L’argent mis dans l’intelligence artificielle générative va-t-il finir à la poubelle ?
23 août 2024
Le calme de l’été et les JO ont peut-être masqué une petite musique qui a surgi : Et si tout le cash investi dans l’intelligence artificielle n’allait pas rapporter, du moins tout de suite, autant de bénéfices qu’espéré ?
Ce qui a déclenché le doute, entre autres, c’est bien sûr la note de Goldman Sachs du 25 juin : « IA générative : trop de dépenses, trop peu de bénéfices ». On en parle ICI, ICI, ICI.
La note donne la parole à des experts qui expliquent leurs doutes, mais aussi à d’autres beaucoup plus optimistes. Mais on a surtout retenu les doutes, forcément, car c’est ce qui le plus nouveau, après l’euphorie que l’on a vue autour de ChatGPT et autres, et l’emballement sur le cours de l’action Nvidia, entreprise américaine qui a pris une place de leader, presque monopolistique, sur le GPU (Graphics Processing Unit) qui est devenu le système nerveux essentiel de la puissance des systèmes d’intelligence artificielle générative.
Alors, quels sont ces doutes ?
Le plus dur, dans cette note de Goldman Sachs, c’est Daron Acemoglu. Il est Institute Professor au MIT, et a fait ses petits calculs : Dans les dix prochaines années, l’accroissement de productivité (aux Etats-Unis) dû à l’intelligence artificielle générative ne dépassera pas 0,5%, ce qui correspondra à une augmentation du PIB d’à peine 1%. Quand on compare à tout l’argent investi dans les infrastructures de l’IA qui se chiffre pour les prochaines années à plus de 1000 milliards de dollars, on pourrait se dire que ça fait beaucoup.
Un autre expert qui s’exprime dans ce rapport, Jim Covello, Directeur du Global Equity Research chez Goldman Sachs, lui aussi très critique, exprime son interrogation : Quel est le problème à 1000 milliards de dollars que va résoudre l’IA ?
Mais d’où sortent les chiffres de Daron Acemoglu ?
Il a pris ses sources dans des études d’autres experts, plutôt les plus pessimistes bien sûr, qui estiment qu’à peu près un quart (23%) des tâches que la technologie peut prendre en charge seront automatisées et bénéficieront de réduction de leur coût dans les dix prochaines années. Considérant donc que les trois quarts restants n’en tireront pas de bénéfices directs, il en déduit donc que seuls 4,6% de l’ensemble des tâches seront impactées par l’intelligence artificielle. Combinant à cela les économies potentielles sur le coût du travail, le mix des études indique que le TFE (Total Factor Productivity) ne dépassera pas 0,66%, amené à 0,5% pour tenir compte de certaines tâches plus complexes à prendre en compte (Pour lire la note de Daron Acemoglu, c’est ICI).
Pour ce professeur expert, on va en rester, à court terme (10 ans quand même) à des améliorations de process ou de morceaux de process existants, mais pas encore à des transformation plus profondes et « transformatrices ». Ceux qui vont en bénéficier sont d’abord les métiers de l’informatique et de la programmation, mais dans le cœur des process de production industrielle ou de services, ça ira beaucoup plus lentement.
Mais, si les technologies évoluent, est-ce qu’on ne va pas avoir des améliorations et des réductions de coûts qui vont s’accélérer ?
Daron Acemoglu a également réponse à tout. Si les progrès consistent à pouvoir traiter encore plus de data, avec des traitements encore plus rapides, permettant par exemple de doubler les capacités de l’IA, que va vraiment apporter ce doublement de capacités ? Est-ce que le fait de savoir encore mieux prédire quel mot vient après un autre (le principe même de l’IA générative) va vraiment améliorer les conversations et la résolution des problèmes des services clients ? On peut d’ailleurs citer les premières expériences pas toujours concluantes sur la vraie efficacité des chatbots de ce style, et rappeler que McDonald’s a décidé, en janvier 2024, d’arrêter le système de commande assisté par IA dans ses drive, après les nombreuses erreurs qu’il avait constatées.
Et puis toutes ces data qui viendront augmenter la capacité des systèmes d’IA, d’où vont-elles venir ? Elles concerneront quoi ? Et sera-t-il si facile que ça de les collecter et de les traiter ? Pour Daron Acemoglu, tout ça n’est pas encore très clair.
Autre fantasme : avec le développement des intelligences artificielles génératives, on va arriver très bientôt à créer des « supe intelligences » capables de rivaliser avec les humains. Là encore les experts sceptiques interrogés dans la note de Goldman Sachs en doutent : la capacité à poser les bonnes questions, apporter des réponses nouvelles, tester les solutions, les adapter aux circonstances, ne correspondent pas encore aux capacités de ces systèmes. On est plutôt dans une aide apportée à l’humain, qui reste cependant encor maître des orientations et choix, même si les systèmes d’IA vont lui apporter effectivement cette aide. C’est plutôt l’humain qui va identifier les problèmes, et l’IA va aider à trouver et tester les solutions, à condition qu’on ait résolu tous les problèmes d’hallucination qui subsistent encore.
Autre préoccupation : finalement, avec l’IA générative, on n’a pas encore trouvé l’application miracle, la « killer App » qui convaincrait tout le monde que l’on a vraiment une avancée « transformatrice ». Pour l’instant on est sur des améliorations et des cas d’usages que certains considèrent encore comme marginaux.
Bon, alors c’est foutu ? Tout l’argent qu’on est en train de mettre dans l’IA est-il en train de partir majoritairement à la poubelle si les progrès n’arrivent pas d’ici dix ans ? Et quid des investisseurs ?
Pas si vite…
Les experts de la note, et même les plus sceptiques, considèrent quand même qu’il faut continuer à investir, et que d’ailleurs, comme tout le monde investit, il serait bien imprudent de ne pas faire pareil, même si les bénéfices ultimes et miraculeux ne sont pas pour tout de suite. Et puis la « killer App » va peut-être arriver, notamment dans tout ce qui concerne le service clients et les outils grand public (voir les investissements des entreprises comme Salesforce et les innovations promises par l’intégration de l’IA dans nos smartphones et moteurs de recherche).
La menace serait plus forte si la conjoncture économique se retournait. Dans ce cas les investissements dans des IA à bénéfices rapides incertains en pâtiraient. Idem si ces fameuses « killer app » tardent trop à venir. Les experts prévoient que l’horizon est de 12 à 18 mois pour voir ces progrès, et que si ça dure plus longtemps, les risques de découragement seront plus forts.
Donc, pas de quoi s’affoler finalement ?
Les débats vont sûrement continuer dans les prochaines semaines et prochains mois.
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