Efficacité énergétique : des tuyaux et des libéraux
02 novembre 2022
Amory Lovins, physicien et président fondateur d’un institut américain ( Rocky Mountain Institute) centre de recherche sur l’énergie, s’est rendu célèbre par ses propositions pour basculer dans l’efficacité énergétique sans subvention étatique, ni nouvelles lois. Son livre « Réinventer le feu », paru en 2011, fait des propositions pour faire cette bascule dans l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, pour les quatre grands secteurs les plus énergétivores : le transport, le bâtiment, l’industrie et la production d’électricité. Il vise ainsi à démontrer que ce sont les entreprises motivées par le profit qui peuvent conduire les Etats-Unis et le reste du monde à se passer complètement de pétrole, de charbon et de nucléaire d’ici 2050.
C’est toujours un ardent défenseur des économies d’énergie, il était interviewé par Perrine Mouterde dans Le Monde de ce 1er Novembre. Il y renouvelle sa conviction que des économies substantielles d’énergies peuvent être obtenues, de 10 à 20%, comme l’ont montré certains pays, et pas seulement avec de la technologie.
Il prend ainsi l’exemple de la fabrication des tuyaux, une histoire que l’on a déjà lue.
« Aujourd’hui, plus de la moitié de l’électricité mondiale est destinée aux moteurs, et la moitié des moteurs font fonctionner des pompes et des ventilateurs qui déplacent des fluides dans des tuyaux et des conduites. Installer des tuyaux larges, courts et droits plutôt que minces, longs et tordus permettrait de réduire le phénomène de friction d’au moins 80% ou 90% et donc d’améliorer d’autant leur efficacité. Et c’est très simple : vous concevez de gros tuyaux et de petites pompes au lieu de longs tuyaux et de grosses pompes ! Si tout le monde faisait ça, nous pourrions économiser environ un cinquième de l’électricité mondiale, soit la moitié de l’électricité produite à partir du charbon ».
Et quand Perrine lui demande pourquoi on ne le fait pas ; la réponse est, elle aussi, simple : « Parce que ce n’est pas une technologie, or tout est organisé autour de la technologie ! C’est plutôt une méthode de conception : comment mettre les pièces ensemble. C’est facile à faire physiquement mais difficile à concevoir psychologiquement, parce que ce n’est pas ce que vous avez l’habitude de voir. Nous devons plier les esprits par les tuyaux ».
Sauvera-t-on la planète en modifiant la fabrication des tuyaux ?
L’originalité de l’approche d’Amory Lovins, c’est qu’il est convaincu que les réponses sont dans les mains des citoyens, des entreprises et de entrepreneurs, dans une vision libérale de la société, et non en appelant à des lois contraignantes, à des subventions ou à une gestion publique, voire même au contraire.
Ainsi, si on se pose la question de savoir pourquoi, au Danemark, les énergies renouvelables couvrent 80% des besoins en électricité. La réponse, selon Amory Lovins, c’est qu’il y a un réel engagement local : «la plupart des capacités éoliennes et solaires sont détenues par des individus, des coopératives ou des communautés. Si, à chaque fois que la turbine tourne, cela met des euros dans votre poche, ça aide ! ». Alors que si on compare avec le délai nécessaire en France pour obtenir les autorisations nécessaires pour installer des panneaux solaires sur les toits à Paris, on comprend que la bureaucratie d’Etat n’est pas au même niveau.
Autre dada d’Amory Lovins, depuis longtemps, c’est son opposition au nucléaire, qu’il appelle « une distraction » : « Chaque année, le monde installe des capacités de production électrique et en supprime d’autres. 95% de ces ajouts nets de capacités sont des renouvelables ; le nucléaire représente, les bonnes années, 0,5% ».
Autre démonstration contre la pertinence du nucléaire, avec un argument économique qui parle aux industriels et entrepreneurs : « Les analystes de Bloomberg New Energy disent qu’un nouveau kilowattheure nucléaire coûte cinq à treize fois plus cher qu’un nouveau kilowattheure solaire ou éolien. Cela signifie que lorsque vous achetez un kilowattheure nucléaire au lieu d’un kilowattheure solaire ou éolien, vous payez trois fois plus. Autrement dit, vous substituez de trois à treize fois moins de combustible fossile par euro, et vous le substituez plus lentement ».
Le procès est fait pour en conclure que le nucléaire n’est pas une solution efficace sur le plan climatique.
Ce n’est peut-être pas une mauvaise idée de lire, relire, et écouter Amory Lovins, y compris pour les écologistes et les gouvernements en Europe.
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