Narcisse blessé par l'intelligence artificielle
25 septembre 2023
On connaît Narcisse, qui, dans la mythologie grecque, adore admirer son reflet dans un lac, à tel point qu’il finit par tomber dedans et s’y noyer.
De là vient l’adjectif « narcissique », qui désigne une personne qui s’aime de manière démesurée, du moins en apparence.
C’est Freud, dans son « Introduction à la psychanalyse » (1916), qui parle alors de « blessure narcissique » pour évoquer les détériorations de l’amour que nous avons pour nous-mêmes.
Freud évoque en fait l’humanité tout entière qui se serait vu infliger par la science trois blessures narcissiques, qui ont fait chavirer la conviction que l’Homme était au centre de l’Univers.
Première blessure : Non, nous dit Copernic, la terre n’est pas au centre de l’univers, mais ne forme qu’une parcelle insignifiante du système cosmique, dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur.
Deuxième blessure : Non, nous dit la recherche biologique, et Darwin, l’homme n’a pas une place privilégiée dans l’ordre de la création, et sa descendance animale démontre qu’il n’est qu’un animal parmi les autres.
Troisième blessure : C’est la psychanalyse, et donc Freud, qui nous montre que «Le Moi n’est pas maître dans sa propre maison », et que cette maison, autrement dit la psyché humaine, est régie par l’omnipotence de l’inconscient. Même si certains ont fait remarquer que la psychanalyse n'était peut-être pas tant une science que ça.
Mais on est peut-être confronté aujourd’hui à une quatrième blessure narcissique.
Quelle est donc cette quatrième blessure narcissique ?
C’est l’hypothèse de Catherine Malabou, philosophe experte de Hegel et des neurosciences : L’intelligence artificielle est la quatrième blessure narcissique de l’humanité, en venant challenger l’homme sur ce qu’il pensait exclusif de sa personnalité, son intelligence. L’intelligence artificielle est « la capture de l’intelligence par sa propre simulation ».
Elle exprime l’évolution de sa pensée dans les quelques lignes de la préface de l’édition 2021 de son ouvrage, « Métamorphoses de l’intelligence » :
« Il m’a fallu beaucoup de temps pour parvenir à appréhender lucidement mais avec une relative sérénité les métamorphoses de l’intelligence. A travers elles, je retrace mon propre parcours. J’ai moi aussi résisté au devenir artificiel. J’ai moi aussi longtemps opposé la plasticité du cerveau à la rigidité de la machine. Je reconnais aujourd’hui mes erreurs et pose un regard nouveau sur cette opposition qui, du même coup, tend à s’effacer ».
Pour elle, nous devons aujourd’hui accepter cette quatrième blessure narcissique et réinventer une nouvelle forme de confiance en la machine, pour créer les coopérations et accepter de perdre le contrôle, et passer à une « construction démocratique de l’intelligence collective » où la machine a aussi sa place.
Dans cette construction, la frontière historique que l’on mettait entre intelligence humaine et IA est en train de disparaître. Et il ne s’agit d’en avoir peur mais de trouver ces nouvelles coopérations.
Pour Catherine Malabou, Laurent Alexandre et Harari se trompent :
« Laurent Alexandre, Harari et son livre Homo Deus… Ces gens-là ne font qu’écrire et dire ce que la foule veut entendre. Or, je ne pense pas qu’on puisse écrire quoi que ce soit de pertinent à partir d’une sorte de peur. La peur n’est jamais un moteur intellectuel. Il vaut mieux essayer de comprendre la complexité plutôt que d’agiter les peurs. »
La 4ème révolution industrielle sera celle qui comprendra cette complexité.
Commentaires