Peer-to-peer et stigmergie
26 juillet 2024
Avec le développement du peer-to-peer, il y a maintenant plus de dix ans, certains ont crû à l’avènement du post-capitalisme, où les échanges entre pairs remplaceront le management vertical.
Car à l’origine le mot vient de l’informatique, où il évoque des réseaux où les utilisateurs peuvent échanger directement des films, des photos, des documents, de la musique.
C’est comme cela que s’est construit Wikipedia, une encyclopédie ouverte renseignée gratuitement par les contributeurs.
Mais le mouvement a mal tourné, face aux accusations de piratage et de détournement de propriété intellectuelle des auteurs de ces musiques et films.
Néanmoins, le rêve d’une société post-capitaliste subsiste dans certains esprits.
L’un des pionniers est Michel Bauwens, qui a fondé en 2007 la « P2P Foundation » pour promouvoir et développer le concept, y compris dans une vision politique. Il est aussi l’auteur, en 2015, de son manifeste, « Sauver le monde – Vers une économie post-capitaliste avec le peer-to-peer ».
Pour Michel Bauwens, le p2p est, ou sera, l’idéologie de la nouvelle classe de travailleurs de la connaissance, pour qui il équivaut au socialisme de la classe ouvrière industrielle du XIXème siècle.
En effet, « ces derniers sont socialisés de manière différente de celle des ouvriers. L’ouvrier d’usine est un paysan qui a été chassé de sa terre et devient un prolétaire. Il se retrouve dans une grosse usine où il peut améliorer son sort en luttant collectivement avec ses camarades de travail pour faire respecter ses exigences ».
Rien à voir avec un travailleur de la connaissance qui a, lui, ses propres outils de travail (en gros un ordinateur et une connexion à internet). « On assiste donc à une « déprolétarisation » accompagnée de l’émergence d’une nouvelle mentalité d’artisan ».
Et ce sont justement ces travailleurs de la connaissance qui sont les mieux adaptés à l’expansion de la mentalité peer-to-peer. Ils estiment naturellement que le partage d’informations et s’organiser en réseau sont nécessaires.
Et, si l’on considère qu’aujourd’hui, chaque emploi comporte des aspects cognitifs importants, cette mentalité du travailleur de la connaissance, selon Michel Bauwens, « va se répandre dans des cercles de population plus larges ».
Cette idée de coopération transdisciplinaire et horizontale a fait réfléchir les auteurs sur de nouveaux modèles d’organisation, autour du concept de « stigmergie », que Michel Bauwens analyse également.
Parmi eux, Lilian Ricaud, ou aussi des communautés comme Quaeso.
La stigmergie est ainsi définie dans wikipedia, justement : « La stigmergie est un mode de coordination indirect où une action laisse une trace stimulant une action suivante, créant ainsi une activité auto-organisée cohérente sans nécessiter de plan ou de communication directe entre agents. ».
L’origine du concept est trouvée dans la nature : « La stigmergie a d’abord été observée dans la nature – les fourmis communiquent en déposant des phéromones derrière elles, pour que d’autres fourmis puissent suivre la piste jusqu’à la nourriture ou la colonie suivant les besoins, ce qui constitue un système stigmergique.
Des phénomènes similaires sont visibles chez d’autres espèces d’insectes sociaux comme les termites, qui utilisent des phéromones pour construire de grandes et complexes structures de terre à l’aide d’une simple règle décentralisée.
Chaque termite ramasse un peu de boue autour de lui, y incorporant des phéromones, et la dépose par terre. Comme les termites sont attirés par l’odeur, ils déposent plus souvent leur paquet là où d’autres l’ont déjà déposé, ce qui forme des piliers, des arches, des tunnels et des chambres.”
Concernant l’entreprise et les organisations, ça évoque les méthodes d’intelligence collective, mais avec une vision générale pour l’ensemble de l’organisation.
Le principe de fonctionnement d’une telle organisation stigmergique est le suivant selon ces auteurs :
« Dans le schéma de la stigmergie, tous les travailleurs ont une autonomie complète pour créer comme ils le souhaitent; le pouvoir du groupe d’utilisateurs réside dans sa capacité à accepter ou rejeter le travail. Comme il n’y a pas de personne désignée pour accomplir une tâche, les usagers sont libres de créer une alternative s’ils n’aiment pas ce qui est proposé. Les travailleurs sont libres de créer sans prendre en compte l’acceptation ou le rejet; dans ce schéma des travaux peuvent être acceptés par le groupe le plus important, une alternative par un autre groupe d’usagers, une autre uniquement par un petit groupe, et parfois le travailleur sera seul avec sa propre vision des choses. Dans tous les cas, les travailleurs restent libres de créer comme ils l’entendent. L’histoire n’a pas montré d’idées radicalement innovantes qui aient reçu une acceptation générale immédiate et l’histoire a également fait la preuve que les idées radicalement neuves sont le plus souvent le résultat de vision solitaires; laisser le contrôle du travail au consensus de groupe seulement résulte dans une paralysie de l’innovation ».
Dans ce modèle on accepte de créer des projets concurrents, et on privilégie les petites équipes agiles et spécialisées par projet.
Comme toujours, toute la subtilité doit être dans l’exécution. En s'inspirant des fourmis et des termites.
Qui a essayé ?