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Un terrain dans le Metaverse

MetaverseterrainLes technologies de l’information, ce sont aussi des technologies de la communication. La promesse initiale de l’internet, et aujourd’hui celle des réseaux sociaux, c’est de pouvoir connecter les gens et pouvoir communiquer facilement et instantanément avec des tas de gens sur la planète. C’est ce qu’on a appelé le « village global ». C’est devenu une habitude normale. Ce que ces technologies ont aussi permis, c’est de créer des communautés, des mondes qui n’existent pas, à partir de rien, en dehors de tout Etat ou structure institutionnelle organisée. Cette promesse, et cette possibilité, est amplifiée avec le metaverse, qui permet de faire exister des plateformes, des espaces, où l’on peut se rencontrer et échanger dans un univers virtuel, comme dans un nouveau monde, avec notre avatar.

Un metaverse qui fait parler de lui en France est The Sandbox, avec la particularité d’avoir été créé par des Français, et dont un des fondateurs, Sébastien Borget, est aujourd’hui le COO.

A l’origine, The Sandbox est un studio de jeu vidéo créé en 2012 (dix ans déjà !). Il permettait aux joueurs de créer leurs propres mondes, et de participer à des challenges. En 2018, The Sandbox est acheté par Animoca Brands, une entreprise de jeu de Hong-Kong. C’est à la suite de cette acquisition qu’est développée la version actuelle de The Sandbox, en s’appuyant sur la cryptomonnaie Ethereum. Ceci permet alors de fournir un environnement virtuel où les joueurs peuvent créer, posséder, et vendre leurs expériences de jeu. Le but de The Sandbox est d’introduire la blockchain dans les jeux, séduisant les joueurs avec les bénéfices apportés par la propriété, la rareté des objets digitaux, les possibilités de monétisation, et l’interopérabilité inter-jeux.

The Sandbox a créé la plateforme permettant aux joueurs et aux créateurs de jeux d’acheter et d’échanger des NFT et actifs numériques, créant aussi un intérêt pour les investisseurs. Elle fonctionne avec une blockchain et cryptomonnaie propre à l’univers, le Sand. En 2019, The Sandbox a levé 2 millions de dollars auprès d’un groupe d’investisseurs, puis 2 millions supplémentaires en 2020, et enfin 93 millions de dollars en 2021, notamment auprès de Softbank.  

Depuis deux ou trois ans, la plateforme a attiré, non seulement des joueurs, mais aussi des marques qui ont acheté des parcelles, avec l’idée de développer de nouvelles expériences pour marketer leurs marques. Le principe est de vendre des « terrains », correspondant à des « tokens », qui représentent un morceau numérique dans la carte de la plateforme. Les joueurs peuvent acheter des « terrains » pour y créer des expériences et des jeux, qui sont les « actifs » du « terrain ». On peut aussi fusionner des « terrains » pour en faire des « estates », qui permettent aux propriétaires d’y créer de plus grandes expériences plus immersives. Le nombre de « terrains » sur The Sandbox est limité à 166.464, chaque « terrain » étant constitué d’une surface de 96*96 mètres. Ces « terrains » peuvent ensuite être commercialisés comme des NFT, sur The Sandbox, ou sur des plateformes externes de vente de NFT (comme OpenSea ou Rarible). Aujourd’hui, 70% des terrains ont déjà été vendus, et The Sandbox prend une commission de 5% sur chaque revente dans le marché secondaire, qui est majoritaire maintenant. Pour comprendre l’engouement du concept, il suffit de noter que la vente primaire de Janvier 2022, qui a offert 61 terrains (à un prix de 1000 Sand, soit 5.000 dollars) et 95 « terrains premium » (à un prix de 4.500 Sand / 22.000 dollars) a été totalement vendue en…deux secondes ! (Source : CFTE – Center for Finance, Technology and Entrepreneurship). Car les ventes primaires de terrains par The Sandbox ne se font qu’à certaines périodes (les « Raffles »). Sinon, il faut aller les acheter sur le marché secondaire, via des plateformes comme OpenSea.

Acheter des « terrains » sur The Sandbox est plus simple que d’acheter un terrain dans le monde physique : tout se fait en un clic, sur OpenSea. Mais c’est aussi plus complexe, car contrairement aux achats d’immobilier dans le monde physique, il n’y a pas de tiers de confiance représenté par un avocat pour certifier la provenance du terrain que l’on achète, ou que la vente est légitime. D’où les arnaques et piratages qui peuvent être fréquents dans ce monde des NFT, venant de logiciels malveillants qui peuvent faire croître ou décroître les prix avec de fausses transactions. Ceci n’est pas spécifique à The Sandbox, mais constitue un risque général pour les NFT.

Malgré ces risques, le montant des achats de terrains sur The Sandbox a fortement augmenté en 2021 encore. D’après l’étude du CFTE (Center for Finance, technology and Entrepreneurship),les plus gros acheteurs parmi les marques sont des entreprises de médias, de jeu, ou de marketing. Mais il y a aussi Carrefour, Alexandre Bompard, leur CEO, ayant déclaré qu’il allait faire passer des entretiens d’embauche dans le metaverse. Ce qui lui a valu une quantité de commentaires railleurs dans les réseaux sociaux sur la pauvreté esthétique de son magasin virtuel. Et le terrain de 36 hectares acheté par Carrefour pour 120 Ethereum (soit 300.000 euros) est toujours vide.

De nombreuses marques achètent en fait des terrains sans trop savoir ce qu’elles vont en faire, victimes du syndrome « FOMO » (Fear Of Missing Out), la peur de manquer quelque chose. Et le prix des terrains varie en fonction de la proximité du terrain d’une marque connue. Ainsi le rappeur Snoop Dog, qui a acheté un terrain pour y créer un « Snoopverse », a suscité un attrait particulier pour les terrains à proximité qui se sont vendus jusqu’à 450.000 dollars.

The Sandbox a enregistré un chiffre d’affaires de 180 millions de dollars en 2021. Sébastien Borget déclarait récemment à Challenges que la carte Sandbox est aujourd’hui valorisée 1,4 milliards de dollars, et que les transactions sur les terrains ont représenté en 2021 un volume de 500 millions de dollars. Même si la fréquentation de la plateforme reste modeste encore : environ 39.000 visiteurs uniques par jour, et 201.000 par mois. Tout l’enjeu est maintenant de faire revenir les utilisateurs, en gamifiant le maximum de choses, telles que, toujours selon Sébastien Borget, « des quêtes, de la socialisation avec des rencontres ou une exposition de NFT ».

Le metaverse sera-t-il Top ou Flop ? Et quelle sera la stratégie de développement de The Sandbox pour le futur ?

La question reste ouverte, avec les pour et les contre, qui, sans rien y connaître particulièrement, nous donnent leurs pronostics.

En attendant, pour acheter un terrain dans The Sandbox, vous pouvez suivre les tutos qui vous expliquent tout.

Par contre il ne semble pas y avoir de « Black Friday » pour ces ventes.

A suivre.


Pourquoi je n'arrive pas à vendre plus ?

FruitsC’est une histoire, un témoignage, que l’on entend souvent.

Vous avez créé un produit, vous pensez qu’il est formidable, il y a déjà quelques clients. C’est le début de l’aventure de start-up.

Mais voilà, pour trouver les clients suivants, on se heurte à « Mais vous êtes trop fragiles, revenez quand vous aurez trois ans d’ancienneté, et plusieurs clients », « je ne peux pas vous acheter votre produit, car je ne veux pas que mon entreprise représente 80% de votre chiffre d’affaires », « j’ai déjà un produit qui fait un peu la même chose, et ça me suffit, le vôtre n’est pas nécessaire pour moi, il est trop bien en fait », « Montrez-moi comment les autres qui me ressemblent l’utilisent, et je vous dirai ; Ah, vous n’avez pas d’exemples dans mon domaine, j’hésite alors, revenez plus tard quand vous l’aurez »…

 Pourtant vous avez fait un business plan du tonnerre ; vous avez estimé le marché mondial à plusieurs milliards d’euros, et en imaginant que vous alliez en prendre 0,5%, vous avez déjà imaginé un chiffre d’affaires de vainqueur. Malheureusement, avec vos trois petits clients, pour le moment, vous n’y êtes pas. Ça bloque.

Ce que vous connaissez à ce moment, c’est ce fameux « chasm » théorisé par Geoffrey A ; Moore dans son ouvrage de référence, «Crossing the chasm », dont j’ai du conseillé la lecture de nombreuses fois à des entrepreneurs comme vous. Il a beau dater de plus de vingt ans, il reste très valable, et utile, aujourd’hui.

J’avais déjà évoqué ICI cette thèse. Car, à partir du moment où la start-up a acquis quelques clients, il lui faut changer complètement de stratégie pour conquérir le gros du marché, ceux qui veulent des références, de l’ancienneté, de l’assurance, et c’est là qu’est le « chasm » ; il y a un saut à faire.

Le principe pour traverser ce chasm, selon Geoffrey A. Moore, c’est d’attaquer une cible la plus précise et nichée possible, ce qu’il appelle le « D-Day », en référence à l’attaque des alliés sur les côtes de Normandie le 6 juin 1944. Le pire serait de courir partout, pour vendre à n'importe qui, en tapant au hasard un maximum de clients ( faire des messages toute la journée sur Linkedin par exemple). Echec assuré, selon Geoffrey A. Moore. 

Et pour réussir ce D-Day, il faut bien choisir le point d’attaque.

Déjà, première recommandation de Geoffrey A. Moore : Oubliez ce calcul de 0,5% du marché qui vous excite. Vous parlez d’un marché qui n’existe pas ou qui est en mouvement, et vous parlez de clients très génériques, que vous ne connaissez pas. Vous n’irez nulle part.

Au contraire, pour définir le point d’attaque et donc votre stratégie de conquête, il ne s’agit pas d’analyser des segments de marché un peu vagues, mais de cibler un profil réel de client potentiel à explorer et démarcher.

Il n’y a pas de démarche complètement standard, et il est conseillé de faire appel à ce que Geoffrey A. Moore appelle « l’intuition informée ».

Et il nous donne les quatre facteurs les plus importants pour traverser le chasm avec le plus de chances.

Facteur 1 : le client cible

Y-a-t-il un acheteur économique unique, identifiable, pour votre offre, que vous pouvez atteindre par le canal de vente que vous prévoyez de mettre en place, et suffisamment solvable pour payer le prix de votre offre, et de tout ce qui va avec ? (ce que Geoffrey A. Moore appelle « the whole product « , c’est-à-dire votre offre et les équipements ou services complémentaires qui vont avec).

Facteur 2 : Une vraie raison d’acheter, et maintenant

Votre offre a été conçue pour répondre à un problème identifié. Est-ce que le problème que va résoudre votre offre a un sens économique suffisant, et urgent, pour ce client-cible ?

Si c’est un client pragmatique qui considère qu’il peut encore vivre un an ou deux, voire plus, avec ce problème, il le fera. Il restera peut-être intéressé par votre offre, en souhaitant même mieux la connaître. Vos vendeurs (ou vous-même si c’est vous le vendeur) vont alors le rencontrer de nombreuses fois, mais ils ne reviendront jamais avec un bon de commande. Ce client-cible vous dira sûrement que votre présentation est formidable et intéressante, il apprendra plein de choses, mais il n'achètera rien.

Facteur 3 : Le produit complet (« The whole product »)

Pouvez-vous apporter, avec l’aide de partenaires et d’alliés, une solution complète pour répondre à la raison profonde du client-cible pour acheter votre offre dans les trois prochains mois, vous permettant d’être complètement dans le marché d’ici la fin du prochain trimestre, et d’occuper une place dominante d’ici douze mois ?

« Crossing the chasm », c’est une course. On a besoin de problèmes de clients que nous pouvons résoudre maintenant, et vite. Si ça traîne trop, il faut changer de cible, et tout revoir.

Facteur 4 : La concurrence

Est-ce que le problème que vous adressez a déjà été traité par une autre entreprise, peut-être même une entreprise qui a, elle, déjà traversé le chasm, et qui occupe donc déjà tout ou partie de la place que vous souhaitez occuper aussi ?

Si c’est vraiment le cas, ce n’est pas un bon signe pour vous ; et si on ne peut pas lutter, il faut mieux sortir et fuir. C'est aussi le 36ème des 36 stratagèmes.

C’est pourquoi, encore une fois, il faut aller vite pour traverser le chasm. Sinon on risque de perdre à tous les coups.

Ou alors il faut faire pivoter l’offre pour reprendre l’avantage avec peut-être même, une nouvelle cible.

Geoffrey A. Moore considère que si la cible choisie obtient une mauvaise note dans un seul de ces facteurs, ce n’est pas la bonne cible. Il conseille de choisir les cibles qui obtiennent un bon score dans tous les quatre facteurs.

Ces quatre facteurs sont indispensables, mais, bien sûr, pas suffisants, pour réussir. Le livre de Geoffrey A. Moore en contient encore plein.

Vous avez une offre, un produit, une idée de start-up, un début de business, quelques clients, mais pas assez, et vous voulez aller plus vite et atteindre les clients mainstream, pour traverser le chasm ?

Relisons les quatre facteurs, encore et encore.

Avec aussi un peu d'intuition. Si c'était les livres de management qui faisaient réussir les entreprises, ça se saurait.


Quand un vicomte ne rencontre pas un autre vicomte...

Chevalier«  Quand un vicomte rencontre un autre vicomte… » ; On connaît la chanson de Maurice Chevalier : « Qu’est-ce qu’ils s’racontent ? Des histoires de vicomtes ».

Alors si on ne veut pas s’enfermer dans nos histoires de vicomtes, toujours les mêmes, il est bon de mélanger et de diversifier un peu plus nos cercles de discussions et nos rencontres.

C’est exactement l’idée d’une grande entreprise qui m’a invité à participer à un « groupe de réflexion » autour du thème de l’expérience et de la relation client. Nous étions une dizaine, une coach, un chercheur, des experts Innovation de grands groupes, un start-uper de la blockchain, un expert en I.A, un « Chief Scientific Officer », un analyste d’un institut de recherche Marketing, une « Head of B2C&CX », tous d’entreprises différentes, des femmes et des hommes, peut-être pas assez de jeunes.

Le succès est aussi dû aux qualités de l’animateur, bienveillant, ne donnant pas trop de règles, pour laisser les échanges s’improviser et les idées circuler entre les participants, assis sur des fauteuils confortables, en cercle, sans table ni bureaux.

Ce fut un bon moment.

Et de quoi avons-nous parlé, alors ?

L’analyste Marketing ouvre le bal avec le résultat d’une enquête qui montre que, quand on interroge les Directeurs Marketing sur leurs « top priorités » pour 2022 pour leur Département Marketing, ils répondent, en premier ( 34% des réponses) que c’est le focus sur la marque Employeur et l’expérience collaborateur. C’est l’expérience collaborateur qui fait l’expérience client ; on l’a déjà entendu avec ce que l’on a appelé la « symétrie des attentions », ce n’est pas nouveau, mais que les Départements Marketing client en fassent une priorité, voilà du grain à moudre.

Ça part un peu dans tous les sens, avec cette histoire d’expérience collaborateurs ; on parle de l’importance de l’attitude des collaborateurs dans un Groupe hôtelier, et de la difficulté d’avoir prise quand ce sont des collaborateurs des franchisés ; il faut trouver les bons leviers pour être influents sans diriger. On va évoquer le « besoin de sens » des jeunes ; Mais « le sens, ça ne veut rien dire ! » nous dit la coach. Ouch ! Et ça repart. La balle circule.

Heureusement, l’animateur est là pour réorienter et relancer les questions.

Forcément, on parle de technologies.

Le metaverse, on y est ou on n’y est pas encore. Les avis sont partagés (dans l’enquête Marketing déjà citée, « créer une stratégie pour le metaverse » vient en avant-dernier pour les Top 10 priorités).

La Blockchain, c’est une vraie révolution, cette capacité à rendre unique un actif numérique, c’est permettre d’apporter plus de confiance aux utilisateurs, en créant des infrastructures de confiance, pour stocker son identité numérique, et le reste, dans son smartphone. Fini les porte-monnaie en cuir dans nos poches (on fait le test : qui a encore un porte-monnaie en cuir dans sa poche ?).

Oui, mais la blockchain c’est aussi la consommation d’énergie pour une transaction de bitcoin qui équivaut à 1 million de transactions VISA. Ouch ! On est reparti dans la discussion.

De la technologie, on passe aux données. C’est le cœur de l’innovation client ? La loi RGPD a eu une vertu éducative pour nous rendre compte de la valeur de la donnée, et de l’enjeu de s’approprier la manière dont elle est utilisée. Pour le moment, les données sont exploitées par les opérateurs sans qu’on sache toujours très bien comment. L’un des participants nous l’a dit « Je hais Facebook, et n’y suis pas ! ».

Aujourd’hui, en termes de consommation d’énergie et d’usage des données, on n’est pas confortable (un participant nous dit « on est dans la m… »). Y-a-t-il de quoi s’inquiéter ? Oh, que non ! ; c’est dans ces moments où ça ne va pas que les innovations de rupture surgissent et relancent le jeu. A nous d’innover et d’être dans le jeu (ça me rappelle le livre de Simon Sinek, «  the infinite game »).

Mais pour innover, comment faut-il faire ? Sûrement pas en restant enfermés dans les bureaucraties des grands groupes ; mais en créant des structures libres, comme des start-up à l’intérieur des grandes entreprises, avec une structure « hyper flat », qui apprennent à échouer et à changer de projet quand ce n’est pas le bon (dans la Silicon Valley, 95% des projets échouent, donc ce chiffre de 5% de réussites est à garder en tête).

Et puis, pour garder les bons collaborateurs, on en revient au management, surtout le « management de proximité », qui fait la différence et nourrit le collaborateur qui se pose aussi des questions : Est-ce que cette entreprise, ce travail, contribue à quelque chose qui me motive dans la société ? Et est-ce que l’on m’écoute, est-ce que je compte dans cette entreprise ?

Au bout de trois heures de discussions, on arrête.

Une belle expérience, on a appris plein de choses, on a découvert de nouvelles idées et de nouvelles personnes. On repart avec une envie d’innover et de faire partie du jeu, chacun selon sa place.

Pourquoi les entreprises ne font-elles pas ça plus souvent ?

On se retrouve dans un mois ; Hâte d’y être.

Sans vicomtes, ni marquises...

 


Huit milliards de vendeurs qui nous aiment

VendeursDans le roman « Control », de PW. Singer et August Cole, l’un des protagonistes commercialise des données très chères qu’il a obtenu gratuitement, comme il le dit :

« Nous en savons plus sur les Américains que leur propre gouvernement. Des capteurs dans Ieurs Viz Glass (des lunettes connectées). Des capteurs dans leurs médicaments contre les brûlures d’estomac. Des implants dans leurs maisons. Des implants dans leurs reins. Des puces dans leurs chats. Des puces dans leurs puces. Le tout analysant ces données au sein d’un réseau en expansion constante et rendant compte de tout et n’importe quoi sur le cloud. Nous pouvons alors recouper et exploiter ces informations quasi infinies jusqu’à acquérir une connaissance que les gens n’imaginent pas dans leurs rêves les plus fous. Dans leurs rêves les plus dérangeants, même, des révélations sur leur profil psychologique, leur personnalité, à tel point que l’algorithme en sait davantage sur eux qu’ils n’en savent eux-mêmes. Et si nous facturons aux entreprises les fruits de cette récolte, les gens nous donnent tout cela gratuitement. Non seulement ce qu’ils font et pensent, mais les moyens de changer ce qu’ils font et pensent. Ils nous donnent le contrôle de leur vie, sans réserve, en échange d’un libre accès à des services et à des biens que nous leur faisons payer au prix fort… ».

Roman de science-fiction ?  

Oui, et non, car ces technologies et ce qu’elles permettent, ainsi que les comportements des consommateurs, cela existe déjà aujourd’hui ; le meilleur exemple est la prolifération de ces « assistants personnels » tels Alexa (Amazon) ou Google Assistant. Les analystes prévisionnistes de Juniper Research prévoient que ces assistants seront 8 milliards d’ici 2023, soit plus nombreux que la population sur Terre !

Cette prévision n'est peut-être pas totalement réaliste. Un expert que j'ai consulté m'a indiqué que l'équipement est de 35 millions aux Etats-Unis aujourd'hui, et devrait être à 200 millions en 2023.

Indépendamment du chiffre, l’étude prévoit que le développement de ces assistants personnels affectera négativement le marché des applications mobiles, car les interactions que nous avons avec les applications mobiles seront remplacées par des conversations avec les assistants vocaux, et feront donc diminuer notre temps d’écran.

Et certains y voient déjà, et le roman de PW Singer et August Cole met bien le doigt dessus, une forme de conflit d’intérêt.

En effet, est-ce que cet assistant vocal est là pour nous assister dans notre vie quotidienne, ou bien pour nous pousser à acheter, avec des méthodes très persuasives, grâce aux données collectées et achetées par les vendeurs. Hello, il fait froid aujourd’hui, que dirais-tu de t’acheter un joli pull à col roulé ; veux tu que je t’en propose quelques-uns ? Le même que tu as regardé hier sur le site de cette marque. Ou le même que Bruno le Maire dans ce tweet que tu as « liké ».

Pour l’instant, les assistants personnels sont encore utilisés pour des tâches très simples (une étude a révélé que 20% des utilisateurs faisaient usage de leur assistant vocal pour faire bouillir un œuf); mais on les utilise aussi pour consulter la météo ou écouter de la musique.

Les usages vont se multiplier avec leur développement, pour se distraire et pour acheter, un voyage, un service, une voiture. 8 milliards d’assistants personnels, ce seraient en fait 8 milliards (ou peut-être moins) de vendeurs qui vous harcèlent sans que vous vous en rendiez compte.

Alors, pour répondre à ces conflits d’intérêts, les prévisionnistes imaginent plusieurs scénarios.

On peut imaginer une auto-régulation par les entreprises comme Amazon ou Google qui décident de séparer les activités d’assistant vocal de e-commerce, en créant des filiales séparées pour ces deux activités. Ou bien au contraire la prolifération des vendeurs( ayant acheté les données des assistants vocaux) pour pousser de plus en plus d’offres de produits et services dans ces 8 milliards d’appareils à des consommateurs sous influence, sans qu’ils s’en aperçoivent.

On peut aussi croire que les régulateurs et les gouvernements vont agir. Mais la question demeure : Quand et comment ? Les premières régulations concernent la protection des enfants, avec les systèmes de contrôle parental sur certains services et streaming. Mais pour le reste, il va falloir encore inventer, et peut-être même que les consommateurs ne voudront pas être ainsi contrôlés, trop contents de pouvoir se voir proposer des tas de trucs utiles ou inutiles dont ils seront convaincus d’avoir vraiment besoin, grâce à la gentille Alexia.

Les auteurs du roman disent avoir écrit cette fiction pour nous aider à réfléchir et à affronter les enjeux de ces nouvelles technologies dans ce qu’ils appellent « la vraie vie ».

Mais peut-être demanderons-nous aussi à Alexa ou Google Assistant ce que nous devons en penser et quoi faire.


Le pouvoir : le jeu des zones d'incertitude

PouvoirComprendre une organisation, y repérer ce qui ne marche pas, pour un dirigeant, ou apprendre à y manœuvrer pour progresser et y réussir, cela ne consiste pas à observer l’organigramme, les procédures, ou les règles et processus. C’est plutôt aller voir ce qui constitue les « relations de pouvoir » entre les acteurs.

C’est ce que l’on apprend en lisant un livre référent de la sociologie des organisations, « L’acteur et le système », de Michel Crozier et Erhard Friedberg (1977), et qui reste riche d’enseignements.

Ces « relations de pouvoir » sont appelées des « jeux » par les auteurs, et constituent un mécanisme concret grâce auquel les hommes structurent leurs relations de pouvoir et les régularisent.

Dans une organisation, il y a des règles et des structures qui contraignent les acteurs, mais il subsiste toujours ce que Crozier et Friedberg appellent des « zones d’incertitude » où je peux décider moi-même de mon comportement, et ce sont précisément ces « zones d’incertitude » qui déterminent le pouvoir. Car c’est celui qui maîtrise ces « zones d’incertitude » à son avantage qui acquière du pouvoir, voire se rend irremplaçable, et crée une forme de dépendance des autres à son égard. C’est une vision très politique de l’entreprise que nous propose ainsi Crozier et Friedberg. Cela reste d’actualité, car dans toute entreprise on trouve ces terres inconnues que les acteurs cherchent à s’approprier.

Ces zones d’incertitude se situent dans des faces cachées du pouvoir officiel, représenté par l’organigramme et les rôles et responsabilités formels. Elles concernent les informations « non officielles » qui ne passent pas par les canaux traditionnels , ou bien des compétences « implicites » qui ne sont pas formalisées mais que l’on acquière par la pratique de l’entreprise, et non par des formations.

Bin sûr, on va s’approprier ces zones au fur et à mesure que l’on reste dans l’entreprise. Imaginons ce nouvel embauché qui arrive à son nouveau poste dans l’entreprise, même à un poste élevé dans la hiérarchie. Au début, il ne maîtrise pas ces zones, et va être très dépendant de son supérieur hiérarchique, et des dirigeants. Il est substituable, et a donc un faible pouvoir dans l’entreprise, à part le rôle qui lui a été attribué.

Et puis, au fur et à mesure, il va être de moins en moins substituable. Sa compétence et son habitude de l’entreprise et de ses activités va lui permettre d’apporter des réponses à des questions complexes, et, dans certains cas, d’être un des seuls ou le seul à pouvoir les résoudre. C’est alors que les responsables hiérarchiques et les dirigeants ont de plus en plus besoin de lui, et donc son pouvoir grandit. Et ainsi, au fur et à mesure, son pouvoir organisationnel augmente et accroît sa capacité de négociation dans l’organisation. Le « jeu » consiste à identifier et exploiter au maximum les « zones d’incertitudes » pour en faire des opportunités de prise de pouvoir. La stratégie consiste à se préserver un espace de liberté que les autres ne maîtrisent pas, et d’en faire un espace où son comportement est imprévisible. Pour accroître son pouvoir organisationnel et diminuer celui des autres, il s’agit donc d’accroître le degré de prévisibilité de l’environnement, et de l’anticiper (en interne comme en externe), et inversement de se rendre le plus imprévisible et surprenant pour les autres.

Dans des environnements d’entreprise de plus en plus incertains, que l’on connaît aujourd’hui, les zones d’incertitudes, telles que définies par Crozier et Friedberg, ont tendance à se multiplier, rendant de plus en plus autonomes les collaborateurs, et donc le « pouvoir organisationnel » s’en trouve beaucoup plus réparti dans l’organisation.

De quoi activer et renforcer les « jeux de pouvoir » dans des proportions encore plus importantes que celles anticipées par les auteurs.

Le conseil de Michel Crozier et Erhard Friedberg pour progresser dans son entreprise, ou son organisation, et y accéder à des échelons hiérarchiques plus élevés, voire au poste de Direction Générale : Être politique en identifiant les « zones d’incertitudes » pour maîtriser les « jeux de pouvoir » et accroître son « pouvoir organisationnel ».

Qui veut jouer ?


L'humanité est-elle périmée ?

Singe2L’intelligence artificielle, c’est le sujet qui donne envie et soif de progrès technologiques, avec toutes les opportunités dans la santé (diagnostics de maladies, prévention, soin), ou pour augmenter les capacités de l'homme en général ; Mais c'est aussi le sujet qui fait peur, notamment d’être hypersurveillés, ou remplacés par des robots.

C’est le thème du roman de deux auteurs américains, Peter Singer, consultant pour le Département d’Etat US, et August Cole, un des organisateurs du Pentagon Next Tech Project, « Control ». C’est un thriller qui vise aussi à nous montrer que « L’ère de l’IA et de l’hypersurveillance a déjà commencé ».

Car si l’histoire est une fiction, toutes les technologies et outils qui y sont évoqués sont bien réels et existent tous déjà. Le livre montre leur utilisation au maximum, et comprend une annexe de notes qui renvoient à des publications ou liens web sur les technologies évoquées.

Et alors, à lire tout ça, certains pourront avoir peur en effet. L’histoire est celle d’un agent du FBI assisté dans ses activités par un robot qui analyse en temps réel un grand nombre de données. L’agent FBI et les acteurs du roman sont équipés de montres connectées, mais aussi de lunettes connectées permettant d’analyser l’environnement en temps réel. Et on peut voir la différence entre ceux qui sont équipés de ce genre de lunettes et ceux qui en sont restés au smartphone : « Les plus âgés et les plus pauvres avançaient tête basse, le nez sur leur écran, tandis que le territoire virtuel était l’apanage des jeunes et des plus riches qui embrassaient l’espace d’un regard vide, plongés dans une réalité personnalisée via leurs Viz Glass ».

Avec ces technologies et ces outils, l’homme devient un « homme augmenté » en coopération permanente avec le robot. L’agent du FBI est accompagné par un de ces robots, qui devient son assistant (jusqu’à ce que soit l’inverse ?) et apprend en même temps qu’il suit et aide l’agent dans ses tâches. Ce robot devient le complément de l’homme pour le rendre plus efficace et plus fort.

On rencontre aussi dans ce roman ceux qui veulent se dissimuler des outils de surveillance : «Le look de cette jeune fille n’était qu’un simple déguisement antisystème. Les cheveux décoiffés et un maquillage réfléchissant asymétrique capable de dérouter les caméras de reconnaissance faciale – dans son cas, une figure géométrique à sept côtés sur la joue gauche, et la moitié d’un damier sur la droite. Des boucles d’oreilles rondes, en verre bleu, avec un étrange motif gravé dessus, très probablement une sorte d’image contradictoire destinée à tromper les logiciels de reconnaissance des objets en leur faisant croire qu’ils voyaient une grenouille ou une tortue ». Ces techniques de piège existent bien.

Mais on trouve aussi, bien sûr des écrans sur les réfrigérateurs qui vous indiquent sans ouvrir la porte ce qu’il y a à l’intérieur, et ce qu’il faut réapprovisionner.

Les robots sont partout, même dans un « club libertin robotique » où l’on peut faire plein de choses avec des robots à image humaine ou non, et même leur taper dessus pour les détruire et assouvir une violence rentrée (ça rappelle la série Westworld).

L’intelligence artificielle a aussi déjà perturbé les emplois. Un des personnages a fait des études d’avocat, mais n’a plus de travail, car, pour régler les litiges, et définir les résultats d’un procès éventuel, l’intelligence artificielle fournit le résultat certain, donc plus besoin d’avocat ou de procès dans la plupart des cas. Le personnage s’est reconverti dans des séances d’écoute par téléphone de personnes âgées solitaires qui s’ennuient.

A la fin du roman les auteurs expliquent leur démarche : « Ce roman s’attaque à des problèmes bien réels auxquels nous seront confrontés dans les années à venir ». Le but du livre est « d’encourager la réflexion autour des épineux problèmes liés aux rapports entre nouvelles technologies et société, qui ne seront bientôt que trop réels ».

Ils considèrent que grâce à la fiction et aux notes, qui permettent d’en apprendre davantage au sujet de telle ou telle technologie, nous nous sentirons « investi d’un nouveau savoir à l’heure d’affronter ces enjeux dans la vraie vie ».C’est plutôt réussi, et la lecture de ce roman en vaut la peine, pour mettre à jour nos savoirs.

Qu’en penser alors ?

Cette histoire d’ « homme augmenté », c’est aussi le sujet d’un petit livre aux éditions de l’aube ( « L’homme augmenté – cyborgs, fictions, metavers ») avec des contributions de divers auteurs. Jean-Michel Besnier, philosophe et professeur émérite à Sorbonne-Université, nous aide à prendre de la hauteur sur le phénomène, en interrogeant le "portrait du transhumaniste"

En bon philosophe, il commence par la thèse (accrochez-vous) : « A la sélection naturelle du plus viable succède ainsi la sélection du plus fort grâce aux technologies et, de cette relève, nous pouvons espérer l’émergence de l’espèce la mieux adaptée. On l’aura deviné : notre humain augmenté se fait fort d’anticiper cette émergence, et son triomphe consacrera bientôt l’obsolescence de l’humain, resté étranger aux sophistications techniques… Quelques technophiles échevelés donnent déjà le ton : il est grand temps de choisir entre l’humain et le chimpanzé ! Ou bien l’aventure qui propulsera une espèce héritière de l’hybridation de l’humain et de la machine, ou bien le parc zoologique qui abritera les derniers spécimens d’une humanité périmée… ».  

Doit-on y croire ? Voilà l’antithèse du philosophe :

« En attendant, je me demande si l’humain augmenté ne fait pas déjà le singe. Pas seulement avec ses gadgets : sa montre connectée, ses biocapteurs, son casque de réalité virtuelle ou ses exosquelettes, mais surtout avec ses refrains apocalyptiques évoquant la colonisation de l’espace ou le téléchargement du cerveau dans le cyberespace pour échapper à l’anéantissement ! La panoplie du transhumanisme s’enrichit au gré des innovations et des fantasmes qui les propagent sur le marché fréquenté par les nantis de la planète ».

L’auteur voit un signe avant-coureur de la tendance dans l’obsession de la santé parfaite que l’on constate aujourd’hui : « Il ne suffit évidemment pas d’être privé de maladie , encore faut-il attirer sur soi tout ce qui met l’existence à l’abri de l’usure et du risque associé au fait de vivre. La moindre ride sur le visage, l’apparition de taches sur les mains, les signes annonciateurs d’un surpoids sont déjà des offenses qui ne sauraient résister à la cosmétologie ou au fitness ».

Pour en conclure que « l’humain augmenté couve dans le nid bordé par les hygiénistes de tous poils. On le voit partout braver ses contemporains en exhibant son physique épargné, croit-il, par le vieillissement ».

Finalement, l’homme augmenté est-il plus libre ? Ou le contraire ?

«L’engouement pour l’homme augmenté signale la dernière version de la servitude volontaire : réclamer toujours davantage de moyens technologiques pour être un animal laborans efficace, proactif et infatigable…Faute de vouloir imaginer ce qui serait le mieux, on préfèrera encourager la production du plus, du toujours plus ! Non pas « améliorer » mais « augmenter… ». ».

Veut-on du plus ou du mieux ? Être libre ou en servitude ?

C’est l’homme qui décidera de l’avenir.

Ou est-ce déjà trop tard ?

La question reste ouverte.


Bonne chance, Monsieur Phelps...

MissionimpossibleC’est la première fois dans sa vie qu’il est Directeur Général d’une entreprise, depuis un an environ. Avant, il dirigeait une B.U -Business Unit) dans une entreprise un peu plus grande. Il s’est senti les mains libres pour mettre en œuvre la transformation qu’il a imaginée.

Il a eu une idée de transformation et de réorganisation dès qu’il est arrivé : il faut centraliser les fonctions support et les call centers, ainsi que la fonction planification ( c’est une entreprise de services, avec interventions d’installations et de maintenance sur tout le territoire). Il s’en est vite convaincu, car il a fait la même chose dans sa B.U précédente. Ce n’était pas la même entreprise ? Oui, mais « ça s’en rapproche ». Cela me rappelle cette star de chez Apple en action chez JCPenney, dont j’ai parlé ICI.

Et aujourd’hui, s’il me raconte tout ça, c’est qu’il a l’impression que les membres de son Comité de Direction ne le suivent pas assez, voire renâclent face à l’ambition qu’il a tracée. Et que dans l’entreprise et les directions régionales, ça suit pas comme il voudrait.

Voilà le dilemme. Pour changer une organisation faut-il imaginer le schéma par le haut, avec toutes nos convictions (ça permet d’aller vite, car on sait ce qu’il faut faire), ou bien partir du terrain, de ceux qui actionnent l’entreprise au plus près du client (mais ils sont fermés sur leurs habitudes, et n’arrivent pas à imaginer que l’on pourrait fonctionner autrement, avec plus d’efficacité et surtout de productivité et de marge) ?

Pourtant, il a l’impression d’avoir bien fait les choses : présentation du schéma et des objectifs à toute l’entreprise, réalisation d’une vidéo, tournée des régions ; les employés avaient l’air d’y croire. Et côté clients, les indicateurs de satisfaction ont l’air bons. Mais suffit-il de lire les indicateurs chiffrés pour comprendre tout ce qui se passe ?

Il me demande ce que je peux faire.

J’ai l’impression d’être au début d’un épisode de la série « Mission Impossible » : « Bonjour Monsieur Phelps, Votre mission, si toutefois vous l'acceptez consiste à détruire le mal. Si vous, ou l'un de vos agents, étiez capturés ou tués, le Département d'État nierait avoir eu connaissance de vos agissements. Bonne chance Monsieur Phelps. »

J’aime bien aller relire les auteurs de référence que les situations m’évoquent (et pas seulement « Mission Impossible », quoique).

Et justement, déjà, en 1977, Michel Crozier, dans « L’acteur et le système », qui entend analyser les modes d’actions collectives et ce qu’il appelle « le problème de l’organisation », se disait vouloir écarter un modèle de changement « qui sommeille en chacun de nous : celui du réformateur autoritaire, du despote éclairé, technocrate compétent et soucieux du bien supérieur de la collectivité, agissant au nom de sa connaissance rationnelle des problèmes ».

Pour Crozier, le changement « ne peut plus se définir comme l’imposition-ou la traduction dans les faits- d’un modèle a priori conçu au départ par des sages quelconques et dont la rationalité devra être défendue contre les résistances irrationnelles des acteurs, résistances qui ne seraient que l’expression de leur attachement borné aux routines passées ou de leur conditionnement par-et aliénation dans- les structures de domination existantes ».

C’est pourquoi Michel Crozier nous encourage à « jeter aux oubliettes une fois pour toutes cette vision du changement, elle aussi héritée du XIXème siècle. Le changement n’est ni le déroulement majestueux de l’histoire dont il suffirait de connaître les lois ni la conception et la mise en œuvre d’un modèle plus « rationnel » d’organisation sociale ».

Ce qu’il nous incite à faire, c’est « un processus de création collective à travers lequel les membres d’une collectivité donnée apprennent ensemble, c’est-à-dire inventent et fixent de nouvelles façons de jouer le jeu social de la coopération et du conflit, bref une nouvelle praxis sociale, et acquièrent les capacités cognitives, relationnelles et organisationnelles correspondantes. C’est un processus d’apprentissage collectif permettant d’instituer de nouveaux construits d’action collective qui créent et expriment à la fois une nouvelle structuration du ou des champs ».

Une des façons de s’y prendre, que nombreuses entreprises utilisent couramment aujourd’hui est par exemple, de remplacer le changement technocratique autoritaire par l’expérimentation, et sa généralisation et extension progressive, permettant un apprentissage collectif et institutionnel à tous les niveaux. C’est ce qui permet d’organiser les conditions qui vont permettre cette extension possible et efficace.  

Construire ou transformer une organisation, c’est surtout créer, Crozier nous l’enseigne, une forte perturbation. Car cette construction ne consiste pas à organiser des rapports simplement techniques, faire bouger des fonctions et activités d’un endroit à un autre, mais à instaurer des relations différentes entre les acteurs. Et ces relations sont des relations de pouvoir. Crozier est là pour nous rappeler que le fondement de l’action organisée est le pouvoir. Et dans une réorganisation, il y a redistribution des pouvoirs, pas toujours acceptée, et c’est ce qui explique aussi les tensions et les conflits.

Parler de l’organisation et de son acceptation, c’est ouvrir le sujet des relations de pouvoir dans l’entreprise. C’est tout l’objet de l’ouvrage « L’acteur et le système ».

Et quand on est allé trop vite, on peut encore faire quelque chose ?

Voilà une clé que nous fournit Michel Crozier pour aider dans cette « Mission Impossible ».

Bonne chance, Monsieur Phelps !


Efficacité énergétique : des tuyaux et des libéraux


TuyauxAmory Lovins, physicien et président fondateur d’un institut américain ( Rocky Mountain Institute) centre de recherche sur l’énergie, s’est rendu célèbre par ses propositions pour basculer dans l’efficacité énergétique sans subvention étatique, ni nouvelles lois. Son livre « Réinventer le feu », paru en 2011, fait des propositions pour faire cette bascule dans l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, pour les quatre grands secteurs les plus énergétivores : le transport, le bâtiment, l’industrie et la production d’électricité. Il vise ainsi à démontrer que ce sont les entreprises motivées par le profit qui peuvent conduire les Etats-Unis et le reste du monde à se passer complètement de pétrole, de charbon et de nucléaire d’ici 2050.

C’est toujours un ardent défenseur des économies d’énergie, il était interviewé par Perrine Mouterde dans Le Monde de ce 1er Novembre. Il y renouvelle sa conviction que des économies substantielles d’énergies peuvent être obtenues, de 10 à 20%, comme l’ont montré certains pays, et pas seulement avec de la technologie.

Il prend ainsi l’exemple de la fabrication des tuyaux, une histoire que l’on a déjà lue.

«  Aujourd’hui, plus de la moitié de l’électricité mondiale est destinée aux moteurs, et la moitié des moteurs font fonctionner des pompes et des ventilateurs qui déplacent des fluides dans des tuyaux et des conduites. Installer des tuyaux larges, courts et droits plutôt que minces, longs et tordus permettrait de réduire le phénomène de friction d’au moins 80% ou 90% et donc d’améliorer d’autant leur efficacité. Et c’est très simple : vous concevez de gros tuyaux et de petites pompes au lieu de longs tuyaux et de grosses pompes ! Si tout le monde faisait ça, nous pourrions économiser environ un cinquième de l’électricité mondiale, soit la moitié de l’électricité produite à partir du charbon ».

Et quand Perrine lui demande pourquoi on ne le fait pas ; la réponse est, elle aussi, simple : « Parce que ce n’est pas une technologie, or tout est organisé autour de la technologie ! C’est plutôt une méthode de conception : comment mettre les pièces ensemble. C’est facile à faire physiquement mais difficile à concevoir psychologiquement, parce que ce n’est pas ce que vous avez l’habitude de voir. Nous devons plier les esprits par les tuyaux ».

 Sauvera-t-on la planète en modifiant la fabrication des tuyaux ?

 L’originalité de l’approche d’Amory Lovins, c’est qu’il est convaincu que les réponses sont dans les mains des citoyens, des entreprises et de entrepreneurs, dans une vision libérale de la société, et non en appelant à des lois contraignantes, à des subventions ou à une gestion publique, voire même au contraire.

Ainsi, si on se pose la question de savoir pourquoi, au Danemark, les énergies renouvelables couvrent 80% des besoins en électricité. La réponse, selon Amory Lovins, c’est qu’il y a un réel engagement local : «la plupart des capacités éoliennes et solaires sont détenues par des individus, des coopératives ou des communautés. Si, à chaque fois que la turbine tourne, cela met des euros dans votre poche, ça aide ! ». Alors que si on compare avec le délai nécessaire en France pour obtenir les autorisations nécessaires pour installer des panneaux solaires sur les toits à Paris, on comprend que la bureaucratie d’Etat n’est pas au même niveau.

Autre dada d’Amory Lovins, depuis longtemps, c’est son opposition au nucléaire, qu’il appelle « une distraction » : « Chaque année, le monde installe des capacités de production électrique et en supprime d’autres. 95% de ces ajouts nets de capacités sont des renouvelables ; le nucléaire représente, les bonnes années, 0,5% ».

Autre démonstration contre la pertinence du nucléaire, avec un argument économique qui parle aux industriels et entrepreneurs : « Les analystes de Bloomberg New Energy disent qu’un nouveau kilowattheure nucléaire coûte cinq à treize fois plus cher qu’un nouveau kilowattheure solaire ou éolien. Cela signifie que lorsque vous achetez un kilowattheure nucléaire au lieu d’un kilowattheure solaire ou éolien, vous payez trois fois plus. Autrement dit, vous substituez de trois à treize fois moins de combustible fossile par euro, et vous le substituez plus lentement ».

Le procès est fait pour en conclure que le nucléaire n’est pas une solution efficace sur le plan climatique.

Ce n’est peut-être pas une mauvaise idée de lire, relire, et écouter Amory Lovins, y compris pour les écologistes et les gouvernements en Europe.