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Mais non, la quatrième révolution ne va pas vous guillotiner, Madame !

PeurAAAvec l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies dites exponentielles, on est maintenant dans ce que l’on appelle la quatrième révolution industrielle.

Lors d’un échange récent avec une dirigeante d’un grand groupe de services, celle-ci, à qui j’évoque cette « 4ème révolution », me rétorque : « 4ème révolution ! Cela fait peur. Vous voulez nous guillotiner ? ».

Oui, en 2023, la quatrième révolution n’est pas encore complètement familière, même à nos dirigeants, et fait même peur à certains. D’où l’intérêt, plus que jamais, de fréquenter les Think Tank qui créent les occasions et les rencontres, comme « 4ème Révolution », pour ne pas perdre pied.

On dira que cette année 2023 aura été l’année de l’intelligence artificielle. Ce concept est pourtant né il y a pas mal d’années, dans les années 50. Mais il est devenu très présent en 2023 avec l’essor de l’IA générative et ChatGPT, mis en ligne le 30 novembre 2022. Depuis, une compétition s’est engagée entre les entreprises installées et les start-up pour développer et créer les usages autour de ces technologies. Même les plus jeunes s’y mettent, et lancent leurs entreprises de formation et de mentoring en IA dès 16 ou 17 ans, tout contents d’inonder LinkedIn de leurs posts et découvertes.

Dans le supplément « Sciences et médecine » du Monde du 27 décembre, David Larousserie consacre un article pour rappeler tout ce qui s’est passé dans ce domaine en 2023 grâce à l’intelligence artificielle, comme par exemple l’identification de malformations cardiaques précoces sur un fœtus. C’est aussi en mai 2023 que Google et sa filiale DeepMind ont annoncé que les réponses de leur logiciel MedPalM-2 à des questions médicales étaient jugées meilleures, par des humains, que celles de vrais médecins. De quoi faire réfléchir sur le rôle des médecins et leur collaboration avec l’IA demain.

C’est encore DeepMind qui, en novembre, présentait un simulateur de la météo à dix jours plus rapide que les supercalculateurs actuels, et avec plus de précisions que le High Resolution Forecast (HRES), le système de simulation météorologique de référence de  l’industrie.

On constate aussi en 2023 combien la recherche en sciences et médecine a en partie échappé à la communauté scientifique pour se jouer dans les entreprises privées et les start-up. David Larousserie cite ce chiffre de 40% des exposés dans les conférences qui sont issus de laboratoires privés (le double de ce qu’ils étaient en 2012). De quoi faire réfléchir le monde académique sur son avenir, et le besoin de collaboration avec les entreprises privées.

Ce qui fait peur à certains, et qui enthousiasme d’autres, avec cette IA générative et ChatGPT, c’est qu’on ne comprend pas comment il fonctionne réellement. Il est construit pour apprendre à prédire le prochain mot d’une phrase, à partir d’une quantité gigantesque de textes qu’on lui présente. Mais alors comment fait-il pour induire les règles de l’arithmétique, du codage informatique, et à tout problème qu’on lui présente en langage courant ?Hugues Bersini, directeur du Laboratoire d’intelligence artificielle de l’Université libre de Bruxelles et membre de l’Académie royale de Belgique, y consacre une tribune dans ce même numéro du Monde (27/12) et le dit clairement : « Il devient inapproprié, même inconvenant, de s’obstiner à dire, comme on le lit trop souvent, que ChatGPT est incapable de raisonnement. Reconnaissons-le, il comprend et raisonne mais, malheureusement, d’où la naissance du malaise, d’une manière qui nous est, à nous, devenue parfaitement incompréhensible. Comment un prédicteur statistique du mot qui suit dans une phrase peut-il se retrouver à résoudre des problèmes logiques, mathématiques et informatiques d’une telle complexité ? ».

Ce qui permet cette « magie », c’est bien sûr la puissance de calcul à laquelle on a aujourd’hui accès.

Hugues Bersini : « Quelque chose de magique se produit dans ces milliards de paramètres, ces centaines de couches neuronales qui s’adaptent d’eux-mêmes pour composer ces gigantesques modèles de langage ».

Forcément cette magie attire les jeunes générations qui y voient, pleins d’optimisme, une façon de participer à la plus grande révolution de l’histoire de l’humanité, à un tournant dans l’histoire de l’humanité. Ce sont le genre de remarques que font les jeunes de San Francisco qui font l’objet de l’article de Corine Lesnes, dans ce même numéro du Monde.

Il s’agit d’un nouveau quartier de San Francisco, baptisé du surnom de « Cerebral Valley », où sont venus s’installer de nouveaux « techies » de l’IA, successeurs de ceux de la Silicon Valley. Et, alors que les géants de la Silicon Valley continuent à dégraisser, les start-up de l’IA recrutent. Terminé la bulle « dot.com », on est maintenant dans l’effervescence « dot.ai ».

Dans cette nouvelle ère, coder, qui était l’apanage des seigneurs de la tech il y a encore dix ans, est devenu sans importance. Avec les LLM (Large langage model), grands modèles de langage, « le concept entier de programmation d’ordinateurs va, à terme, être remplacé » souligne une des « techies » en question, Gloria Felicia (28 ans), créatrice d’entreprises de cette nouvelle génération. Elle a notamment fondé la start-up Menubites.ai, qui propose aux petits restaurants des photos embellies par l’IA pour leur permettre d’afficher les plats sur leur site internet sans passer par des photographes professionnels.

Elle est enthousiaste : « Pour la première fois, nous sommes confrontés au fait que les ordinateurs, sous une forme ou une autre, deviennent plus intelligents que la plupart des humains ».

Toute cette jeunesse évoquée dans l’article manifeste cette confiance dans l’avenir radieux et harmonieux promis aux humains. L’un d’eux prédit : « Les citoyens auront leur propre IA qui travaillera et gagnera de l’argent pour eux. Ils ne seront plus des consommateurs, mais des producteurs ».

Un autre : « Nous sommes face à quelque chose qui est plus grand que nous. C’est juste le début ».

Que cet optimisme puisse se propager et essaimer en 2024. On en aura besoin.

Mais non, la quatrième révolution ne va pas vous guillotiner, Madame !


Un bon CoDir

CODIRLa revue RH&M organise chaque année une cérémonie de trophées des CoDir de l’année. CoDir, ça veut dire Comités de Direction, le top du top des entreprises, animés par le Président ou le Directeur Général.

Cette année, c’était la 12ème, et un festival de reconnaissance et d’autosatisfaction pour les dirigeants et dirigeantes des entreprises de toutes tailles, de plusieurs milliards d’euros de CA ou d’à peine cent millions.

C’est intéressant de valoriser les CoDir de cette façon, car on parle surtout des dirigeants, comme des Napoléon seuls face à l’adversité, visionnaires et stratèges, qui remercient en général tous les employés quand il s’agit de fêter une réussite, mais les CoDir sont oubliés.

Alors la question qui venait pour tous les lauréats, c’était forcément : C’est quoi un bon CoDir ?

Cette dirigeante qui a changé la quasi-intégralité du CoDir de l’entreprise où elle venait d’être nommée Directeur Général, a donné son secret : « Les membres du CoDir précédant mon arrivée étaient sûrement des personnes compétentes, mais j’avais besoin de personnes qui s’entendraient avec moi, et correspondraient à ce que, moi, je voulais conduire, et à mon style ».

Mais alors, avec un bon CoDir, que fait le dirigeant ? Doit-il être « au-dessus de la mêlée » ou se mêler des détails ?

Cette autre dirigeante lauréate a avoué avoir reçu cette leçon d’un de ses mentors, dans sa jeunesse, qui lui avait dit qu’il était important d’avoir le sens du détail pour justement prendre de la hauteur. Elle garde mémoire de cette leçon pour diriger un Groupe de plusieurs milliards d’euros de CA, dans 170 pays, avec un CoDir de 18 personnes (sic). Elle le traduit en allant se confronter aussi souvent que nécessaire au « terrain », c’est-à-dire le client (qui peut représenter des commandes gigantesques), les opérations, le employés de première ligne.

Autre question : Comment ça fonctionne un CoDir ?

Les dirigeants lauréats nous ont tous parlé de ces réunions, appelées « séminaires » quand elles durent plusieurs jours (au moins deux), où on se lâche un peu (« mais en restant cadrés sur un agenda et une forme sérieux »). Avec la fin de l’année, certains vont faire un « Secret Santa » avec le CoDir, d’autres un karaoké (« un des membres de mon CoDir chante très bien ; il nous fait la même chanson tous les ans »).

L’un des dirigeants a même institué un rituel où tous les membres du CoDir, venant du monde entier, se réunissent physiquement (« pas de visio ! ») pour vraiment échanger, tous les mois, pendant deux jours.

Mais peut on tout traiter avec un CoDir, ou d’autres structures sont-elles à imaginer ?

Un dirigeant nous a révélé qu’il a institué un système de comités ad hoc, selon les sujets à traiter, composés de membres de CoDir mais aussi d’autres collaborateurs, avec une mission précise, chaque comité s’arrêtant quand le sujet est terminé, pour faire place à d’autres sur un nouveau sujet. C’est ce qu’il appelle « l’agilité ».

L’innovation et la performance, c’est aussi savoir choisir la structure de décision, et l’organisation des Codir.

Et puis, une question qui n'a pas  été posée : Mais a-t-on encore besoin de CoDir pour diriger les entreprises ?

C'est pour les trophées des "Non-CoDir"...


De belles histoires pour les jeunes

PerenoelD’ici 2030, ils vont représenter 75% des actifs en France, et donc dans nos entreprises.

Ce sont les générations Y (née dans les années 1980-1990) et Z (ceux nés entre 1997 et 2010).

Et les observateurs et sociologues nous ont déjà averti que ces générations ne voient pas exactement le monde du travail et de l’entreprise comme leurs parents.

Emmanuelle Duez, fondatrice de « The Boson Project » explique dans une interview pour La Tribune de novembre 2022 :

«La progression linéaire et le rêve de carrière ne sont plus porteurs pour des trentenaires qui ont vu leurs parents scander dans les années 68 « ne pas perdre sa vie à la gagner » avant de s'étioler dans une routine grise et des chimères statutaires 30 ans après... Tel est pris qui croyait prendre : ils ne referont pas la même erreur. Distance saine, excellence managériale, équilibre des vies, obéissance conditionnée et désobéissance éclairée, quête de sens holistique, à l'échelle de l'existence et non pas de l'entreprise : cette génération a contribué à changer en profondeur les règles du jeu, allant même jusqu'à suggérer de troquer à la sacro-sainte subordination - colonne vertébrale du droit social français - l'interdépendance. Une bascule du rapport de force s'est opérée en entreprise, qui a commencé il y a plus de 10 ans.

Le « big quit » actuel s'inscrit donc bien dans un continuum générationnel, il est une amplification d'un phénomène à l'œuvre depuis plusieurs années, même si le cocktail actuel est explosif, dopé par l'urgence climatique ».

 Christopher Guérin, CEO de Nexans depuis 2018, cite cette interview dans son livre passionnant, car nourri de son expérience personnelle, sur la transformation qu’il a menée dans l’entreprise, "Pour aller dans le bon sens". 

Alors, il s’est posé la question de savoir ce qu’il devait faire chez Nexans pour attirer, accueillir et conserver dans l’entreprise ces générations.

Pour un bon diagnostic, il a fait mener dans l’entreprise l’interview de 100 jeunes de moins de 35 ans, qui sont donc déjà dans l’entreprise.

Bien que l’enquête révèle des motivations diverses, un critère lui apparaît clairement comme partagé par cette génération Y d’employés Nexans : quelles sont les racines du Groupe ?

« Nous avons rejoint une industrie qui a une histoire, et non une start-up ». Et pourtant cette histoire n’est pas très bien connue. Car Nexans a « une hypertrophie du présent ». On parle de ses résultats, de ses performances, de l’année passée, de l’année prochaine, mais on ne parle jamais de l’histoire.

Christopher Guérin tape juste, et cette remarque pourrait sûrement s’appliquer à pas mal d’entreprises et de dirigeants, même dans des entreprises plus petites que Nexans (près de 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires).

Cette prise de conscience va enclencher dans le Groupe une démarche pour aller reconstituer l’histoire et en faire le socle de la « raison d’être » de l’entreprise.

Pas si simple car Nexans doit son nom à sa séparation du Groupe Alcatel Alsthom (encore avec un H) en 2000, et son introduction en Bourse. C’est l’époque où le PDG d’Alcatel, Serge Tchuruk, fait le pari de tout miser sur l’activité Télécoms, qui représentait déjà une part importante du Groupe, et se sépare (vend) l’activité Trains (Alstom) et l’activité Câbles (Nexans), et d’autres. On le sait, c’est le début de la chute pour Alcatel, qui, malgré la fusion avec Lucent, va accumuler les pertes.

Alors, pour reconstituer l’histoire de Nexans, on va remonter à Alcatel des bonnes années, et même avant, à la Compagnie Générale d’Electricité, la CGE, qui a rassemblé au début du XXème siècle des activités diverses liées à la création et la distribution d’électricité, et qui a été dirigée par Ambroise Roux, grande figure du patronat français, de 1965 à 1982. C’est l’époque où la CGE représente un fleuron des entreprises privées, qui vit essentiellement, non des marchés, mais de contrats publics, d’aides, de bonifications, d’incitations et de subventions, ce qu’Elie Cohen appelle « le colbertisme high tech ». L’entreprise, conduite par ce capitaine Ambroise Roux, va accompagner tous les grands projets de l’ère De Gaulle, et se développer dans de nombreux secteurs adjacents ou complémentaires, comme notamment le ferroviaire, entre autres, avec l’acquisition d’Alsthom, achevée en 1970, qui fera de la CGE le leader des programmes de TGV. C’est ensuite, après la période de nationalisation par la gauche, que la CGE sera privatisée en 1991, avec Balladur, et s’orientera résolument vers les Télécoms, sous la présidence de Pierre Suard, et prendra le nom, en 1991, d’Alcatel-Alsthom.

Pour construire l’histoire, on pourrait dire le « storytelling », on va oublier ça et remonter encore plus loin, à la création de la Société d’exploitation des câbles électriques fondée en Suisse en 1879, devenue la Société Française des Câbles Electriques en 1897. Et en faire un acteur majeur et pionnier de l’électrification de la planète. Avec une « raison d’être » qui claque : « Electrifier le futur », expliquée par Christopher Guérin : « Acteur mondial de la transition énergétique, Nexans joue depuis plus d’un siècle un rôle crucial dans l’électrification de la planète. Et amplifie ce rôle en menant la charge vers le nouveau monde de l’électrification : plus sûr, durable, renouvelable, décarboné, et accessible à tous ». « A travers notre histoire, nous écrivons la suite, en nous recentrant entièrement sur l’écosystème de l’électrification, mais cette fois-ci uniquement via les énergies décarbonées et renouvelables afin de rendre notre planète plus habitable ».

Idée lumineuse, c’est le cas de le dire.

Et cela va ruisseler dans la culture d’entreprise : « Pour ancrer une transformation d’entreprise, on doit agir sur les comportements, les processus, la structure organisationnelle, les modes de pilotage et les routines. Mais également sur le récit d’entreprise, l’ambiance sur les lieux de travail, l’empreinte historique à travers des portraits, des photos d’époque qui expriment l’évolution de l’entreprise dans le temps, tant il est fondamental de toucher les équipes avec de l’émotion et des évènements qui permettent de reconnecter l’ensemble de ces éléments, tout en participant à la feuille de route stratégique ».

Le Figaro du 4 décembre (Anne Bodescot) publie une interview d’un, une, dirigeante d’entreprise, Marie Guillemot, qui préside le directoire de KPMG, un des leaders de l’Audit. A la question « Un dirigeant que vous admirez ? » elle répond : « Christopher Guérin, DG de Nexans ». Bel hommage ! 

Elle aussi a eu envie de comprendre les « jeunes ». Elle a créé un comité « Next Gen » : « Nous avons décidé de nous faire challenger par un comité de collaborateurs de moins de 35 ans qui travaillent depuis au moins trois ans chez KPMG. Le comité Next Gen a par exemple recommandé, pour fidéliser nos collaborateurs, de travailler sur la parentalité », ce qui a débouché sur l’octroi de jours de congé supplémentaires rémunérés à temps plein, pour les jeunes parents.

Bon, ça n’a pas la même « gueule » que l’histoire des racines et de l’histoire de son dirigeant admiré, mais on voit que cette intention de comprendre et intégrer les nouvelles générations fait son chemin, et va sûrement s’amplifier.

De quoi encourager les idées et le storytelling.

Et qui n’aime pas les belles histoires ? Jeunes et moins jeunes.

A la veille de l’arrivée du Père Noël, c’est de circonstance.