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Poker : Quelle est cette ombre qui veut sa part?

PokerLe business, les affaires, les négociations, c'est parfois comparable à des parties de poker. Et aussi dans la politique parfois.

Et quand c'est un des protagonistes qui le raconte, on s'y croit comme dans un film.

C'est ce que je lis dans un ouvrage qui date un peu (2011), d'Emmanuel Faber, alors Vice-Président de Danone, "Chemins de traverse - Vivre l'économie autrement". Autrement, mais avec des moments intenses dans la fièvre des négociations.

Il raconte l'épisode de la vente de l'activité de verre d'emballage de Danone, héritage de l'époque BSN. 

L'idée est de fusionner BSN Emballage avec le leader allemand, Gerresheimer, filiale du Groupe VIAG, et de revendre le tout ensuite. C'est ainsi qu'apparaît le fond d'investissement CVC, intéressé. 

Et nous entrons alors, grâce à Emmanuel Faber dans la salle des négociations le 30 mai 1999. La partie de poker va commencer. 

Avant la réunion, tôt le matin, les allemands et Danone se sont mis d'accord de ne pas accepter de vendre en dessous de 7 milliards (de francs, eh oui, on n' avait pas encore l'euro). 

Ça démarre...

"Dans la salle du conseil, rue de Téhéran à Paris, il y a de notre côté l'équipe de Danone et celle de VIAG, la banque Lazard et d'autres conseils. Du leur, ils sont une quinzaine : investisseurs, banquiers qui vont financer la dette, auditeurs comptables, avocats. Ils ont travaillé d'arrache-pied".

Philippe Gleize, le patron de CVC, commence à parler pour expliquer son analyse du dossier, avec l'idée d'en déterminer le prix d'achat.

C'est Emmanuel qui l'interrompt immédiatement : "Nous ne sommes pas là pour partager vos travaux mais connaître leurs résultats, Philippe".

Philippe Gleize essaye de poursuivre mais Emmanuel continue : "Ostensiblement, je ferme le cahier que j'ai ouvert quelques minutes auparavant dans la perspective d'y prendre des notes. J'interromps chaque tentative d'argumentation. Je ne veux qu'un chiffre, pas d'atermoiement. "

Finalement Philippe Gleize lâche: "Pour tout un tas de raisons qu'il faut qu'on vous explique, nous ne pensons pas pouvoir faire au-delà de 6,5 milliards".

 Et voilà le grand coup : "Je sais que 6,5 milliards, c'est déjà beaucoup, et que nous n'avons aucune autre solution équivalente à court terme, et peut-être même pas du tout". 

Mais bon : "Je respire un grand coup et je dis simplement : "Merci. Dans ces conditions, il n'y a évidemment pas de deal. Nous aurions préféré ne pas attendre un mois pour le savoir".

Et : "Je me lève, suivi de tout le côté de notre table. Nous rangeons nos affaires. Nos interlocuteurs sont médusés. Nous serrons des mains et les congédions. Certains sont venus de Londres, de Munich. La réunion devait durer dix heures, elle a duré dix minutes".

Fin de l'acte I. Mais cela n'est pas fini, bien sûr. Emmanuel et Danone font savoir a CVC qu'ils gardent la limite de 7 milliards, et qu'ils devront prendre une décision en interne sur la suite le 5 juin.

Suspense.

Et c'est le 5 juin au matin que Philippe Gleize appelle Emmanuel Faber.

"Emmanuel, je sais que vous avez une réunion importante aujourd'hui, voyons nous avant, je voudrais vous faire une proposition".

Et Emmanuel rétorque : "Ecoutez Philippe, je vois Franck (Riboud, le PDG du Groupe) à midi. Soit vous êtes au prix que nous demandons, et on continue avec vous. soit on arrête tout. Je n'ai rien de plus à discuter avec vous".

A 11H30 ils rappellent. Et Emmanuel raccroche sans attendre.

A 11H58, troisième appel : "Nous ne sommes pas loin, avec un certain nombre de conditions...". 

Et Emmanuel continue et hausse le ton: "Philippe, j'en ai ras le bol. Dans une minute, il est midi. Je vais raccrocher et monter chez Franck. Vous avez une dernière chance dans la prochaine phrase que vous prononcez. Vous la prenez ou pas? C'est maintenant ou jamais".

Et voilà Philippe, après un silence de deux secondes: "C'est d'accord pour 7 milliards, mais ça va être très, très dur".

Cela se terminera quelques jours plus tard à 7,4 milliards, moyennant une participation de Danone au financement de BSN-Glasspack : "Nous n'avions aucune alternative sérieuse, et le candidat suivant était à peine à 6 milliards de francs".

Et la suite est conforme aux craintes, comme le reconnaît Emmanuel Faber : "Trois ans plus tard, il faut restructurer le bilan de BSN-Glasspack, car il est devenu clair que l'entreprise ne peut pas supporter le niveau de dette que ce prix de vente lui a fait porter".

10 ans après, en racontant cette histoire dans son livre, Emmanuel Faber prend le recul pour s'interroger et réfléchir à ce qui s'est passé pour lui, et cette prise de conscience est aussi porteuse de leçon :

"Qu'est-ce qui se joue en moi dans ces moments-là? Testostérone. Parties de poker nocturnes d'étudiants. Cet instinct qui pousse à aller jusqu'au bout, à l'extrême limite. Ne rien laisser sur la table. Sur la ligne de crête. Griserie de ce jeu où l'équilibre intérieur tient une part si grande. Quelque chose se réveille. Je sens que je cède les commandes à un joueur en moi. Je le laisse jouer, et le contrôle. Mais jusqu'où est-il légitime qu'il joue? Et selon quelles règles? Car c'est surtout avec moi-même que je joue. Avec mes propres limites. Quelle est cette ombre qui veut sa part?

L'ombre de l'envie de gagner, tout simplement. Gagner tout, au-delà de ce qu'il est juste de partager. La force qui mute en violence. Quand elle submerge, elle peut réduire mon champ de conscience à un terrain de jeu très étroit, déconnecté de la réalité, construction éthérée financière, juridique, théorique, intellectuelle. Dans cette extrême, confrontation, les conséquences "collatérales" sortent de mon champ de conscience".

Et dans ce jeu de poker qui grise, avec cette ombre qui veut sa part, on peut parfois gagner et parfois perdre. 

Une leçon pour d'autres Emmanuel... ? Ou pas.


Ne bougeons plus !

OrdiAAALa libraire m'explique : "Nous avions mis ce livre aux rayon Essais et on n'en vendait pas. On l'a mis au rayon Policiers et science fiction, et on en vend plein". Ah bon? Ce livre c'est celui d'Alain Damasio, en effet auteur de romans de science-fiction, mais celui-là est un produit hybride, composé de sept chroniques littéraires et nouvelle de science fiction. C'est "Vallée du silicium".

C'est un essai que l'éditeur qualifie de "technopoétique" sur les inspirations de l'auteur en sillonnant la Silicon Valley.

Pas si poétique que ça, je dirais plutôt technocritique et plutôt dystopique et fin observateur de notre monde technologique.

L'une des chroniques porte sur nos corps, avec une sentence : "La vérité de ce monde qui vient est qu'il ne veut plus, physiquement, qu'on bouge".

Diantre!

L'auteur nous fait remarquer, en prenant le recul nécessaire, combien bouger est devenu compliqué, par exemple lorsqu'il s'agit de passer une frontière pour un touriste, même bienvenu :

"ça commence dans l'aéroport, respirez: premier check-in bagages/billet électronique/bornes interactives/tickets codebarrés dont tu enveloppes la poignée de tes valises en te collant les doigts et que tu poses sur une balance qui peut te les refuser\si trop lourdes.

Puis passage à la sécurité/passeport remontré/boarding pass croisé/masque sur la bouche, masque enlevé pour vérification faciale/souriez - ou surtout pas! car on ne sourit pas sur la photo d'un passeport". 

"Il faut se faire pénétrer par l'humiliation ordinaire des procédures/nous faire éprouver que passer est un exploit/enlever couche après couche/et se faire fouiller/palper encore/au cas où...

Au nom de quoi au juste? D'une sacro-sainte sécurité mondiale qui n'empêchera jamais le moindre attentat puisque ces attentats seront le fruit du salarié de l'aéroport, du bagagiste d'extrême droite, de l'hôtesse de l'air suicidaire qu'on n'anticipait pas? ".

"J'ai le sentiment qu'il n'est là, au final, que pour nous dissuader gentiment de bouger, de changer de pays".

Mais cette frontière est partout aujourd'hui, et pas seulement dans les aéroports pour passer de l'Europe aux Etats-Unis.

Le web, à ses débuts, c'était le monde de la liberté, de la libre circulation; on "surfait sur le web". Tout ça, c'est fini :

"Le web est devenu un univers morcelé/divisé, découpé en zones/en mondes, en espaces ouverts/fermés.

Tu n'y accèdes/pas plus que dans l'univers réel/à l'endroit que tu voudrais. Il te faut être inscrite et reconnue - mieux: fidélisée. Il te faut "un compte". Il te faut surtout "un identifiant" et l'inexorable "mot de passe" qui certifie cette identité numérique locale. Il te faut en réalité une trentaine de mots de passe-ports et de boarding pass par jour pour paramétrer le moindre smartphone, arpenter la plus triviale plateforme; booker le moindre site de réservation, aller lire la moindre information de qualité sur un média en ligne que tu respectes".

Résultat : puisqu'il est si difficile de bouger, que cela nécessite de plus en plus de papiers, de codes et d'efforts, nous en venons, et c'est là que l'auteur veut nous conduire, à ne plus vraiment "désirer bouger".

La maison où nous nous enfermons est devenu notre empire. On y fait tout; le cinéma, les concerts, les livres, et même, bien sûr le travail en télétravail. Nous faisons tout à la maison, à une distance "réseaunable" (belle formule).

Notre horizon est devenu, autre mot de l'auteur, un "technococon".

Bouger dans cet univers, cela ne doit plus générer de la liberté, mais laisser une trace. Nous sommes tous et constamment tracés dans cet univers.

"Les réseaux seuls ont le monopole de la trace assurée. Donc tu dois circuler en eux".

L'espace ouvert manque: ."Tout a une adresse, une IP. Tout est criblé de traqueurs et de sniffeurs. Tout pullule de cookies. Le dehors du Net ne signifie plus rien"

Et nous en arrivons, dans ce monde, à nous créer nous-mêmes notre propre frontière infranchissable. C'est cette frontière que nous fabriquons en refusant l'autre, le voisin, le type bizarre, le pas-comme-nous. 

En lisant Alain Damasio, retrouverons nous une envie de bouger, où est-ce complètement foutu?


Le véritable symbole du libéralisme économique

KalaaaC'est ainsi que nomme Roberto Saviano, dans son livre sur l'archéologie de la mafia de Naples, la camorra, "Gomorra", paru en 2006, un objet bien connu de celle-ci, une véritable icône. 

Cet objet est une arme tristement célèbre, la Kalachnikov, l'AK-47, la plus répandue. L'auteur y consacre tout un chapitre.

Mais pourquoi serait-ce un véritable symbole du libéralisme économique ?

"Grâce à son invention, Mikhaïl Kalachnikov a permis à tous les groupes petits et grands luttant pour le pouvoir de se doter d'une arme. Kalachnikov a fait un geste en faveur de l'égalité : des armes pour chacun, des massacres pour tous. La guerre n'est plus réservée aux armées".

L'inventeur avait inventé cette arme pour armer les forces armées de l'URSS, avec la conviction d'œuvrer pour la défense de sa patrie, au service du pouvoir. 

"Avant de prendre sa retraite de général de corps d'armée, il touchait un salaire fixe de cinq cents roubles, soit à l'époque environ cinq cents dollars par mois. Si Kalachnikov avait eu la possibilité de faire breveter son arme à l'ouest, aujourd'hui il serait sans nul doute un des hommes les plus riches de la planète". (Kalachnikov est décédé en 2013, à l'âge de 94 ans). 

"On estime que plus de cent cinquante millions d'armes de la famille des Kalachnikov ont été produites à partir du projet d'origine du général".

 L'histoire de cette arme se lit comme un cours de capitalisme libéral, dans sa version illicite et sans morale.

Car le produit a connu son succès grâce au génie de sa conception : il permet de tirer dans les situations les plus variées; il ne s'enraie pas, fonctionne même couvert de terre, même plein d'eau, et s'empoigne facilement. Sa détente est si souple, nous dit Roberto Saviano, "qu'elle peut être pressée par un enfant".

Et mieux encore : "Simple à utiliser, facile à transporter, il est si efficace qu'on n'a pas besoin d'entraînement". C'est le redoutable président congolais Kabila qui aurait dit à son propos : "Il peut transformer même un singe en combattant".

C'est ainsi qu'au cours des dernières décennies, les armées de plus de cinquante pays ont utilisé la Kalachnikov comme fusil d'assaut. Plus de cinquante armées régulières sont équipées de Kalachnikov, et bien sûr il est aussi impossible d'énumérer les groupes clandestins, paramilitaires et de guérilleros qui l'utilisent. Et sans compter tous les terroristes, et auteurs d'attentats et de crimes, qui ont continué encore après l'année du livre de Roberto Saviano. 

Et ce qui a fait aussi sa notoriété, c'est son prix très compétitif, y compris dans les échanges illégaux par les criminels. Cette arme est aussi devenue un indice pour évaluer la situation des droits de l'homme : "Moins elle est chère et plus les droits de l'homme sont bafoués, l'Etat de droit gangréné, tout ce qui favorise les équilibres sociaux miné et sur le point de s'écrouler. En Afrique de l'Ouest, ce prix peut descendre jusqu'à cinquante dollars. Au Yemen, on peut même trouver des fusils AK-47 d'occasion achetés et revendus plusieurs fois, à six dollars".

Forcément, dans la mesure où elle détient une part importante du marché international des armes, la camorra fixe le prix des Kalachnikov, devenant ainsi, indirectement, l'instance qui évalue l'état de santé des droits de l'homme dans le monde occidental.

Et puis, en bon capitaliste détenteur d'une marque mondialement célèbre, le général Kalachnikov est devenu un entrepreneur à succès. C'est comme cela qu'un homme d'affaires allemand crée une marque de vêtements signés Kalachnikov. Le général a aussi une bouteille de verre remplie de vodka, avec un bouchon en forme de canon.

Et le résultat est impressionnant : "La Kalachnikov a tué plus que les bombes atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki, plus que le virus HIV, plus que la peste bubonique, plus que la malaria, plus que tous les attentats commis par les fondamentalistes islamistes, plus que tous les tremblements de terre réunis. Une quantité colossale inimaginable de chair humaine. Seul un publicitaire parvint à en donner une idée convaincante : lors d'un congrès, il suggéra de prendre une bouteille et de la remplir de sucre en poudre. Chaque grain de sucre était un mort tué par la Kalachnikov".

Et puis le général Kalachnikov qui considère que ce n'est pas son problème : Chacun n'est responsable que de son corps et de ses gestes; seul ce que ma main a fait relève de ma conscience morale. Ce général porte en lui l'impératif quotidien de l'homme au temps du marché : fais ce que tu dois faire pour gagner, le reste ne te concerne pas.

Un véritable symbole, en effet.


Le capitalisme est-il foutu ?

CapitalismeAvec le réchauffement climatique, mais aussi les crises que nous connaissons, le capitalisme est souvent accusé du pire, au point de considérer que pour aller mieux, il faudrait se débarrasser de ce capitalisme que l’on se plaît à caractériser d’ « à bout de souffle ». Cela fait au moins le bonheur des auteurs et éditeurs qui reprennent ce discours, ainsi que les politiques qui vont pêcher les voix avec ce type de slogan.

Pour les entrepreneurs et dirigeants ou managers d’entreprises, ces discours n’ont pas d’intérêt.

Mais on peut aussi les considérer comme un scénario à envisager si les mouvements qui emportent ces idées venaient à s’imposer. Et les équilibres des votes pour les élections européennes pourraient en donner un avant-goût.

Le capitalisme, c’est quoi en fait ? Pour faire simple, on peut dire que c’est un mode d’organisation économique qui repose sur la séparation du capital et du travail. On peut dire qu’il introduit une séparation entre la propriété des moyens de production (le capitaliste) et le travailleur (qui reçoit un salaire). Cette économie s’oppose à celle de l’économie primitive qui reposait sur la chasse, la pêche, le troc, mais aussi à l’économie féodale, dans laquelle c’est le seigneur qui possède les moyens de production, transmis héréditairement, et aussi la force de travail qui est serve. Tout cela change avec la première révolution industrielle (lire Luc Boltanski dans « le nouvel esprit du capitalisme »), qui met en place un « capitalisme de l’autonomie », où domine la figure du bourgeois, entrepreneur calculateur avisé, à la fois émancipateur (vis-à-vis des anciennes hiérarchies qui pesaient sur les sociétés traditionnelles) et conservateur (il érige le travail en morale).

Puis, toujours selon Luc Boltanski, on passe au capitalisme de la grande entreprise, entre 1930 et 1960, qui va reposer sur l’organisation rationnelle du travail, le fordisme, le gigantisme, la planification. Et avec les années 1990, on est passé dans l’ère du « capitalisme dématérialisé de réseau ». On s’est libéré du modèle de l’organisation fonctionnelle et des hiérarchies (enfin, peut-être pas encore partout), pour passer à l’entreprise réactive, flexible, agile. C’est le moment du développement de la sous-traitance et de l’externalisation. Le succès, c’est d’augmenter son réseau, de mobiliser un grand nombre de connexions dans différents réseaux.

Je retrouve ICI un entretien avec Olivier Besancenot, chantre de cet anticapitalisme, qui éclaire l’intention : « Pour nous, l’anticapitalisme est la volonté d’en finir avec la société actuelle, et d’en bâtir une nouvelle. Aujourd’hui, il y a une dictature du capital sur l’économie et la société : tout se transforme en marchandise. Or, nous ne pensons pas que le capitalisme puisse être moralisé, ni réformé. A nos yeux, la mondialisation libérale n’est pas un moment particulier du capitalisme, lequel pourrait changer de visage. Après les années de croissance exceptionnelle de l’après-guerre, le marché s’est trouvé saturé, et le taux de profit a eu tendance à diminuer. Pour maintenir le taux de profit à niveau constant, les entreprises ont bloqué l’évolution des salaires et amputé les acquis sociaux. D’autre part, on a vu se développer les marchés financiers, qui offrent la possibilité de faire de l’argent avec de l’argent. La financiarisation de l’économie est inscrite dans le patrimoine génétique du capitalisme, car la spéculation tend à y supplanter l’investissement dans l’économie réelle. Ni les mots, ni les lois ne pourront empêcher ces dérives là, et l'on ne peut espérer que les capitalistes se tirent volontairement une balle dans le pied ».

En clair, si on ne casse pas tout, c'est foutu.

Le capitalisme est-il foutu?

Car pour se sortir de cette situation, le message des anticapitalistes est clair : la révolution. Olivier Besancenot le dit clairement dans cet entretien : « La révolution ? C’est possible ! Quantitativement, il n’y a jamais eu sur Terre, dans l’histoire du capitalisme, autant d’exploités…Notre problème est simplement de revaloriser la force du nombre ».

Oui, c'est bien là "le problème", qui n'est pas si simple.  C'est la bonne formule de Karl Marx : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !", formule qui figure dans l'épitaphe inscrite sur sa tombe.

Ce qui perce bien aujourd’hui c’est la version écologique de l’anticapitalisme. Cela remonte loin, à Thomas R. Malthus, qui, en 1798, expliquait dans son « Essai sur le principe de population » que les ressources terrestres, à l’accroissement arithmétique, ne suffiraient bientôt plus à nourrir la population humaine, qui croît de manière géométrique. Mais c’est justement le XIXème siècle, et le développement du capitalisme, avec les avancées des sciences et de la mécanisation, qui va donner tort à Malthus. C’est le commerce mondial et le développement des rendements agricoles qui vont sauver l’histoire. Mais on va alors parler des désastres et dommages faits à la nature par cette expansion. Au point qu’au XXème siècle, cette critique environnementaliste va gagner en force, dénonçant une attitude de prédateurs et de consommateurs face à la nature.

Cela se matérialise encore mieux avec la fondation du Club de Rome, en avril 1968, par des économistes, industriels et universitaires, qui décident de recenser les effets du capitalisme sur la planète. C’est le fameux rapport Meadows, « Halte à la croissance ? » (Avec un point d’interrogation, mais bon..). Leur conclusion est sans appel : L’humanité devrait connaître un effondrement général de son niveau de vie avant 2100. C’est de là que se développe ce mouvement de ceux qui prônent la décroissance, encore vif aujourd’hui.

Mais un autre mouvement a aussi émergé, moins médiatisé peut-être, celui des défenseurs de « l’écologie industrielle ». Ce mouvement s’est créé aux Etats Unis autour de Suren Erkman, un ingénieur suisse. Son idée est de réorganiser le tissu industriel et urbain comme un écosystème. Tout ensemble d’entreprises, tout quartier urbain, comme un système naturel, fait circuler certaines quantités de matières, d’énergie, de déchets, de gaz, d’êtres vivants, dont nous pouvons analyser le « métabolisme » - les flux, les stocks, les pertes, les dégradations. Aux hommes et aux politiques de s’ingénier pour que ce système polluant devienne un écosystème : qu’il récupère ses dépenses d’énergie, recycle ses déperditions, réutilise ses déchets, protège les espèces. Ce faisant, on repense l’entreprise comme la ville à l’image d’une chaîne alimentaire, en réinstallant usines, immeubles et ateliers au cœur d’un grand recyclage naturel. Regardez la communication de Groupes comme Suez, ou Veolia, ils sont à fond là-dedans. Y aurait-il une alternative au ralentissement de la course à la croissance dans cette construction (capitaliste) d’un nouvel environnement ?

Oui, si la révolution anticapitaliste gagne du terrain, le capitalisme et ses entrepreneurs n’ont pas dit leur dernier mot.

De quoi bâtir les scénarios alternatifs du futur.