux vidéo, cité par Le Figaro, rapporte que ses jeunes employés diplômés pendant le covid, « n’ont jamais connu autre chose que le télétravail à 100% », et aiment bien ça, alors que les plus séniors « nous disent en avoir assez d’être isolés de leurs collègues ». Bon, tout le monde ne travaille pas non plus en télétravail à 100% pour développer des jeux vidéo.

Mais quand même, selon une étude de l’APEC, « plus de la moitié des moins de 35 ans assurent qu’ils chercheraient à changer d’entreprise s’ils devaient revenir à 100% en présentiel ».

Mais cette habitude du télétravail pour les jeunes peut aussi avoir ses revers. Un dossier du Monde du 9 octobre nous alarme sur ce qu’il appelle une « épidémie de solitude » chez les jeunes de 18 à 24 ans. Selon une étude de l’IFOP, 62% des jeunes de 18-24 ans se sentent régulièrement seuls. Même chose dans une étude de janvier 2024 de la Fondation Jean Jaurès, révélant que 71% des 18-24 ans se sentent seuls. Et 63% des jeunes qui se sentent seuls déclarent en souffrir (dans l’enquête IFOP). Les sociologues auront vite fait d’accuser les réseaux sociaux, comme des alliés mais aussi des ennemis de la création de liens. L’une d’elles, cité par Le Monde indique que « avec tous ces codes de sociabilité intense qui sont rattachés à la jeunesse, on est vite stigmatisé, à ces âges, quand on est aperçu seul. Cela pousse les jeunes concernés à se mettre encore plus en retrait du monde ».

Finalement, l’entreprise, ses bureaux, ses machines à café, ses espaces où l’on peut se rencontrer « en vrai », est peut-être aussi, pour ses jeunes, et les autres, cet antidote salutaire à « l’épidémie de solitude ».


L'Etat est-il comme une entreprise ?

AssembleeComparer l’Etat à une entreprise est un vieux débat.

Entre ceux qui répondent oui, comme les patrons et dirigeants (« Si mon entreprise était gérée comme la France, elle ferait faillite. D'ailleurs, j'aurais été viré avant par mes actionnaires. Ce n'est pourtant pas compliqué de comprendre qu'on ne doit pas dépenser plus qu'on ne gagne. »). Et puis il y a les politiques, ceux qui considèrent que la politique, c’est un métier (« Cher Ami, une nation ne se gère pas comme une entreprise. On ne peut pas déchirer le tissu social, ni réformer contre la volonté des Français qui nous ont élus. »).

On peut aussi tenter de réconcilier les deux discours en considérant que l’on peut quand même essayer de gérer les affaires publiques avec la rigueur et l’efficacité des méthodes qui réussissent dans la gestion des entreprises. Le débat ressurgit en ce moment de préparation du budget de la France pour 2025, entre ceux qui veulent de l’efficacité par la réduction des dépenses et une meilleure gestion, et ceux qui veulent remettre des recettes supplémentaires en faisant « payer les riches ».

Autre comparaison qui revient souvent : l’Etat comme la gestion d’un ménage.

Pierre Gattaz, ex-Président du MEDEF, faisait remarquer ce matin que « Améliorer la compétitivité de la France, c’est réduire sa structure improductive, ses dépenses et son train de vie, comme un ménage vivant au-dessus de ses moyens ou une entreprise dont les charges dépassent le chiffre d’affaires ».

Et puis, une nouvelle métaphore a été utilisée cette semaine par…Bernard Cazeneuve, dans un entretien pour Le Monde : l’Etat et le parlement comme un conseil d’administration élu par les électeurs, comparés à des actionnaires, y compris des actionnaires activistes :

« Ceux qui conçoivent la nation comme une entreprise ont laissé les actionnaires activistes minoritaires, qui ne représentaient que 5% du capital, faire une OPA sur le gouvernement, au moment de l’assemblée générale des actionnaires, où les petits porteurs, sommés de voter, s’étaient pourtant mobilisés pour l’éviter ». Et il a même identifié le directoire et le conseil de surveillance : « Michel Barnier a été nommé président du directoire et Marine Le Pen présidente du conseil de surveillance ».

Dans la conception de l’Etat-entreprise de Bernard Cazeneuve les votes se font à « un homme, une voix » car, si l’on devait revoir ceux-ci (ça s’est déjà fait, notamment dans l’Ancien Régime) en fonction de la réelle contribution aux finances publiques, où de la part de capital détenu, comme dans une entreprise normale, on arriverait sûrement à des proportions différentes.

Comme quoi, comparaison n’est pas raison !

Comparer l’Etat à une entreprise, ça ne colle pas, pour les politiques, mais pour faire un bon mot quand ça arrange, pourquoi s’en priver.