Sauver la planète ou sauver la démocratie ?
15 novembre 2023
On a cru pouvoir dire qu’elle était heureuse.
Et puis on l’a critiqué, voire on l’a accusée d’être la cause de tous nos problèmes, et avec elle, pourquoi pas, le capitalisme lui-même, et même la croissance.
Oui, elle, c’est la mondialisation.
Le débat est encore en vigueur.
Déjà, c’est quoi la mondialisation ?
On désigne par ce terme le processus d’intensification et de fluidification des échanges, et donc le libre-échange des marchandises, des capitaux, des services, des personnes, des techniques et de l’information, en gros la liberté des échanges, pour le bien de tous sur toute la planète (pour ses partisans). Pour les autres, il faut au contraire du protectionnisme, empêcher les marchandises des étrangers, et les étrangers eux-mêmes, de pénétrer chez nous, afin de protéger nos affaires et nos populations et productions locales.
La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, donne son avis dans un entretien pour « Le Monde » le 12 novembre 2023 : « Pendant longtemps, nous avons trop insisté sur les bénéfices de la mondialisation. Ils ont été considérables : Sur les trois dernières décennies, l’économie mondiale a triplé, en particulier au profit des économies en développement qui, elles, ont quadruplé, et il en est résulté une incroyable réduction de la pauvreté. Mais tout le monde n’en a pas profité. Trop longtemps, l’attention n’a pas suffisamment porté sur ceux dont les emplois et les moyens de subsistance se sont évaporés, parce que les mécanismes de compensation ont été insuffisants ».
Et ce manque de prise en compte de ces populations ayant moins profité de la mondialisation qui est à la source, toujours selon Kristalina Georgieva, des mouvements altermondialistes et du populisme (qu’elle n’aime pas trop, on l’a bien compris).
C’est pourquoi elle veut proposer de « repenser la mondialisation ».
Diantre ! Et comment alors ?
Elle se veut conseil aux pays de ne pas jouer la carte de l’intérêt national contre les autres, et au contraire de « réfléchir aux mécanismes permettant de poursuivre l’intégration mondiale et d’équilibrer les risques ». Ouais, il va falloir encore un peu d’effort pour être un peu plus concret. Et réfléchir encore un peu donc.
Le principal risque qu’elle met en avant, et dont on parle de plus en plus, c’est celui de « fragmentation du commerce mondial », qui consisterait à un repli de chacun sur lui-même. Et donc elle nous suggère de résister le plus possible à cette tentation d’imposer des barrières commerciales, dont plusieurs partis politiques en Europe font pourtant un des piliers de leur programme électoral.
Et pourtant, c’est elle qui cite ces chiffres, le nombre de barrières commerciales est passé de 500 en 2017 à 2000 en 2019, et 3000 en 2022. Pourtant, on connaît l’histoire : dès qu’un pays prend une mesure protectionniste, il est probable que le pays partenaire va en faire immédiatement autant. Ce que Kristalina Georgieva appelle « une pente dangereuse ».Celle qui nous mènerait à être tous plus pauvres et moins en sécurité.
Cette fragmentation pourrait atteindre « entre 0,2% et 7% du produit intérieur brut (PIB) mondial, 7%, le cas extrême, équivaudrait à exclure deux pays comme l’Allemagne et le Japon de l’économie mondiale ».
En fait dans les politiques dites « politiques industrielles » des États, il y a les bonnes (agir pour rendre son économie plus attractive pour les investisseurs) et les moins bonnes (instaurer des barrières commerciales au mépris des règles de l’Organisation mondiale du commerce).
Mais quand même, insiste l’auteur de l’interview du Monde (Marie Charrel), n’y a-t-il pas quand même un « bon protectionnisme », ne serait-ce que pour protéger l’environnement, ou éviter que des produits ne fassent trois fois le tour de la planète avant d’être vendus ?
C’est l’histoire qui nous a appris que la division du travail entre les pays est bénéfique en permettant d’apporter de la nourriture, des biens et des services à tous.
La directrice générale du FMI voit plutôt la réponse dans la réflexion sur les chaînes d’approvisionnement mondiales en tenant compte de leur empreinte carbone, mais, là encore, « en prenant garde également à l’ampleur des préjudices que leur restructuration pourrait causer à des travailleurs ailleurs sur la planète ». Elle voit plutôt des solutions en subventionnant la R&D pour permettre aux technologies vertes de pénétrer plus rapidement l’économie, ce qui serait une bonne utilisation d’argent public.
Donc, pour la directrice générale du FMI, c’est encore la technologie qui apporte les meilleures réponses.
Intéressant.
Mais la critique de la mondialisation, qu’elle n’évoque pas, c’est aussi de contester la croissance elle-même des échanges et des économies.
Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol, Think Tank libéral, aborde le sujet dans une récente tribune d’opinion dans Le Figaro (14/11/2023). Et pour lui ces débats sur la croissance, ou plutôt la décroissance, sont une menace sérieuse pour la démocratie elle-même.
Encore une menace !
Pour lui, les politiques climatiques mises en place par les gouvernements, notamment en France, n’ont pas vraiment fait l’objet de discussion générale, ni n’ont été approuvées par les électeurs (il rappelle que lors des élections européennes de 2019 le total des votes en faveur d’une liste écologiste n’a été que de 9,4% pour l’ensemble de l’Union européenne). Ces politiques sont plutôt des accords entre chefs d’ États, ou de négociations entre groupes parlementaires.
Oui, mais devant l’urgence climatique, ne devons nous pas considérer qu’il faut prendre les décisions au nom de vérités scientifiques, et non en fonction des votes des citoyens, ces citoyens ne pouvant les contester, car ne disposant pas des compétences requises ?
Voilà exactement la menace qu’il veut dénoncer : « l’usage abusif du thème de l’urgence climatique » qui donne l’impression d’un forçage de l’agenda gouvernemental.
Il appelle cette forme d’écologisme un « altruisme autoritaire ».
Oui, mais que répondre à ceux qui nous disent que l’on ne peut pas refuser de « sauver la planète » et que « nous n’avons pas le choix » ?
Alors, dans ce cas, c’est bien la démocratie qui devient un problème, puisqu’elle suppose justement l’existence d’un choix. Et donc cet enjeu climatique « favorise l’émergence d’une nouvelle tendance illibérale ».
En fait, cette lutte contre le réchauffement climatique emporte avec elle un combat contre le capitalisme, et est idéologiquement orientée : « centralisation, bureaucratisation, planification, hyperréglementation, fiscalisation, méfiance ou hostilité à l’égard du capital, de l’entreprise et du profit ». « Lorsque Jean Jouzel estime que le capitalisme est antinomique avec les politiques climatiques, il ne parle plus en climatologue ».
Mais alors, la décroissance ?
Dominique Reynié a du mal à croire que cette notion ait du succès auprès des populations : « La globalisation démontre les bienfaits du capitalisme pour l’humanité. La part de la population mondiale vivant dans la pauvreté est tombée de 16% en 2010 à 8,5% aujourd’hui, alors que nous n’avons jamais été aussi nombreux. Il suffit de constater ces performances inouïes pour comprendre que l’humanité n’acceptera jamais une gauche « décroissantiste », ni même la sobriété ».
Il retrouve les mêmes arguments que la directrice générale du FMI, avec des chiffres similaires.
En fait, pour lui, « la poursuite du développement humain, dont la condition est la croissance, est bel et bien l’un des moteurs de la démocratisation du monde. Ne pas faire bénéficier l’écologie de la puissance du capitalisme, c’est sacrifier le climat et la démocratie à l’idéologie ».
D’où la résistance des ménages aux programmes gouvernementaux de dégradation de leur mode de vie (rappelons-nous les « gilets jaunes »).
En fait, le lien entre la démocratie et la croissance apparaît comme essentiel. La démocratie s’est précisément implantée à partir du XIXème siècle, grâce au développement économique, au progrès social qui en a découlé, et au suffrage de masse qui a conféré un pouvoir législatif indirect au mouvement ouvrier. « La démocratie doit beaucoup à l’industrialisation, c’est-à-dire à la carbonation des sociétés ».
Et donc, « le projet de décroissance, plus ou moins assumé, parfois euphémisé avec le mot de « sobriété », n’est pas seulement un programme anticapitaliste, c’est aussi un chemin rapide pour en finir avec la démocratie ».
Avec Kristalina Georgieva et Dominique Reynié, on comprend que les résistances à la fragmentation du commerce mondial et à la tentation « altruiste autoritaire » ont de bons défenseurs.
Devra-t-on choisir entre sauver la planète et sauver la démocratie ?
Un bon débat…démocratique, qui nous concerne tous, nous citoyens.
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